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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 24 mai 2017, n° 14-18202

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Groupe Cervera (SARL), Audoise Expertise Parasitaire et Conseil (SARL), Cabinet Jean Claude Cervera (SAS), Cervera

Défendeur :

Allianz IARD (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes de la Taille, Frères, Bouillot, Spadoni

T. com. Paris, du 15 juill. 2014

15 juillet 2014

Faits et procédure

La société Groupe Cervera est une société immatriculée le 9 décembre 2004, dont le gérant est Monsieur Jean-Claude Cervera.

Elle indique que celui-ci exerçait depuis 1996 - par le biais de différentes structures dont les sociétés Groupe Cervera, Audoise Expertise Parasitaire et Conseil et Aude Auto Expertise - l'activité d'expert-conseil libéral de la compagnie AGF devenue Allianz, fonction consistant à contrôler les experts de terrain, à servir de relais entre eux et la compagnie d'assurance et d'arbitrer les difficultés ; il effectuait aussi des missions d'expertise de terrain, qui reviennent à constater les dégâts, déterminer les réparations et évaluer les véhicules notamment pour savoir s'ils sont ou non économiquement réparables.

La société Allianz IARD (ci-après, la société Allianz), anciennement AGF IARD et devenue filiale d'Allianz en 2007, est une société active dans le secteur des assurances.

Les sociétés Audoise expertise Parasitaire et Conseil, Aude Auto expertise (anciennement Cervera expertise Auto) et Monsieur Cervera sont intervenants volontaires en cause d'appel et se joignent aux conclusions de la société Groupe Cervera.

La société Groupe Cervera soutient que depuis le 9 décembre 2004, date de son immatriculation, elle a régulièrement exercé pour le compte de la société Allianz des missions de conseils et d'expertise notamment pour les véhicules volés non retrouvés (VVNR) et que la société Allianz a, dès 2011, réduit les missions qu'elle lui confiait avant, par courrier du 28 octobre 2011, de lui faire part de son intention de mettre un terme à la relation d'affaires.

Par courriel du 10 janvier 2012, la société Allianz a indiqué à la société Groupe Cervera que l'ensemble de ses missions VVNR et expertise Conseil prendrait fin le 31 janvier 2012.

En janvier 2012, dans le cadre de la restructuration de son réseau d'experts automobile, la société Allianz a réalisé un appel d'offre pour les missions VVNR, auquel la société Groupe Cervera a participé, mais qui ne lui a finalement pas été attribué.

Par courrier du 6 mars 2012, la société Groupe Cervera a sollicité auprès de la société Allianz l'indemnisation de son préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale.

Le 5 avril 2013, considérant que la rupture des relations commerciales avait été brutale, la société Cervera a assigné la société Allianz devant le Tribunal de commerce de Carcassonne qui, par jugement en date du 29 avril 2013, s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement en date du 15 juillet 2014, le Tribunal de commerce de Paris a :

- condamné la société Allianz à payer la somme de 25 947 euros à la société Groupe Cervera à titre de dommages et intérêts,

- condamné la société Allianz à payer la somme de 2 500 euros à la société Groupe Cervera au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit les parties mal fondées en leurs demandes plus amples ou contraires au dispositif du présent jugement et les en a déboutées,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- condamné la société Allianz aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

La cour est saisie de l'appel interjeté par la société Cervera de ce jugement.

Par conclusions du 14 février 2017, la société Groupe Cervera demande à la cour de :

vu le jugement du tribunal de commerce du 15 juillet 2014,

vu les dispositions des articles 1134 anciens et suivants du Code civil,

vu les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce,

vu la jurisprudence,

vu les pièces versées au débat,

rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées,

- donner acte à Monsieur Jean-Claude Cervera, à la société Aude Auto expertise et à la société Audoise d'expertise Parasitaire et Conseil de leur intervention volontaire,

à titre principal,

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 15 juillet 2014 en ce qu'il a constaté la rupture brutale des relations commerciales établies avec le Groupe Cervera,

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 15 juillet 2014 en ce qu'il a constaté le principe de la nécessité d'indemniser le préjudice subi,

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 15 juillet 2014 en ce qu'il a constaté qu'Allianz n'a pas respecté un délai de préavis raisonnable, en constatant que le préavis effectivement octroyé par Allianz au Groupe Cervera n'avait été que de 15 jours,

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a considéré que ce préavis avait été de 3 mois, en constatant que la relation commerciale existant entre Allianz et le Groupe Cervera était de près de 16 ans en lieu et place des 6 années retenues à tort par les juges du fond,

- infirmer le jugement dont appel quant à l'évaluation du préavis raisonnable qui aurait dû s'appliquer en l'espèce

- constater en conséquence que la relation commerciale a débuté entre ces deux entités en octobre 1996, soit une ancienneté de près de 16 ans,

en conséquence,

- fixer la durée du préavis raisonnable en l'espèce à deux années en lieu et place des 6 mois retenus à tort par les juges du fond, en constatant la jurisprudence de la cour de céans qui retient comme base de calcul d'indemnisation du préjudice le chiffre d'affaires et non la marge brute, en constatant que la durée réelle du préavis octroyé par Allianz au Groupe Cervera n'a été que de 15 jours,

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a pris comme base de calcul la perte de marge brute en lieu et place du chiffre d'affaires tel que l'impose la Cour d'appel de Paris,

en conséquence,

- condamner la société Allianz à verser à la SARL Groupe Cervera la somme de 164 520 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi du fait de cette rupture brutale correspondant à deux années de chiffre d'affaires,

à titre subsidiaire : concernant le mode de calcul adopté,

si par extraordinaire la Cour ne retenait pas le calcul proposé par la société Groupe Cervera, pourtant conforme à sa propre jurisprudence, en constatant que la durée réelle du préavis octroyé par Allianz au Groupe Cervera n'a été que de 15 jours,

- condamner la société Allianz à verser " a minima " à la SARL Groupe Cervera la somme de 134 800 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi du fait de cette rupture brutale correspondant à deux années de marge brute bénéficiaire,

à titre infiniment subsidiaire : concernant l'intervention volontaire de Monsieur Cervera, de la société Aude Auto expertise et de la Société Audoise d'expertise parasitaire, si par impossible la cour devait considérer que l'ancienneté des relations commerciales n'a été que de 6 ans en se référant à la seule période de collaboration intervenue entre Allianz et le Groupe Cervera,

- condamner la société Allianz à procéder à l'indemnisation complémentaire des préjudices subis au profit de Monsieur Cervera, personne physique à hauteur de 168 020 euros,

ou subsidiairement au profit de ses différentes structures d'exercices, à savoir les sociétés Aude Auto expertise et Audoise d'expertise Parasitaire et Conseil, intervenant volontairement aux débats à cette fin, au prorata de la durée respective de leur relations, soit 4 ans pour la société Aude Auto expertise et 6 ans pour l'Audoise d'expertise Parasitaire et Conseil,

42 005 euros (168 020 x 4/16) pour la société Aude Auto expertise,

63 007,50 (168 020 euros x 6/16) pour la société Audoise d'expertise Parasitaire et Conseil

63 007,50 euros (168 020 x 6/16) pour le Groupe Cervera,

voire subsidiairement dans l'hypothèse où elle refuserait, au mépris de sa propre jurisprudence par rapport à la marge brute, les sommes de 137 688 euros au profit de Monsieur Cervera

voire subsidiairement,

34 422 euros (137 688 x 4/16) pour la société Aude Auto expertise

51 633 euros (137 668 x 6/16) pour la société Audoise d'expertise Parasitaire et Conseil,

51 633 euros (137 688 x 6/16) pour le Groupe Cervera,

qu'à toutes fins utiles, si la cour devait retenir comme base de calcul la marge brute, laquelle est de 81,94 %, les indemnisations " a minima " seraient alors les suivantes :

la somme de 34 422 euros (137 688 x 4/16) 51 633 euros (137 668 x 6/16) pour la société Aude Auto expertise,

la somme de 51 633 euros (137 668 x 6/16) pour la société Audoise d'expertise Parasitaire et Conseil,

la somme de 51 633 euros (137 688 x 6/16) pour le Groupe Cervera

à titre infiniment subsidiaire : concernant la durée du préavis raisonnable retenu,

si par extraordinaire, la cour de céans devait confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a fixé le préavis raisonnable à 6 mois,

en constatant que la durée réelle du préavis octroyé par Allianz au Groupe Cervera n'a été que de 15 jours,

- condamner la société Allianz à verser " a minima " à la SARL Groupe Cervera la somme de 38 500 euros (168 020 euros/24X6 = 42 000 euros - 15jours) si la base de calcul retenue est celle du chiffre d'affaires,

31 554 euros (137 668 euros/24X6 = 34 416 - 15jours) si la base de calcul retenue est celle de la marge brute,

en tout état de cause,

- infirmer en revanche le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la SARL Groupe Cervera de sa demande d'indemnisation au titre de l'atteinte à son image et à sa réputation

- condamner en conséquence la société Allianz à verser à la SARL Groupe Cervera la somme complémentaire de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts à ce titre,

- confirmer la décision dont appel en ce qu'elle a débouté la société Allianz de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions et la condamner en sus des dépens au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner enfin la société Allianz à payer à la SARL Groupe Cervera la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour de céans au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens.

Par conclusions du 24 février 2017, la société Allianz demande à la cour de :

vu les articles 554 et 564 du Code de procédure civile,

vu le jugement du Tribunal de commerce du 15 juillet 2014,

vu la jurisprudence,

vu les pièces versées au débat,

- dire et juger irrecevables en leur intervention volontaire et, en tout état de cause infondés en leurs prétentions, formulées pour la première fois en cause d'appel, la société Audoise expertise Parasitaire et Conseil, la société Aude Auto expertise et Monsieur Jean-Claude Cervera,

- débouter la société Groupe Cervera, la société Audoise expertise Parasitaire et Conseil, la société Aude Auto expertise et Monsieur Jean-Claude Cervera de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- dire et juger la société Allianz IARD recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions,

y faisant droit,

à titre principal,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

jugé que l'action ne concerne que les personnes morales SARL Groupe Cervera et Allianz IARD,

jugé que le préavis accordé par Allianz IARD au bénéfice de la société Groupe Cervera est de trois mois,

jugé l'absence d'une quelconque exclusivité confiée à la SARL Groupe Cervera,

débouté la société Groupe Cervera de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice d'image,

- infirmer, pour le surplus, le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Allianz IARD au paiement de dommages et intérêts consécutifs à une durée de préavis de six mois,

statuant à nouveau,

- dire et juger que le délai de préavis de trois mois octroyé par la société Allianz IARD était raisonnable et suffisant,

- débouter la société Groupe Cervera de l'intégralité de ses demandes de dommages et intérêts pour rupture abusive des relations commerciales dirigée à l'encontre de la société Allianz IARD,

- débouter la société Audoise expertise Parasitaire et Conseil, la société Aude Auto expertise et Monsieur Jean-Claude Cervera de leurs demandes de dommages et intérêts pour rupture abusive des relations commerciales dirigée à l'encontre de la société Allianz IARD,

en tout état de cause,

- condamner in solidum les intervenants volontaires, à savoir la société Aude Auto expertise, la société Audoise expertise Parasitaire et Conseil, et Monsieur Jean-Claude Cervera à payer une somme de 3 000 euros au bénéfice d'Allianz IARD à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner la société Groupe Cervera à payer à la société Allianz IARD une indemnité de procédure d'un montant de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit du cabinet HB et Associés.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 28 février 2017.

Le 1er mars 2017, la société Groupe Cervera a signifié de nouvelles conclusions, en sollicitant le rabat de l'ordonnance de clôture et, à titre subsidiaire, le rejet des dernières conclusions et pièces signifiées par l'intimée.

Le même jour, la société Allianz a signifié des conclusions de rejet des conclusions signifiées le 1er mars 2017.

Aucune demande de report de l'ordonnance de clôture n'ayant été déposée avant le 28 février 2017, date de l'ordonnance de clôture, et alors qu'aucune cause grave n'a été révélée depuis cette ordonnance, étant au surplus relevé que la société Groupe Cervera avait elle-même signifié ses conclusions le 14 février 2017, il ne sera pas fait droit à la demande de révocation de l'ordonnance de clôture, et les conclusions et pièces postérieures seront écartées.

Motivation

Sur l'intervention volontaire de Monsieur Cervera, de la société Aude Auto expertise et de la société d'expertise Audoise Parasitaire et Conseil

La société Groupe Cervera soutient qu'il convient d'accueillir l'intervention volontaire de la société Audoise expertise Parasitaire et Conseil, de la société Aude Auto expertise, et de Monsieur Jean-Claude Cervera, en cause d'appel, car ils ont un intérêt propre et personnel à agir, remplissent les conditions posées l'article 554 du Code de procédure civile, et justifient d'un lien suffisant entre leurs demandes et les prétentions originaires.

Elle ajoute qu'il importe peu que l'intervention volontaire soit formée aux fins de condamnations qui n'ont pas subi l'épreuve du 1er degré.

Elle précise que si la cour retient une durée de relations entre les sociétés Groupe Cervera et Allianz de 6 ans, il convient d'indemniser de façon complémentaire les intervenants volontaires pour la durée de leurs relations avec Allianz.

La société Allianz affirme que la société Groupe Cervera tente d'allonger artificiellement la durée des relations commerciales poursuivies avec elle. Elle relève que Monsieur Cervera est gérant des sociétés " Groupe Cervera " et " Audoise expertise Parasitaire et Conseil ", lesquelles sont bien distinctes, et qu'il ne justifie pas lui-même d'un préjudice direct et personnel.

Elle soutient que les interventions volontaires doivent être déclarées irrecevables car elles constitueraient de nouvelles prétentions en cause d'appel. Elle ajoute que l'appelante ne démontre pas qu'elle aurait repris les engagements liant la société Allianz et la société Audoise d'expertise Parasitaire et Conseil, et Cabinet Groupe Cervera, sans interruption depuis 1996.

Sur ce

L'article 554 du Code de procédure civile prévoit que :

" Peuvent intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité ".

En l'occurrence, l'objet du litige n'est pas nouveau, car la demande à titre principal procède directement de la demande originaire présentée par la société Groupe Cervera et tend aux mêmes fins, soit la condamnation de l'intimée au profit de la société Groupe Cervera pour des faits de rupture brutale de relations commerciales établies depuis 1996.

Pour autant, les intervenants volontaires justifient leur intervention par le fait que " si la cour de céans devait considérer que l'ancienneté des relations commerciales entre le Groupe Cervera et Allianz n'était que de 6 ans, Monsieur Cervera personne physique ou subsidiairement ses différentes structures d'exercice auraient dès lors un intérêt évident à agir afin d'obtenir réparation de leur propre préjudice du fait de la rupture des relations commerciales avec Allianz ".

Or, ces demandes tendant à la condamnation de la société Allianz au profit des sociétés Aude Auto expertise, Audoise d'expertise Parasitaire et Conseil, et de Monsieur Cervera, sont nouvelles, personnelles à chacun de ces intervenants, et se distinguent de celles qui ont été soumises au débat au 1er degré de juridiction.

Ces demandes d'indemnisation complémentaire n'ont pas été discutées devant les premiers juges, de sorte qu'elles sont irrecevables en cause d'appel.

Sur la brutalité de la rupture commerciale par la société Allianz

Sur le point de départ de la relation commerciale

Selon la société Groupe Cervera, les relations commerciales durent non depuis 2004 mais depuis 1996, année au cours de laquelle Monsieur Cervera a été effectivement en relation d'affaires avec la société Allianz. Elle soutient que les nombreux éléments du dossier ayant trait à la facturation démontrent que la société Groupe Cervera a réalisé des missions d'expertise conseil pour la société Allianz depuis 1996. Elle ajoute que Monsieur Cervera a apporté successivement son activité d'expert, qui lui était personnelle, à ses différentes structures d'exercice, dont la société Groupe Cervera, depuis 1996. Elle insiste sur le caractère intuitu personae de la relation entre Monsieur Cervera et la société Allianz, la forme sociale donnée à la société par le biais de laquelle exerçait Monsieur Cervera important peu.

La société Allianz soutient n'avoir entretenu de relations commerciales qu'avec la société Groupe Cervera, et non avec Monsieur Cervera en son nom propre. Elle conteste la crédibilité des pièces et attestations versées par l'appelante pour établir l'existence d'une relation depuis 1996. De même conteste-t-elle avoir entretenu des relations avec la société Audoise expertise Parasitaire, et toute antériorité alléguée par la société Groupe Cervera, laquelle entretient une confusion entre les activités qui lui étaient confiées et celle exécutées par la société Aude Auto expertise.

Sur ce

La société Allianz reconnaît l'existence de relations commerciales avec la société Groupe Cervera depuis son immatriculation au registre du commerce et des sociétés du greffe du Tribunal de commerce de Carcassonne, le 9 décembre 2004, et ne conteste pas leur caractère établi.

Lors de cette immatriculation, il est indiqué qu'il s'agit d'une création d'activité, et non d'une reprise de fonds de commerce d'une société pré-existante.

Pour autant, le gérant de cette société est Monsieur Cervera, et les pièces versées par l'appelante montrent que pour la période de juin 1999 à 2004 la société AGF, à laquelle a succédé la société Allianz, a entretenu des relations commerciales établies avec Monsieur Cervera (pièces 21 à 26 appelante).

Si les deux parties s'accordent à distinguer les expertises " de terrain " et celles réalisées comme " expert-conseil libéral ", Monsieur Cervera ayant exercé les deux activités, la société Allianz ne peut soutenir que l'appelante entretient une confusion volontaire entre les différentes activités, celles d'expertise automobile " terrain " confiées à la société Aude Auto expertise et celles de l'activité de conseil automobile confiée à la société Groupe Cervera, car les pièces 21 à 26 montrent que les honoraires payés par la société AGF durant la période juin 1999-2004 à Monsieur Cervera l'étaient sur la production de fiche d'"honoraires expert conseil ".

De même, l'intimée ne peut soutenir qu'elle n'entretenait de relations qu'avec la société Groupe Cervera, alors que sa lettre du 28 octobre 2001 annonçant la résiliation de la relation commerciale était adressée non à la société Groupe Cervera mais à " cabinet Aude Auto expertise Monsieur Jean-Claude Cervera ", à une autre adresse que celle de l'appelante.

Ce courrier, qui commence par

" Monsieur l'expert Conseil,

Vous êtes en relation d'affaires depuis 1996 avec la société Allianz IARD (anciennement AGF) pour des missions de prestation en tant qu'expert Conseil. "

révèle à tout le moins que la société Allianz entretenait bien des relations avec Monsieur Cervera et non avec la seule société Groupe Cervera.

Il établit ainsi que la société Allianz considérait être liée à Monsieur Cervera en sa qualité d'expert conseil, activité dont il a poursuivi l'exercice en sa qualité de gérant de la société Groupe Cervera et le fait qu'elle ait adressé ce courrier à une autre société que la société Groupe Cervera montre qu'elle était attachée à l'activité d'expert conseil de Monsieur Cervera, sans considération de la forme sociale de la société par laquelle il exerçait cette activité.

L'apport par Monsieur Cervera de son activité d'expert-conseil de 1996 à 2012 à ses différentes sociétés, soit Cervera expertise Automobile, Audoise d'expertise Parasitaire et Conseil, Groupe Cervera, qui ont encaissé ces prestations d'expert conseil, est attesté par son expert-comptable (sa pièce 31).

Pour autant, si l'appelante produit plusieurs témoignages sur la qualité d'expert conseil pour la société AGF devenue Allianz de Monsieur Cervera, ces attestations ne sauraient en elles-mêmes établir le caractère établi de ces relations pour la période 1996 à juin 1999, à défaut d'éléments sur le volume, l'importance et la continuité des affaires entre Monsieur Cervera et la compagnie d'assurance.

La production de notes d'honoraires d'expert conseil pour les mois d'octobre et de novembre 1996 (pièces 16 et 17), outre qu'elles ne sont pas validées par la compagnie d'assurance, ne justifie pas que ces relations se sont poursuivies de telle manière qu'elles peuvent être qualifiées d'établies. Il en est de même pour un listing des honoraires facturés entre 1996 et 2012, sans indication des dates pour chacune des factures, lesquelles ne sont pas davantage fournies, ou pour les notes d'honoraires n'établissant pas leur lien avec la société AGF.

Il résulte de ce qui précède que le caractère établi des relations commerciales, s'il est avéré par les pièces 21 à 26 de l'appelante pour la période allant du mois de juin 1999 à l'année 2004, n'est pas démontré pour la période antérieure 1996-1999.

Dès lors, les relations commerciales établies dont la société Groupe Cervera peut se prévaloir ont commencé en juin 1999.

Sur le point de départ du préavis

La société Groupe Cervera affirme qu'aucun préavis ne lui a été accordé à la suite de la rupture des relations commerciales. Elle indique que le courrier du 28 octobre 2011 de la société Allianz l'informant de sa volonté de mettre un terme définitif aux relations ne précisait aucune date, de sorte que ce n'est que le 10 janvier 2012 que la société Allianz a réellement dénoncé la relation, ne laissait ainsi un préavis que de 15 jours, jusqu'au 31 janvier 2012.

La société Allianz conteste toute rupture brutale, soutient avoir informé sans ambiguïté la société Groupe Cervera de la rupture de leurs relations commerciale lors d'une réunion le 21 octobre 2011, puis par courrier le 28 octobre 2011, de sorte que la société Groupe Cervera a bénéficié d'un délai de trois mois suffisant pour lui permettre de se réorganiser.

Sur ce

Par courrier du 28 octobre 2011 ayant pour objet " résiliation de la relation commerciale ", la société Allianz a indiqué mettre un terme par ledit courrier aux relations commerciales, moyennant selon ses termes " un préavis conforme aux dispositions légales ".

Ce courrier faisant seul référence à une réunion du 21 octobre précédent, cette dernière date ne peut être retenue comme le point de départ du délai de préavis.

Par courriel du 10 janvier 2012, la société Allianz a informé le gérant de la société Groupe Cervera que ses missions en tant qu'expert-conseil prenaient fin au 31 janvier 2012.

Il ressort de ce qui précède que dès le 28 octobre 2011, la société Groupe Cervera était informée de manière non contestable de la fin de la relation commerciale, même si ce courrier ne précisait pas la date de fin de la relation.

Ce courrier faisait courir le délai de préavis, ayant averti le co-contractant que la relation commerciale ne se poursuivrait pas, et la société Groupe Cervera étant par ailleurs informée qu'un appel d'offres était lancé, auquel elle a concouru sans être retenue.

Ainsi, ce courrier sera retenu comme le point de départ du délai de préavis qui a donc duré jusqu'au 31 janvier 2012, soit trois mois.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le caractère brutal de la rupture et la durée du préavis

La société Groupe Cervera soutient que la rupture des relations commerciales décidée par la société Allianz est brutale, au vu de la durée de ces relations, qui lui permettait légitimement de croire dans leur stabilité.

Elle fait état de sa dépendance économique à l'égard de la société Allianz, réalisant plus de 60 % de son chiffre d'affaires avec les missions que celle-ci lui confiait. Elle ajoute que les compagnies d'assurance attendent de leurs experts-conseils qu'ils ne cherchent pas à travailler avec une autre, ce qui place ces experts en situation de dépendance à l'égard des compagnies.

Elle affirme que l'absence d'investissement lourd ne saurait justifier la brièveté du préavis donné par la société Allianz, et fait état de la baisse significative du nombre des missions qui lui ont été confiées en 2011 par rapport à 2010. Elle demande qu'un préavis de deux ans lui soit reconnu.

La société Allianz conteste toute brutalité de la rupture, la société Groupe Cervera ayant bénéficié d'un préavis de trois mois selon elle suffisant. Elle ajoute que le préavis de deux années sollicité par la société Groupe Cervera est sans rapport avec la réalité, souligne que les parties n'étaient pas liées par une clause d'exclusivité et que la société Groupe Cervera n'a eu aucun investissement particulier à réaliser.

Elle soutient que l'appelante n'a réalisé aucune démarche pour diversifier sa clientèle. Elle affirme que la société Groupe Cervera se contredit, qu'elle avait développé une activité de location et initié un développement de sa clientèle, de sorte qu'elle n'était pas en situation de dépendance économique mais que sa situation résultait de sa seule volonté, et que l'appréciation de son préjudice doit en être modulée en conséquence.

Elle rejette le reproche de baisse de commandes en 2011, souligne n'avoir été tenue par aucun volume fixe et devoir tenir compte de la réalité extérieure. Elle en déduit qu'un préavis de trois mois est suffisant.

Sur ce

L'article L. 446-2 I 5e du Code de commerce prévoit que :

"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels"

Il résulte de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures. L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables engagées par elle et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire.

Il ressort des développements précédents que les relations commerciales sont établies depuis le mois de juin 1999, et duraient donc depuis plus de 12 années lorsque la société Groupe Cervera a reçu le courrier du 28 octobre 2011 l'avisant de la rupture.

Les relations entre la société Groupe Cervera et la société Allianz ne reposaient pas sur une exclusivité, et si l'appelante soutient que les compagnies d'assurance exigent de leurs experts conseils un comportement loyal tel qu'il serait de nature à empêcher le développement d'une clientèle auprès d'un concurrent, elle n'en justifie pas. Il est ainsi à remarquer que la société Groupe Cervera a pu développer, au cours des années 2010 et 2011, son chiffre d'affaire au moyen d'"expertises particulières" et de "locations diverses".

L'attestation de l'expert-comptable de la société Groupe Cervera révèle que le chiffre d'affaires réalisé par la société Groupe Cervera avec la société Allianz concernant son activité d'expert conseil était de 57,34 % en 2009 de 51,6 % en 2010 et de 36,37 % en 2011.

Le volume de l'activité d'expert conseil a considérablement diminué en 2011 par rapport aux deux années précédentes, passant de 77 838 euros en 2010 à 39 224 euros en 2011, et la société Allianz - qui n'explique pas une telle baisse - ne peut se limiter à souligner qu'elle n'était tenue par aucun volume fixe de commandes pour la justifier, baisse que la société Groupe Cervera explique par la volonté de la société Allianz de se séparer de l'ensemble de ses experts conseils avant de les en informer.

Par ailleurs, la communication par la société Allianz de la liste des experts automobiles du département de l'Aude n'est pas de nature à illustrer la facilité pour la société Groupe Cervera de se diversifier, dans l'exercice de la mission d'experts conseils pour laquelle la société Allianz faisait appel à elle.

Cela étant, il sera retenu que la part moyenne de l'expertise conseil réalisée par la société Groupe Cervera au profit de la société Allianz au Cours des années 2007 à 2011 est de 46,05%.

Il convient également de confirmer l'appréciation du Tribunal de commerce qui a relevé que le efforts déployés par la société Groupe Cervera révélaient que l'importance du chiffre d'affaires réalisé avec la société Allianz n'était pas voulue et ne résultait pas d'une absence de recherche de diversification.

Il résulte enfin des dires des parties, concordants sur ce point, que l'activité d'expert conseil ne sollicite pas d'investissement particulier, de sorte que la société Groupe Cervera n'a pas eu à en supporter.

Au vu des éléments qui précèdent, et notamment de la durée des relations commerciales établies, la rupture apparaît brutale, en ce que la société Groupe Cervera pouvait légitimement compter sur leur poursuite.

Il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce pour fixer à 12 mois le délai de préavis qu'aurait dû respecter la société Allianz.

Sur l'indemnisation des préjudices prétendument subis par la société Groupe Cervera

La société Groupe Cervera affirme que n'ayant pu anticiper la rupture elle s'est retrouvée en l'espace de 3 mois sans client, et victime d'une perte financière conséquente, perdant 60% de son chiffre d'affaires. Son indemnisation doit correspondre au montant de son chiffre d'affaires sur deux années, et se baser sur son chiffre d'affaires réalisé avec la société Allianz sur les cinq dernières années, de sorte que son préjudice s'élève à 164 520 euros.

A titre subsidiaire, si la Cour retenait le pourcentage de marge brute sur frais variable, son préjudice se chiffre à 134 800 euros.

Elle sollicite la réparation d'un préjudice supplémentaire au titre de l'atteinte à son image et à sa réputation.

La société Allianz rappelle que la réparation ne doit couvrir que les conséquences de la brutalité de la rupture, et non compenser la perte prétendue d'un chiffre d'affaires. Elle affirme que la compensation doit être calculée sur la perte de marge brute qui aurait dû être réalisée pendant le préavis, après déduction des coûts variables.

Elle conteste le pourcentage de marge brute retenu par la société Groupe Cervera.

Elle s'oppose à toute indemnisation au titre du préjudice moral, aucune pièce ne l'établissant.

Sur ce

Le préavis qu'aurait dû respecter la société Allianz est de 12 mois, et la société Groupe Cervera n'ayant été prévenue que trois mois avant la fin des relations commerciales, elle doit être indemnisée sur la base des neuf mois pendant lesquels elle n'a pu en bénéficier.

Si l'expertise automobile est une prestation intellectuelle, sans achat de matière première ni de marchandise destinée à la revente, il n'en demeure pas moins que sa réalisation induit des coûts dont il convient de tenir compte, de sorte que la société Groupe Cervera ne peut solliciter une indemnisation égale au chiffre d'affaires dont elle aurait dû bénéficier pendant le préavis.

L'expert-comptable de la société Groupe Cervera a versé une attestation faisant état d'un taux de marge sur coût variable, de 81,34 %, en retenant au titre des frais variables la sous-traitance, les frais de déplacement et de mission.

Cependant, la cour observe que Madame Hernandez, employée de la SA Cervera (installée et une autre adresse que la société Groupe Cervera) indique qu'elle bénéficiait alors d'une prime au titre du secrétariat de Monsieur Cervera pour les fonctions d'expert conseil, prime qui aurait dû être prise en compte par l'expert-comptable et est de nature à entraîner une diminution de ce taux de marge sur coût variable.

Aussi, le taux retenu doit nécessairement être inférieur, et au vu des seuls éléments dont dispose la cour, elle confirmera celui retenu par le tribunal de commerce, soit 72,57 %.

Au vu de la moyenne du chiffre d'affaires réalisé par la société Groupe Cervera au titre de l'activité d'expert conseil avec la société Allianz au Cours des trois dernières années, soit 66 449 euros, l'indemnisation du préjudice pour un préavis de 12 mois devrait s'élever à 48 222 euros.

Un préavis de trois mois ayant été respecté, l'indemnisation que la société Groupe Cervera devra recevoir de la société Allianz au titre du préavis qui aurait dû être respecté la somme de 36 166,53 euros, et le jugement sera réformé sur ce point.

La société Groupe Cervera ne verse aucune pièce justifiant d'une atteinte à son image et à sa réputation découlant de la rupture brutale des relations commerciales, ou de la perte de considération que cette rupture pouvait provoquer auprès des professionnels avec lesquels la société était en relation.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Groupe Cervera de cette demande.

Sur les autres demandes

L'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d'exercer une voie de recours en justice légalement ouverte, est susceptible de constituer un abus.

En l'espèce, l'appel de la société Groupe Cervera étant partiellement reçu, il n'apparaît pas abusif.

La société Allianz sera donc déboutée de sa demande à ce titre.

La société Allianz succombant au principal, elle sera condamnée au paiement des dépens, ainsi qu'au versement à la société Groupe Cervera d'une somme supplémentaire de 5000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, déclare irrecevable la demande d'intervention volontaire des sociétés Aude Auto expertise, Audoise d'expertise Parasitaire et Conseil, et de Monsieur Cervera, confirme le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 15 juillet 2014 en ce qu'il a retenu la brutalité de la rupture des relations commerciales entre les sociétés Groupe Cervera et Allianz, et débouté la société Groupe Cervera de sa demande de réparation au titre de l'atteinte à l'image et à la réputation, l'infirme sur la durée des relations commerciales, sur la durée du préavis, et sur l'indemnisation due à la société Groupe Cervera, Et, statuant à nouveau, condamne la société Allianz au paiement à la société Groupe Cervera de la somme de 36 166,53 euros à titre de dommages et intérêts, déboute les parties de leurs autres demandes, Au surplus, condamne la société Allianz au paiement des dépens, ainsi qu'à payer à la société Groupe Cervera la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.