CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 23 mai 2017, n° 2015-08224
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Laïta (SAS), Laiterie Coopérative Alsacienne Alsace Lait (SCA), Laiterie de Saint-Malo (SAS), Sill Entreprises (SAS), Laiteries H. Triballat (SAS), Yéo Frais (SAS), 3A Groupe (SAS), Sodiaal Union (SCA), Senagral (SAS), Senagral Holding (SAS), Novandie (SNC), Andros et Cie (SAS), Coopérative Agricole Laitière " Les Maîtres laitiers du Cotentin " (SCA), Lactalis Beurres & Crèmes (SNC), Groupe Lactalis (SA), LNUF MDD (SNC), Lactalis Nestlé Ultra-Frais (SAS), Lactalis Nestlé Produits Frais (SAS), Senso (SAS)
Défendeur :
Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'Economie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Michel-Amsellem
Conseillers :
MM. Douvreleur, Mollard
Avocats :
Me Billard, Selarl Lexavoué Paris-Versailles, Me Borrel-Prat, SCP Bolling Durand Lallement, Mes Lévy, Tardif, Choffel, Théophile, Brunet, SCP Grappotte-Benetreau, Mes Saint Esteben, Teytaud, de Juvigny, Reymond, Selarl Pellerin-de Maria-Guerre, Mes Dorizon, Donnedieu de Vabres-Tranié, Calla
Faits et procédure
Le 12 août 2011, la société General Mills Inc. ainsi que ses filiales General Mills France SAS, General Mills Holding France SAS, Yoplait SAS et Yoplait France SAS, ont mis en œuvre la procédure dite " de clémence ", prévue par l'article L. 464-2 IV du Code de commerce, en portant à la connaissance de l'Autorité de la concurrence (ci-après l'Autorité) des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la fabrication de produits laitiers frais commercialisés en France sous marques de distributeurs (ci-après les MDD).
L'Autorité a, par avis n° 12-AC-01 du 19 janvier 2012, accordé à ces sociétés le bénéfice conditionnel de la clémence avec une exonération totale des sanctions éventuellement encourues pour les pratiques dénoncées par elles sur le marché français des produits laitiers frais commercialisés sous MDD.
Par décision du 20 janvier 2012, l'Autorité s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits laitiers frais. Ses services d'instruction ont, notamment, procédé le 9 février 2012 à des visites et saisies dans les locaux de plusieurs entreprises de ce secteur.
Consécutivement à ces opérations, les sociétés Senagral, Senoble Holding, Senagral Holding et Senoble Desserts Premium ont présenté à leur tour une demande de clémence, reçue par le rapporteur général de l'Autorité par procès-verbal du 22 février 2012.
Prenant en compte le rang et le moment de cette demande ainsi que le degré de valeur ajoutée des pièces apportées, en considération de ce dont les services d'instruction disposaient déjà, l'Autorité a, par avis de clémence n° 13-AC-03 du 6 mars 2013, accordé à ces sociétés une réduction conditionnelle de sanction comprise dans une fourchette de 25 % à 40 % concernant les pratiques dénoncées relatives aux produits laitiers frais commercialisés sous MDD dans le circuit des grandes et moyennes surfaces de distribution (ci-après la GMS) et relatives aux produits laitiers frais destinés à la restauration hors foyer (ci-après la RHF).
Les éléments de preuve recueillis, tant auprès des demandeurs de clémence que dans le cadre de l'instruction qui a été menée, ont conduit les rapporteurs à considérer que, depuis 2006, les entreprises en cause s'étaient concertées, par échanges d'informations et conclusions d'accords portant sur les prix et les volumes dans le secteur des produits laitiers frais vendus sous MDD. Ils ont ainsi relevé, en particulier, que ces entreprises participaient, en moyenne quatre fois par an, à des réunions dans des hôtels réservés à tour de rôle par chacune d'entre elles, que les quatre " grands " du secteur (Yoplait, Lactalis, Novandie et Senegral) se retrouvaient dans un appartement parisien pour prolonger dans un cadre privé des échanges professionnels secrets, qu'outre ces réunions de " pilotage " de l'entente, se tenaient d'autres réunions plus restreintes et informelles et qu'enfin, ces entreprises entretenaient de fréquents contacts bilatéraux, téléphoniques ou par SMS, quelquefois au moyen d'un " téléphone secret dédié à l'entente ".
Deux griefs ont alors été notifiés le 30 septembre 2013 aux sociétés Yoplait France et Yoplait, aux sociétés Senagral et Senagral Holding, aux sociétés LNUF MDD (ci-après LNUF MDD), Lactalis Nestlé Ultra-Frais (ci-après LNUF) et Lactalis Nestlé Produits Frais (ci-après LNPF), aux sociétés Lactalis Beurres et Crèmes (ci-après Lactalis B&C) et Groupe Lactalis, aux sociétés Novandie et Andros et Cie, à la société Coopérative agricole laitière " Les Maîtres Laitiers du Cotentin " (ci-après MLC), à la société Laïta, à la société Laiterie coopérative alsacienne Alsace Lait (ci-après Alsace Lait), aux sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et Alliance Agro-Alimentaire Coopérative (ci-après 3A Coop), à la société Laiteries H. Triballat (ci-après LHT) ainsi qu'aux sociétés Laiterie de Saint-Malo (ci-après LSM) et Société industrielle laitière du Léon (ci-après SILL), les unes en tant qu'auteures des faits, les autres en tant que sociétés mères des premières, leur reprochant :
- au titre du grief n° 1, d'avoir, dans le secteur de la commercialisation des produits laitiers frais sous MDD, mis en œuvre sur le territoire national, entre le 6 décembre 2006 et le 9 février 2012, et pour des durées différentes selon les entreprises en cause, " des pratiques concertées consistant en des échanges d'informations sensibles, portant sur les prix actuels et à venir des produits laitiers, portant sur les taux de hausses futures des tarifs de ces mêmes produits, portant sur la stratégie commerciale respective des sociétés en cause ", ces pratiques ayant permis la mise en place, par les entreprises en cause, " d'une concertation destinée à coordonner leurs politiques tarifaires et commerciales, lever l'incertitude sur la stratégie des concurrents et ainsi faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché " ; et
- au titre du grief n° 2, d'avoir, dans le secteur de la commercialisation des produits laitiers frais sous MDD et sur le territoire national, " au cours de réunions secrètes, entre le 6 décembre 2006 et le 17 décembre 2008, puis entre le 4 janvier 2011 et le 9 février 2012, défini en commun des taux de hausses de prix par familles de produits, de s'être coordonnées sur la chronologie d'application de ces hausses en clientèle et de s'être coordonnées sur les argumentaires développés pour justifier ces hausses ; pris part, entre le 15 juin 2010 et le 9 février 2012, à un accord anticoncurrentiel portant sur la fixation des volumes en s'abstenant de capter des marchés de produits détenus par les sociétés concurrentes ; pris part, entre le 15 juin 2010 et le 9 février 2012, à un accord anticoncurrentiel portant sur les prix des produits objets des appels d'offres et se traduisant notamment par la remise d'offres de couverture ", ces pratiques ayant conduit " à une répartition de marché, [...] fait obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché et [...] ainsi limité le libre exercice de la concurrence, en ne permettant pas à certains opérateurs de se distinguer dans leur politique tarifaire, du fait notamment de gains d'efficience ou de productivité qu'ils auraient réalisés ", ces pratiques étant prohibées par les articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce.
Les rapporteurs ont déposé leur rapport le 28 avril 2014 (ci-après le rapport).
Toutes les entreprises en cause, à l'exception de la société LSM, ont demandé l'application de la procédure prévue par l'article L. 464-2 III du Code de commerce, en faisant savoir qu'elles ne contestaient pas la réalité de ces griefs et en déposant des propositions d'engagement.
A la suite de la séance du 26 novembre 2014, l'Autorité a statué par une décision n° 15-D-03 du 11 mars 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits laitiers frais (ci-après la décision attaquée).
L'Autorité a accordé le bénéfice de la procédure de non-contestation des griefs aux sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, aux sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis, aux sociétés Novandie et Andros et Cie, à la société MLC, à la société Laïta, à la société Alsace Lait, aux sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et 3A Coop, ainsi qu'à la société LHT et a, en conséquence, constaté que les griefs étaient établis à leur égard (décision attaquée, §§ 192 et 193).
Elle a en revanche refusé le bénéfice de la procédure de non-contestation des griefs aux sociétés Senagral et Senagral Holding (décision attaquée, §§ 390 à 396) et, rappelant que ces sociétés avaient, dans le cadre d'une procédure de clémence, dénoncé les pratiques auxquelles la société Senagral avait participé, elle a considéré que la participation de cette société aux pratiques était établie sur la base, notamment, de pièces ou de témoignages qu'elle-même avait produits (décision attaquée, §§ 194 à 197).
Enfin, s'agissant de la société LSM, l'Autorité a considéré que sa participation aux pratiques relevant du grief n° 2 n'était pas établie et l'a donc mise hors de cause (décision attaquée, §§ 198 à 202). En revanche, elle a considéré qu'il ressortait des éléments du dossier que cette société avait, du 19 janvier 2011 au 9 février 2012, " renouvelé de façon constante et persistante son adhésion aux comportements anticoncurrentiels " relevant du grief n° 1 et que sa participation était donc établie (décision attaquée, §§ 203 à 246).
Sur la base de ces constatations, l'Autorité a retenu, à des degrés divers, la responsabilité de toutes les entreprises en cause auxquelles des griefs avaient été notifiés pour avoir enfreint les articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce. Ayant fait application de la méthode de calcul présentée dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires de l'Autorité (ci-après le communiqué sanctions), et prenant en compte - en tant que de besoin - le bénéfice des procédures de clémence et de non-contestation des griefs, elle a exonéré de toute sanction pécuniaire les sociétés Yoplait France et Yoplait et a infligé aux autres sociétés, prises en tant qu'auteure des pratiques ou en qualité de société mère ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, les sanctions pécuniaires suivantes :
- 46 000 000 euros, solidairement aux sociétés Senagral et Senagral Holding ;
- 38 300 000 euros, solidairement aux sociétés Novandie et Andros et Cie ;
- 56 100 000 euros, solidairement aux sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF ;
- 4 000 000 euros, solidairement aux sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis ;
- 22 900 000 euros à la société MLC ;
- 12 000 000 euros, solidairement aux sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union, venant aux droits de la société 3A Coop ;
- 8 100 000 euros à la société Laïta ;
- 3 600 000 euros à la société Alsace Lait ;
- 1 400 000 euros à la société LHT ;
- 300 000 euros, solidairement aux sociétés LSM et SILL.
L'Autorité, en outre, a enjoint à celles d'entre elles qui avaient proposé des engagements, consistant dans la mise en œuvre de programmes de conformité, de les respecter et, enfin, a ordonné la publication de sa décision.
Par déclarations en date des 23 et 24 avril 2015, les sociétés Senagral et Senagral Holding, LSM et SILL Entreprises, Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union, Alsace Lait, Laïta, Novandie, Andros et Cie, MLC, LHT, LNUF MDD, LNUF et LNPF, ainsi que Lactalis B&C et Groupe Lactalis, ont formé contre cette décision, les unes, un recours en annulation et, subsidiairement, en réformation, les autres, un recours en réformation.
La société Senoble Groupe Services SAS, anciennement société Senoble Holding, est intervenue volontairement, le 24 avril 2015, au soutien du recours des sociétés Senagral et Senagral Holding.
LA COUR
Vu la décision de l'Autorité de la concurrence n° 15-D-03 du 11 mars 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits laitiers frais ;
Vu les déclarations de recours déposées au greffe de la cour les 23 et 24 avril 2015 par les sociétés Senagral et Senagral Holding, LSM et SILL Entreprises, Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union, Alsace Lait, Laïta, Novandie, Andros et Cie, MLC, LHT, LNUF MDD, LNUF et LNPF, ainsi que Lactalis B&C et Groupe Lactalis ;
Vu la déclaration d'intervention volontaire à titre accessoire au soutien des sociétés Senagral et Senagral Holding, déposée au greffe de la cour le 24 avril 2015 par la société Senoble Groupe service ;
Vu le mémoire et le mémoire récapitulatif déposés respectivement les 22 mai 2015 et 13 juillet 2016 par les sociétés Senagral et Senagral Holding ;
Vu l'exposé des moyens déposé le 22 mai 2015 par la société Senoble Groupe Services et le mémoire récapitulatif déposé le 15 juillet 2016 par la société Senso, venant aux droits de la société Senoble Groupe Services ;
Vu le mémoire et le mémoire récapitulatif déposés respectivement les 22 mai 2015 et 12 juillet 2016 par la société Novandie ;
Vu le mémoire et le mémoire récapitulatif déposés respectivement les 22 mai 2015 et 12 juillet 2016 par la société Andros et Cie ;
Vu le mémoire et le mémoire responsif et récapitulatif déposés respectivement les 22 mai 2015 et 13 juillet 2016 par la société MLC ;
Vu les mémoires déposés respectivement les 22 mai 2015 et 13 juillet 2016 par les sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union ;
Vu l'exposé des moyens et les observations récapitulatives déposés respectivement les 22 mai 2015 et 12 juillet 2016 par la société Laïta ;
Vu l'exposé des moyens et le mémoire récapitulatif déposés respectivement les 22 mai 2015 et 13 juillet 2016 par la société LHT ;
Vu l'exposé des moyens et les conclusions en réplique et récapitulatives déposés respectivement les 26 mai 2015 et 13 juillet 2016 par les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF ;
Vu l'exposé des moyens et les conclusions en réplique et récapitulatives déposés respectivement les 26 mai 2015 et 13 juillet 2016 par les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis ;
Vu le mémoire ampliatif et le mémoire en réplique déposés respectivement les 26 mai 2015 et 13 juillet 2016 par les sociétés LSM et SILL Entreprises ;
Vu l'exposé des moyens et le mémoire déposés respectivement les 27 mai 2015 et 13 juillet 2016 par la société Alsace Lait ;
Vu les observations écrites déposées par le Ministre chargé de l'Économie le 30 mars 2016 ;
Vu les observations écrites déposées par l'Autorité de la concurrence le 31 mars 2016 ;
Vu l'avis du Ministère public en date du 6 septembre 2016 ;
Après avoir entendu à l'audience publique des 8 et 9 septembre 2016 les conseils des requérantes, qui ont été mises en mesure de répliquer et ont eu la parole en dernier, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence, celui du Ministre chargé de l'Économie et le Ministère public ;
SUR CE,
I - SUR LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
A. Sur la recevabilité des observations écrites de l'Autorité
1. À titre préliminaire, les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF ainsi que les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis demandent à la cour d'écarter les observations écrites déposées le 31 mars 2016 par l'Autorité, au motif qu'il en résulterait une atteinte aux exigences du procès équitable.
2. À l'appui de cette demande, les requérantes invoquent, en premier lieu, deux arrêts rendus le 10 septembre 2014 et le 10 septembre 2015 par la Première Chambre civile de la Cour de cassation (pourvois n° 13-21.762 et n° 14-10.111), qui, ayant jugé que " l'exigence d'un procès équitable, au regard des principes d'égalité des armes et d'impartialité du juge, impose qu'une juridiction disciplinaire de première instance ne soit pas partie au recours contre ses propres décisions " et que le Conseil des ventes volontaires " qui prononce une sanction disciplinaire constitue une telle juridiction ", a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel qui avait statué " au vu des observations écrites déposées " par ce Conseil. Elles soutiennent que cette jurisprudence, rendue au visa de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ci-après la CESDH), doit s'appliquer non aux seules juridictions disciplinaires ordinales, mais à toutes les " autorités sanctionnatrices ", quelle que soit la qualification qu'elles ont reçue.
Elles soulignent que le Conseil des ventes volontaires et l'Autorité de la concurrence, qui se sont progressivement " juridictionnalisés ", présentent de nombreuses similitudes dans leur organisation et leur fonctionnement et, en particulier, ont le même statut de " partie " devant la cour d'appel, de sorte que la solution dégagée pour le premier doit être transposée à la seconde.
3. Mais force est de constater que, si, lorsqu'elle prononce des sanctions pécuniaires à l'encontre d'entreprises s'étant livrées à des pratiques anticoncurrentielles, l'Autorité statue en " matière pénale " au sens de l'article 6 précité, avec les conséquences qui s'y attachent, et si, comme le Conseil des ventes volontaires, elle est partie à l'instance devant la cour d'appel, elle a la nature, non d'une juridiction, mais d'une autorité administrative indépendante, comme le prévoit expressément l'article L. 461-1 du Code de commerce, sans qu'aucune des " similitudes " relevées par les requérantes, en ce qui concerne l'organisation et le fonctionnement de ces deux autorités, ne soit de nature à écarter l'application de cette qualification légale.
4. En deuxième lieu, les sociétés requérantes font valoir que le dépôt d'observations écrites par l'Autorité a certes été effectué dans des conditions conformes au principe de la contradiction, puisqu'elles ont eu la possibilité de répliquer, mais qu'il n'en a pas moins rompu l'égalité des armes entre les parties. Elles observent que, si la Cour de cassation a précédemment jugé, à plusieurs reprises, que la présentation d'observations par l'Autorité ne méconnaissait pas les exigences du procès équitable et de l'égalité des armes - dès lors, en particulier, que ces observations ne comportaient pas d' " élément nouveau de nature à aggraver la culpabilité ou la condamnation des parties en cause " -, cette jurisprudence est intervenue alors que l'Autorité n'était pas partie à l'instance et elles soutiennent que, depuis que le décret n° 2012-840 du 29 juin 2012 relatif aux recours exercés devant la Cour d'appel de Paris contre les décisions de l'Autorité de la concurrence, lui a conféré cette qualité, " on ne peut que douter de la conformité d'une telle position à la jurisprudence en matière d'égalité des armes ".
5. Cet argument ne peut qu'être écarté, faute pour les requérantes de démontrer en quoi l'acquisition par l'Autorité de la qualité de partie à l'instance dans le cadre de la procédure de recours rendrait désormais contraire au principe de l'égalité des armes le dépôt par elle d'observations écrites.
6. En troisième lieu, les requérantes soulignent que, dans son arrêt du 7 décembre 2010, Vebic (C-439/08), la Cour de Justice de l'Union européenne (ci-après la CJUE) a jugé que l'effet utile des articles 101 et 102 du TFUE commande qu'une autorité de concurrence nationale puisse participer, en tant que partie défenderesse, à une procédure judiciaire dirigée contre la décision dont cette autorité est l'auteure, mais qu'elle a précisé qu' " en l'absence de réglementation de l'Union ", les États membres demeuraient compétents pour désigner l'organe relevant de l'autorité de concurrence nationale qui dispose de la faculté de participer, en tant que partie défenderesse, à une telle procédure, " tout en garantissant le respect des droits fondamentaux et la pleine effectivité du droit de la concurrence de l'Union ". Elles font valoir, s'agissant du recours porté devant la Cour d'appel de Paris, que les textes de droit national n'ont pas désigné l'organe relevant de l'Autorité qui disposerait de cette prérogative et soutiennent que le président de l'Autorité ne peut être considéré comme un " organe " de cette autorité, puisqu'il en est le " représentant " et que, par ailleurs, il siège au sein de la formation qui prononce les sanctions.
7. Mais contrairement à ce qu'affirment les requérantes, les textes de droit national ont déterminé quel était, au sein de l'Autorité, l'organe compétent pour participer à la procédure devant la cour d'appel, puisque l'article R. 461-1 du Code de commerce prévoit que " [l]e président de l'Autorité de la concurrence la représente en justice " et qu'il " a qualité pour agir en demande et en défense et présenter des observations devant toute juridiction au nom de cette Autorité ". À cet égard, les requérantes ne développent aucun argument propre à démontrer que la qualité de représentant de l'Autorité, que les textes attribuent à son président, ferait obstacle à ce que celui-ci soit chargé, en tant qu'organe de cette même autorité, de présenter en son nom des observations devant la cour.
8. En quatrième lieu, les sociétés requérantes font valoir que, dans l'arrêt Vebic, précité, la CJUE ne s'est pas prononcée au regard de l'article 6 de la CESDH et que la conformité au droit de l'Union européenne, laquelle n'est pas partie à cette Convention, ne saurait conduire à écarter l'application des dispositions dudit article.
9. Mais, quoi qu'il en soit de la portée de cet arrêt de la CJUE au regard de l'article 6 de la CESDH, la cour a jugé plus haut que le dépôt par l'Autorité d'observations écrites ne contrevenait en rien aux principes de la contradiction et de l'égalité des armes consacrés par les dispositions de cet article, ce dont il résulte que le moyen manque par le fait qui lui sert de base.
10. Il s'ensuit que les moyens tendant à l'irrecevabilité des observations de l'Autorité doivent être rejetés.
B. Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de la société Senso, venant aux droits de la société Senoble Groupe Services
11. À la suite du recours formé le 23 avril 2015 contre la décision attaquée par les sociétés Senagral et Senagral Holding, sanctionnées solidairement à hauteur de 46 000 000 euros, la société Senoble Groupe Services, aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société Senso, est intervenue volontairement à l'instance le 24 avril 2015 au soutien de ces sociétés, dont elle appuie les demandes d'annulation et, subsidiairement, de réformation. Elle expose qu'elle était la société mère de la société Senoble France, devenue Senagral, durant la période des pratiques, que, dans le cadre du rapprochement, autorisé par la Commission de l'Union européenne (ci-après la Commission) le 20 février 2012, entre les groupes Senoble et Agrial, celui-ci est entré au capital de la société Senagral à hauteur de 49 %, puis de 51 %. Elle précise qu'elle a été conduite à garantir le groupe Agrial " contre toutes les conséquences susceptibles de résulter de l'enquête de l'Autorité de la concurrence " et, à cette fin, à lui consentir une " garantie spécifique " la rendant seule redevable du paiement des sanctions pécuniaires prononcées contre les sociétés Senagral et Senagral Holding au-delà de 19 millions d'euros.
12. L'Autorité conteste la recevabilité de l'intervention de la société Senoble Groupe Services. Elle soutient, en effet, que celle-ci, qui n'était pas partie à la procédure conduite devant elle, ne justifie pas d'un intérêt personnel et direct à se joindre à la présente instance et elle demande en conséquence à la cour de déclarer son intervention irrecevable.
13. Sans doute, la convention de garantie souscrite par la société Senoble Groupe Services, dont la réalité n'est pas contestée, est-elle, comme le souligne l'Autorité, " étrangère " à la procédure ayant conduit au prononcé de la sanction pécuniaire en cause ; mais elle n'en donne pas moins à cette société, contractuellement redevable à l'égard du groupe Agrial du montant de cette sanction au-delà de 19 millions d'euros, un intérêt à soutenir, pour la conservation de ses droits, les sociétés Senagral et Senagral Holding dans le cadre de la présente instance, conformément aux dispositions de l'article 330 du Code de procédure civile.
14. L'intervention volontaire accessoire de la société Senso, qui vient aux droits de la société Senoble Groupe Services, est en conséquence recevable.
II - SUR LES MOYENS D'ANNULATION
A. Sur les moyens de légalité externe
1. Sur la violation du principe d'impartialité alléguée par les sociétés Senagral et Senagral Holding
15. Dans leur mémoire déposé le 22 mai 2015, les sociétés Senagral et Senagral Holding soutiennent qu'il a été porté atteinte au principe d'impartialité, tant par les services d'instruction que du fait de la communication organisée par l'Autorité après qu'elle a statué sur cette affaire, et elles demandent en conséquence à la cour d'annuler la décision attaquée.
16. Les sociétés Senagral et Senagral Holding font ainsi valoir, en premier lieu, qu'alors qu'elles ont pleinement coopéré avec les services d'instruction, ceux-ci leur ont indiqué que la clémence accordée ne serait valorisée qu'à hauteur de 15 à 25 % de réduction, cette " sous-évaluation " ayant ensuite été " rééquilibrée " par le collège, qui, dans l'avis de clémence du 6 mars 2013, a retenu une réduction de 25 % à 40 %. Elles ajoutent que les services d'instruction leur ont d'abord demandé si elles envisageaient de contester les griefs qui leur seraient notifiés, puis, après qu'elles ont effectivement demandé l'application de la procédure de non-contestation de griefs, ont décidé de ne pas y donner suite, se livrant ainsi à une " volte-face tardive et injustifiée ".
17. La cour rappelle que dans la mise en œuvre des procédures de clémence et de non-contestation de griefs, comme de toute autre procédure, l'Autorité et son rapporteur général agissent de façon indépendante l'une de l'autre. C'est ainsi que, si, selon l'article L. 464-2 IV du Code de commerce, le rapporteur général peut demander à l'Autorité d'adopter un avis de clémence, celle-ci en fixe librement les modalités et le contenu, sans être liée par aucune des propositions qui lui sont faites. On ne saurait, dès lors, prétendre que les services d'instruction auraient fait preuve de partialité et méconnu les mérites de la coopération apportée par les sociétés Senagral et Senagral Holding à la procédure, au seul motif que l'Autorité a, dans l'avis de clémence qu'elle a adopté au profit de ces sociétés, retenu un niveau d'exonération supérieur à celui qu'ils avaient envisagé.
18. Par ailleurs, en cas de non-contestation de griefs, il ressort des termes mêmes de l'article L. 464-2 III du Code de commerce qu'il appartient au rapporteur général d'apprécier s'il y a lieu de proposer à l'Autorité d'en tenir compte dans le prononcé de la sanction pécuniaire, dont le montant maximum encouru est alors réduit de moitié. Dès lors, le fait qu'au vu des circonstances particulières de l'espèce, le rapporteur général ait considéré que " les gains procéduraux résultant de la procédure de non-contestation des griefs demandée par Senagral et Senagral Holding n'étaient pas suffisants pour justifier que ces entreprises puissent la cumuler avec la procédure de clémence " (décision attaquée, § 194) et ait décidé, en conséquence, de ne pas donner suite à la demande de ces sociétés, n'est pas de nature à démontrer sa partialité, peu important par ailleurs que ces sociétés aient été précédemment interrogées par les rapporteurs sur leurs intentions en ce domaine.
19. En second lieu, les sociétés Senagral et Senagral Holding mettent en cause la communication à laquelle l'Autorité a procédé après qu'elle a statué, dont elles considèrent qu'elle " laisse planer les doutes les plus sérieux sur l'impartialité de la décision [attaquée]". Elles font valoir que le communiqué de presse qui a été publié citait des extraits d'auditions qui ne présentaient pas d'intérêt pour l'information du public, mais jetaient l'opprobre sur les entreprises en cause et leurs dirigeants. Elles critiquent, par ailleurs, certaines déclarations publiques du vice-président de l'Autorité qui, selon elles, contiendraient des passages contraires à la vérité. Enfin, elles déplorent que des " fuites " aient révélé prématurément les grandes lignes de la décision attaquée avant qu'elle soit rendue et que l'Autorité ait choisi de médiatiser cette affaire en permettant à des journalistes de télévision d'y consacrer une émission en filmant les locaux où étaient entreposés les dossiers de la procédure et en laissant le rapporteur général s'exprimer devant leurs caméras.
20. Mais il convient de rappeler que la compétence de la cour a pour limite l'examen des moyens d'annulation et de réformation de la décision qui lui est déférée et qu'il ne lui appartient pas d'exercer son contrôle sur des éléments qui seraient extérieurs et postérieurs à cette décision - tels des communiqués de presse, des déclarations publiques ou des interventions dans les médias - pour en rechercher le caractère éventuellement fautif, sauf s'il en résultait la démonstration que l'Autorité a manqué à son devoir d'impartialité dans l'instruction de l'affaire ou dans sa délibération. Or, il ne ressort d'aucune des circonstances invoquées par les requérantes que tel aurait été le cas. De même, la divulgation dans la presse, en cours de délibéré, des griefs notifiés aux entreprises n'atteste pas plus d'un manquement à l'impartialité requise de l'Autorité, étant rappelé que celle-ci a déposé plainte auprès du Procureur de la République sur le fondement de l'article L. 463-6 du Code de commerce, cette plainte ayant été classée sans suite, faute pour l'enquête d'avoir permis d'identifier l'auteur de l'infraction (courrier du Procureur de la République de Paris en date du 9 avril 2015).
2. Sur le défaut de motivation allégué par les sociétés Senagral et Senagral Holding
21. Les sociétés Senagral et Senagral Holding soutiennent que l'Autorité n'a pas satisfait à son obligation de motivation en ce qui concerne l'établissement des pratiques et les raisons permettant de fonder la participation de la société Senagral à celles-ci, ainsi que l'imputation desdites pratiques à la société Senagral Holding. Elles demandent en conséquence à la cour d'annuler pour ce motif la décision attaquée.
Concernant l'établissement des pratiques concertées et la participation de la société Senagral
22. Les sociétés Senagral et Senagral Holding, qui rappellent que le bénéfice de la procédure de non-contestation des griefs leur a été refusé, soutiennent que l'Autorité n'a, dans la décision attaquée, établi ni les pratiques qu'elle a sanctionnées ni la participation de la société Senagral à celles-ci et qu'elle a ainsi manqué à son obligation de motivation.
23. Mais force est de constater que l'Autorité a décrit, aux paragraphes 57 à 167 de la décision attaquée, les pratiques qu'elle avait relevées et qui avaient donné lieu aux griefs notifiés. Elle a, en particulier, analysé les éléments de preuve dont elle disposait, remis par les demandeurs de clémence ou issus des visites et saisies auxquelles il a été procédé et de l'instruction qui a été menée, et relatifs aux discussions entre concurrents sur les prix et les augmentations tarifaires (§§ 78 à 93), aux accords portant sur les augmentations tarifaires (§§ 94 à 113), aux accords portant sur les volumes (§§ 114 à 120), aux discussions relatives au statut des innovations (§§ 121 à 125) et aux pratiques portant les appels d'offres lancés par les clients de la grande et moyenne distribution (§§ 126 à 151).
24. Dans le cours de cet examen, l'Autorité a déterminé quelle avait été la participation de la société Senagral dans la mise en œuvre des différentes pratiques en cause et quelles en avaient été les modalités. C'est ainsi qu'elle a précisément identifié les réunions multilatérales, dites de " pilotage de l'entente ", auxquelles la société Senagral avait pris part (décision attaquée, § 70 - tableau), a relevé sa participation aux différents échanges téléphoniques et par SMS entre concurrents - notant que " [c]es contacts ont même été particulièrement fréquents, voire quotidiens, entre Novandie, Lactalis, Yoplait et Senagral " (décision attaquée, § 74) -, et a souligné la détention par son représentant d'un " portable " secret " dédié aux pratiques " (décision attaquée, § 75).
25. L'Autorité a indiqué avec précision quelles étaient, selon elle, les périodes de participation de la société Senagral aux pratiques relevant du grief n° 1 (décision attaquée, § 170) et du grief n° 2 (décision attaquée, § 172), en distinguant les accords sur les hausses de prix (du 6 décembre 2006 au 17 décembre 2008 et du 4 janvier 2011 au 9 février 2012), l'accord sur le gel des volumes (du 15 juin 2010 au 9 février 2012) et l'accord sur les prix en appel d'offres (du 15 juin 2010 au 9 février 2012).
26. Au vu de l'ensemble de ces éléments, l'Autorité, après avoir rappelé que les sociétés Senagral et Senagral Holding avaient, dans le cadre de la procédure de clémence, dénoncé les ententes que la société Senagral avait mises en œuvre avec ses concurrents, a considéré que la participation de cette société aux pratiques en cause était établie (décision attaquée, § 197).
27. C'est donc à tort que les sociétés Senagral et Senagral Holding soutiennent que l'Autorité n'aurait consacré qu'un paragraphe de la décision attaquée à l'établissement de la participation de la société Senagral aux pratiques et prétendent qu' " un tel défaut de motivation frustre évidemment le [ur] droit à un recours effectif ".
Concernant l'imputation des pratiques concertées à la société Senagral Holding
28. Au paragraphe 257 de la décision attaquée, l'Autorité a retenu la responsabilité de la société Senagral Holding, en sa qualité de société mère ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, la société Senagral, auteure des faits, dont elle détenait 100 % du capital.
29. Les sociétés Senagral et Senagral Holding soutiennent que, ce faisant, l'Autorité s'est contredite puisqu'elle a elle-même relevé que la société Senagral Holding n'avait été créée qu'en mars 2012, postérieurement aux faits en cause, et qu'elle a ainsi privé la décision attaquée de toute motivation sur ce point.
30. Mais l'Autorité a précisé dans la décision attaquée que la société Senoble France, auteure des pratiques sanctionnées, est devenue, par changement de dénomination en date du 28 décembre 2011, la société Senagral et que son capital, antérieurement détenu par la société Senoble Holding, a été intégralement apporté à la société Senagral Holding, nouvellement créée et co-détenue par les sociétés Senoble Holding et Agrial (décision attaquée, §§ 254 et suiv.). Elle a ainsi satisfait à son obligation de motivation, dans des conditions propres à permettre à la cour d'exercer, comme elle le fera plus loin, son contrôle du fond de la décision attaquée.
31. Les moyens relatifs au défaut de motivation de la participation de la société Senagral aux pratiques et de l'imputation de celle-ci à la société Senagral Holding doivent en conséquence être rejetés.
3. Sur la violation du principe du contradictoire et des droits de la défense alléguée par les sociétés Senagral et Senagral Holding, Novandie, MLC, Laïta ainsi que LSM et SILL Entreprises
32. Il ressort du dossier que, lors de la séance du 26 novembre 2014, les rapporteurs ont, dans le cours de leur intervention orale, procédé à une analyse nouvelle du dommage à l'économie, qui ne figurait pas dans leur rapport notifié et qui comportait, en particulier, une quantification de ce dommage sur la base de deux méthodes économétriques n'ayant pas, jusqu'alors, été utilisées. Les entreprises en cause disent avoir protesté auprès du président de séance en faisant valoir que la présentation de cette analyse, divergente, selon elles, de celle précédemment développée dans le rapport, constituait une violation du principe du contradictoire et des droits de la défense dans la mesure où, faute d'en avoir eu préalablement connaissance, elles n'avaient pu y répondre utilement. Ayant fait savoir qu'elles souhaitaient avoir communication des données utilisées au soutien de cette analyse, le vice-président de l'Autorité leur a adressé, par courrier électronique du 1er décembre 2014, " les supports écrits utilisés par les rapporteurs pour préparer leur exposé oral ", lesquels consistaient dans une " note économique " de sept pages identifiant et évaluant le surprix causé par les pratiques en cause, à partir de la méthode dite " avant-après " et de la méthode dite " de la différence-en-différence " ou de la " double différence ", à laquelle étaient annexés " un fichier " codes stata " présentant les codes utilisés par les services d'instruction dans le cadre de leur étude économétrique ", " un répertoire " fichiers de calcul " contenant l'intégralité des éléments nécessaires à la reproduction des résultats des services d'instruction ", " deux fichiers Excel : " résultats avant-après ", " résultats double-différence " présentant les résultats des régressions effectuées par les services d'instruction dans le cadre des modèles avant-après et des modèles en double différence ". Il leur a imparti un délai de sept jours ouvrables, expirant le 10 décembre 2014 à 18 heures, pour lui faire parvenir " une note en délibéré dont l'objet unique sera de produire, sans réouverture des débats, vos observations qualitatives sur la méthodologie des services d'instruction, à l'exclusion de toute nouvelle étude économétrique ". À la suite de ce message, les sociétés Senagral, LNUF MDD, Novandie, LHT, Laïta, MLC, Alsace Lait et LSM ont adressé à l'Autorité une note en délibéré.
33. Les sociétés Senagral et Senagral Holding, soutenues par la société Senso, Novandie, MLC, Laïta ainsi que LSM et SILL Entreprises font valoir que, ce faisant, l'Autorité a violé les principes du contradictoire et des droits de la défense en ce que, d'une part, la production de telles notes en délibéré étaient soumises à des conditions trop restrictives et que, d'autre part, les notes en délibéré qui ont été effectivement produites ne leur ont pas été communiquées. En conséquence, elles demandent à la cour d'annuler la décision attaquée.
34. La cour rappelle que l'intervention en séance des rapporteurs est régie par les articles L. 463-7 et R. 464-6 du Code de commerce, qui prévoient que le rapporteur général, ou le rapporteur général adjoint désigné par lui, et le rapporteur ayant instruit l'affaire peuvent présenter des observations orales. Tel a été le cas en l'espèce, les entreprises en cause, qui avaient demandé à être entendues, étant intervenues, conformément à l'article 48 du règlement intérieur de l'Autorité, après la présentation de ces observations et ayant donc pu y répliquer. Aucune autre disposition, en revanche, n'impose que les observations orales des rapporteurs " aient préalablement revêtu une forme écrite et aient été communiqués aux parties ". Par ailleurs, dans le cours de leur intervention, les rapporteurs peuvent ne pas reprendre à l'identique l'opinion exprimée dans leur rapport et sont en droit de modifier leur appréciation des faits de la cause, dès lors, d'une part, qu'aucun élément ne figurant pas au dossier n'est allégué à la charge des mis en cause et, d'autre part, que ceux-ci ont été mis en mesure de répliquer dans des conditions conformes au principe du contradictoire. Il convient donc de déterminer si ces deux conditions ont, en l'espèce, été satisfaites.
35. S'agissant de la première d'entre elles, la cour relève que les éléments nouvellement présentés en séance par les rapporteurs ne portaient pas sur la matérialité des faits, ni sur leur qualification, pas plus que sur le degré de participation individuelle des entreprises en cause, mais qu'ils avaient trait à l'appréciation du dommage à l'économie, pris en compte, avec la gravité des faits, pour déterminer la proportion de la valeur des ventes retenue dans le calcul du montant de base des sanctions infligées aux entreprises. C'est ainsi que, selon le support écrit de l'intervention des rapporteurs, ces éléments consistaient en une analyse du surprix résultant des pratiques en cause, fondée sur la méthode " avant-après " et sur la méthode " de la double différence ", leur application identifiant, pour la première phase de l'entente (de décembre 2006 à septembre 2009), un surprix, respectivement, de 8,1 % (les différentes spécifications testées faisant apparaître un surprix allant de 5,7 % à 10 %) et 7,4 % (les différentes spécifications testées faisant apparaître un surprix compris entre 5,8 % et 8,7 %) et concluant à l'absence de surprix significatif pour la seconde phase de l'entente (de juin 2010 à février 2012).
36. S'agissant de la possibilité donnée aux parties de répliquer, il est loisible à l'Autorité, dans l'hypothèse où leur simple intervention en séance ne permettrait pas de débattre contradictoirement et utilement des éléments nouveaux présentés par les rapporteurs, de renvoyer l'affaire à l'instruction ou de rouvrir les débats. Elle n'y est, cependant, pas tenue et elle peut choisir de recourir à toute autre procédure, notamment, comme en l'espèce, en communiquant aux parties le support écrit de l'intervention orale des rapporteurs et en les autorisant à produire une note en délibéré, à la condition que cette procédure s'avère propre à garantir pleinement le respect du principe du contradictoire.
37. Or, il ne ressort pas du dossier que tel a été le cas.
38. En premier lieu, en effet, l'autorisation de produire une note en délibéré a été donnée aux parties dans les termes suivants : " Vous disposez d'un délai de 7 jours ouvrables, soit le 10 décembre à 18 h au plus tard, pour me faire parvenir, le cas échéant, une note en délibéré dont l'objet unique sera de produire, sans réouverture des débats, vos observations qualitatives sur la méthodologie des services d'instruction, à l'exclusion de toute nouvelle étude économétrique ". Il en ressort que les notes en délibéré, outre que leur production était enfermée dans un délai trop bref compte tenu de la complexité des questions en jeu, ne pouvaient pas porter sur toute l'analyse du dommage à l'économie développée par les rapporteurs, y compris dans ses aspects quantitatifs, mais seulement sur la méthodologie que ceux-ci avaient retenue.
39. Or, si l'Autorité était fondée à refuser, comme elle l'a fait, le dépôt au dossier de nouvelles études économétriques, il convenait, pour garantir le caractère contradictoire de la procédure, que les parties puissent répliquer à l'ensemble des éléments nouveaux présentés par les rapporteurs et figurant dans le support écrit de leur intervention, ce dont, en l'espèce, elles ont été privées.
40. En second lieu, il ressort du dossier que les sociétés Senagral, LNUF MDD, Novandie, LHT, Laïta, MLC, Alsace Lait et LSM ont, dans les conditions qui avaient été définies par le courrier électronique du 1er décembre 2014, adressé des notes en délibéré à l'Autorité, celle-ci ayant d'ailleurs fait état de certaines d'entre elles dans les développements de la décision attaquée relatifs à la détermination du montant des sanctions et consacrés au dommage causé à l'économie par les pratiques en cause.
41. Faute de communication de ces notes aux entreprises en cause, il en est résulté que l'Autorité a, dans le cours de son délibéré, disposé et fait usage d'éléments dans l'ignorance desquels elles ont été maintenues, en méconnaissance du principe du contradictoire. La circonstance que, comme l'observe le ministre chargé de l'Économie, toutes ces notes ont, dans le cadre du présent recours, été versées au dossier devant la cour n'est pas de nature à faire disparaître l'atteinte qui a été portée à ce principe devant l'Autorité.
42. Ces constatations conduisent la cour à annuler l'article 3 de la décision attaquée, en tant qu'il fixe le montant des sanctions pécuniaires infligées aux sociétés Senagral et Senagral Holding, Novandie et Andros et Cie, MLC, Laïta ainsi que LSM et SILL. Dès lors, il n'y a pas lieu pour elle d'examiner les autres moyens d'annulation du même article développés par certaines de ces sociétés.
B. Sur les moyens de légalité interne
1. Sur la participation de la société LSM aux pratiques concertées
43. Par la notification qui leur a été adressée le 30 septembre 2013, il a été reproché aux sociétés LSM, en tant qu'auteure des faits, et SILL, en tant que sa société mère, d'avoir participé aux pratiques relevant du grief n° 1, du mois d'août 2008 au 9 février 2012, et à certaines des pratiques relevant du grief n° 2 par une participation ponctuelle à l'occasion d'un appel d'offres en juin 2011. Ces sociétés ont, dans leurs observations du 23 décembre 2013, contesté tous ces griefs.
44. L'Autorité a mis hors de cause la société LSM s'agissant du grief n° 2 (décision attaquée, §§ 198 à 202).
45. S'agissant du grief n° 1, elle a considéré que la participation de la société LSM n'était pas établie pour la période allant du 1er août 2008 au 18 janvier 2011 (décision attaquée, §§ 207 et 208). Elle a, en revanche, relevé que " de multiples preuves de concertation impliquant LSM figurent au dossier sur la période allant du 19 janvier 2011 à février 2012 " (décision attaquée, §§ 208 à 246).
46. Au titre des preuves de concertation sur lesquelles elle s'est fondée, l'Autorité a, d'une part, relevé que la société LSM avait pris part, le 19 janvier 2011 à Rennes, avec des représentants de sociétés concurrentes, à une réunion au cours de laquelle certains des participants avaient échangé des informations sur les hausses de prix et les prix cibles, et qu'elle avait manifesté par là son " adhésion de principe " à cette concertation.
47. Elle a, d'autre part, considéré que la société LSM avait " renouvelé de façon constante et persistante son adhésion à cette concertation " jusqu'en février 2012, date des opérations de visite et saisie, comme le démontrent, selon elle, sa participation à une réunion avec un groupe restreint de quatre concurrents durant l'été 2011 et à une rencontre bilatérale avec la société Senagral le 12 décembre 2011, ainsi que les contacts téléphoniques et les échanges de SMS qu'elle a entretenus durant l'année 2011.
48. Ayant, en conséquence, considéré que la participation de la société LSM aux pratiques relevant du grief n° 1 était établie sur la période du 19 janvier 2011 à février 2012, elle lui a infligé, solidairement avec sa société mère, la société SILL, une sanction pécuniaire de 300 000 euros.
49. Les sociétés LSM et SILL Entreprises contestent la valeur probante de ces éléments et soutiennent qu'aucun d'entre eux n'établit le grief qui leur est reproché. Elles font valoir, par ailleurs, que la participation de la société LSM aux réunions de l'été 2011 et du 12 décembre 2011 n'était pas visée par la notification de griefs, pas plus que par le rapport, et qu'en conséquence, c'est en violation du principe du contradictoire que l'Autorité l'a retenue à titre de preuve de la concertation qui lui était reprochée.
Sur la violation alléguée du principe du contradictoire
50. Comme la cour l'a rappelé plus haut, l'Autorité a considéré que la participation de la société LSM aux pratiques relevant du grief n° 1 était établie par différents éléments de preuve, qu'elle a analysés aux paragraphes 204 à 246 de la décision attaquée, et qui consistent dans ses échanges téléphoniques et SMS avec ses concurrents, ainsi que dans sa participation à une réunion tenue à Rennes le 19 janvier 2011, à une " réunion de l'été 2011 avec un groupe restreint de quatre concurrents " et à une " rencontre bilatérale avec Senagral Porte Maillot le 12 décembre 2011 ".
51. Ainsi que les sociétés LSM et SILL Entreprises le font valoir, la participation de la société LSM à ces deux dernières réunions ne figurait pas parmi les éléments de preuve que les rapporteurs ont analysés dans la notification de griefs et présentés comme formant un " faisceau d'indices graves, précis et concordants " des pratiques relevant du grief n° 1 ; mais elle était mentionnée dans certaines des pièces annexées à cette notification, ainsi dans l'agenda électronique du représentant de la société LSM et dans les éléments remis par la société Senagral à l'appui de sa demande de clémence.
52. Dès lors, les requérantes ne peuvent prétendre que l'Autorité se serait appuyée dans la décision attaquée sur des éléments qui n'auraient pas été soumis au débat contradictoire.
Sur la violation alléguée du principe d'égalité
53. Les sociétés LSM et SILL Entreprises soutiennent que la société Eurial ayant participé à la réunion du 19 janvier 2011, dont elle aurait pris l'initiative avec la société Senoble, l'Autorité a violé le principe de l'égalité de traitement en ne la mettant pas en cause, comme elle l'a fait pour la société LSM.
54. Mais, si le principe d'égalité de traitement s'impose dans l'application du droit de la concurrence par les autorités qui en sont chargées, il ne saurait être considéré qu'il y a été porté atteinte du fait que la société Eurial n'a pas été mise en cause par l'Autorité, quand bien même elle a été citée dans certaines déclarations comme ayant été l'initiatrice de la réunion du 19 janvier 2011 et comme y ayant participé.
55. En effet, il incombe à la cour de vérifier le respect de ce principe entre les entreprises mises en cause devant l'Autorité, et dans les limites du recours dont elle saisie, sans qu'elle ait à substituer sa propre appréciation à celle des rapporteurs, qui ont estimé, au vu des éléments dont ils disposaient, qu'il n'y avait pas lieu de notifier des griefs à la société Eurial.
Sur la preuve de la participation de la société LSM aux pratiques concertées
56. Les sociétés LSM et SILL Entreprises contestent la valeur probante des éléments retenus contre elles par l'Autorité et soutiennent, d'une part, que la réunion à laquelle la société LSM a participé à Rennes le 19 janvier 2011 n'avait pas d'objet anticoncurrentiel et, d'autre part, que les échanges téléphoniques et par SMS qu'elle a entretenus avec certains de ses concurrents ne portaient pas sur des informations sensibles.
57. S'agissant de la réunion qui s'est tenue à Rennes le 19 janvier 2011, elles font valoir que cette réunion, à laquelle le représentant de la société LSM a participé avec les représentants des sociétés Eurial, Yéo Frais, Senoble et Laïta, était dépourvue de tout caractère anticoncurrentiel et que l'initiative en avait été prise par les sociétés Senoble et Eurial afin de discuter des contraintes réglementaires encadrant le marché des produits laitiers frais issus de l'agriculture biologique.
58. La cour constate que rien ne permet d'exclure que la réunion ait, en effet, été organisée sur cet ordre du jour et que les discussions qui s'y sont déroulées aient eu pour cadre le marché bio des produits laitiers frais, comme l'ont affirmé dans leurs déclarations tant M. Delestre, représentant la société Laïta [" Nous ne parlons que de produits ultrafrais issus de l'agriculture Biologiques (ci-après " Bio ") au cours de cette réunion sachant que Laïta ne commercialise pas de produits Bio auprès de la grande distribution (...) Au cours de cette réunion, nous faisons un état des lieux du marché bio. " - Audition du 22 novembre 2012, cote 11028], que M. Guigo, représentant la société LSM [" J'ai participé à une réunion à Rennes sur le bio (...). A Rennes c'était à l'initiative d'Eurial et de Senoble sur le bio. " - Audition du 14 décembre 2012, cote 11364].
59. Mais il ne ressort pas moins du dossier qu'au cours de cette réunion, certains des participants ont échangé des informations portant sur les prix de leurs produits.
60. La réalité de ces échanges est attestée par les notes manuscrites de M. Delestre, représentant de la société Laïta, dans les locaux de laquelle elles ont été saisies, qui rendent compte de cette réunion. Reproduites au paragraphe 84 de la décision attaquée, ces notes comportent, notamment sous forme de colonnes et de tableaux, des indications de produits, de prix et de hausses de prix exprimées en pourcentage. Leur auteur a ainsi explicité la signification de ces notes : " Les indications figurant dans le tableau à droite de la mention 'Gel oui' signifient que Senoble a annoncé des hausses de 9 % sur les yaourts, 9 % sur les fromages blancs, 11 % sur la crème, 5 % sur les desserts. La première colonne 'Convent' correspond aux hausses de prix pratiquées sur les produits 'conventionnels' c'est-à-dire non bio et la seconde colonne correspond aux décisions des intervenants commercialisant ces produits. Les prix figurant dans les tableaux en bas de la page sont des prix cibles, c'est-à-dire décidés par les intervenants dont nous ne faisons pas partie " (Audition du 22 novembre 2012 - cotes 11028 et 11029).
61. Les sociétés LSM et SILL Entreprises mettent en cause la fiabilité de ces déclarations, en faisant valoir, en premier lieu, que l'affirmation de M. Delestre selon laquelle certains participants auraient échangé des informations sur leurs prix est " contradictoire avec sa propre description " de cette réunion, à propos de laquelle il a déclaré " Nous ne parlons que de produits ultrafrais issus de l'agriculture Biologique (ci-après 'Bio') au cours de cette réunion sachant que Laïta ne commercialise pas de produits Bio auprès de la grande distribution ".
62. Mais force est de constater que ces déclarations ne sont empreintes d'aucune contradiction, puisque le fait que les discussions aient eu pour cadre le marché bio n'empêche pas que des informations sur les prix aient été échangées par certains participants.
63. Les requérantes soutiennent, en deuxième lieu, que le témoignage de M. Delestre ne peut, à lui seul, être retenu à titre de preuve ; elles rappellent, à cet égard, qu'il ressort tant de la jurisprudence du Tribunal de l'Union européenne que de la pratique décisionnelle de l'Autorité qu'une seule déclaration ne constitue pas une preuve suffisante qu'une infraction a été commise et qu'elle doit être corroborée par d'autres éléments.
64. Mais tel est bien le cas en l'espèce, puisqu'aux déclarations de M. Delestre s'ajoutent les notes manuscrites qu'il a prises. Au demeurant, les propres déclarations de M. Guigo, représentant la société LSM, confirment le caractère anticoncurrentiel des échanges dont cette réunion a été le cadre, puisque l'intéressé s'est ainsi exprimé : " J'ai participé à une réunion à Rennes sur le bio (...). A Rennes c'était à l'initiative d'Eurial et de Senoble sur le bio. Ils ont essayé de me faire rentrer dans le système mais je n'y suis jamais allé. J'ai écouté beaucoup de choses au cours de ces réunions, mais je n'ai jamais exploité les choses au sens où je ne me suis jamais entendu avec ces gens-là. "
65. En dernier lieu, les sociétés LSM et SILL Entreprises reprochent à l'Autorité d'avoir considéré, dans la décision attaquée, que son représentant " était parfaitement conscient du caractère anticoncurrentiel de ces échanges " et affirment, au contraire, que celui-ci " ne pouvait soupçonner qu[e la réunion] pourrait éventuellement être le théâtre d'échanges d'informations sensibles entre ses concurrents ".
66. Mais, d'une part, il n'est pas douteux que le représentant de la société LSM, s'il a pu penser que la réunion porterait sur des sujets d'intérêt commun relatifs à la réglementation du marché bio, a ensuite nécessairement pris conscience du caractère anticoncurrentiel des discussions qui s'y sont déroulées, puisqu'il a affirmé, dans ses déclarations ci-dessus rappelées, qu'Eurial et Senoble " ont essayé de me faire rentrer dans le système mais je n'y suis jamais allé. J'ai écouté beaucoup de choses au cours de ces réunions, mais je n'ai jamais exploité les choses au sens où je ne me suis jamais entendu avec ces gens-là. "
67. D'autre part, il n'est pas reproché à la société LSM d'avoir elle-même communiqué des informations sur ses prix à ses concurrents, mais d'avoir participé à une réunion au cours de laquelle d'autres participants ont échangé de telles informations. En effet, selon le standard de preuve de participation à une entente horizontale, la présence d'une entreprise à une réunion anticoncurrentielle suffit à établir sa participation à une pratique concertée, quand bien même aurait-elle adopté une attitude passive au cours de cette réunion ou n'aurait pas utilisé les informations parvenues à sa connaissance. L'Autorité a ainsi justement rappelé que la participation à une telle réunion, " même si elle est passive, suffit en effet à conforter le mécanisme de l'entente : d'une part, elle renseigne sur le comportement commercial que les autres acteurs ont décidé d'adopter sur le marché, alors que l'autonomie qu'exige la concurrence entre entreprises suppose que ces dernières restent dans l'incertitude sur la stratégie de leurs concurrents ; d'autre part, elle permet aux participants plus actifs d'escompter que l'absence d'opposition de l'entreprise en cause ne viendra pas perturber le jeu collusif " (décision attaquée, § 203).
68. Il n'en va autrement, selon une jurisprudence constante, que si l'entreprise, dans le cas où sa bonne foi aurait été surprise, se distancie sans délai et publiquement du mécanisme anticoncurrentiel dont la réunion a été le support. Aussi convient-il de déterminer quel a été, postérieurement à cette réunion, le comportement de la société LSM à l'égard des pratiques d'entente de ses concurrents.
69. Sur ce point, les requérantes font valoir que la société LSM s'est constamment distanciée des pratiques concertées mises en œuvre par ses concurrents, à l'égard desquels elle a joué un rôle de " franc-tireur ". Elles rappellent que, selon la jurisprudence de la CJUE, la distanciation requise doit se traduire par la compréhension, par les concurrents, que l'entreprise en cause ne se conformera pas aux pratiques anticoncurrentielles. Elles soutiennent que tel a bien été le cas en l'espèce, puisque ayant clairement démontré à ses concurrents qu'elle ne participerait pas à leurs pratiques concertées, la société LSM a été l'objet de pressions extrêmement fortes exercées par les quatre plus grands acteurs du marché, par ailleurs organisateurs de l'entente en cause, les sociétés Yoplait, Senoble, Novandie et Lactalis. C'est ainsi qu'elles soulignent, dans leurs observations écrites, qu'entrée tardivement sur le marché des produits laitiers frais sous MDD, en 2006, la société LSM a rapidement gagné de nouveaux marchés, au détriment des entreprises en place qui n'ont eu de cesse de la " recadrer " et, en particulier, de tenter de mettre fin à son " litige " avec la société Laïta, ce litige étant né de ses " efforts (...) afin de conserver ou remporter certains marchés, notamment le marché Carrefour en juin 2011, que Laïta voulait à tout prix garder ou gagner en s'entendant avec ses concurrents ".
70. Cette défense est contestée par l'Autorité qui soutient que, loin d'avoir adopté, comme elle le prétend, une attitude de " franc-tireur ", la société LSM a, au contraire, tenté de tirer parti de la situation anticoncurrentielle dont elle avait connaissance. C'est ainsi qu'elle considère que les offres de prix " agressives " qu'elle a faites au cours de l'année 2011 prouvent, non pas qu'elle a contribué à animer la concurrence, mais qu'elle a participé aux pratiques en cause, en mettant en œuvre des représailles à l'égard de la société Laïta pour récupérer les volumes qu'elle avait perdus.
71. A l'appui de cette allégation, l'Autorité invoque les contacts téléphoniques, dont elle juge le nombre " significatif ", et les SMS échangés en 2011 et jusqu'en février 2012, dont elle a dressé le récapitulatif dans la décision attaquée.
72. S'agissant des contacts téléphoniques, sur la base des factures détaillées que ses services ont examinées, elle a ainsi relevé qu'entre mai et décembre 2011, avaient été passés, depuis le téléphone portable de M. Guigo, représentant de la société LSM, 41 appels vers la société Laïta, 9 appels vers les sociétés du groupe Lactalis, 3 appels vers la société Novandie, 3 appels vers la société Yoplait, 105 appels vers la société Senoble, et que ce même téléphone avait reçu, courant 2011, plusieurs dizaines d'appels des mêmes correspondants.
73. Force est de considérer, cependant, que ces seules constatations n'établissent pas que des informations sensibles auraient été échangées dans le cours de ces conversations, étant ajouté que les requérantes soulignent à juste titre que nombre de ces appels étaient d'une durée très courte et ne pouvaient donc correspondre à une véritable discussion.
74. S'agissant, en revanche, des échanges de SMS, leur contenu s'avère quelquefois, comme l'Autorité l'a relevé, " explicitement anticoncurrentiel " et démontre que la société LSM a communiqué à certains de ses concurrents, et sollicité de leur part, des informations à caractère sensible portant sur les prix de leurs produits. Il en va ainsi des SMS suivants, échangés avec M. Delestre, représentant la société Laïta, ainsi qu'avec M. Girona, représentant la société Senagral :
- SMS du 18 juill. 2011 de M. Guigo à M. Delestre (notification de griefs, p. 49) : " Bonsoir mrdelestre. Le dossier carrefour pese 4100 tn j'ai eu mr lamargna ce soir qui me demande une baisse de 3.5 pour conserver le dossier !! Soit. 1,63 le 16. 0,41 le 4 1.230 le 12. Prix totalement fou par rapport aux hausses à venir. Sans engagement et plan précis de rattrapage de 2200 tn avant ce vendredi je plongerais !!! Dans l'attente donc de votre proposition avnt que cela cause des dommages a des intervenants autre du marché je suis dispo demain pour en discuter cordialement m. guigo " ;
- SMS du 21 juillet 2011 de M. Guigo à M. Delestre 21 juill. 2001 (ibid.) : " Daniel. Temmos m informe que vous n'avez pas de hausse sur le sucre ? donc blocage prix à l'intercadencier !! Par retour sans vouloir vous embêter pendant vos congés votre position svp. Merci. "
Réponse du même jour de M. Delestre : " Effectivement. Pas de hausse. Ai rv le 22 août. A ce sujet pour le cadencier de septembre. Reçu appel offre. Bio scamark à vous de jouer. Cdl. ".
Réponse du même jour de M. Guigo : " C'est bien dommage tant quai bio scamark pas reçu a date. " ;
- SMS du 2 août 2011 de M. Guigo à M. Delestre (ibid.) : " Bonjour. Que prévoyez vous. Pour inter en prix pour septembre. ? ". Réponse du 30 août 2001 de M. Delestre : " 0.938 départ. Demandé 0.995. 1 000 tonnes " ;
- SMS du 7 septembre 2011 de M. Guigo à M. Delestre (notification de griefs, p. 50) : " J'ai vu temmos pas d'avancée. Possible sur les prix compte tenu qu'elle m a indique que vous ne bougiez pas vos prix en canne ! j'ai maintenu ma hausse au 20 09 espérant ne pas avoir la même desilusion que sur le dossier carrefour. Pour le premier prix elle ne m a pas sollicite. Nous sommes a la case zéro en terme de recup de 2000tn. Bonne journée. " ;
- SMS du 7 septembre 2011 de M. Guigo à M. Girona (ibid.) : " J'ai vu temmos pas d'avancée. Possible sur les prix compte tenu qu'elle m a indique que vous ne bougiez pas vos prix en canne ! j'ai maintenu ma hausse au 20 09 espérant ne pas avoir la même desilusion que sur le dossier carrefour. Pour le premier prix elle ne m a pas sollicite. Nous sommes a la case zéro en terme de recup de 2000tn. Bonne journée.
Pour ton info Bernard texto envoyé à D Delestre pour en discuter
75. Loin de constituer, comme le prétendent les requérantes, des " éléments disparates " et " purement anecdotiques ", ces échanges apportent, par leur contenu explicite, la preuve que les intéressés se sont communiqués des informations portant sur leurs intentions en matière de prix de leurs produits, quelquefois de façon précise et chiffrée, sur les exigences de leurs clients dans le cadre des appels d'offres et sur leur stratégie à cet égard.
76. De ces constatations, il résulte que la société LSM, après avoir pris part à la réunion tenue à Rennes le 19 janvier 2011, au cours de laquelle plusieurs participants ont communiqué des informations sensibles sur les prix, a elle-même échangé de telles informations avec certains de ses concurrents, jusque, au moins, au 7 septembre 2011, date du dernier SMS ci-dessus mentionné.
77. En revanche, il n'est pas établi que ces échanges d'informations se seraient poursuivis au-delà de cette date. Pour considérer que tel a été le cas, l'Autorité s'est fondée sur un rendez-vous ayant eu lieu le 12 décembre 2011, Porte Maillot, entre MM. Girona et Guigo, représentant, respectivement, les sociétés Senagral et LSM ; mais, si la réalité de ce rendez-vous est attestée par les déclarations des intéressés, il ne ressort pas du dossier la preuve qu'il aurait été le cadre d'échanges d'informations. C'est ainsi que la société Senagral, qui en avait pris l'initiative, a dans sa demande de clémence fourni les explications suivantes : " Un rendez-vous entre Monsieur Guigo (MALO) et Monsieur Girona a eu lieu le 12 décembre 2011, Porte Maillot à Paris. Alors que les problèmes survenus avec EVEN mentionnés ci-dessus avaient été solutionnés, MALO a attaqué sur des marchés de yaourts bio chez LECLERC 2000 tonnes à LACTALIS et SENOBLE. Monsieur Girona a donc rencontré Monsieur Guigo pour lui demander des explications. Suite à ce rendez-vous Monsieur Girona a appelé Monsieur Guigo 16 min le 16 décembre 2011 " (Lettre de remise des éléments de clémence à l'Autorité du 22 mars 2012 - pièce A-7 produite par les sociétés Senagral et Senagral Holding, p. 23). M. Guigo, pour sa part, a confirmé la tenue de ce rendez-vous dans les termes suivants : " Oui c'était un truc informel, il [M. Girona] m'a invité au Méridien à Porte Maillot, nous avons passé une heure ensemble. À ce moment il savait que j'avais pris le dossier bio Leclerc. Il cherchait à me convaincre de me retirer du dossier. Il m'a dit " Tu as pris 2200 tonnes cela n'arrange personne ". J'ai refusé bien entendu. Nous avons ensuite parlé de la pluie et du beau temps " (cote 11366).
78. Si, comme le relève l'Autorité, ces déclarations confirment le " rôle actif joué par M. Girona dans la coordination des pratiques ", elles ne permettent pas de considérer que la société LSM aurait, par ce rendez-vous, renouvelé " son adhésion aux comportements anticoncurrentiels ", puisqu'elle s'en est au contraire démarquée en refusant de renoncer au marché qu'elle avait emporté au détriment de ses concurrents, la cour ne trouvant par ailleurs au dossier aucun élément qui démontrerait que tel n'a pas été le cas.
79. Dès lors, le grief n° 1, pour lequel la société LSM a été sanctionnée, solidairement avec la société SILL, est établi pour la période allant du 19 janvier au 7 septembre 2011 ; la décision attaquée sera donc réformée en ce qu'elle a retenu que le grief était établi jusqu'au 9 février 2012.
2. Sur l'imputabilité à la société SILL Entreprises des pratiques concertées
80. La cour constate que la société SILL Entreprises ne conteste pas que, ainsi qu'il a été relevé aux paragraphes 270 à 272 de la décision attaquée, elle détient la société LSM à 100 % depuis 2008 et a exercé une influence déterminante sur le comportement de cette dernière pendant la période de commission des pratiques.
81. Dans ces conditions, c'est à juste titre que l'Autorité a imputé les pratiques de la société LSM à sa société mère.
3. Sur la participation de la société Senagral aux pratiques concertées
82. L'Autorité a sanctionné, à hauteur de 46 000 000 euros, la société Senagral, anciennement Senoble France, solidairement avec la société Senagral Holding, pour avoir participé, d'une part, aux pratiques d'échanges d'informations relevant du grief n° 1, du 6 décembre 2006 au 9 février 2012, et, d'autre part, aux pratiques relevant des trois branches du grief n° 2 et consistant dans des accords sur les hausses de prix, entre le 6 décembre 2006 et le 17 décembre 2008 et entre le 4 janvier 2011 et le 9 février 2012, des accords sur le gel des volumes, entre le 15 juin 2010 et le 9 février 2012, et des accords sur les prix en appel d'offres, entre le 15 juin 2010 et le 9 février 2012.
83. Les sociétés Senagral et Senagral Holding soutiennent que la participation de la première n'est établie que partiellement s'agissant du grief n° 1 et que le grief n° 2 n'est établi à son égard dans aucune de ses trois branches. Elles rappellent que les éléments d'information qu'elles avaient portés à la connaissance de l'Autorité dans le cadre de leur demande de clémence ne couvraient pas la totalité des pratiques finalement retenues contre elles - puisqu'elles n'ont reconnu que des échanges d'informations, à l'exclusion de toute conclusion d'accords - et qu'ils ont été " surexploités ", en même temps qu'était rejetée sa proposition de non-contestation de griefs.
84. Par leur mémoire déposé le 22 mai 2015, elles demandent en conséquence à la cour d'annuler l'article 1er de la décision attaquée, " en ce qu'il a retenu la participation de Senagral à une pratique concertée entre septembre 2009 et juin 2010 ", et son article 2, " en ce qu'il a retenu la participation de Senagral à une entente ".
a. Sur la participation de la société Senagral aux pratiques relevant du grief n° 1
85. Les critiques des sociétés Senagral et Senagral Holding portent sur la période de participation au grief n° 1, telle que retenue par l'Autorité, qui a considéré que cette participation était démontrée du 6 décembre 2006 au 9 février 2012 (décision attaquée, § 170 - Tableau 20 : Durée de participation aux pratiques pour le grief n° 1).
86. Les requérantes soutiennent, en effet, que le grief d'échanges d'informations sensibles n'est pas établi pour la période dite de " guerre des prix ", qui a opposé les sociétés Senagral, anciennement Senoble France, et Novandie entre septembre 2009 et juin 2010. Elles rappellent qu'au demeurant, leur demande de clémence ne comportait aucun élément portant sur cette période et qu'elles avaient au contraire expressément fait état d'une " interruption pour Senagral entre septembre 2009 et juin 2010 du fait d'un épisode de guerre des prix ", cet épisode ayant été " particulièrement intense notamment entre Senagral et Novandie [et] mettant un terme aux réunions entre acteurs. Senagral a suspendu sa participation à toute discussion de la nature de celles qui ont eu lieu entre 2006 et 2009 ".
87. L'épisode de " guerre des prix " dont font état les sociétés Senagral et Senagral Holding a été révélé par les premiers demandeurs de clémence et confirmé par les pièces du dossier, en particulier par les déclarations de ses protagonistes. C'est ainsi que la société Novandie, qui est à l'origine de ce conflit, a indiqué qu'ayant besoin de conquérir de nouveaux volumes pour rentabiliser un site de production qu'elle avait ouvert en 2007, elle avait adopté en septembre 2009, à l'occasion d'un appel d'offres lancé par Carrefour, une stratégie reposant des baisses de prix importantes et qu'elle avait " pris ", au détriment principalement de la société Senagral, 17 000 tonnes auprès de ce distributeur, puis auprès d'autres enseignes. Il est constant que ce conflit a pris fin à la suite de l'intervention, notamment, de la société LNUF MDD, à l'initiative et en présence de laquelle se sont tenues deux réunions de " réconciliation " les 15 juin et 26 octobre 2010, ces réunions ayant permis de mettre au point une " sortie de la guerre des prix " dans des conditions exposées au paragraphe 303 de la notification de griefs.
88. Il est avéré que la tenue de réunions multilatérales de concertation a été interrompue durant cet épisode, soit entre septembre 2009 et juin 2010, comme l'ont affirmé, de façon concordante, chacun des demandeurs de clémence et comme l'ont constaté les rapporteurs. C'est ainsi que, dans le tableau récapitulatif des 22 réunions entre concurrents figurant dans le rapport (§ 33 - tableau 1), que les rapporteurs ont établi sur la base des données recueillies lors de l'instruction et présentées dans la notification de griefs, aucune réunion n'est signalée entre la réunion tenue le 8 juin 2009 et celle tenue, aux fins de " réconciliation ", le 15 juin 2010.
89. De la même manière, cette " guerre des prix " a entraîné une interruption totale des contacts téléphoniques entre les sociétés Novandie et Senagral, comme le démontre le tableau récapitulatif des appels passés par le représentant de celle-ci vers ses concurrents, depuis son téléphone portable " secret ", figurant au paragraphe 324 de la notification de griefs et repris au paragraphe 319 du rapport.
90. Pour autant, les contacts bilatéraux entre la société Senagral et ses concurrents autres que la société Novandie se sont poursuivis, notamment sous la forme d'échanges téléphoniques. En attestent les données figurant dans le tableau ci-dessus mentionné, d'où il ressort que du 1 octobre 2009 au 15 juin 2010, le représentant de la société Senagral a passé, depuis son portable " secret ", de nombreux appels vers ses concurrents, ainsi que vers les sociétés du groupe Lactalis (150 appels), les sociétés Yoplait (59 appels), 3A (38 appels), Alsace Lait (31 appels), MLC (24 appels), LSM (18 appels) et Laïta (16 appels).
91. Il ressort du dossier, ainsi que le montrent les développements qui suivent, que ces contacts téléphoniques ont été l'occasion, pour la société Senagral, d'échanger des informations sensibles avec certains de ses concurrents, dans le cadre d'appels d'offres par Carrefour en décembre 2009 et par EMC en février-mars 2010.
Les échanges d'informations dans le cadre de l'appel d'offres lancé par Carrefour en septembre 2009
92. Il est établi par les pièces du dossier que, dans le cadre de cette consultation, qui a déclenché l'épisode de " guerre des prix " entre les sociétés Novandie et Senagral, celle-ci a communiqué des informations sur ses prix à ses concurrents, et en particulier à la société Alsace Lait.
93. Cette communication ressort explicitement des déclarations mêmes du représentant de la société Senagral, qui s'est exprimé en audition dans les termes suivants : " Chez Carrefour nous avons été attaqués par Novandie en CD, Bifi, YAF pulpés, et cela concernait 12 000 tonnes environ. Face à une telle aubaine qui se présentait à lui, l'acheteur a tenté de nous faire baisser nos prix pour les autres produits, dont les CF et les FB. S'en sont suivi à fin 2009 des échanges avec Alsace Lait où il m'a demandé nos prix et je les lui ai donnés. Il m'a alors dit qu'il coterait au-dessus de nous, j'étais rassuré. Alsace n'avait pas intérêt de toutes façons à entretenir un contentieux avec nous et réciproquement " (audition du 3 avril 2013, cote 30 643).
94. Elle est confirmée par son destinataire, la société Alsace Lait, comme en attestent des courriers électroniques échangés en interne. Ainsi, un courrier du 30 novembre 2009 (NG 133) est ainsi rédigé : " OBJET : Tr : carrefour Suite C° [contact] Senoble :
0% kg MDD carrefour 1.076 actuel, baisse à 1.049
20% kg MDD carrefour 1.086 actuel, baisse à 1.075 Crème discount 15 %, 0.68 ".
95. De même, un courrier du 16 décembre 2009 (NG 134) rend également compte d'une communication d'informations sensibles par la société Senagral : " Senoble contacte la sté malo pour vérifier d'éventuelles attaques, sinon ses nouveaux prix sont :
FB [fromage blanc] 0% 1.038
FB [fromage blanc] 20% 1.064
Pour la crème 15%; il confirme 0,685 (...) ".
Les échanges d'informations dans le cadre de l'appel d'offres lancé par EMC en février-mars 2010
96. Plusieurs éléments du dossier établissent que la société Senagral a, dans le cadre de cet appel d'offres, échangé des informations sensibles avec ses concurrents.
97. C'est ainsi, en premier lieu, que, dans le cadre de sa demande de clémence, la société Yoplait, après avoir exposé que EMC (enseignes Casino, Leader Price, Monoprix) avait lancé de manière rapprochée, de fin 2008 à mars 2010, de nombreux appels d'offres sur des volumes importants - dans le cadre d'une stratégie dite de " massification ", consistant à ne retenir pour ses trois enseignes qu'un seul fournisseur par type de produits -, afin de " mettre les fournisseurs sous pression ", a présenté les explications suivantes : " À cette époque, Senoble était fournisseur de Casino, mais n'était pas fournisseur de Leader Price. Senoble a indiqué à Yoplait qu'il souhaitait rentrer chez ce client. Les deux concurrents se sont donc mis d'accord pour que Senoble rentre sur certains produits Leader Price, Yoplait ayant en échange pris des volumes Casino de Senoble (...) Sur les tableaux fournis dans le Carnet (...) figurent des notes manuscrites indiquant des prix sur lesquels les participants aux appels d'offres se sont mis d'accord au tout début de la procédure de ces appels d'offres (...) Le Demandeur [Yoplait] indique que les contacts qu'il a alors eus avec ses concurrents se déroulaient au téléphone et de manière bilatérale. Ces conversations téléphoniques avaient lieu entre chaque tour de négociation avec le groupe Casino afin de coordonner les réponses aux différentes cotations demandées et de faire le bilan de ces différentes négociations (...) " (cote 469).
98. Si le représentant de la société Senagral s'est démarqué de ces déclarations, en affirmant en audition " Non cela n'est pas exactement ce qui est décrit ", il a cependant fait expressément état d'échanges d'informations, dans les termes suivants : " (...) À cette époque tout le monde dont Yoplait m'avait appelé pour savoir ce que nous faisions en prix. Je leur ai dit clairement que mon objectif c'était Novandie mais qu'il pourrait y avoir des dégâts collatéraux (...). Mais nous n'avions pas attaqué en CF sur ce marché car Novandie ne faisait rien en CF, je l'avais dit à Yoplait mais ils se sont fait avoir par le client qui leur avait dit que Senoble attaquait (...) " (audition du 3 avril 2015, cote 30 645).
99. En deuxième lieu, le carnet tenu par M. Rolland, directeur d'enseigne chez Yoplait, dans lequel il consignait ses notes de réunions et appels avec ses concurrents, remis à l'Autorité dans le cadre de la première demande de clémence, contient des mentions qui font expressément état d'échanges d'informations, telles les mentions " Senoble (...) pas fiable ", " info Alsace Lait ", " Prix communiqué pas Lactalis ", " Lactalis lundi soir OK ", " Nova Ok appeler jeudi ", " Senoble rappeler mercredi ", " Alsace Lait Ok prix communiqué " (cotes 227 à 230).
100. Ces différentes constatations démontrent clairement que, dans le cadre des appels d'offres lancés par Carrefour en septembre 2009 et EMC en février-mars 2010, la société Senagral a échangé des informations sensibles portants sur ses prix avec certains de ses concurrents qui participaient à ces consultations. Aussi est-ce à juste titre que l'Autorité a considéré que l'épisode de " guerre des prix " avait perturbé l'entente entre concurrents - les pratiques ayant baissé en intensité durant ce conflit commercial (décision attaquée, § 163) -, mais sans l'interrompre, et que la société Senagral avait participé aux échanges d'informations sensibles en cause, de sorte que le grief n° 1 est établi à l'égard de cette société, sans interruption, du 6 décembre 2006 au 9 février 2012.
b. Sur la participation de la société Senagral aux pratiques relevant de la première branche du grief n° 2
101. Il est reproché à la société Senagral, anciennement Senoble France, au titre de cette branche du grief, d'avoir " au cours de réunions secrètes, entre le 6 décembre 2006 et le 17 décembre 2008, puis entre le 4 janvier 2011 et le 9 février 2012, défini en commun des taux de hausses de prix par familles de produits, de s'être coordonnées sur la chronologie d'application de ces hausses en clientèle et de s'être coordonnées sur les argumentaires développés pour justifier ces hausses ".
102. Les requérantes contestent que la société Senagral ait pris part à de tels accords et elles soutiennent que celle-ci s'est bornée à échanger des informations sur les hausses tarifaires envisagées, comme elles l'ont explicité dans leur demande de clémence.
103. Cette défense est cependant démentie par les pièces du dossier, qui établissent qu'au-delà de l'échange d'informations qu'allèguent les requérantes, la société Senagral s'est concertée avec ses concurrents, dans les conditions énoncées par le grief ci-dessus rappelé, lors de réunions tenues les 6 décembre 2006, 8 février 2007 et 4 janvier 2011.
104. S'agissant de la réunion tenue le 6 décembre 2006, qui a réuni les représentants des sociétés Senagral, Novandie, Yoplait, LNUF MDD, MLC, Laïta et LHT, les requérantes ont indiqué dans leur demande de clémence qu'elle avait pour objet de " faire un bilan de l'année 2006 et d'évoquer plus précisément l'organisation des tentatives de hausse envisagées pour l'année 2007 " (Senagral - pièce n° A-7, p. 13). Mais cette présentation ne concorde pas avec les autres éléments du dossier qui établissent que les participants à cette réunion n'ont pas limité leurs discussions à des échanges d'informations, mais ont convenu de leurs hausses tarifaires.
105. Cela est attesté par les notes figurant dans le carnet de M. Rolland, mentionné au paragraphe 99 du présent arrêt, et correspondant à cette réunion (" Hausse de tarif pour juin Réunion en janvier avec Alsace Lait ", " Senoble 6 % ", " Ao Dia [illisible] A venir ", " Lidl => brassé nat Lactel Y nat 0 % Senoble Y fruits Senoble en dessous de 1 ", " Ile flottante Netto => 1.39 "), ainsi que par les premiers demandeurs de clémence qui ont expressément indiqué qu' " il s'agissait d'une réunion préparatoire à une hausse concertée de tarifs qui annonçait la réunion du 8 février 2007 " (cote 463).
106. De fait, une réunion s'est ensuite tenue le 8 février 2007, que M. Rolland a, dans ses notes manuscrites, désignée sous l'intitulé " Réunion hausses tarifs ", au cours de laquelle, selon les déclarations des premiers demandeurs de clémence, " les participants se sont mis d'accord sur l'origine des augmentations de coûts pouvant justifier la hausse auprès de leurs clients " (cote 463). C'est ainsi que figure dans les notes manuscrites de M. Rolland un tableau, reproduit dans la notification de griefs, indiquant les taux de hausse pratiqués par chacun des participants auprès des différents distributeurs, la colonne " Senoble " mentionnant, selon les cas, un taux de 3 % ou de 4 % (Notification de griefs, § 162 - Figure 18 : Tableaux contenus dans les notes manuscrites prises par M. Rolland lors de la réunion du 8 février 2007 et matérialisant un accord relatif aux hausses tarifaires à venir pour les différents fournisseurs, par client et par type de produits).
107. S'agissant de la réunion du 4 janvier 2011, qui a réuni les sociétés Lactalis, Novandie, Senagral, Yoplait, MLC, Laïta, 3A et Alsace Lait, les premiers demandeurs de clémence ont indiqué : " Après un tour de table détaillé de l'état des hausses pour l'année 2010 écoulée, acteur par acteur, les participants se sont coordonnés sur les principes de la première hausse pour 2011. Senoble, en la personne de son représentant M. Girona, a distribué et présenté en début de discussion un tableau réalisé par ses soins présentant sa vision de l'accord qui pourrait être trouvé entre les participants à l'entente sur cette hausse de tarifs (...) La discussion qui s'est tenue sur la base de ce document a abouti à la décision d'annoncer aux clients une hausse de 8% avec pour objectif d'obtenir réellement une hausse de 6% et une hausse moyenne cumulée sur 2010/2011 de l'ordre de 10% (...) En termes de timing, cette hausse devait, au terme de l'accord, être appliquée entre le 15 février et le 1er mars 2011 et la sanction des distributeurs récalcitrants prévue entre les participants était un arrêt des livraisons au 1er mars. (...) " (décision attaquée, § 101). Cette concertation est, par ailleurs, confirmée par le représentant de la société Laïta, qui a déclaré en audition : " Au terme de cette réunion il a été décidé de passer des hausses de prix d'un certain %. Face au refus de la GMS, il a été décidé d'envoyer des nouveaux tarifs assortis de hausses avec des menaces d'arrêt de livraison en cas de refus " (audition du 22 novembre 2012, cote 11026).
108. Il est dès lors démontré que dans le cadre de ces différentes réunions, la société Senagral s'est concertée avec ses concurrents en ce qui concerne la définition et la coordination de leurs hausses tarifaires. Le grief n° 2 est donc, à son égard, établi dans sa première branche.
c. Sur la participation de la société Senagral aux pratiques relevant de la deuxième branche du grief n° 2
109. L'Autorité a considéré qu'était établi, à la charge de la société Senagral, anciennement Senoble France, le grief d'avoir, avec certains de ses concurrents " pris part, entre le 15 juin 2010 et le 9 février 2012, à un accord anticoncurrentiel portant sur la fixation des volumes en s'abstenant de capter des marchés de produits détenus par les sociétés concurrentes ".
110. Comme preuve de ce grief, elle a retenu, en particulier, la participation de la société Senagral à deux réunions multilatérales, les 15 juin 2010 et 4 janvier 2011, qui ont donné lieu, au-delà d'échanges d'informations sur les prix et les hausses tarifaires, à des accords portant sur les volumes.
111. Les requérantes contestent que ce grief puisse être reproché à la société Senagral et soutiennent que la participation de celle-ci - qu'elles n'ont pas reconnue dans leur demande de clémence - n'est établie par aucune pièce du dossier. Elles font valoir que les discussions qui se sont déroulées durant les réunions en cause avaient pour objet de mettre fin à l'épisode de " guerre des prix " et que, dans ce cadre, si la société Senagral avait demandé à récupérer les volumes qu'elle avait perdus, la société Novandie l'avait refusé et aucun engagement n'avait été souscrit.
112. Pourtant, les éléments du dossier démontrent que, dans le cadre des réunions des 15 juin 2010 et 4 janvier 2011, les participants ont non seulement échangé des informations sur les prix, mais aussi passé des accords sur les volumes.
113. C'est ainsi, s'agissant de la réunion du 15 juin 2010, à laquelle ont participé les sociétés LNUF MDD, Senagral et Novandie, qui avait pour objet de mettre fin à la " guerre des prix " opposant ces deux dernières sociétés, que les requérantes ont indiqué dans leur demande de clémence qu' " il a été convenu que Senagral pourrait reprendre les volumes pris par Novandie et les contacts ont pu reprendre à partir de cette période " (Senagral, pièce n° A-7, p. 19, § 101). Si cet objectif ne semble pas avoir été complètement atteint, le représentant de la société Senagral ayant indiqué que " Nous n'avons eu aucune garantie de récupérer les volumes de la part de Novandie (...) A la date de février 2012 ils nous devaient encore 6000 tonnes. " (audition du 26 septembre 2012, cote 634), il n'en est pas moins établi qu'un accord de récupération et de compensation de volumes avait été convenu.
114. S'agissant de la réunion du 4 janvier 2011, à laquelle ont participé les sociétés Lactalis, Novandie, Senagral, Yoplait, MLC, Laïta, Yéo Frais et Alsace Lait, il est démontré qu'elle a donné lieu à un accord de gel des volumes destiné à accompagner les hausses tarifaires que les participants entendaient appliquer pour l'année à venir, comme cela ressort des notes de compte-rendu prises par les participants.
115. Ainsi le représentant de la société MLC a-t-il, dans ses notes, récapitulé les hausses envisagées par certains participants (" Leclerc = Novandie & Senoble - 15 % pendant la guerre ! + 4 % fin 2010 " ; " Propo [proposition] Senoble : Y [yaourts] + 6 %, FF [fromages frais] + 8 %, CrFr [crème fraîche) + 10 %, Dessert + 4 % "), puis porté la mention " engagement de chacun de gel total sur 2011 " (cote 4406). Il a, en audition, donné l'explication suivante sur cette dernière formule : " Sur le 'gel des positions' je dirais que la chance d'atteindre les objectifs de hausse passe par le corollaire d'une non-agression. " (audition du 9 novembre 2012 - cote 10189). Les notes du représentant de la société Laïta comportent la mention " règles : pas de prise de volume sur 12 mois jusqu'au 31/12/2011 " (cote 4997), dont le sens a été ainsi précisé : " La mention 'règles : pas de prise de volume sur 12 mois jusqu'au 31/12/2011' signifie que les hausses de prix décidées au cours de la réunion en question ne peuvent s'appliquer que si les acteurs ne se gênent pas les uns les autres, c'est-à-dire si les acteurs n'essaient pas de prendre les volumes des autres " (audition du 22 novembre 2012 - cote 11029).
116. Il ressort de ces éléments que la société Senagral a pris part, avec ses concurrents, à des accords de fixation de volumes. Le grief n° 2 est donc établi à son égard dans sa deuxième branche.
d. Sur la participation de la société Senagral aux pratiques relevant de la troisième branche du grief n° 2
117. Ces pratiques ont consisté, pour les entreprises en cause, dont la société Senagral, anciennement Senoble France, à avoir " pris part, entre le 15 juin 2010 et le 9 février 2012, à un accord anticoncurrentiel portant sur les prix des produits objets des appels d'offres et se traduisant notamment par la remise d'offres de couverture ".
118. L'Autorité a ainsi identifié six appels d'offres de distributeurs du secteur de la GMS, dans le cadre desquels de telles pratiques auraient été mises en œuvre. Il ressort de la présentation qu'elle en a faite aux paragraphes 126 à 150 de la décision attaquée que la société Senagral aurait participé à un accord avec ses concurrents lors des appels d'offres lancés par Auchan en juillet 2010, Système U en novembre 2010 et EMC en juin 2011.
119. Dans leur mémoire déposé le 22 mai 2015, les requérantes soutiennent que la participation de la société Senagral à ces pratiques, qu'elles rappellent n'avoir pas reconnues dans leur demande de clémence, n'est pas démontrée par l'Autorité.
Sur l'appel d'offres lancé par Auchan en juillet-août 2010
120. L'Autorité a relevé que dans le cadre de cette consultation, la société Yoplait avait remis une offre de couverture au profit de la société Senagral, tandis que les sociétés MLC et Alsace Lait avaient coordonné leurs tarifs afin de ne pas se faire concurrence.
121. Les sociétés Senagral et Senagral Holding le contestent et elles font valoir que leur mise en cause par l'Autorité ne résulterait que des seules déclarations du premier demandeur de clémence, lesquelles seraient d'ailleurs contredites par celles de leur représentant, M. Girona, de sorte qu'elles seraient insuffisantes pour démontrer leur participation à l'entente.
122. De fait, l'existence d'un accord liant dans le cadre de cet appel d'offres les sociétés Senagral et Yoplait faisait partie des informations portées par celle-ci à la connaissance de l'Autorité, à l'appui de sa demande de clémence, dans les termes suivants : " Le Demandeur a reçu par email de la part d'Auchan une demande de cotation pour différentes catégories de produits. Le Demandeur propose des prix pour trois produits et se positionne effectivement légèrement au-dessus de ceux de Senoble et consignés dans le Carnet, corroborant ainsi l'indication de " se mettre au-dessus ". Pour les autres catégories, le demandeur n'a pas soumissionné, laissant ainsi la place à Senoble, conformément à leur accord de lui laisser la priorité " (cotes 466 et 467).
123. Mais, contrairement à ce que prétendent les sociétés Senagral et Senagral Holding, l'existence de cet accord est non seulement reconnue par les premiers demandeurs de clémence, mais aussi corroborée par d'autres éléments du dossier. Ainsi le représentant de la société Yoplait a-t-il porté sur un document comportant les tarifs par produits de la société Senagral, donc communiqués par celle-ci, la mention manuscrite " se mettre au-dessus ". Il convient, par ailleurs, de relever qu'en audition, le représentant de la société Senagral a, sans contester l'authenticité des informations contenues dans ce document, déclaré : " Je ne me souviens pas précisément de cela. Ce type de fonctionnement fait partie de nos accords quoiqu'il en soit. Certainement que Yoplait ne souhaitait pas être vindicatif sur les yaourts aux fruits dont il s'agissait ici, pour autant qu'il pouvait récupérer ses volumes en CF du fait du dossier Lidl précédemment évoqué. Ainsi Yoplait n'a pas soumissionné sur les autres produits et m'a laissé la place " (audition du 3 avril 2013, cote 30642).
124. Ces éléments établissent que dans le cadre de l'appel d'offres lancé par Auchan en juillet-août 2010, la société Senagral s'est concertée avec la société Yoplait, celle-ci déposant à son profit une offre de couverture.
Sur l'appel d'offres lancé par Système U en novembre 2010
125. La réalité d'une concertation entre les sociétés Senagral et Yoplait est attestée par les déclarations concordantes de ces deux sociétés.
126. Ainsi la société Yoplait a-t-elle, à l'appui de sa demande de clémence, fourni les indications suivantes : " Appels d'offres d'Intermarché, Système U et Auchan pour de la crème fraîche en 2010. Des discussions ont eu lieu entre concurrents pour coordonner des soumissions aux appels d'offres pour de la crème fraîche d'Intermarché, de Système U et d'Auchan. En particulier, fin mars 2010, Senoble a pris 4.500 tonnes de crème à Yoplait chez le client Lidl, créant une dette de 4.500 tonnes pour Yoplait. Yoplait a donc récupéré 3.000 tonnes appartenant à Senoble chez Auchan en 2010 et de Yoplait : 1.000 tonnes chez Système U, chez qui Senoble était en train de perdre le contrat, en novembre 2010 (avec effet en mars 2011) " (cote 467).
127. Lors de son audition, le représentant de la société Senagral a déclaré : " Oui c'est exact je confirme cette dette dans son existence. Nous avions un accord avec Yoplait initialement pour augmenter les prix de la CF et ne pas s'attaquer sur cet AO. Mais j'avais besoin à court terme de rentrer des volumes pour faire face aux attaques de Novandie (...). Ce sont les raisons pour lesquelles j'ai pris ces volumes de CF, ne respectant pas le deal avec Yoplait. Auchan a fait cet AO ensuite en CF et Yoplait a récupéré 3000 tonnes (...) Ensuite Yoplait a repris chez SU 1000 tonnes. Je peux vous retrouver les dates et les prix correspondant à cette reprise de 1000 tonnes chez SU. Entre ces deux reprises au final tout est rentré dans l'ordre pour Yoplait. SU nous demandait une baisse de prix et nous ne pensions pas que Yoplait viendrait prendre ces volumes tout de suite et donc nous avions refusé la baisse. J'avais dit à Rolland que j'étais d'accord sur le principe de la dette et que je rendrais ces volumes plus tard. Il n'a pas été d'accord et a donc attaqué pour reprendre ces volumes chez SU " (audition du 3 avril 2013, cote 30 641).
128. Il ressort de ces déclarations, d'une part, que les sociétés Senagral et Yoplait avaient conclu un accord (" deal ") concernant le distributeur Lidl, que la première n'a pas respecté, créant ainsi une " dette " au profit de la seconde, et, d'autre part, qu'en conséquence, il a été convenu de procéder, dans le cadre de l'appel d'offres lancé par Système U, à une " récupération " de volumes.
Sur l'appel d'offres lancé par EMC en juin 2011
129. L'Autorité a, dans la décision attaquée, relevé que, dans le cadre de cette consultation portant sur différentes références de fromages blanc nature et vanille, les sociétés LNUF MDD, Novandie, Alsace Lait, MLC, Even, Senagral et Yoplait s'étaient accordées sur leurs prix, de sorte que celle-ci avait bénéficié d'offres de couverture de la part de ses concurrents.
130. Les sociétés Senagral et Senagral Holding font valoir, en premier lieu, que cet appel d'offres n'avait pas été " évoqué pendant l'instruction pour établir ce grief ou la participation de Senagral à celui-ci ".
131. Cette assertion est, cependant, démentie par les termes mêmes de la notification de griefs, dont les pages 167 à 170 sont consacrées à cet appel d'offres et aux pratiques relevées dans le cadre de celui-ci, les rapporteurs ayant expressément conclu, au terme de leur examen, que " les sociétés LNUF MDD, Yoplait, Novandie, Alsace Lait, Senoble, MLC et Laïta se sont accordées sur les prix des références objet de la consultation lancée par EMC en juin-juillet 2011 ".
132. En second lieu, les sociétés requérantes soutiennent que les services d'instruction " n'ont pu mettre en avant aucune pièce permettant de confirmer les déclarations du premier demandeur de clémence ".
133. Mais, si les pratiques en cause n'ont, de fait, été évoquées que par les premiers demandeurs de clémence, les sociétés Senagral et Senagral Holding n'en ayant pas fait état dans leur demande de clémence, leur réalité est confirmée par les éléments du dossier.
134. C'est ainsi que des notes manuscrites de M. Rolland, directeur d'enseigne chez Yoplait, relatives à cette consultation, contiennent des indications de prix, groupées, par produit, sous les intitulés " actuel ", " accord ", " propal " et " lactel ". Des explications données par la société Yoplait, il ressort que les prix figurant sous l'intitulé " actuel " étaient ceux qu'elle avait transmis au début de la consultation et que les " prix mentionnés dans la colonne prix " Accord " correspond[aient] aux prix auxquels Lactalis devait se positionner en vertu de l'accord passé avec ses concurrents afin que le Demandeur puisse remporter l'appel d'offres. En d'autres termes, ces prix équival[aient] en quelque sorte à des prix plancher en dessous desquels les soumissions de Lactalis ne devaient pas descendre pour que le Demandeur soit le moins-disant à l'occasion de cet appel d'offres ". Enfin, ce même document comportait, sous ces indications de prix, la mention manuscrite suivante :
" Accord de Lactel, Senoble, MLC, Alsace Lait, Nova, Even " (Notification de griefs, p. 167 et suiv.).
135. Il en ressort que les sociétés en cause, et parmi elles la société Senagral, se sont, dans le cadre de cet appel d'offres, coordonnées en s'accordant sur les prix soumis, au profit de l'une d'entre elles, étant observé que les nombreux contacts téléphoniques recensés durant cette période - le représentant de la société Senagral ayant ainsi, du 1er juin au 27 juillet 2011, passés 216 appels vers ses concurrents - confortent la réalité de cette concertation.
136. Ces constatations établissent donc que la société Senagral a participé aux pratiques concertées ayant affecté les trois appels d'offres ci-dessus examinés. En revanche, le dossier ne contient pas d'élément de preuve propre à démontrer que cette société aurait mis en œuvre de telles pratiques dans le cadre d'autres appels d'offres. Il y a donc lieu de considérer que le grief n° 2 est établi dans sa troisième branche à l'égard de la société Senagral, mais jusqu'en juillet 2011 seulement, sans, néanmoins, que la durée de la participation de cette société au grief n° 2 pris dans son ensemble s'en trouve modifiée ; en revanche, les conséquences à en tirer le cas échéant, seront examinées par la cour au titre de la prise en compte de l'intensité de la participation de cette société audit grief.
4. Sur l'imputabilité à la société Senagral Holding des pratiques concertées
137. L'Autorité a considéré, dans la décision attaquée, qu'en sa qualité de société mère ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, la société Senagral Holding devait être condamnée solidairement avec la société Senagral.
138. Mais la société Senagral Holding n'ayant été créée que le 16 mars 2012 et n'étant devenue société mère de la société Senagral qu'à compter de cette date, donc postérieurement à la cessation des pratiques, elle n'a pu exercer quelque influence que soit sur le comportement de sa filiale pendant la période de commission de ces pratiques. Elle ne saurait donc se voir imputer, à ce titre, les agissements de la société Senagral.
139. L'Autorité n'invoquant, par ailleurs, aucun autre motif d'imputation des pratiques en cause à la société Senagral Holding, celle-ci doit être mise hors de cause.
140. Il convient donc d'annuler les articles 1 et 2 de la décision attaquée en tant qu'ils ont dit établi que la société Senagral Holding avait enfreint les dispositions des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce.
III - SUR LES MOYENS DE RÉFORMATION ET LA DÉTERMINATION DES SANCTIONS PÉCUNIAIRES
141. Ayant annulé l'article 3 de la décision attaquée, en tant qu'il fixe le montant des sanctions pécuniaires infligées par l'Autorité aux sociétés Senagral et Senagral Holding, Novandie et Andros et Cie, MLC, Laïta ainsi que LSM et SILL au titre de pratiques dont la cour a constaté qu'elles étaient établies à l'égard de toutes les requérantes, hormis la société Senagral Holding, il appartient à la cour, en application de l'article 561 du Code de procédure civile, de procéder elle-même à la fixation des sanctions encourues par ces sociétés.
142. Les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union, Alsace Lait, Lactalis B&C et Groupe Lactalis ainsi que LHT ont, quant à elles, uniquement demandé la réformation de l'article 3 de la décision attaquée, en tant qu'il leur a infligé une sanction.
143. La fixation par la cour des sanctions encourues par les sociétés Senagral, Novandie et Andros et Cie, MLC, Laïta ainsi que LSM et SILL Entreprises, et l'examen des moyens de réformation des sanctions infligées par l'Autorité aux sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union, Alsace Lait, Lactalis B&C et Groupe Lactalis ainsi que LHT soulevant en substance les mêmes questions, la cour y procédera conjointement.
144. À cet égard, la cour souligne que l'annulation d'une partie seulement des sanctions infligées par l'Autorité, et leur fixation consécutive par la cour, laquelle n'est pas tenue par les choix initialement faits par l'Autorité, est de nature à conduire à la fixation de ces sanctions selon des modalités différentes de celles mises en œuvre par l'Autorité pour le calcul des sanctions infligées aux entreprises n'ayant pas demandé l'annulation de la décision attaquée et que ces dernières ne contesteraient pas.
145. Mais cette dualité étant le fruit de choix procéduraux différents selon les requérantes, et qui s'imposent à la cour tenue de respecter le principe dispositif, il ne peut en résulter aucune violation du principe d'égalité.
A. Sur la mise en œuvre de la méthode exposée dans le communiqué sanctions
146. L'article L. 464-2 I troisième alinéa du Code de commerce dispose :
" Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. "
147. En premier lieu, la cour relève que, afin de mettre en œuvre les critères légaux énoncés ci-dessus dans le cadre de la détermination des sanctions infligées aux sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union, Alsace Lait, Lactalis B&C et Groupe Lactalis ainsi que LHT, l'Autorité a appliqué les modalités exposées dans son communiqué sanctions, par lequel elle explique la démarche qu'elle entend suivre en pratique lorsqu'elle détermine les sanctions pécuniaires qu'elle impose au cas par cas en vertu du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, et synthétise les principaux aspects de sa pratique décisionnelle en matière de sanctions pécuniaires.
148. Même si elle n'y est pas tenue, la cour juge approprié, pour mettre en œuvre ces mêmes critères légaux dans le cadre de la fixation des sanctions encourues par les sociétés Senagral, Novandie et Andros et Cie, MLC ainsi que Laïta, d'appliquer également les modalités exposées dans le communiqué sanctions.
149. En effet, le communiqué sanctions, qui vise à accroître la transparence, en faisant connaître par avance la façon concrète dont l'Autorité exerce son pouvoir de sanction, a notamment pour finalité de faciliter la prévisibilité des sanctions encourues par les entreprises, lorsqu'elles envisagent de se livrer à des pratiques anticoncurrentielles, et, partant, de renforcer leur caractère dissuasif. Or ce besoin de prévisibilité et de dissuasion n'est pas moins grand devant la cour, saisie sur recours, que devant l'Autorité.
150. Toutefois, plusieurs requérantes contestent le principe même de l'application du communiqué sanctions.
151. Selon la société MLC, les circonstances de l'espèce - contexte économique extrêmement difficile pour les industriels du secteur des produits laitiers frais, rigidité du prix du lait en amont, impossibilité de répercuter en aval les hausses du prix du lait, secteur des produits laitiers frais sous MDD caractérisé par des marges extrêmement faibles, absence de système institutionnalisé de police de prix ou de mesures de représailles internes en cas de non-respect des accords anticoncurrentiels, caractère souvent erroné des informations communiquées lors des réunions anticoncurrentielles -, et sa situation personnelle - son rôle secondaire dans l'entente, sa petite taille, son statut de coopérative, son importance pour l'emploi dans le Cotentin, ses difficultés financières, la prise d'engagements de mise en conformité - constituaient, ensemble ou séparément, des " circonstances particulières " et des " raisons d'intérêt général " au sens du point 7 du communiqué sanctions, qui devraient conduire à renoncer à prononcer une sanction à son encontre, ou à tout le moins une sanction d'un montant particulièrement réduit.
152. La société Alsace Lait fait également valoir que le communiqué sanctions ne doit pas se substituer à l'obligation de procéder à une appréciation au cas par cas de chaque affaire permettant d'individualiser la sanction de façon pragmatique en fonction des spécificités propres à chaque situation. Elle soutient que les spécificités du secteur laitier, caractérisé notamment par les contraintes du marché amont quant à la détermination du prix du lait et celles du marché aval à raison du fort pouvoir de négociation des distributeurs, imposent de procéder à une analyse globale, à l'instar de ce qu'avait fait l'Autorité dans sa décision n° 15-D-08, prise dans le secteur de la volaille. Elle a souligné en particulier qu'eu égard à la relation de sous-traitance des industriels à l'égard des distributeurs et de la faiblesse de leurs marges, la valeur des ventes ne reflète ni l'ampleur économique de l'infraction ni le poids économique de chaque entreprise y ayant pris part. L'application de la méthode de détermination de la sanction exposée dans le communiqué sanctions conduirait ainsi, selon la société Alsace Lait, à des sanctions ne reflétant ni l'ampleur de l'infraction ni le poids économique des entreprises en cause.
153. Selon ces deux sociétés, rien ne justifierait que l'Autorité ait refusé de procéder à une analyse globale tenant compte du fonctionnement du secteur des produits laitiers frais, alors que, dans sa décision n° 15-D-08 précitée, elle avait retenu cette approche dans le secteur de la volaille, et que les spécificités de l'un et l'autre secteurs sont quasi identiques.
154. Mais les difficultés rencontrées par les entreprises mises en cause, fussent-elles la conséquence du fonctionnement du marché sur lequel elles sont actives, ne sauraient ni obliger l'Autorité à renoncer à appliquer la méthode de détermination des sanctions exposées dans le communiqué sanctions, en vue d'aboutir à de moindres sanctions, ni interdire à la cour de mettre cette même méthode en œuvre lorsqu'elle statue après annulation de la décision attaquée.
155. En effet, une telle analyse reviendrait à admettre que des opérateurs économiques peuvent trouver dans les dysfonctionnements du marché des motifs légitimes de contrevenir aux principes et règles du droit de la concurrence. Ce résultat priverait le droit de la concurrence de l'essentiel de son effet de prévention des infractions, en laissant espérer aux entreprises actives sur un secteur rencontrant des difficultés générales qu'elles pourraient échapper à des sanctions dissuasives.
156. De plus, un tel résultat serait contraire à l'article L. 464-2 du Code de commerce, qui, s'il précise que les sanctions pécuniaires sont notamment proportionnées à la gravité des faits et à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné, ne met pas au nombre des critères de proportionnalité de la sanction les éventuelles difficultés générales du secteur concerné par l'infraction.
157. Au demeurant, la méthode exposée dans le communiqué sanctions permet à l'Autorité - et, sur recours, à la cour - de tenir compte des difficultés que rencontrent les entreprises mises en cause. En effet, dans le cadre de cette méthode, il convient d'apprécier la gravité des faits de façon objective et concrète, au vu de l'ensemble des éléments pertinents du cas d'espèce (points 25 et 26 du communiqué sanctions). De plus, il est toujours loisible de s'écarter de cette méthode, lorsque les circonstances particulières ou les raisons d'intérêt général le justifient (point 7 du communiqué sanctions). Enfin, au titre des ajustements finaux, il peut être pris en considération les difficultés financières particulière des entreprises, pouvant aller jusqu'à l'imposition d'une sanction pécuniaire symbolique (points 62 à 66 du communiqué sanctions).
158. Quant à l'invocation de la décision n° 15-D-08 du 5 mai 2015, précitée, outre que la pratique décisionnelle antérieure de l'Autorité ne sert pas de cadre juridique applicable à la détermination des sanctions pécuniaires en droit de la concurrence, a fortiori à leur détermination par la cour, la lecture de cette décision démontre que l'Autorité ne s'est écartée de son communiqué sanctions qu'en raison d'un engagement, qualifié de collectif, pris par un nombre important d'industriels du secteur, ladite décision soulignant le caractère exceptionnel et spécifique au cas d'espèce des raisons permettant à l'Autorité de faire de cet engagement un élément décisif de l'appréciation des sanctions prononcées.
159. Dès lors, en l'espèce, il ne saurait être reproché à l'Autorité d'avoir fait application de la méthode exposée dans son communiqué sanctions et rien ne s'oppose à ce que la cour en fasse également application.
160. Toutefois, pour les motifs qui seront ultérieurement développés, la cour fera exception s'agissant des sociétés LSM et SILL Entreprises, pour lesquelles la sanction sera fixée forfaitairement.
161. En second lieu, deux griefs ont été notifiés dans la présente espèce.
162. Cependant, plutôt que d'imposer à chaque entreprise mise en cause deux sanctions correspondant aux deux griefs, l'Autorité a décidé, pour chaque entreprise mise en cause, une sanction unique, en ne prenant en considération, comme assiette, qu'une seule et même valeur des ventes, en relation avec l'ensemble des pratiques en cause.
163. Un tel choix apparaît justifié.
164. En effet, les deux griefs notifiés concernent les mêmes entreprises et visent des pratiques mises en œuvre sur le même marché, celui des produits laitiers frais sous MDD, et sur la même période, les entreprises mises en cause ayant participé aux concertations visées par le grief n° 1 du 6 décembre 2006 au 9 février 2012, période continue qui englobe celles durant lesquelles les ententes visées par le grief n° 2 ont été mises en œuvre. Or cette identité des périodes, des marchés et de l'objet général poursuivi par les différentes ententes empêche de distinguer les effets potentiels ou réels produits sur le marché par l'une et l'autre de ces infractions et d'apprécier séparément le dommage causé à l'économie par chacun des griefs.
165. Au demeurant, aucune des entreprises mises en cause n'a, dans le cadre du présent recours, contesté ce choix de l'Autorité.
166. Dans le cadre de la détermination des sanctions encourues par les sociétés Senagral, Novandie et Andros et Cie, MLC, Laïta ainsi que LSM et SILL Entreprises, la cour juge pareillement approprié de déterminer une seule sanction au titre des deux griefs pour chacune de ces entreprises, en ne prenant en considération, comme assiette, qu'une seule et même valeur des ventes, en relation avec l'ensemble des pratiques en cause.
B. Sur la détermination du montant de base
1. Sur la référence à la valeur des ventes de produits laitiers frais sous MDD
167. Aux termes du point 23 du communiqué sanctions, pour donner une traduction chiffrée à l'appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage à l'économie, il y a lieu de retenir, comme montant de base de la sanction pécuniaire, une proportion de la valeur des ventes réalisées par chaque entreprise ou organisme en cause, de produits ou de services en relation avec l'infraction ou, s'il y a lieu, les infractions en cause.
168. Le point 33 du communiqué sanctions ajoute que la référence prise pour donner une traduction chiffrée à l'appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie est la valeur de l'ensemble des catégories de produits ou de services en relation avec l'infraction, ou s'il y a lieu avec les infractions, vendues par l'entreprise ou l'organisme durant son dernier exercice comptable complet de participation à celle(s)-ci.
169. Le point 39 du communiqué sanctions précise que la méthode décrite ci-dessus peut être adaptée dans les cas particuliers où la référence à la valeur des ventes ou ses modalités de prise en compte aboutirait à un résultat ne reflétant manifestement pas de façon appropriée l'ampleur économique de l'infraction ou le poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui y a pris part.
170. Faisant application de son communiqué sanctions, l'Autorité a pris en compte la valeur des ventes constituée du chiffre d'affaires hors taxe généré par la vente des produits laitiers sous MDD sur le territoire national, à l'exclusion de celles réalisées dans le cadre de la RHF, hors taxes et déduction faite des remises sur facture (décision attaquée, § 281).
171. Les sociétés Senagral et Senagral Holding, Novandie et Andros et Cie, ainsi qu'Alsace Lait, contestent la référence à la valeur des vente pour le calcul du montant de base de la sanction.
172. Selon ces sociétés, le chiffre d'affaires relatif aux produits laitiers frais vendus sous MDD ne reflète ni l'activité économique des fabricants ni l'ampleur économique de l'infraction. La société Alsace Lait ajoute qu'il ne reflète pas davantage le poids économique de chaque entreprise ayant pris part à l'infraction.
173. Ces sociétés font valoir que, comme le souligne la décision attaquée elle-même (§ 25), entre les fabricants et la grande distribution, " le lien commercial est donc moins une relation de distribution qu'une relation de sous-traitance ". Le rôle des fabricants se limiterait à assurer la transformation d'un produit, dont ils ne maîtrisent qu'une très faible partie des coûts, pour le compte des acteurs de la grande distribution.
174. Aussi, afin de tenir compte du fonctionnement du secteur et de refléter l'ampleur économique de l'infraction en cause, l'Autorité aurait dû se référer, pour déterminer le montant de base de la sanction, à la seule valeur ajoutée propre au rôle de sous-traitant, selon les sociétés Novandie et Alsace Lait, et à la seule marge réalisée par les fabricants, selon les sociétés Senagral et Senagral Holding.
175. S'agissant de la société Senagral, si le chiffre d'affaires net généré par la vente de produits laitiers frais sous MDD en France était de 323 371 000 euros en 2011, sa marge nette était de - 4,52 %.
176. S'agissant de la société Novandie, la valeur ajoutée ne représenterait que 14 % de son chiffre d'affaires en moyenne, ce qui expliquerait que la prise en compte de la valeur des ventes affectées par l'entente ait abouti à une sanction disproportionnée, représentant plus de 100 % de l'activité économique de cette société, laquelle aurait connu, pour chacune des années concernées par l'enquête, un déficit d'exploitation.
177. Quant à la société Alsace Lait, elle fait valoir que la référence à la valeur des ventes aboutit, à son égard, à un montant intermédiaire de sanction plus de deux fois supérieur au plafond légal, alors même que son poids économique est extrêmement faible.
178. La cour rappelle qu'il est constant que la part du chiffre d'affaires de l'entreprise qui provient des produits faisant l'objet de l'infraction est de nature à donner une indication de l'ampleur de celle-ci (en ce sens, CJUE, arrêt du 9 juillet 2015, InnoLux Corp./Commission, C-231/14 P, point 47 et jurisprudence citée).
179. Le choix, aux points 33 et suivants du communiqué sanctions, de se référer, pour la détermination du montant de base de la sanction, à la valeur des ventes des produits ou des services en relation avec l'infraction, n'est donc pas en soi critiquable, et ne saurait être remis en cause que s'il apparaît que, par exception, cette valeur est impropre à constituer une référence pertinente.
180. Une telle hypothèse a été prévue au point 39 du communiqué sanctions, dont il ressort que l'Autorité renonce à se référer à la valeur des ventes des produits ou des services en relation avec l'infraction lorsque cette référence " aboutirait à un résultat ne reflétant manifestement pas de façon appropriée l'ampleur économique de l'infraction ou le poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui y a pris part ".
181. Mais la circonstance que, sur le marché des produits laitiers frais vendus sous MDD, le lien commercial entre fabricants et distributeurs soit moins une relation de distribution qu'une relation de sous-traitance, ne prive pas de pertinence la référence à la valeur des ventes affectées par l'entente.
182. D'une part, même si les fabricants de produits laitiers frais sous MDD n'ont, en amont, qu'une maîtrise faible, voire inexistante, des évolutions du prix de la principale matière première - le lait - et sont, en aval, soumis à un pouvoir de négociation très important des distributeurs, rendant difficile aux fabricants de répercuter sur les distributeurs les variations du prix du lait, il n'en reste pas moins que la valeur des ventes aux distributeurs de produits laitiers frais commercialisés sous MDD traduit exactement l'ampleur de l'infraction, sous réserve de la prise en compte, dans un second temps, de la gravité intrinsèque de la pratique et de l'importance du dommage causé à l'économie.
183. Au demeurant, la faiblesse des prix de vente des produits en relation avec l'entente facturés aux entreprises de la grande distribution est nécessairement prise en compte, en ce qu'elle se traduit par une valeur des ventes moindre et, partant, par un montant de base, calculé par référence à ladite valeur, lui-même inférieur à ce qu'il serait dans un contexte dans lequel les pouvoirs de négociation respectifs des fabricants et des distributeurs seraient plus équilibrés et donc les prix plus hauts.
184. D'autre part, force est de constater que les sociétés Senagral, Senagral Holding, Novandie et Andros et Cie ne soutiennent pas qu'en l'espèce, la prise en compte de la valeur des ventes en relation avec l'infraction ne refléterait pas le poids relatif de chacune des entreprises ayant participé à l'entente.
185. Quant à la société Alsace Lait, son analyse repose sur une confusion, seul étant visé au point 39 du communiqué sanctions, le " poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui [...] a pris part [à l'infraction] ", c'est-à-dire son poids sur le marché affecté par l'infraction par rapport aux autres entreprises participant à cette infraction, et non le poids économique, dans l'absolu, de chaque entreprise participante.
186. Dans la présente espèce, où l'ensemble des pratiques sont concentrées sur le seul marché français des produits laitiers frais sous MDD, il est manifeste que la valeur des ventes affectées par l'entente propre à chaque entreprise est un indicateur fiable de son poids relatif dans l'entente.
187. La cour ajoute que la comparaison, opérée par les sociétés Senagral et Senagral Holding, avec la situation, envisagée au point 39 du communiqué sanctions, dans laquelle l'infraction consiste à s'entendre sur des commissions par lesquelles des entreprises se rémunèrent à l'occasion de la vente de certains produits ou services, est mal fondée, alors qu'en l'espèce, les entreprises parties à l'entente fabriquent et vendent les produits en cause, et ne se bornent pas à percevoir des commissions sur la vente de ces produits.
188. La cour juge donc que l'Autorité a justement pris pour référence la valeur des ventes de produits laitiers frais sous MDD sur le marché français, et la prendra elle-même pour référence en vue de fixer les sanctions encourues par les sociétés Senagral, Novandie et Andros et Cie, MLC ainsi que Laïta.
2. Sur le montant de la valeur des ventes en relation avec l'infraction
189. Ainsi qu'il a déjà été souligné, la valeur des ventes à prendre en compte est constituée, en l'espèce, du chiffre d'affaires hors taxes généré par les ventes de produits laitiers frais sous MDD sur le territoire national, à l'exclusion de celles réalisées dans le cadre de la RHF, hors taxes et déduction faite des remises sur facture.
190. Certaines sociétés font toutefois valoir qu'il y a lieu d'exclure du champ de la valeur des ventes les produits innovants ou spécifiques.
191. En premier lieu, les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF ainsi que la société LHT font valoir qu'il ressort du dossier que les innovations étaient exclues du champ des accords passés entre les sociétés concurrentes, ce qu'a expressément reconnu l'Autorité aux paragraphes 121 et 122 de la décision attaquée. Dans ces conditions, ce serait à tort que l'Autorité a pris en compte dans la valeur des ventes retenue pour le calcul de la sanction, les ventes de produits laitiers innovants, alors que ces derniers n'étaient pas " en relation avec l'infraction " au sens du point 33 du communiqué sanctions.
192. À l'argument de l'Autorité et du ministre chargé de l'Économie selon lequel des discussions ont eu lieu sur le statut des innovations, qui montrent que ces dernières ne faisaient pas toujours l'objet d'une définition communément acceptée et qu'elles ont, en conséquence, été concernées par des échanges d'informations sensibles, les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF ainsi que la société LHT objectent que des discussions visant uniquement à s'entendre sur la définition des innovations afin de les exclure du périmètre des pratiques litigieuses, ne donnent pas lieu à des échanges d'informations sensibles. La société LHT ajoute qu'il n'existe aucun élément au dossier illustrant un quelconque échange d'informations sensibles en lien avec les innovations, en général, et les innovations produites et commercialisés par elle (moelleux au chocolat et crèmes brûlées), en particulier.
193. Les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF ainsi que la société LHT font encore valoir que, contrairement aux affirmations de l'Autorité, il était possible d'isoler la valeur des ventes de produits innovants, et qu'en ce qui les concernent, elles ont communiqué aux services d'instruction de l'Autorité leurs ventes de produits innovants au cours de l'année prise en compte pour la valeur des ventes, soit 1 379 709 euros en 2011 pour la société LNUF MDD et 627 020 euros en 2007 pour la société LHT.
194. En second lieu, la société LHT fait valoir que les produits qu'elle qualifie de " spécifiques ", c'est-à-dire les produits qu'elle était la seule à commercialiser (faisselles de chèvre et profiteroles), n'ont par hypothèse fait l'objet d'aucun échange d'informations et d'aucun accord entre les participants à l'entente, de sorte qu'ils étaient sans lien avec l'infraction et devaient être exclus de la valeur des ventes retenue pour le calcul de la sanction.
195. Elle souligne que l'Autorité n'a pas répondu à ses arguments au sujet de ces produits et que, plus généralement, rien dans le dossier n'accrédite l'idée que ceux-ci auraient fait l'objet d'échanges ou d'accords anticoncurrentiels et seraient donc liés aux pratiques poursuivies.
196. Elle demande donc que soit déduite de la valeur de ses ventes pour l'année 2007 la somme de 1 401 677 euros, correspondant aux ventes de produits spécifiques.
197. S'agissant, en premier lieu, des produits innovants, la cour constate qu'ils étaient expressément exclus du champ des accords passés entre les entreprises mises en cause.
198. Mais, ainsi que le fait justement valoir l'Autorité, les incertitudes sur la notion même d' " innovation ", illustrées par les conflits pour déterminer si tel ou tel produit constituait une innovation, ont obligé les entreprises participant à l'entente à communiquer sur les produits auxquels leur fabricant entendait voir reconnaître la qualité d'innovation.
199. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, ces échanges portaient nécessairement sur des informations sensibles, puisque la reconnaissance de la nature d'innovation par les autres entreprises participantes, supposait que son fabricant non seulement fournisse des informations techniques sur ce qui constituait le caractère innovant dudit produit, mais également dévoile, à l'occasion desdits échanges, des éléments sur sa stratégie commerciale de conquête de clients nouveaux par le développement de produits innovants, ce qui relève du champ des pratiques visées par le grief n° 1.
200. Dès lors, les innovations étaient bien des produits " en relation avec l'infraction " au sens du point 33 du communiqué sanctions, et il convenait donc, ainsi que l'a fait l'Autorité, de les intégrer dans la valeur des ventes servant de référence au calcul de la sanction pécuniaire.
201. S'agissant, en second lieu, des produits dits " spécifiques ", il convient de relever, d'une part, que les faisselles de chèvre et les profiteroles fabriquées et commercialisées par la société LHT en 2007 étaient sans conteste des produits laitiers frais vendus sous MDD et, d'autre part, que, à supposer même qu'aucune autre entreprise mise en cause n'ait fabriqué le même type de produits sous MDD - ce qu'au demeurant il incombait à la société LHT de démontrer -, il ne résulte d'aucun élément du dossier que les produits " spécifiques " échappaient au champ des accords incriminés.
202. C'est ainsi qu'il aurait suffi qu'une entreprise concurrente de la société LHT se lance dans la fabrication de faisselles de chèvre et de profiteroles sous MDD, éventualité dont la société LHT n'avait aucun moyen d'empêcher la réalisation, pour que celle-ci puisse se prévaloir des termes de l'entente.
203. Dans ces conditions, il convenait, ainsi que l'a fait l'Autorité, de prendre en compte les ventes de faisselles de chèvre et les profiteroles dans la valeur des ventes réalisées par la société LHT en 2007.
204. Les pratiques en cause s'étant poursuivies jusqu'au début de l'année 2012, l'Autorité a justement retenu l'exercice 2011 en tant que dernier exercice comptable complet de participation aux deux griefs. La cour fera de même en vue de la fixation des sanctions encourues par les sociétés Senagral, Novandie et Andros et Cie, MLC ainsi que Laïta.
205. S'agissant toutefois de la société LHT, qui a cessé sa participation aux pratiques en septembre 2007, ainsi qu'il ressort du paragraphe 330 de la décision attaquée, l'Autorité a à juste titre retenu l'exercice comptable 2007 pour déterminer la valeur des ventes affectées.
206. Au vu du dossier, et à la lumière des considérations qui précèdent, les valeurs des ventes servant d'assiette à la sanction individuelle de chacune des mises en cause sont les suivantes :
Entreprises Valeur des ventes affectées en 2011 (en )
Senagral 316 253 552
Novandie 239 855 744
LNUF MDD 166 805 642
MLC 85 300 766
Yéo Frais 49 708 000
Alsace Lait 42 721 480
Laïta 30 280 793
Lactalis B&C 18 547 404
Valeur des ventes affectées en 2007 (en )
LHT 24 669 019
3. Sur la proportion de la valeur des ventes retenue au titre de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie
207. La cour constate que les sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union ne contestent pas le montant de base intermédiaire - avant abattement - de 23 859 840 euros retenu à leur égard par l'Autorité au paragraphe 331 de la décision attaquée.
208. Dès lors, les développements qui suivent ne concerneront pas ces sociétés.
209. Il convient de souligner que la gravité des faits comme l'importance du dommage causé à l'économie, critères prévu par la loi, s'apprécient de façon globale, c'est-à-dire au regard de l'action cumulée de tous les participants, sans qu'il soit besoin d'identifier la part imputable à chacun d'entre eux pris séparément.
210. Seront donc d'emblée écartés les moyens par lesquels la société LHT fait valoir que les éléments d'appréciation de la gravité des pratiques et du dommage causé à l'économie ne la concernent pas ni ne peuvent lui être transposés. Ces moyens seront cependant pris en compte au stade de l'individualisation de la sanction.
a. Sur la gravité des faits
211. Aux termes de l'article 25 du communiqué sanctions, " [l]'Autorité apprécie la gravité des faits de façon objective et concrète, au vu de l'ensemble des éléments pertinents du cas d'espèce ".
212. Le point 26 du même communiqué précise :
" Pour apprécier la gravité des faits, l'Autorité tient notamment compte des éléments suivants, en fonction de leur pertinence :
- la nature de l'infraction ou des infractions en cause et des faits retenus pour la ou les caractériser (entente entre concurrents, qui peut elle-même revêtir un degré de gravité différent selon qu'il s'agit, par exemple, d'un cartel de prix ou d'un simple échange d'informations; entente entre deux acteurs d'une même chaîne verticale, comme une pratique de prix de revente imposés par un fournisseur à des distributeurs; abus de position dominante, qu'il s'agisse d'abus d'éviction ou d'exploitation), ainsi que la nature du ou des paramètres de la concurrence concernés (prix, clientèle, production, etc.) et, le cas échéant, leur combinaison; ces éléments revêtent une importance centrale dans le cas des pratiques anticoncurrentielles expressément visées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et 101 et 102 TFUE, en considération de leur gravité intrinsèque ;
- la nature des activités, des secteurs ou des marchés en cause (activité de service public, marché public, secteur ouvert depuis peu à la concurrence, etc.) et, le cas échéant, leur combinaison ;
- la nature des personnes susceptibles d'être affectées (petites et moyennes entreprises [PME], consommateurs vulnérables, etc.), et
- les caractéristiques objectives de l'infraction ou des infractions (caractère secret ou non, degré de sophistication, existence de mécanismes de police ou de mesures de représailles, détournement d'une législation, etc.) ".
213. La cour fera siens ces critères qu'elle juge pertinents pour apprécier la gravité de pratiques anticoncurrentielles reprochées aux sociétés.
214. En l'espèce, la cour relève tout d'abord que les pratiques visées par le grief n° 1 sont des ententes qui ont pris la forme de réunions et d'échanges téléphoniques permettant une concertation permanente entre concurrents sur les prévisions de hausse tarifaire des produits laitiers frais sous MDD et sur des données futures de fixation des prix. Ces échanges se produisaient en particulier à l'occasion des appels d'offres organisés par les clients distributeurs pour l'achat des produits concernés. Ils ont aussi porté sur les compensations de volumes entre concurrents.
215. Les pratiques concertées en cause se sont ainsi substituées à la libre appréciation par chaque entreprise de sa stratégie commerciale et tarifaire, ont fortement diminué l'incertitude du comportement des opérateurs concernés et ont été de nature à concourir à la fixation concertée de prix supérieurs à ceux qui auraient résulté d'une situation de concurrence non faussée. Elles visaient donc, par leur nature même, à manipuler un paramètre essentiel - celui du prix - de la concurrence sur le marché des produits laitiers frais sous MDD.
216. Ces pratiques concertées horizontales portant sur le comportement tarifaire futur des concurrents constituent des violations d'une particulière gravité, même lorsqu'elles ne permettent pas d'aboutir à des accords de fixation des prix stricto sensu. En outre, dans le cas d'espèce, la fréquence des réunions et des échanges bilatéraux et le cumul de plusieurs comportements anticoncurrentiels, comme ceux visés par le grief n° 2, constituent un facteur qui doit être pris en compte au titre de la gravité des faits.
217. Les accords anticoncurrentiels visés par le grief n° 2, qui portaient sur la définition en commun des taux de hausses de prix futures par familles de produits laitiers frais, sur la fixation des volumes détenus par les sociétés concurrentes et, enfin, sur la remise d'offres de couverture dans le cadre d'appels d'offres lancés par les distributeurs, sont les infractions les plus graves en droit de la concurrence.
218. À cet égard, la cour rappelle que, selon le point 23 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 (JOUE 2006, C 210, p. 2), arrêtées par la Commission (ci-après les lignes directrices de la Commission), les accords - ce terme visant les accords, pratiques concertées et décisions d'association d'entreprises au sens de l'article 101 TFUE - horizontaux de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production comptent, par leur nature même, parmi les restrictions de concurrence les plus graves et que cette appréciation de la gravité de ces pratiques a été validée par les juridictions de l'Union (voir, notamment, s'agissant de la mise en œuvre d'une coordination de hausses de prix, CJUE, 26 janvier 2017, Roca Sanitario/Commission, C-636/13 P, point 53).
219. Ensuite, dans la mesure où les produits laitiers sous MDD - qui sont des produits finis - sont en général des produits d'entrée de gamme, les consommateurs finaux susceptibles d'être affectés par les pratiques objets des griefs n° 1 et n° 2 incluent ceux qui disposent du pouvoir d'achat le moins élevé et sont donc les plus vulnérables aux hausses de prix, ce qui renforce encore la gravité de ces pratiques. Certes, de façon générale, il ne peut être exclu que, face à l'augmentation des prix industriels de produits de consommation courante, les distributeurs décident de diminuer leurs marges de détail plutôt que d'augmenter les prix aux consommateurs. Mais, même si, ainsi que le font valoir plusieurs requérantes, un tel choix apparaît probable afin de fidéliser la clientèle dans un contexte de forte concurrence entre distributeurs, il est de plus en plus incertain à mesure que les pratiques se prolongent dans le temps. En outre, la concurrence entre distributeurs rendant pareillement vraisemblable qu'ils fassent bénéficier les consommateurs finaux de l'économie de coûts résultant d'une baisse des prix industriels, une entente entre fabricants est de nature à en priver lesdits consommateurs.
220. Enfin, les pratiques mises en œuvre pour le grief n° 1 comme pour le grief n° 2, revêtaient un caractère secret élaboré. En particulier, certains salariés des sociétés impliquées bénéficiaient de téléphones portables dits " secrets ", dont l'usage était spécialement réservé à la mise en œuvre de l'entente, et la plupart des réunions se tenaient non pas dans des locaux professionnels mais dans des hôtels, certaines d'entre elles étant même accueillies au domicile privé d'un salarié d'une des entreprises concernées. Ces éléments montrent que la nature infractionnelle des pratiques était connue des mis en cause qui s'efforçaient de rendre plus difficile leur détection, et confortent le constat effectué ci-dessus quant à la gravité des griefs n° 1 et n° 2, constat que l'absence d'un mécanisme institutionnalisé de police de l'entente ou de représailles ne saurait infirmer.
221. Vainement les requérantes contestent la gravité du grief n° 1, au motif qu'il concerne de simples échanges d'informations, sans aucun mécanisme de représailles. En effet, si les accords portant sur les prix, la répartition de quantités ou de clients sont logiquement considérés comme les plus graves, les pratiques concertées constituées par des échanges directs sur les prix futurs des concurrents revêtent, même en l'absence d'accords, le même niveau de gravité, ainsi que l'a rappelé le Tribunal de l'Union, dans l'affaire son arrêt du 14 mars 2013, Fresh Del Monte Produce/Commission (TUE, T-587/08, point 737). Les pratiques ayant pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence sont par nature des pratiques très graves.
222. C'est encore en vain que, pour contester la gravité du grief n° 2, plusieurs requérantes font valoir que les hausses tarifaires n'auraient pas été systématiquement répercutées et rarement suivies d'effet, ou l'auraient été avec des mois de retard, que les accords sur les volumes et sur les prix dans le cadre d'appels d'offres n'auraient concerné que quelques enseignes et quelques références, que les pratiques visées par le grief n° 2 ont été cantonnées à la seconde phase de l'entente (de juin 2010 à février 2012), pour laquelle les services d'instruction de l'Autorité n'ont identifié aucun surprix, et enfin qu'aucun mécanisme institutionnalisé de police de l'entente ou de représailles n'était prévu.
223. D'une part, la réalité de la mise en œuvre des accords sur les hausses tarifaires, sur le gel des volumes et sur les prix en appel d'offres résulte du dossier, et a été exposée à suffisance de droit, respectivement, aux paragraphes 110 à 113, 119 et 120, ainsi que 126 à 151 de la décision attaquée, développements que la cour fait expressément siens. Il y a en particulier lieu de relever que, nonobstant la relative brièveté de la durée de participation à l'accord sur les prix en appel d'offres (entre le 15 juin 2010 et le 9 février 2012), il est établi que pas moins de six appels d'offres, émanant de cinq distributeurs différents, ont été affectés. D'autre part, le fait que les objectifs visés par l'entente n'aient pas été atteints - ou seulement partiellement - ne saurait affecter le constat que, par nature, les pratiques objets du grief n° 2 sont les infractions les plus graves en droit de la concurrence, étant souligné que ces objectifs auraient pu être réalisés en cas de poursuite desdites pratiques.
224. S'agissant tant du grief n° 1 que du grief n° 2, l'ensemble des entreprises contestent encore la gravité des faits en se prévalant des réalités économiques du secteur, et notamment de la forte volatilité du prix du lait, des engagements tarifaires souvent souscrits auprès des producteurs de lait, de la grande dépendance des fabricants de produits MDD à l'égard des grandes et moyennes surfaces, du fort pouvoir de négociation des distributeurs, etc., l'ensemble de ces éléments rendant, selon elles, très difficile la transmission des hausses de prix vers l'aval dans le contexte d'une augmentation significative du prix du lait. Les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF ainsi que les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis font en particulier valoir que les hausses tarifaires demandées étaient motivées par une volatilité du prix de la matière première et qu'il y avait une nécessité vitale pour les fabricants de répercuter ces hausses sur les distributeurs.
225. Mais aucune de ces considérations n'est de nature à remettre en cause le constat précédent que, par nature, les pratiques objets de la présente instance sont, les unes, d'une particulière gravité, les autres, les infractions les plus graves en droit de la concurrence. L'interprétation contraire reviendrait à admettre qu'il est, dans certaines hypothèses, légitime pour les opérateurs économiques de violer les règles les plus fondamentales du droit de la concurrence.
226. Pour autant, même au sein des restrictions de concurrence les plus graves, il est encore possible d'établir une gradation dans la gravité, en fonction de l'ensemble des circonstances de la cause. À cet égard, les considérations susmentionnées seront prises en considération ci-après, aux fins de déterminer le pourcentage de la valeur des ventes servant à calculer le montant de base de la sanction.
b. Sur l'importance du dommage causé à l'économie
227. La cour rappelle que l'importance du dommage causé à l'économie ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les victimes des pratiques en cause, mais s'apprécie en fonction de la perturbation générale qu'elles sont de nature à engendrer pour l'économie.
228. Ni l'Autorité ni la cour, statuant après annulation d'une décision de l'Autorité, ne sont tenues de chiffrer précisément le dommage causé à l'économie. Elles doivent en revanche procéder à une appréciation de son existence et de son importance, en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier et en recherchant les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l'économie engendrée par les pratiques en cause.
229. Il y a lieu de tenir compte, pour apprécier l'incidence économique de la pratique en cause, notamment, de l'ampleur de l'infraction, telle que caractérisée, entre autres, par sa couverture géographique ou par la part de marché cumulée des participants sur le secteur ou le marché concerné, des caractéristiques économiques pertinentes du secteur ou du marché concerné, ainsi que de ses conséquences conjoncturelles ou structurelles. Les effets, tant avérés que potentiels, de la pratique peuvent être pris en considération à ce titre.
Sur l'ampleur des pratiques
230. Il s'agit de pratiques de grande ampleur : elles ont en effet été mises en œuvre sur l'ensemble du territoire national par des fabricants de produits laitiers frais sous MDD qui représentent plus de 90 % du marché concerné.
231. Plusieurs requérants (les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis, les sociétés Senagral et Senagral Holding) font toutefois valoir, en premier lieu, que le marché ne pouvait être restreint à celui des produits laitiers frais sous MDD, et que l'analyse aurait dû être menée à l'échelle du marché des produits laitiers frais, qu'ils soient vendus sous MDD ou sous marques de fabricants (ci-après les MDF), marché dont les produits vendus sous MDD ne représentent que 50 % en volume - si les sociétés Senagral et Senagral Holding ont soutenu, dans le cadre du présent recours, que la part des MDD n'est que de 44 % du marché des produits laitiers frais, la société Senagral reconnaissait, au cours de l'instruction (cote 44026, § 48), que " la part de marché MDD (tous produits laitiers frais confondus) a augmenté au détriment des produits sous MDF, passant de 33 % en 2006 à 50 % en 2008 ", ajoutant que " [l]a part de marché des produits MDD a cependant eu tendance à régresser depuis 2008 et n'atteint plus que 48 % en 2012 " -, de sorte que les pratiques ne concernaient que 45 % dudit marché. Selon les requérantes, en effet, la pression concurrentielle des produits laitiers frais vendus sous MDF, - qu'ils soient produits par les fabricants français ou par des fabricants étrangers - sur les mêmes produits vendus sous MDD était de nature à diminuer l'ampleur des pratiques.
232. Mais si, ainsi qu'il ressort du dossier, les ventes sous MDD représentent environ 50 % des ventes de produits laitiers frais en volume, ils n'en représentent que 40 % en valeur. Ces chiffres, qu'aucune requérante ne conteste, démontrent l'importance de l'écart moyen de prix entre les produits laitiers frais sous MDF et sous MDD, puisque les prix moyens des produits laitiers frais sous MDD devraient augmenter de 150 % pour égaler ceux des produits laitiers frais sous MDF. Dans ces conditions, les hausses de prix de produits laitiers frais sous MDD poursuivies par les parties à l'entente pouvaient se déployer sans que la présence sur le marché des produits laitiers frais sous MDF y fasse obstacle - la seule limite envisageable à la hausse étant les prix des produits sous MDF -, les uns et les autres formant donc bien deux marchés distincts.
233. Ce constat est, au demeurant démontré, ainsi que le souligne l'Autorité au paragraphe 158 de ses observations, par l'évolution respective de l'indice des prix des yaourts et laits fermentés sous MDD et de celui des prix des mêmes produits sous MDF (source INSEE), qui établit que les yaourts et laits fermentés sous MDD ont pu connaître des hausses de prix beaucoup plus rapides que les mêmes produits sous MDF.
234. Partant, le fait que les prix des produits laitiers frais sous MDD ne pouvaient vraisemblablement que demeurer inférieurs à ceux des mêmes produits sous MDF ne remet pas en cause le constat de la grande ampleur des pratiques.
235. En second lieu, plusieurs requérantes soutiennent qu'il n'a pas été tenu compte de la concurrence potentielle des fabricants de produits laitiers frais sous MDD, qu'ils soient français non impliqués dans l'entente ou étrangers.
236. Mais, dès l'instant où les fabricants français impliqués dans l'entente représentaient plus de 90 % du marché des produits laitiers vendus sous MDD, les autres fabricants français ne pouvaient à l'évidence exercer une pression concurrentielle efficace. La circonstance que la société LHT, acteur de petite taille du marché des produits laitiers frais, se soit retirée de l'entente dès septembre 2007, et que la société LSM n'ait participé que ponctuellement au grief n° 1, ne saurait évidemment infirmer le constat qui précède.
237. Quant aux fabricants étrangers de produits laitiers frais sous MDD, les contraintes liées à la brève durée de commercialisation des produits en cause excluent qu'ils soient, pour les distributeurs français, une alternative crédible à un approvisionnement auprès de fabricants français, a fortiori lorsque, comme en l'espèce, les fabricants participant aux pratiques représentent 90 % du marché français des produits laitiers frais sous MDD. À cet égard, aucun enseignement ne peut être tiré de la décision de l'Autorité n° 14-DCC-57 du 17 avril 2014, relative à la prise de contrôle exclusif par la société Orlait, filiale de Sodiaal, de l'activité lait de consommation longue conservation de la coopérative Terra Lacta - invoquée par les sociétés LNPF MDD, LNPF et LNUF -, cette décision concernant le marché du lait UHT, dont la durée de conservation est de six mois.
238. Dès lors, l'ensemble des arguments tendant à contester la grande ampleur des pratiques seront rejetés.
Sur les caractéristiques économiques du secteur concerné
239. Afin d'apprécier l'importance du dommage causé à l'économie, il y a lieu de prendre en compte les caractéristiques économiques objectives du secteur en cause, dans la mesure où ces dernières sont de nature à avoir une influence sur les conséquences conjoncturelles ou structurelles des pratiques. En l'espèce, il convient d'apprécier successivement l'existence de barrières à l'entrée, l'élasticité-prix de la demande et le contre-pouvoir des distributeurs.
- Les barrières à l'entrée
240. Il résulte des éléments du dossier, non contestés par les parties que le marché global de la fabrication de produits laitiers frais, que ce soit sous MDD ou MDF, est caractérisé du côté de l'offre par des barrières à l'entrée élevées, compte tenu des investissements nécessaires à l'implantation d'un nouvel entrant. Ces coûts fixes sont difficiles à amortir car il existe des risques de surcapacités de production liés à la baisse de la consommation de produits laitiers frais depuis 2008.
241. Ces barrières sont toutefois moindres pour les industriels déjà présents sur le marché des produits laitiers frais vendus sous MDF.
242. A cet égard, l'Autorité fait valoir que l'arrivée de tels opérateurs sur le marché des produits laitiers frais sous MDD n'est pas un facteur de contestabilité significatif, car la plupart des opérateurs sur le marché des MDF sont déjà présents sur le marché des MDD et ne constituent donc plus une menace d'entrée. Selon l'Autorité, la société Danone est la seule entreprise d'envergure sur le marché des produits laitiers frais sous MDF à pouvoir entrer efficacement sur le marché des produits sous MDD, mais cette entrée ne correspondrait pas à son positionnement stratégique.
243. La cour constate que, à l'exception du groupe Danone, la plupart des fabricants français de produits laitiers frais vendus sous MDF sont effectivement présents sur le marché des MDD, et d'ailleurs parties à l'entente, et que ceux qui n'y sont pas présents ne sont pas des entreprises importantes, de sorte qu'à l'époque des pratiques, les seconds ne constituaient pas, et les premiers ne constituaient plus, une menace d'entrée.
244. Quant à l'argument selon lequel des fabricants étrangers de produits laitiers frais vendus sous MDF pourraient pénétrer le marché français des MDD, ainsi qu'il a déjà été indiqué les contraintes liées à la brève durée de péremption des produits laitiers frais excluent que ces fabricants constituent une alternative crédible aux fabricants français.
245. S'agissant, en revanche de la société Danone, l'une des principales entreprises sur le marché français des produits laitiers frais, et adossée à un groupe d'envergure mondiale, force est de constater que l'affirmation de l'Autorité selon laquelle une entrée sur le marché des produits laitiers frais vendus sous MDD ne correspond pas à sa stratégie n'est étayée par aucune pièce. Si la société Danone, autrefois fournisseur de produits MDD, est désormais absente de ce marché, plusieurs requérantes soulignent à juste titre que ce choix stratégique peut s'expliquer par le très faible niveau de marges sur ledit marché. Or une augmentation des marges provoquée par les pratiques aurait pu conduire la société Danone à reconsidérer sa stratégie et concurrencer rapidement et efficacement les entreprises parties à l'entente.
246. Dès lors, la cour considère que la contestabilité de la position des industriels présents sur le marché des produits laitiers frais sous MDD était modérée pendant la durée des pratiques.
- L'élasticité-prix de la demande
247. L'Autorité fait valoir que, dans le cadre de l'examen de l'opération de concentration entre Campina et Friesland Foods, la Commission a relevé que " la demande agrégée de produits laitiers est communément considérée comme inélastique en termes de prix. La raison en est, partiellement, que les produits laitiers sont destinés à la consommation humaine et qu'ils n'ont pas de nombreux substituts (...) " (Voir point 8 de l'annexe 1 à la décision COMP/M.5046 - Friesland Foods/Campina, 17 décembre 2008, p. 477).
248. Certes, au point 10 cette même annexe, la Commission a ajouté que " [s]i la demande de produits laitiers est relativement inélastique au niveau agrégé, ce n'est pas vrai au niveau du produit parce que les produits laitiers peuvent se concurrencer entre eux ", précisant, au point 13, que, d'après les études, " la demande de beurre est la moins élastique, et la demande de produits laitiers frais et de fromage est la plus élastique au regard des produits laitiers ".
249. Mais, d'une part, les produits laitiers sont destinés à la consommation humaine, font partie du régime alimentaire de base en France, et n'ont pas de nombreux substituts. Il est donc inconcevable, pour la grande et moyenne distribution, de ne pas en proposer à leur clientèle. Par ailleurs, les produits laitiers frais vendus sous MDD constituent l'essentiel du segment d'entrée de gamme de ces produits. Ils apparaissent donc comme des produits d'appel destinés à attirer la clientèle dans les grandes et moyennes surfaces des distributeurs.
250. En outre, ainsi qu'il a déjà été souligné, les prix des produits laitiers frais sous MDD peuvent connaître des hausses significatives sans atteindre le prix des mêmes produits vendus sous MDF, de sorte que les produits laitiers frais sous MDF n'apparaissent pas comme une alternative en cas de hausse des mêmes produits sous MDD.
251. Dès lors, il y a lieu de conclure à une faible élasticité-prix de la demande émanant de la GMS.
252. D'autre part, ce constat est encore renforcé par l'appréciation de l'élasticité-prix de la demande des consommateurs finaux.
253. A la lecture du tableau 1 figurant au point 12 de l'annexe 1 à la décision COMP/M.5046 - Friesland Foods/Campina, précitée, tableau commenté au point 13, il apparaît qu'en tout état de cause, l'ensemble des produits laitiers apparaissent comme ayant une faible élasticité des prix (l'indice g traduisant l'élasticité-prix de la demande est compris entre entre -0,74 et -0,18), même si la demande de produits laitiers frais est, relativement, la plus élastique (-0,74).
254. De même, dans le tableau 2, qui suit le point 13, et qui opère une distinction par pays, l'élasticité-prix de la demande des produits laitiers frais en France apparaît là encore faible (indice g compris entre -1 et 0 dans toutes les études citées).
255. Dès lors, il y a lieu de constater la faible élasticité-prix de la demande des consommateurs finaux, tous produits laitiers frais confondus.
256. Or l'élasticité-prix de la demande des seuls produits laitiers frais vendus sous MDD est nécessairement plus faible encore. En effet, en cas de hausse des prix des produits vendus sous MDD, les consommateurs ne peuvent généralement pas se reporter sur des articles moins chers, car les produits MDD constituent l'essentiel du segment d'entrée de gamme. Les consommateurs qui les achètent régulièrement pour des raisons de prix sont donc relativement captifs de ces produits bon marché et peu susceptibles de se reporter sur des produits positionnés plus haut en gamme. Le fait que les produits MDD répondent précisément à la sensibilité prix qui existe sur le marché en constituant une alternative aux produits MDF ne remet pas en cause l'analyse qui précède, mais la conforte.
257. Certes, les hausses de prix sur le marché de gros sont d'abord supportées par les distributeurs, qui peuvent décider de ne pas les répercuter - ou seulement en partie - sur les prix de détails qui affectent directement les consommateurs. Mais, s'agissant de produits finis, la prise en compte ici de l'élasticité-prix de la demande au niveau des consommateurs finaux n'en est pas moins pertinente, car la faible sensibilité des consommateurs au prix de ces produits permet justement aux distributeurs, s'ils le souhaitent, de répercuter, dans leurs prix de détail, les hausses des prix de gros qu'ils pourraient subir.
258. C'est en vain que la société MLC conteste le constat d'une faible élasticité-prix, en présentant une analyse censée démontrer que la demande de produits laitiers en MDD est fortement élastique. Selon l'étude économique de MLC (page 28), l'analyse économétrique proposée explique les variations du volume de chaque produit par le prix de ces produits. Mais une telle analyse désagrégée conclut nécessairement à des niveaux d'élasticité élevés : en effet, en réaction à la hausse de prix d'un produit de MDD, de nombreux consommateurs se reportent sur d'autres produits de MDD, puisque, ainsi qu'il a déjà été souligné, les produits laitiers peuvent se concurrencer entre eux. Or, au cas d'espèce, le dommage résulte de pratiques qui ont concerné tous les produits laitiers frais commercialisés sous MDD. L'analyse pertinente pour l'évaluation du dommage à l'économie aurait donc dû reposer sur une analyse des variations de la demande pour l'ensemble des produits laitiers lorsque les prix de l'ensemble de ces produits augmentent
259. Les parties n'ont donc pas apporté d'éléments convaincants de nature à remettre en cause la faible élasticité-prix de la demande des produits laitiers frais vendus sous MDD.
- Le contre-pouvoir des distributeurs
260. Le secteur des produits laitiers frais est caractérisé par une forte dépendance des fabricants vis-à-vis des grandes et moyennes surfaces - elles-mêmes très concentrées - qui représentent 92 % de leurs débouchés. Cette dépendance est encore plus forte pour les produits sous MDD, puisque les fabricants sont, en fait, des sous-traitants choisis par appels d'offres. Les fabricants ne sont donc pas identifiables par le consommateur final et ne peuvent se différencier les uns des autres pour fidéliser leur clientèle.
261. En outre, la segmentation des approvisionnements, la durée variable des contrats, les relations commerciales non formalisées par des documents écrits sont autant de pratiques qui accroissent le pouvoir de négociation des distributeurs au détriment des fabricants.
262. Enfin, les fabricants de produits laitiers sont intégrés dans la filière laitière, qui connaît, depuis la crise du lait survenue entre 2007 et 2009, une forte volatilité des prix de la matière première. La répercussion de ces variations de prix sur les distributeurs est toujours difficile, ce qui accentue encore la fragilité des industriels, notamment lorsqu'ils sont adossés à des groupements de producteurs auxquels ils ont consenti des garanties d'achat de la matière première.
263. Il se déduit de l'ensemble de ces considérations un très fort contre-pouvoir des distributeurs. Cette circonstance particulière, qui n'a pu qu'être de nature à limiter l'effet recherché par les pratiques en cause et, partant, à atténuer le dommage causé à l'économie, sera prise en compte dans la fixation de la sanction.
264. Jugeant qu'un tel constat prend insuffisamment en considération les réalités économiques du secteur - contexte économique extrêmement difficile pour les industriels, rigidité du prix du lait en amont, impossibilité de répercuter en aval les hausses du prix du lait, secteur des produits laitiers frais sous MDD caractérisé par des marges extrêmement faibles - comme les caractéristiques de l'entente - absence de système institutionnalisé de police de prix ou de mesures de représailles internes en cas de non-respect des accords anticoncurrentiels, caractère souvent erroné des informations communiquées lors des réunions anticoncurrentielles -, la plupart des requérantes font valoir que les pratiques en cause n'étaient pas de nature à infléchir de manière significative le rapport de force en faveur des fabricants, et invitent la cour à constater que, puisqu'il n'était pas possible aux fabricants de répercuter en totalité sur les distributeurs les hausses, pourtant justifiées, du prix à la production de lait - les hausses subies par les industriels étant supérieures aux hausses effectivement passées aux distributeurs de la GMS -, les pratiques n'ont pu générer aucun surprix.
265. Mais, d'une part, aussi important que soit le contre-pouvoir des distributeurs, et déséquilibré en leur faveur le rapport avec les fabricants de produits laitiers frais sous MDD, les distributeurs étaient tenus de s'adresser à l'un ou l'autre des fabricants participant à l'entente, puisque ces derniers représentaient ensemble 90 % du marché, étant souligné que la société Danone n'est pas revenue sur le marché des MDD.
266. D'autre part, le très fort contre-pouvoir des distributeurs, s'il rend, sinon impossible, du moins difficile, la répercussion sur les distributeurs des variations du prix des intrants en général, et du lait en particulier, ne suffit pas à exclure tout surprix, lequel s'apprécie en comparant l'évolution des prix constatée pendant l'entente, avec celle qui aurait eu lieu en l'absence d'entente.
267. A cet égard, l'argument tiré du bien-fondé des hausses de prix réclamées par les industriels - qui repose sur l'idée erronée qu'il devrait y avoir corrélation parfaite entre les hausses du prix des intrants et celles du prix des produits finis - est inopérant, s'agissant de la recherche d'un éventuel surprix, lequel peut se traduire par une moindre baisse de prix, même si le constat de la difficulté, voire de l'impossibilité, pour les industriels à répercuter sur les distributeurs les hausses du coût des intrants est, quant à lui, une donnée pertinente pour apprécier l'existence d'un surprix.
268. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, la cour considère que, même si le très fort contre-pouvoir des distributeurs comme la contestabilité modérée de la position des industriels présents sur le marché des produits laitiers frais sous MDD ont certainement eu pour effet de limiter l'effet des pratiques, il ne peut néanmoins être d'emblée affirmé qu'ils ont empêché tout dommage à l'économie, compte tenu, d'une part, de l'ampleur des pratiques - les entreprises concernés représentant plus de 90 % du marché des produits laitiers frais sous MDD - et, d'autre part, de l'existence de barrières à l'entrée telles que seule la société Danone aurait été susceptible de perturber l'entente si elle avait décidé de revenir sur le marché des MDD - ce qui ne s'est pas produit -, et de la faible élasticité-prix de la demande de produits laitiers frais sous MDD.
269. Dès lors, et dans la mesure où, en l'espèce, tant l'Autorité que plusieurs requérantes ont produit des études économétriques, il convient de s'assurer, par une analyse quantitative du dommage causé à l'économie, du bien-fondé de l'analyse qualitative menée au paragraphe précédent.
Sur les conséquences conjoncturelles et structurelles des pratiques
270. Les rapporteurs ont produit, lors de la séance du collège, une étude économique visant à quantifier une partie du dommage à l'économie grâce à une analyse économétrique du surprix causé par les pratiques. Cette étude identifie, pour la première phase de l'entente (de décembre 2006 à septembre 2009, c'est-à-dire avant l'épisode dit de " guerre des prix ") un surprix causé par les pratiques, respectivement, de 8,1 % (les différentes spécifications testées faisant apparaître un surprix allant de 5,7 % à 10 %) dans le cadre de la méthode " avant-après " et de 7,4 % (les différentes spécifications testées faisant apparaître un surprix compris entre 5,8 % et 8,7 %) dans le cadre de la méthode " de la double différence ", mais conclut en revanche à l'absence de surprix pendant la seconde phase de l'entente (de juin 2010 à février 2012, c'est-à-dire après l'épisode de " guerre des prix ").
271. Plusieurs requérantes demandent à la cour d'écarter l'estimation quantitative du dommage découlant de ladite étude au motif que le principe du contradictoire n'a pas été respecté au cours de la séance devant l'Autorité.
272. Mais si, ainsi qu'il a été vu aux paragraphes 32 et suivants du présent arrêt, la violation avérée du principe du contradictoire lors de la procédure suivie devant l'Autorité a justifié l'annulation partielle de la décision attaquée, en revanche, la production de cette étude par l'Autorité au cours du présent recours a été faite dans le respect du contradictoire et des droits de la défense. De même, l'ensemble des notes en délibéré communiquées par les requérantes au cours du délibéré du collège à l'Autorité, à la suite du courrier électronique de son vice-président, ont été produites devant la cour. Il était donc loisible aux requérantes de produire toute pièce et développer toute analyse au soutien des critiques qu'elles pouvaient formuler à l'encontre de ladite étude, de sorte que rien ne justifie de l'écarter des débats.
273. Les sociétés Senagral, LNUF MDD, Novandie, MLC, Laïta et LSM ont également soumis chacune une étude économique tendant aux mêmes fins. Leurs résultats remettent en cause l'existence d'un effet des pratiques sur les prix. Seule l'étude produite par la société Novandie met en évidence un effet positif et significatif des pratiques sur les prix du yaourt MDD, limité à la première phase de l'entente et compris entre 3,7 % et 4,7 %.
274. Ces études divergent principalement sur le choix de la période contrefactuelle.
275. En premier lieu, s'agissant de la période antérieure aux pratiques, l'Autorité fait valoir qu'il existe un risque que des agissements concurrentiels se soient produits antérieurement à décembre 2006, ce qui, selon elle, disqualifie cette période comme période contrefactuelle.
276. Plusieurs requérantes (les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis, les sociétés Senagral et Senagral Holding, la société Novandie, la société MLC, la société Alsace Lait, la société Laïta, la société LHT) font au contraire valoir qu'il convient de choisir la période antérieure aux pratiques comme période contrefactuelle.
277. Selon elles, il ne serait pas acceptable d'écarter la période antérieure aux pratiques au seul motif qu'une réunion (non qualifiée de pratique anticoncurrentielle) se serait déroulée en 2002, alors que l'Autorité n'a finalement retenu aucune pratique condamnable pour cette période et qu'au surplus, le contrefactuel ne couvrirait que les seules années 2005-2006.
278. Les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis, ainsi que la société LHT soulignent en particulier que la notification des griefs a expressément relevé l'absence d'éléments matériels témoignant de la mise en œuvre des pratiques entre janvier 2002 et septembre 2006 (notification des griefs, § 565), constat réitéré au paragraphe 64 de la décision attaquée.
279. Les sociétés Senagral et Senagral Holding font valoir que, demandeurs de clémence de second rang, elles n'auraient pas manqué de fournir, si elles l'avaient pu, tous éléments non fournis par la société Yoplait de nature à établir que les pratiques avaient débuté avant 2006. Elles ajoutent que la période antérieure aux pratiques était une période au cours de laquelle les pratiques n'auraient eu aucune utilité, cette période n'étant marquée ni par une forte volatilité du prix du lait ni par les pratiques ensuite développées par la grande distribution.
280. Selon la société Novandie, le refus de prendre en compte la période antérieure aux pratiques comme période contrefactuelle au seul motif que les pratiques en cause auraient pu débuter avant la date du début des pratiques retenues par la notification des griefs, se heurte au principe fondamental de la présomption d'innocence et aboutit à renverser la charge de la preuve en imposant aux entreprises sanctionnées de prouver que les pratiques n'ont pas commencé avant décembre 2006.
281. La société LHT ajoute que, même en cas de doute sur l'existence de pratiques anticoncurrentielles pendant la période antérieure aux pratiques, il est tout à fait possible que cette période n'ait connu aucun comportement infractionnel, de sorte que le doute doit profiter aux entreprises poursuivies.
282. Toutes soulignent que la prise en compte comme contrefactuel de la période antérieure aux pratiques aboutit au constat d'une absence de surprix pendant la première phase de l'entente.
283. Mais, ainsi que le fait justement valoir l'Autorité, la société Yoplait, premier demandeur de clémence, a indiqué que l'entente avait débuté en 2002. Or un certain crédit a été donné à cette affirmation, d'une part, par les déclarations de la société Senagral, second demandeur de clémence, qui a expliqué que des " contacts ont pu avoir lieu avant fin 2006 ", même si cette société a précisé qu'ils " n'ont pas donné lieu à des échanges significatifs ", et qui a daté de septembre 2006 la première des réunions suivies, d'autre part, par l'établissement par les services d'instruction qu'une réunion s'était effectivement tenue le 31 janvier 2002 au cours de laquelle des informations sensibles avaient été échangées.
284. L'expérience démontrant que des ententes sont mises en œuvre y compris dans des secteurs qui ne sont pas en crise, l'argument des sociétés Senagral et Senagral Holding selon lequel les pratiques en cause auraient été sans utilité avant décembre 2006 doit être écarté.
285. Dès lors, même si l'enquête des services d'instruction ne leur a pas permis d'aboutir à la certitude qu'il y avait eu continuité des réunions entre 2002 et 2006, conduisant les rapporteurs à retenir le mois de décembre 2006 comme début des pratiques, la possibilité que les pratiques aient pu commencer plusieurs mois ou plusieurs années avant cette date ne peut être exclue.
286. Or l'analyse contrefactuelle consiste à comparer les évolutions de prix au cours de la période de commission des pratiques avec les évolutions au cours d'une période pendant laquelle il est certain qu'a joué une concurrence libre et non faussée.
287. Dans ces conditions, serait irrémédiablement privé de fiabilité le résultat d'une étude fondée sur une période contrefactuelle aussi incertaine que l'est en l'espèce la période antérieure aux pratiques.
288. C'est en vain que la société Novandie invoque une violation de la présomption d'innocence ainsi qu'un renversement de la charge de la preuve. D'une part, le refus de retenir la période antérieure aux pratiques comme période contrefactuelle n'a pas pour effet d'étendre la durée des pratiques reprochées pour lesquelles les requérantes ont été sanctionnées. D'autre part, toute analyse contrefactuelle supposant la détermination d'un certain nombre de paramètres, il est légitime de ne pas retenir comme période de référence une période dont il est soupçonné qu'elle a été affectée par des pratiques anticoncurrentielles, quand bien même les éléments de preuve réunis sont insuffisants pour envisager des poursuites.
289. La cour ajoute surabondamment qu'aux termes de l'étude économique produite par les rapporteurs, la prise en compte de la période antérieure aux pratiques comme période contrefactuelle aboutit néanmoins, dans le cadre de la méthode " avant-après ", à l'identification d'un surprix de 3,1 % au cours de la première phase de l'entente pour les yaourts et laits fermentés (note économique des services d'instruction, point 12, note 22), ce qui relativise l'affirmation des requérantes selon laquelle la prise en compte de la période antérieure aux pratiques aboutirait au constat d'une absence de surprix pendant la première phase de l'entente, même si la méthode " de la double différence " n'identifie, quant à elle, aucun surprix au cours de cette même phase (note économique produite par les rapporteurs, point 16, note 24).
290. En deuxième lieu, l'Autorité fait valoir qu'il y a lieu de retenir comme période contrefactuelle l'épisode dit de " guerre des prix ".
291. La plupart des requérantes considèrent au contraire que l'épisode de " guerre des prix " ne peut être retenu comme période contrefactuelle dès lors que, l'entente s'étant poursuivie au cours de cet épisode, il ne peut être considéré comme une période concurrentielle normale, ainsi que l'avaient initialement admis les rapporteurs (rapport, § 189).
292. Les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF et les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis ajoutent que le choix de l'épisode de " guerre des prix " comme période contrefactuelle serait contradictoire avec l'éventuel refus de la cour de le prendre en compte pour atténuer le dommage.
293. En outre, selon les sociétés Senagral, Laïta ainsi que LSM et SILL Entreprises, l'épisode de " guerre des prix " ne pourrait pas constituer un contrefactuel pertinent dès lors que les évolutions de prix observées lors de cet épisode ne reflétaient pas le fonctionnement concurrentiel du marché, ainsi que le démontrerait le fait que les prix du lait et ceux des yaourts sous MDF ont augmenté tandis que ceux des yaourts sous MDD ont baissé, ou encore la circonstance que la baisse des prix de gros a été de 3 % pendant ledit épisode par rapport aux prix observés pendant la période postérieure aux pratiques.
294. La société Laïta souligne que l'exclusion de l'épisode de " guerre des prix " de la période contrefactuelle conduit à identifier, avec la méthode " de la double différence ", un surprix de 5,8 % seulement pour la première phase de l'entente. Selon la société Senagral, une telle exclusion conduit à un surprix de 1,7 % avec la méthode " avant-après ", et de 2,3 % avec la méthode " de la double différence ".
295. Mais les rapporteurs ont souligné à juste titre, dans la note présentant leur analyse économique, que cet épisode n'apparaissait pas comme la mise en œuvre de représailles. De fait, à l'exclusion des sociétés LSM et SILL Entreprises, aucune requérante ne soutient le contraire, la plupart affirmant qu'il n'existait aucune police de l'entente ou politique de représailles.
296. Ainsi, si l'épisode de " guerre des prix " a été initié par la politique de prix agressifs de la société Novandie et par les tentatives de la société Senagral de reconstituer les volumes perdus, il a ensuite répondu aux demandes d'alignement à la baisse des prix par les distributeurs. Partant, les prix pratiqués au cours de cet épisode ne peuvent être suspectés d'être inférieurs à ceux qui auraient été pratiqués sous la seule pression du jeu concurrentiel - ce qui aurait exclu d'utiliser ledit épisode comme période de référence -, mais apparaissent au contraire comme des prix concurrentiels, même s'il y a lieu de constater que la concurrence a été d'une particulière intensité pendant ledit épisode.
297. Vainement les sociétés Senagral et Senagral Holding ainsi que Laïta font-elles valoir que l'épisode de " guerre des prix " n'est pas représentatif de prix concurrentiels. En effet, le choix de la société Novandie de pratiquer des prix agressifs procédait d'une analyse économique rationnelle, cette société ayant cherché à gagner des volumes pour rentabiliser un nouveau site de production ouvert en 2007 (décision attaquée, § 154), et ce n'est que par voie de conséquence que les autres entreprises ont été obligées de s'aligner.
298. Au demeurant, l'étude économique produite par la société Novandie met en évidence que les marges sur coûts variables réalisées par cette société pendant l'épisode de " guerre des prix " - toutes activités confondues, il est vrai - ne sont pas inférieures à celles réalisées postérieurement à celle-ci.
299. Reflétant donc un retour temporaire à des prix concurrentiels, l'épisode de " guerre des prix " correspond à un contrefactuel pertinent, particulièrement vis-à-vis de la première phase de l'entente, compte tenu de sa proximité temporelle avec elle.
300. Certes, l'entente s'est poursuivie au cours de l'épisode de " guerre des prix ", mais, ainsi que le fait valoir l'Autorité, à supposer que les pratiques y aient eu un impact sur les prix, le choix de cet épisode comme période contrefactuelle ne peut qu'aboutir à une sous-estimation de l'éventuel surprix.
301. Quant à l'éventuel refus de la cour de prendre l'épisode de " guerre des prix " en compte pour atténuer le dommage, la cour relève que l'absence de surprix au cours de cet épisode a été expressément constatée dans l'étude économique produite par les rapporteurs, et n'est pas contestée par l'Autorité dans le cadre du présent recours, ce qui constitue un élément atténuant l'importance du dommage à l'économie, comparé à l'hypothèse où un surprix aurait été constaté entre septembre 2009 et juin 2010.
302. En dernier lieu, les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis, la société MLC ainsi que la société Alsace Lait contestent le choix de prendre la période postérieure aux pratiques comme période contrefactuelle aux fins d'apprécier l'existence d'un dommage à l'économie au cours de la première phase de l'entente, compte tenu de leur éloignement temporel.
303. En outre, selon les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF ainsi que les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis, la période postérieure aux pratiques est marquée, d'une part, par l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, qui a eu pour effet de faire diminuer le prix des MDF et, d'autre part, par une guerre des prix entre enseignes de la grande et moyenne distribution, qui a renforcé cet effet déflationniste. Dès lors, il existerait un risque que les évolutions de prix, sur la période postérieure aux pratiques, s'expliquent par des facteurs conjoncturels et exogènes, sans rapport avec l'arrêt des pratiques poursuivies.
304. Selon la société MLC, l'intervention de l'Etat en 2013 en vue d'obtenir une revalorisation du prix à la production de lait, aurait eu pour effet de limiter la négociation sur le prix du lait et, partant, aurait fragilisé la position des industriels - spécialement les coopératives laitières -, en accentuant encore l'effet de tenailles entre un marché amont bénéficiant des mesures gouvernementales de rééquilibrage et un marché aval marqué par la puissance des distributeurs, et interdirait toute comparaison avec la période couverte par les pratiques.
305. Mais ces objections ne sauraient remettre en cause le choix de cette période, succédant immédiatement aux pratiques, comme période contrefactuelle.
306. D'une part, les dispositions pertinentes de la loi du 4 août 2008 (articles 21 et 93) sont entrées en vigueur en 2008, et se sont appliquées au plus tard aux contrats conclus à compter du 1 janvier 2009, soit au cours de la première phase de l'entente. Au demeurant, l'impact qu'ont pu avoir ces dispositions sur l'évolution des prix des produits laitiers sous MDF n'est pas en mesure d'affecter les résultats obtenus par la méthode " avant-après ", mise en œuvre dans l'étude économique produite par les rapporteurs.
307. D'autre part, le secteur des produits laitiers frais sous MDD comme celui de ces mêmes produits sous MDF ayant pareillement subi les éventuelles modifications dans les relations entre acteurs de la filière lait consécutives à l'intervention des pouvoirs publics, en 2013, comme - à la supposer établie - la guerre des prix entre distributeurs, ces deux facteurs ne sont pas de nature à remettre en cause le choix de la période postérieure aux pratiques comme période contrefactuelle dans le cadre de la méthode " de la double différence ", également mise en œuvre dans l'étude économique produite par les rapporteurs, fondée sur le choix du secteur des produits laitiers frais sous MDF comme groupe de contrôle.
308. Dès lors, la cour considère qu'il y a lieu de privilégier l'étude économique produite par les rapporteurs, comme étant la mieux à même d'apprécier la réalité et de quantifier du dommage causé à l'économie, puisque cette étude est la seule à prendre pour période contrefactuelle à la fois l'épisode de " guerre des prix " et la période postérieure aux pratiques, en écartant la période antérieure aux pratiques.
309. Plusieurs autres raisons justifient de retenir prioritairement l'étude économique produite par les rapporteurs.
310. Premièrement, ainsi que la cour l'a souligné au paragraphe 164 du présent arrêt, la durée de participation aux pratiques objets du grief n° 1, du 6 décembre 2006 au 9 février 2012, constitue une période continue, qui englobe celles durant lesquelles les ententes visées par le grief n° 2 ont été mises en œuvre.
311. Cette période est néanmoins séparée en deux phases distinctes par l'épisode dit de " guerre des prix ", lequel à la fois correspond à une interruption des pratiques objet du grief n° 2 et a joué un rôle important dans l'évolution des prix.
312. Dans ces circonstances très particulières, la cour juge pertinent, aux fins de déterminer l'existence d'un dommage causé à l'économie et, le cas échéant, son importance, de procéder à une appréciation distinguant, d'une part, la première phase de l'entente (de décembre 2006 à septembre 2009), d'autre part, la seconde phase de l'entente (de juin 2010 à février 2012), l'épisode de " guerre des prix " (septembre 2009-juin 2010), marqué par le rétablissement d'une concurrence par les prix, n'apparaissant quant à lui pas concerné par la recherche d'un surprix.
313. Or, à la différence des études économiques produites par les sociétés Senagral, LNUF MDD et Laïta, celle produite par les rapporteurs opère une telle distinction.
314. Deuxièmement, ainsi que le fait valoir l'Autorité, certaines des données de prix analysées par plusieurs études économiques produites par les requérantes ne sont pas pertinentes pour apprécier le dommage causé à l'économie. En particulier, les sociétés Senagral, Laïta et LSM analysent leurs propres prix de vente sans référence aux prix pratiqués par leurs concurrents mis en cause ou sur l'ensemble du marché affecté. Or, le dommage causé à l'économie par une pratique anticoncurrentielle s'apprécie de façon globale. C'est ainsi, par exemple, que les prix de la société Senagral ne peuvent être considérés comme représentatifs des prix pratiqués sur l'ensemble du marché puisque cette entreprise n'en représente que 30 %.
315. Troisièmement, les analyses figurant dans les études économétriques produites par les sociétés LNUF MDD, Laïta et LSM ne portent pas sur la totalité de la période de commission des pratiques, ce qui ne peut qu'affaiblir la fiabilité de leurs résultats. C'est ainsi que l'étude soumise par la société LNUF MDD ne couvre que la période allant d'octobre 2010 à la fin des pratiques.
316. Enfin, quatrièmement, l'analyse du dommage à l'économie sur la seule base des prix de détail, telle que proposée par les sociétés LNUF MDD et Novandie, ne permet pas non plus d'identifier le surprix causé par les pratiques dénoncées, lesquelles ont porté sur les prix négociés par les fabricants avec les distributeurs. Les comportements des distributeurs peuvent influencer le surprix mesuré au stade du détail, soit à la hausse (par exemple, si les distributeurs accroissent leurs marges de détail pendant les pratiques), soit à la baisse (s'ils diminuent leurs marges de détail pendant les pratiques). Comme le souligne l'étude économique soumise par la société Novandie (p. 26), " l'étude des prix de vente aux consommateurs ne peut donc refléter que de manière très imparfaite l'impact des pratiques [...] ".
317. Les résultats des études présentées par les sociétés Laïta, LSM, Senagral, Novandie et LNUF MDD ne peuvent donc être utilement retenues pour tenter de quantifier, ce que la cour n'est d'ailleurs pas tenue de faire, le dommage à l'économie causé par les pratiques.
318. A l'inverse, l'étude économique réalisée par les rapporteurs analyse les prix de gros agrégés sur la totalité de la période de commission des pratiques, et appréciant le dommage à l'économie pour chacune des phases qui se partagent cette période.
319. L'étude économique produite par les rapporteurs emploie les indices INSEE de prix à la production sur le marché français des yaourts et laits fermentés vendus sous MDD et identifie, pour la première phase de l'entente (de décembre 2006 à septembre 2009) un surprix causé par les pratiques compris entre 5,7 et 10 % dans le cadre de la méthode " avant-après " et entre 5,8 et 8,7 % dans le cadre de la méthode " de la double différence ", mais conclut en revanche à l'absence de surprix pendant l'épisode de " guerre des prix " (septembre 2009-juin 2010) ainsi que pendant la seconde phase de l'entente (de juin 2010 à février 2012).
320. Plusieurs requérantes contestent toutefois la fiabilité et la robustesse de cette étude.
321. En premier lieu, pour expliquer les variations de prix, l'étude produite par les rapporteurs prend en compte, outre le prix du lait, principal intrant, le prix du sucre ainsi que le coût du transport, alternativement celui du carton (note économique produite par les rapporteurs, §§ 7 et 12 et note 8).
322. Les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF ainsi que les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis font valoir que le choix fait dans cette étude de retenir un impact du coût du transport et du prix du sucre très supérieur à celui du prix du lait ne correspond pas à la réalité des coûts de production des produits laitiers frais et prive les résultats obtenus de fiabilité.
323. De même, les sociétés Senagral et Laïta soutiennent que ladite étude postule que les évolutions du prix des yaourts sont davantage déterminées par les prix du carton ou ceux du transport, qui pèsent respectivement moins de 2 % et moins de 7 % des coûts, que par le prix du lait, qui représente 30 à 35 % des coûts, ce qui en démontre le manque de fiabilité.
324. Mais, d'une part, le prix du lait représentant, ainsi qu'indiqué au paragraphe précédent, 30 à 35 % du coût de production des yaourts, les coûts de production autre que le prix du lait en constituent de 65 à 70 %. Il n'y a donc a priori rien d'anormal à ce que la variation du coût des intrants autres que le lait - prix du sucre, du plastique, du carton, coût du travail de l'électricité et du transport - explique les deux tiers des variations des prix à la production des produits laitiers frais.
325. D'autre part, il a été fait le choix, dans l'étude produite par les rapporteurs, d'extrapoler les variations du coût du transport ou, alternativement, de celles du prix du carton, pour déterminer les variations du coût de l'ensemble des intrants, hors prix du lait et du sucre. La cour relève, à cet égard, que le constat selon lequel, en dehors des prix du lait et du sucre, il existe une corrélation importante entre la plupart des variables de coût comme le travail, le plastique, le carton l'électricité et le transport, autorisant cette extrapolation, n'a été contesté par aucune des requérantes, ce constat ayant au demeurant été fait dans l'étude économique produite par la société MLC.
326. Dès lors, ainsi que le fait valoir l'Autorité dans ses observations, le coefficient estimé pour la variable du coût du transport/du carton ne mesure pas seulement l'impact de cette variable mais également celle des autres paramètres de coût, hors lait et sucre.
327. Dans ces conditions, prétendre, comme le font les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis, les sociétés Senagral et Senagral Holding ainsi que la société Laïta, que l'étude économique produite par les rapporteurs surévaluerait la part que représente le coût des intrants, autres que le lait, dans les coûts de production procède d'une compréhension erronée de cette étude.
328. La cour ajoute qu'une analyse omettant de tenir compte des évolutions de coût de ces autres intrants apparaîtrait bien davantage sujette à critiques que le choix, fait dans l'étude économique produite par les rapporteurs, de les prendre en considération.
329. L'argumentation des requérantes sera écartée.
330. En deuxième lieu, dans l'étude économique produite par les rapporteurs (§ 10), a été envisagée l'hypothèse d'un " effet de persistance temporaire " des pratiques après leur cessation, et sa neutralisation par l'intégration d'un délai de dix mois entre la fin de l'entente (février 2012) et la période contrefactuelle retenue.
331. Les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF ainsi que les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis font valoir que c'est à tort qu'ont été pris en compte d'hypothétiques effets d'inertie, alors que, au paragraphe 27 de la décision attaquée, l'Autorité a relevé que les distributeurs disposent de toute latitude pour décider des modalités d'organisation des appels d'offres telles que la fréquence des consultations, le regroupement ou, au contraire, la segmentation des produits concernés, la durée des contrats et leur degré de formalisme, et qu'il existe une variation permanente de ces modalités.
332. La société Senagral ajoute que, puisqu'aucun surprix n'a pu être identifié sur une période allant de septembre 2009 à février 2012, il n'y avait pas lieu d'appliquer un effet d'inertie de dix mois conduisant à écarter de l'analyse contrefactuelle la période de mars à décembre 2012. Elle fait encore valoir que la chute rapide des prix pendant l'épisode de " guerre des prix " suffit à démontrer l'absence d'effet d'inertie.
333. Mais, afin de tenir compte des incertitudes concernant d'éventuels effets d'inertie après la fin des pratiques, l'étude économique produite par les rapporteurs a étudié deux modèles différents, l'un dans lequel un effet d'inertie de dix mois était pris en compte, l'autre dans lequel aucun effet d'inertie n'était retenu (§ 10). Or l'un et l'autre modèle ont abouti à l'identification d'un surprix du même ordre de grandeur, et ce tant avec la méthode " avant-après " qu'avec la méthode " de la double différence " (§§ 12 et 16).
334. Partant, même à supposer établie l'absence d'effets d'inertie, les résultats de l'étude économique produite par les rapporteurs n'en restent pas moins pertinents.
335. La cour ajoute que, la note produite par les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF au cours du délibéré du collège de l'Autorité, qui comporte une analyse économique du cabinet Compass Lexecon, aboutit également, pour la première phase de l'entente, à un surprix de 7,9 % avec la méthode " avant-après " et de 8,6 % avec la méthode " de la double différence " dans l'hypothèse où aucun effet d'inertie n'est pris en compte, soit un surprix du même ordre de grandeur que celui retenu dans l'étude économique produite par les rapporteurs.
336. En troisième lieu, la société Alsace Lait soutient que le segment des yaourts et laits fermentés sous MDF ne constitue pas un contrefactuel pertinent pour apprécier un éventuel dommage à l'économie, de sorte que les résultats de l'étude économique produite par les rapporteurs obtenus avec la méthode " de la double différence " sont sans valeur.
337. Mais la cour constate que le choix du secteur des yaourts et laits fermentés sous MDF est au contraire particulièrement pertinent dans la mesure où les variations de coût et de demande apparaissent similaires entre ce secteur et celui des mêmes produits sous MDD. A cet égard, la circonstance que, pendant la période de " guerre des prix ", le prix des yaourts sous MDF ait augmenté tandis que celui des yaourts sous MDD a diminué ne saurait infirmer ce constat, alors que ces différences s'expliquent par le fait que la politique de conquête de volumes par la baisse des prix, initiée par la société Novandie, a été cantonnée au secteur des MDD.
338. La cour relève au demeurant que les études produites par les sociétés MLC et LSM ont, dans le cadre de la méthode " de la double différence ", retenu les yaourts et laits fermentés sous MDF comme groupe de contrôle.
339. En quatrième lieu, ainsi qu'il a été relevé, l'étude économique produite par les rapporteurs aboutit à l'identification d'un surprix significatif - compris entre 6 % et 9 % - au cours de la première phase de l'entente, mais à l'absence de surprix pendant l'épisode de " guerre des prix " et au cours de la seconde phase.
340. Plusieurs requérantes (les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis, la société Laïta, la société Alsace Lait, les sociétés LSM et SILL Entreprises) font valoir que ces résultats sont incohérents et démontrent le manque de fiabilité de cette étude.
341. Selon ces entreprises, d'une part, le fort déséquilibre entre industriels et distributeurs, et partant la difficulté à répercuter sur les seconds les variations des prix des matières premières, sont restés constants pendant toute la durée de l'entente. D'autre part, c'est pendant la seconde phase de l'entente qu'ont été commises les infractions les plus à même de produire un dommage à l'économie. Dès lors, l'analyse aurait dû aboutir au constat d'un surprix plus important pendant la seconde phase, ou à tout le moins au constat d'un surprix constant au cours de l'une et l'autre phase.
342. La cour constate que, si les pratiques constitutives tant du grief n° 1 que de la première branche du grief n° 2 (accords sur les hausses de prix) se sont déployées au cours tant de la première phase que de la seconde phase de l'entente, les deuxième et troisième branches du grief n° 2 (accord sur le gel des volumes et accord sur les prix en appel d'offres) se sont uniquement déroulées au cours de la seconde phase.
343. Mais, d'abord, il y a lieu de constater que le prix à la production du lait, après avoir connu une forte progression en 2007 et au cours du premier semestre 2008, a subi une très importante baisse jusqu'en avril 2009 (prix du lait payé aux producteurs inférieur de 30 % à ce qu'il était en avril 2008), avant de recommencer à monter. À l'inverse, le prix à la production du lait a connu une progression continue pendant la totalité de la seconde phase de l'entente (décision attaquée, § 21).
344. L'ensemble des parties s'accordant sur le fait que le lait est le principal intrant dans la fabrication de produits laitiers et le poste de coût prépondérant pour les industriels (représentant en moyenne 35 % des coûts de production, selon les observations de la société Senagral, reproduites au paragraphe 176 du rapport), la plus grande volatilité du prix à la production du lait au cours de la première phase de l'entente rend difficile toute comparaison des résultats de l'analyse économique concernant les deux phases de l'entente.
345. De plus, la seconde phase de l'entente a succédé à l'épisode de " guerre des prix ", c'est-à-dire un épisode de forte concurrence par les prix entre fabricants ce qui constitue une explication plausible de l'absence de surprix pendant la seconde phase, la société Novandie ayant notamment souligné que les conséquences de l'épisode de " guerre des prix " se sont prolongées bien au-delà du mois de juin 2010.
346. Ensuite, la relative brièveté des pratiques objets du grief n° 2 suffit à expliquer qu'elles n'aient pu produire tous leurs effets lors de la seconde phase de l'entente.
347. En effet, si l'épisode de " guerre des prix " s'est terminé en juin 2010, c'est uniquement lors de la réunion du 4 janvier 2011 que les souhaits de hausse des prix ont été émis par les industriels, ceux-ci s'accordant sur une mise en œuvre à compter du 1er mars 2011, soit moins d'un an avant la fin des pratiques (décision attaquée, §§ 103 à 106). Quant à la seconde hausse des prix, elle n'a été convenue que lors de la réunion du 22 juin 2011, avec une mise en œuvre prévue à compter du 1er octobre 2011, soit moins de cinq mois avant la fin des pratiques (décision attaquée, § 113). De même, c'est seulement lors de la réunion du 4 janvier 2011 qu'a été convenu un gel total des volumes, les entreprises s'engageant à ne pas essayer de prendre des volumes des autres.
348. Enfin, si les infractions les plus graves, c'est-à-dire celles pour lesquelles l'expérience et la théorie enseignent qu'elles sont le plus susceptibles de causer un dommage à l'économie, sont, en règle générale, celles qui causent le dommage le plus grand, les données disponibles ne permettent pas toujours de le mettre en évidence quantitativement.
349. Dès lors, le fait que deux des branches du grief n° 2 (accord sur le gel des volumes et accord sur les prix des produits objets des appels d'offres) se sont uniquement déroulés au cours de la seconde phase de l'entente, ne suffit pas à conclure à l'incohérence du résultat de l'analyse économique produite par les rapporteurs.
350. Une telle conclusion apparaît d'autant moins recevable que le constat d'un effet des pratiques plus marqué pendant la première phase de l'entente est partagé par trois des six études économiques soumises par les parties (études produites par les sociétés Novandie, MLC et LSM).
351. En cinquième lieu, les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF ainsi que les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis font valoir que les services d'instruction n'ont pas été en mesure de démontrer l'existence d'un quelconque surprix au niveau des prix de détail. Cette circonstance rend, selon elles, peu vraisemblable l'identification d'un surprix compris entre 6 % et 10 % au niveau des prix de gros au cours de la première phase de l'entente, car il serait douteux que les distributeurs aient absorbé la totalité du prétendu surprix sur les prix de gros, sans en répercuter, ne serait-ce qu'une partie, au niveau des prix de détail. Les requérantes en concluent que l'absence de surprix identifié au niveau des prix de détail démontre que le surprix au niveau des prix de gros a été soit inexistant, soit extrêmement limité.
352. Mais, d'une part, il est constant qu'entre mi-2009 et la fin de l'année 2010 (épisode de " guerre des prix "), puis entre mi-2012 et fin 2013 (période postérieure à la fin des pratiques), deux périodes caractérisées par un retour à un marché plus concurrentiel, les prix à la consommation ont décru de 5 %, alors même que le prix du lait augmentait de 20 %.
353. Les rapporteurs ont constaté, sans que les requérantes le contestent, que cette baisse s'expliquait, non par une diminution des marges des distributeurs, restées stables ou en hausse, mais par une contraction des marges des industriels (rapport, §§ 190 et 191).
354. A la lumière de ces données, il est envisageable qu'au cours de la première phase de l'entente, pendant laquelle une telle baisse des prix de détail n'est pas constatée, les pratiques incriminées, en prévenant une baisse des prix de gros, aient conduit à une absence de baisse des prix pour les consommateurs finaux, c'est-à-dire à un surprix au niveau des prix de détail. Telle est d'ailleurs l'analyse suivie par les rapporteurs (rapport, § 193), et à laquelle ils n'ont pas renoncé, nonobstant le recours, lors de la séance du collège, à une étude fondée, quant à elle, sur la recherche d'un surprix au niveau des produits de gros.
355. D'autre part, et en tout état de cause, ainsi qu'il a déjà été relevé, les produits laitiers sont destinés à la consommation humaine, font partie du régime alimentaire de base en France, et n'ont pas de nombreux substituts. La GMS se doit donc de les proposer à leur clientèle.
Par ailleurs, les produits laitiers frais sous MDD constituant l'essentiel du segment d'entrée de gamme de ces produits, ils sont des produits d'appel destinés à attirer la clientèle dans les grandes et moyennes surfaces des distributeurs.
356. Dans ces conditions, même à supposer qu'aucun surprix ne puisse être constaté au niveau des prix de détail pendant la première phase de l'entente, il est vraisemblable, et à tout le moins possible, que les distributeurs, eux-mêmes engagés dans une intense concurrence, aient fait le choix d'absorber dans leurs marges la totalité des hausses du prix de gros des produits laitiers sous MDD, fussent-elles comprises entre 6 % et 10 %, pendant un certain délai. A cet égard, la cour rappelle que la première phase de l'entente a duré moins de trois ans.
357. La cour ajoute que, contrairement à ce que soutiennent les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF (mémoire récapitulatif, page 108), il ne ressort nullement du rapport que les marges des distributeurs seraient restées relativement stables ou en hausse au cours de la première phase de l'entente.
358. Partant, l'absence de surprix au niveau des prix de détail ne permettrait pas d'exclure l'existence d'un surprix au niveau des produits de gros.
359. En sixième lieu, les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis ainsi que les sociétés MLC, Alsace Lait, Laïta et LHT font valoir que l'étude économique produite par les rapporteurs repose sur un indice INSEE des prix de gros agrégés ne concernant que les seuls yaourts et laits fermentés. Selon elles, cette étude n'apporte donc aucun éclairage sur les éventuels effets des pratiques sur les autres produits laitiers frais sous MDD (desserts lactés, fromages frais et crèmes fraîches).
360. Faute de viser la totalité des produits concernés par les pratiques, ladite étude ne permettrait pas d'étudier de façon fiable l'impact de ces pratiques. Les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis, la société MLC et la société Alsace Lait concluent qu'en l'absence de preuves d'éventuels effets des pratiques sur les desserts lactés, les fromages frais et les crèmes fraîches, l'Autorité n'est pas fondée à conclure à l'existence d'un dommage significatif.
361. A cet égard, il est constant que des données agrégées n'existent pas pour les produits laitiers frais sous MDD autres que les yaourts et les laits fermentés. Il ne saurait donc être reproché à l'étude économique produite par les rapporteurs de s'être fondée sur l'indice INSEE des prix de gros agrégés des seuls yaourts et laits fermentés.
362. Par ailleurs, les yaourts et laits fermentés représentant près de 40 % de la dépense des ménages en produits laitiers frais, soit la catégorie la plus importante de ces produits (note économique produite par les rapporteurs, § 6), cette étude apparaît, dans ces circonstances, très utile pour apprécier l'existence d'un dommage à l'économie et tenter de le quantifier.
363. Plusieurs des études produites par les requérantes reposent d'ailleurs sur le même indice INSEE. Il peut être notamment relevé que la société Senagral, soulignant que les négociations de prix avaient lieu aux mêmes périodes pour les différentes catégories de produits sous MDD et suivaient les mêmes tendances, et rappelant que les yaourts et laits fermentés représentent entre 40 % et 50 % en volume du marché des produits laitiers frais sous MDD, fait valoir qu'une étude fondée sur ces seuls produits est pertinente.
364. La cour ajoute que, même en excluant tout surprix pour les desserts lactés, fromages frais et crèmes fraîches, l'existence d'un surprix compris entre 6 % et 10 % sur les yaourts et laits fermentés, produits représentant près de 40 % en valeur du marché des produits laitiers frais sous MDD, est loin d'être négligeable et suffit à conclure à l'existence d'un dommage certain à l'économie au cours de la première phase de l'entente.
365. Quant au fait, invoqué par plusieurs requérantes, que les résultats de l'étude économique produite par les rapporteurs ne leur seraient pas opposables, au motif qu'elles ne produisent pas de yaourts ou de laits fermentés (société Lactalis B&C, MLC, Alsace Lait et LHT), ou que la part de ces produits dans leur production est faible (société Laïta), la cour rappelle qu'au stade de la détermination du montant de base de la sanction, elle n'a pas à tenir compte des circonstances propres à chaque entreprise partie à l'entente, mais procède à une appréciation globale de la gravité des pratiques et de l'importance du dommage qu'elles ont pu causer à l'économie.
366. Pour autant, il est exact que les segments du marché des produits laitiers se différencient en fonction de l'identité des acteurs présents et de leur nombre, puisque les industriels ne produisent pas tous l'ensemble des produits laitiers frais. Il s'ensuit que les conditions d'exercice de la concurrence, et par voie de conséquence l'impact des pratiques, peuvent varier selon le segment du marché étudié. Par ailleurs, le premier enjeu des pratiques ayant été de répercuter les variations du prix à la production du lait, principal intrant, la circonstance que la part du prix du lait dans les coûts de production varie selon le segment considéré (selon les observations de la société Senagral, reproduites au paragraphe 176 du rapport, cette part est de 20 à 30 % pour les desserts lactés et de 50 à 60 % pour les fromages frais ; selon les conclusions de cette même société devant la cour, elle de 30 à 35 % pour les yaourts) est également de nature à entraîner un effet des pratiques différent selon le segment du marché étudié. Il en va a fortiori de même, ainsi que le fait valoir la société LHT, pour les faisselles au lait de chèvre qu'elle produit.
367. Dès lors, ainsi que l'Autorité l'a d'ailleurs reconnu au paragraphe 178 de ses observations, la représentativité du surprix identifié pour les yaourts et les laits fermentés par rapport aux autres produits laitiers frais est incertaine et est difficilement extrapolable à ces derniers.
368. Par conséquent, il y a lieu de constater que la limitation au seul segment des yaourts et laits fermentés de l'étude économique produite par les rapporteurs interdit de conclure avec certitude à l'existence d'un surprix sur les segments des desserts lactés, des crèmes fraîches et des fromages frais. Il en sera tiré les conséquences dans les développements qui suivent.
369. Enfin, en septième et dernier lieu, les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, Lactalis B&C et Groupe Lactalis, Alsace Lait, LHT ainsi que LSM et SILL Entreprises font valoir que la période postérieure aux pratiques est temporellement très éloignée de la première phase de l'entente, de sorte que le choix de cette période comme période contrefactuelle prive l'étude économique produite par les rapporteurs de fiabilité et de robustesse.
370. De même, selon la société Alsace Lait, le choix d'écarter la période antérieure aux pratiques et de privilégier la période postérieure, a eu pour effet que l'analyse du dommage causé à l'économie figurant dans ladite étude a été réalisée sur un faible nombre de données, eu égard à la brièveté de la période postérieure aux pratiques.
371. A cet égard, d'une part, il est vrai que plus les périodes comparées sont éloignées, moins leur comparabilité est pertinente et plus le risque augmente que les évolutions de prix constatées puissent s'expliquer par des facteurs indépendants des pratiques.
372. Mais, en l'espèce, l'écart entre la première phase de l'entente et la période postérieure aux pratiques, n'est que de deux ans et demi. Par ailleurs, a également retenu comme période contrefactuelle l'épisode de " guerre des prix ", qui a immédiatement suivi la fin de la première phase de l'entente.
373. En outre, l'importance du surprix identifié tant par la méthode " avant-après " que par la méthode " de la double différence " permet de conclure à la robustesse du constat d'un surprix pendant la première phase de l'entente, même si le pourcentage identifié peut être questionné. Conforte encore cette conclusion le tableau 6 figurant dans l'étude produite par la société Senagral, d'où il ressort que l'évolution à la hausse des prix de gros des yaourts et laits fermentés MDD a été plus rapide et l'évolution à la baisse des même prix plus lente au cours de la première phase de l'entente que celles des prix de gros des yaourts et laits fermentés MDF, ce qui accrédite le résultat d'un surprix significatif au cours de ladite phase obtenu avec la méthode " de la double différence " par l'étude économique produite par les rapporteurs.
374. Dans ces conditions, la cour considère qu'il n'y a pas lieu de remettre en cause la pertinence des résultats de l'étude économique produite par les rapporteurs concernant la première phase de l'entente.
375. D'autre part, l'épisode de " guerre des prix " et la période postérieure à l'entente présentent une durée suffisante pour que leur prise en compte comme période contrefactuelle fournisse des éléments de comparaison en nombre suffisant.
376. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, la cour constate qu'aucun des paramètres sur lesquels est bâtie l'étude économique produite par les rapporteurs ne la disqualifie et que cette étude permet de conclure à l'existence d'un surprix certain compris entre 5,7 % et 10 %, mais limité au seul segment des yaourts et laits fermentés et uniquement au cours de la première phase de l'entente et à l'absence vraisemblable de surprix au cours de l'épisode de " guerre des prix " et de la seconde phase de l'entente.
377. Mais, même si aucune des études économiques, y compris celle produite par les rapporteurs, n'est parvenue à identifier un surprix significatif à compter de septembre 2009 et jusqu'à la fin de l'entente - seules les études produites par les sociétés MLC et LSM ayant identifié un surprix, mais non significatif -, l'identification d'un surprix au cours de la première phase conforte le constat, qui se déduit de l'analyse qualitative, de l'existence d'un dommage certain à l'économie causé par l'entente.
c. Conclusion sur la proportion de la valeur des ventes à prendre en compte
378. Aux termes du point 40 du communiqué sanctions, " [l]a proportion de la valeur des ventes [...] que l'Autorité retient au cas par cas en considération de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, est comprise entre 0 et 30 % ".
379. Il est ajouté, au point 41 du même communiqué : " Sous réserve du point 7 ci-dessus [possibilité pour l'Autorité de s'écarter du communiqué sanctions, à condition de motiver sa décision], cette proportion est comprise entre 15 et 30 % dans le cas des accords horizontaux entre concurrents ayant pour objet une fixation des prix, une répartition des marchés ou des clients, ou encore une limitation de la production, en fonction de l'importance du dommage qu'ils causent à l'économie. En effet, ces pratiques [...] se rangent par leur nature même parmi les infractions les plus graves aux règles de concurrence [...] Il pourra en être de même dans le cas d'autres pratiques anticoncurrentielles d'une gravité particulière. "
380. Il doit être noté qu'une règle similaire figure au point 25 des lignes directrices de la Commission, aux termes duquel, " indépendamment de la durée de la participation d'une entreprise à l'infraction, la Commission inclura dans le montant de base une somme comprise entre 15 % et 25 % de la valeur des ventes [...] afin de dissuader les entreprises de même participer à des accords horizontaux de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production " et que les juridictions de l'Union ont à plusieurs reprises approuvé sa mise en œuvre par la Commission.
381. La cour juge qu'une telle règle, en informant les entreprises tentées de se livrer aux infractions les plus graves aux règles de concurrence, qu'elles encourent une sanction sévère, quelles que soient la réalité et l'importance du dommage à l'économie, poursuit un légitime objectif de dissuasion. Par ailleurs, elle ne porte pas atteinte au principe d'individualisation des peines, puisque, d'une part, conformément au point 7 du communiqué sanctions, l'Autorité peut toujours fixer une proportion de la valeur des ventes inférieure à 15 % lorsque les circonstances particulières ou les raisons d'intérêt général le justifient et, d'autre part, il est ensuite procédé à l'individualisation des sanctions en fonction de la situation propre à chaque entreprise.
382. La cour considérant qu'en présence d'accords horizontaux de fixation de prix, de répartition de marché ou de limitation de production, une proportion d'au moins 15 % de la valeur des ventes est justifiée au regard de la seule gravité des pratiques, il n'y a lieu pour elle de fixer une proportion de la valeur des ventes inférieure à ce pourcentage que si des circonstances particulières ou des raisons d'intérêt général le justifient, lesquelles ne peuvent en tout état de cause résulter du fait que les pratiques en cause n'auraient pas causé de dommage à l'économie.
383. De telles circonstances particulières ou raisons d'intérêt général font défaut en l'espèce.
384. D'une part, il convient de rappeler l'ampleur des pratiques, affectant 90 % du marché français des produits laitiers frais sous MDD - ceux-ci représentant 50 % en volume d'un marché lui-même très important, puisqu'en 2013 les ventes de produits laitiers frais en grandes surfaces alimentaires ont représenté environ 5 milliards d'euros - leur durée, plus de cinq ans (voir ci-après), et leur caractère secret.
385. D'autre part, ainsi qu'il a été déjà relevé, les caractéristiques du secteur et les difficultés qui en découlent pour les fabricants de produits laitiers frais sous MDD ne sauraient influer sur le constat que les pratiques en cause sont, les unes, d'une particulière gravité, les autres, les infractions les plus graves aux règles de concurrence. Quant à la fragilité économique des entreprises impliquées dans l'entente, elle doit être prise en compte, le cas échéant, au stade des ajustements finaux, au travers de la prise en considération de leurs difficultés contributives.
386. Dès lors, la proportion de la valeur des ventes à prendre en compte ne saurait être inférieure à 15 % en l'espèce.
387. L'Autorité demande à la cour de retenir une proportion à 16 %, ainsi qu'elle l'a fait dans la décision attaquée.
388. Toutefois, à la lumière de l'ensemble des considérations qui précèdent, et notamment des barrières à l'entrée modérées et du très fort contre-pouvoir des distributeurs, rendant incertain que les objectifs de l'entente aient pu être pleinement atteints - ce que confirme le résultat des études économiques, dont il ressort qu'un surprix n'a été identifié que pour la première phase de l'entente, représentant environ la moitié de la durée totale de l'entente, et pour les seuls yaourts et laits fermentés, représentant environ 40 % en valeur du marché affecté par l'entente -, la cour considère qu'un pourcentage de 15 % suffit à refléter tant la gravité des pratiques que l'importance du dommage causé à l'économie.
4. Sur la prise en compte de la durée des pratiques
389. Aux termes du point 42 du communiqué sanctions, dans le cas des infractions qui se sont prolongées plus d'une année, leur durée est prise en considération selon les méthodes suivantes. La proportion de la valeur des ventes retenue est appliquée, au titre de la première année complète de participation de chaque entreprise ou organisme en cause à l'infraction, à la valeur des ventes réalisées pendant l'exercice comptable de référence, et, au titre de chacune des années suivantes, à la moitié de cette valeur. Au-delà de la dernière année complète de participation à l'infraction, la période restante est prise en compte au mois près, dans la mesure où les éléments du dossier le permettent.
390. Cette méthode se traduit par un coefficient multiplicateur, défini proportionnellement à la durée individuelle de participation de chacune des entreprises aux pratiques et appliqué à la proportion de la valeur des ventes effectuées par chacune d'entre elles pendant l'exercice comptable retenu comme référence.
391. Afin de garantir l'individualisation et la proportionnalité des sanctions en l'espèce, il y a lieu de déterminer la durée de participation aux infractions de chacune des entreprises concernées.
392. D'une part, la cour constate qu'aucune des sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union, Alsace Lait, Lactalis B&C et Groupe Lactalis ainsi que LHT ne conteste le coefficient multiplicateur retenu à leur égard par l'Autorité au paragraphe 330 de la décision attaquée.
393. D'autre part, s'agissant du coefficient multiplicateur à retenir à l'égard des sociétés Senagral, Novandie et Andros et Cie, MLC ainsi que Laïta, la cour rappelle qu'en l'espèce, la durée de participation au grief n° 1 englobe les épisodes discontinus durant lesquels les trois infractions successives qui forment le grief n° 2 ont été commises.
394. Dans la situation particulière de l'espèce où, ainsi qu'il a été expliqué au paragraphe 166 du présent arrêt, la cour a choisi de prononcer une sanction unique pour deux griefs distincts, dont le premier absorbe entièrement dans le temps le second, il est équitable de retenir un coefficient multiplicateur tenant compte de la durée du seul grief n° 1 plutôt que de cumuler les durées des deux griefs. Le coefficient multiplicateur reflète ce choix, favorable aux entreprises, y compris lorsqu'elles ont, comme les sociétés Senagral, Novandie, MLC et Laïta, participé à la totalité des pratiques décrites.
395. Dès lors, les coefficients multiplicateurs s'établissent comme suit :
[TABLEAU]
396. Au vu de ce qui précède, le montant de base de la sanction sera, pour les sociétés Senagral, Novandie et Andros et Cie, LNUF MDD, LNUF et LNPF, MLC, Alsace Lait, Laïta, Lactalis B&C et Groupe Lactalis ainsi que LHT, déterminé à partir de la valeur des ventes des produits laitiers frais sous MDD réalisée par chaque entreprise, du taux de 15 % correspondant à la gravité des faits et au dommage causé à l'économie par les deux pratiques concertées, et du coefficient multiplicateur mentionné dans le tableau ci-dessus, d'autre part.
397. Dès lors, le montant de base intermédiaire s'établit comme suit:
[TABLEAU]
5. Sur l'abattement au titre de la participation inégale au grief n° 2
Concernant les sociétés Senagral, Novandie, MLC et Laïta
398. Ainsi que la cour l'a indiqué au paragraphe 166 du présent arrêt, elle détermine une seule sanction au titre des deux griefs pour chacune des entreprises mises en cause, en ne prenant en considération, comme assiette, qu'une seule et même valeur des ventes, en relation avec l'ensemble des pratiques en cause.
399. Il découle de ce choix que, aux paragraphes 395 et suivants du présent arrêt, le coefficient multiplicateur a été fixé en fonction de la durée du grief n° 1, alors même que c'est le grief n° 2 qui présentait le caractère de gravité le plus fort et qui, partant, a été déterminant dans la décision de la cour de retenir, au paragraphe 388 du présent arrêt, une proportion de la valeur des ventes de 15 %. Si aucune correction n'était mise en œuvre les entreprises se verraient donc appliquer un montant de base déterminé en fonction à la fois de la gravité du grief n° 2 et de la durée du grief n° 1.
400. Dès lors, il y a lieu de corriger le montant de base en appliquant un abattement dont le mode de calcul est exposé ci-après. Il convient toutefois de préciser que cet abattement ne saurait en aucun cas aboutir à un montant de base de la sanction inférieur à celui qui serait obtenu en tenant compte de la seule durée du grief n° 2.
401. La cour juge que le critère pertinent pour établir ledit abattement est celui de l'écart entre la durée de la participation de chaque entreprise au grief n° 1 et celle de sa participation au grief n° 2.
402. En revanche, la prise en compte au surplus de la durée intrinsèque de la participation au grief n° 2 ferait double emploi avec le critère de l'écart de durée, lequel intègre déjà la durée de participation audit grief.
403. Quant au critère de l'intensité de la participation de chaque entreprise aux pratiques sanctionnées, il n'a pas lieu d'être pris en compte à ce stade de l'analyse.
404. En effet, conformément à la méthode exposée dans le communiqué sanctions, " [l]'Autorité apprécie la gravité des faits de façon objective et concrète, au vu de l'ensemble des éléments pertinents du cas d'espèce " et, " [d]ans le cas d'une infraction ou, s'il y a lieu, d'infractions commises par plusieurs entreprises ou organismes, elle apprécie globalement la gravité des faits, sans préjudice des éléments propres au comportement et à la situation individuelle de chacun d'entre eux, qui sont pris en considération ultérieurement " (communiqué sanctions, point 25). Ce n'est donc qu'une fois ce montant de base arrêté, que l'Autorité et, en l'espèce, la cour, est amenée, le cas échéant, à l'ajuster " pour tenir compte de circonstances atténuantes ou aggravantes, s'il y a lieu [...], et des autres éléments d'individualisation pertinents tenant à la situation de chaque entreprise ou organisme " (communiqué sanctions, point 43).
405. En d'autres termes, au stade de la détermination du montant de base, il convient de prendre en compte la ou les infractions auxquelles ont participé, fût-ce partiellement ou à des degrés d'intensité divers, les entreprises incriminées, sans opérer de distinction entre ces dernières, et fixer, en fonction de la gravité de cette ou de ces infractions et du dommage qu'elles ont causé à l'économie, une proportion de la valeur des ventes commune à toutes les entreprises. Puis, au stade de l'individualisation de la sanction, il convient de prendre en compte les différences de comportement de chaque entreprise - rôle de meneur ou de suiveur ; participation ou non à l'ensemble des pratiques qui, ensemble, ont concouru à l'entente ; intensité de la participation auxdites pratiques, etc. - afin d'adapter la sanction à la hausse ou à la baisse.
406. Même si la cour n'ignore pas que les autorités de la concurrence des États membres infligent des amendes selon leur droit national et ne sont pas tenues par les règles et pratiques suivies par la Commission, dans son rôle d'autorité de la concurrence de l'Union, elle juge pertinent de rappeler que, dans son arrêt du 11 juillet 2013, Gosselin Group/Commission (C-429/11 P, points 79 à 108), la CJUE a considéré que la Commission, en sa qualité d'autorité de la concurrence de l'Union, peut, sans violer le principe de la responsabilité personnelle, lequel oblige à procéder à une appréciation individuelle de la gravité de l'infraction, " procéder à une prise en compte de la gravité relative de la participation d'une entreprise à une infraction et des circonstances particulières de l'affaire [...] lors de l'ajustement du montant de base en fonction de circonstances atténuantes et aggravantes ", sous réserve que l'appréciation des circonstances atténuantes et aggravantes permette " une prise en compte adéquate de la gravité relative de la participation à une infraction unique ainsi qu'une éventuelle variation de cette gravité dans le temps ".
407. Dès lors, conformément à la méthode exposée dans le communiqué sanctions, même à les supposer établis - ce qui sera vérifié ci-après -, les arguments des sociétés MLC et Laïta selon lesquels l'intensité moyenne ou faible de leur participation aux pratiques des griefs n° 1 et n° 2 justifient une réduction du montant de base de la sanction, doivent être rejetés en tant qu'ils visent à obtenir un taux d'abattement forfaitaire plus élevé du montant de base, mais seront examinés ci-après, dans le cadre de l'individualisation des sanctions, en tant qu'ils invoquent le bénéfice de circonstances atténuantes.
408. À la lumière de la durée de participation au grief n° 2, telle qu'elle apparaît dans le tableau figurant au paragraphe 172 de la décision attaquée, l'écart de durée dans la participation au grief n° 1 et au grief n° 2 s'établit comme suit, par ordre décroissant d'importance :
- 41 mois : Yéo Frais
- 21 mois : Lactalis B&C
- 19 mois : Yoplait, Senagral, Novandie, MLC, Laïta
- 13 mois : LNUF MDD
- 11 mois : Alsace Lait
- pas d'écart : LHT
409. Se dégagent ainsi quatre catégories d'entreprises :
- une entreprise pour laquelle le coefficient multiplicateur de durée a d'ores et déjà été fixé conformément à la durée de sa participation au grief n° 2, et qui ne pourrait donc prétendre à aucun abattement.
- des entreprises pour lesquelles l'écart de durée de participation est d'environ un an, pouvant justifier un abattement de 10 % ;
- des entreprises, au nombre desquelles figurent les sociétés Senagral, Novandie, MLC et Laïta, pour lesquelles l'écart de durée de participation approche des deux ans, justifiant un abattement de 20 % ;
- une entreprise pour laquelle l'écart de durée de participation est compris entre trois et quatre ans, pouvant justifier un abattement de 35 %.
410. Les sociétés Senagral, Novandie et Andros et Cie, MLC ainsi que Laïta bénéficieront donc d'un abattement de 20 %.
Concernant les sociétés LNUF MDD, Alsace Lait et Lactalis B&C
411. La cour constate que les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, Alsace Lait ainsi que Lactalis B&C et Groupe Lactalis ne contestent pas l'abattement de, respectivement, 35 %, 35 % et 40 % qui leur a été accordé par l'Autorité au paragraphe 335 de la décision attaquée.
412. Dès lors, il y a lieu d'appliquer ces pourcentages au montant intermédiaire mentionné au paragraphe 397 du présent arrêt afin d'arrêter le montant de base concernant ces requérantes.
Concernant les sociétés Yéo Frais et LHT
413. Au paragraphe 335 de la décision attaquée, l'Autorité a accordé un abattement de 40 % à la société Yéo Frais et de 38 % à la société LHT.
414. Dans ses observations devant la cour, l'Autorité a expliqué qu'elle s'est exclusivement fondée sur deux critères afin de classer les entreprises en trois groupes bénéficiant chacun d'un pourcentage d'abattement distinct: d'une part, l'écart de durée existant entre les griefs n° 1 et n° 2 ; d'autre part, la brièveté de l'implication dans le grief n° 2.
415. Ce faisant, l'Autorité a expressément reconnu qu'elle n'avait pas pris en compte, à ce stade du calcul des sanctions, l'intensité de la participation des entreprises aux pratiques concertées.
416. Bien que la décision attaquée soit, quand à la détermination des critères ayant présidé au choix de pourcentages d'abattement différents, insuffisamment motivée, ainsi que le font justement valoir les requérantes, la cour constate que les explications de l'Autorité sont conformes au point 49 du communiqué sanctions, reproduit et analysé aux paragraphes 404 et suivants du présent arrêt, qui ne prévoit pas la prise en considération, au stade de la détermination du montant de base, des différences de comportement de chaque entreprise - rôle de meneur ou de suiveur ; participation ou non à l'ensemble des pratiques qui, ensemble, ont concouru à l'entente ; intensité de la participation auxdites pratiques, etc. -, autres que la durée de leur participation aux pratiques, une telle prise en compte devant intervenir au stade de l'individualisation des sanctions.
417. Or il ressort sans équivoque de la décision attaquée que l'Autorité a entendu faire application de son communiqué sanctions.
418. La cour juge donc que l'abattement accordé aux paragraphes 332 à 335 de la décision attaquée n'avait, de fait, pas pour finalité de prendre en considération l'intensité de la participation des entreprises aux pratiques incriminées, autre que la durée de celle-ci, de sorte que c'est à tort que les sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union ainsi que LHT font grief à l'Autorité de ne pas leur avoir accordé un pourcentage d'abattement plus élevé tendant compte de l'intensité faible ou moyenne de leur participation aux pratiques des griefs n° 1 et n° 2, et/ou de leur rôle de suiveur et/ou de leur participation à une seule des branches du grief n° 2.
419. En revanche, ces circonstances, dès lors qu'elles sont susceptibles de constituer des circonstances atténuantes, seront, à les supposer établies, prises en compte dans le cadre de l'individualisation des sanctions, ainsi que les requérantes y invitent d'ailleurs la cour à titre subsidiaire.
420. Les requérantes n'ayant contesté l'abattement que leur a accordé l'Autorité qu'en tant qu'elles le jugeait insuffisant, il y a lieu d'appliquer les pourcentages de 40 % et 38 % aux montants intermédiaires mentionnés au paragraphe 397 du présent arrêt afin d'arrêter le montant de base concernant, respectivement, les sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union, et la société LHT.
6. Conclusion sur le montant de base de la sanction
421. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, le montant de base de la sanction, arrondi aux 100 000 euros inférieurs, s'établit comme suit pour chaque entreprise :
[TABLEAU]
C. Sur l'individualisation des sanctions
1. Rappel des principes applicables
422. Ainsi que le prévoit le point 43 du communiqué sanctions, il y a lieu d'ajuster le montant de base pour tenir compte des circonstances atténuantes ou aggravantes, s'il y a lieu, et des autres éléments d'individualisation pertinents tenant à la situation de chaque entreprise ou organisme.
423. S'agissant des circonstances atténuantes, il est précisé, au point 45 du communiqué sanctions, que " [l]es circonstances atténuantes en considération desquelles l'Autorité peut réduire le montant de base de la sanction pécuniaire, pour une entreprise ou un organisme, peuvent notamment tenir au fait que :
- l'entreprise ou l'organisme apporte la preuve qu'il a durablement adopté un comportement concurrentiel, pour une part substantielle des produits ou services en cause, au point d'avoir perturbé, en tant que franc-tireur, le fonctionnement même de la pratique en cause
- l'entreprise ou l'organisme apporte la preuve qu'il a été contraint à participer à l'infraction
- l'infraction a été autorisée ou encouragée par les pouvoirs publics. "
424. A la lecture des points 44 et 45 du communiqué sanctions, il ne fait aucun doute qu'a été réservée la possibilité de qualifier de circonstances atténuantes, ouvrant droit à une réduction de la sanction, des circonstances non expressément prévues dans le communiqué sanctions.
425. Tel est notamment le cas de la moindre gravité de la participation à une infraction unique ainsi que de l'éventuelle variation de cette gravité dans le temps.
426. Pour pouvoir être prise en considération, une circonstance atténuante doit être démontrée par l'entreprise ou l'organisme qui l'allègue.
427. Au titre des " autres éléments d'individualisation ", le point 48 du communiqué sanctions précise que le montant de base peut être adapté à la baisse pour tenir compte du fait que " l'entreprise mène l'essentiel de son activité sur le secteur ou marché en relation avec l'infraction (entreprise 'mono-produit') ".
428. La prise en compte du caractère d'" entreprise mono-produit " a pour finalité d'éviter que l'application de la méthode normale de détermination des sanctions aboutisse à des montants disproportionnés.
429. Conformément au communiqué sanctions (point 23), le montant de base de la sanction pécuniaire représente une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise concernée, de produits ou de services en relation avec l'infraction. Or, pour une entreprise dont la valeur de ces ventes est proche de son chiffre d'affaires, parce que ce dernier est réalisé pour l'essentiel dans le cadre des ventes affectées par l'entente (entreprise mono-produit), la méthode normale de détermination de la sanction peut conduire à lui infliger une sanction représentant un pourcentage très élevé de son chiffre d'affaires.
430. Pourtant, le caractère dissuasif d'une sanction s'apprécie davantage au regard du pourcentage d'un chiffre d'affaires de l'entreprise concernée que représente la sanction qu'au regard du montant de cette sanction.
431. Ainsi, la prise en compte du caractère d'entreprise mono-produit, prévu au point 48 du communiqué sanctions, s'analyse comme un exemple de mise en œuvre de la volonté, exprimée par l'Autorité au point 24 du même communiqué, de ne pas accorder une importance disproportionnée à la valeur des ventes par rapport à d'autres éléments à prendre en considération, tel le chiffre d'affaires.
432. C'est à la lumière de ces considérations qu'il convient d'apprécier les moyens des parties revendiquant la qualité d'entreprise mono-produit.
433. Au titre des " autres éléments d'individualisation ", le point 49 du communiqué sanctions précise que le montant de base peut être adapté à la hausse pour tenir compte du fait que " le groupe auquel appartient l'entreprise concernée dispose lui-même d'une taille, d'une puissance économique ou de ressources globales importantes, cet élément étant pris en compte, en particulier, dans le cas où l'infraction est également imputable à la société qui la contrôle au sein du groupe ".
434. À cet égard, la cour rappelle que les sanctions pécuniaires prononcées sur le fondement de l'article L. 464-2 du Code de commerce sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction.
435. Cette exigence exclut, à l'égard d'une entreprise ayant agi de manière autonome, le relèvement automatique de la sanction en raison de sa seule appartenance à un groupe.
436. Un tel relèvement suppose que l'appartenance à un groupe de l'entreprise s'étant comportée de manière autonome sur le marché, a joué un rôle dans la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles ou a été de nature à influer sur l'appréciation de la gravité de ces pratiques.
2. Application au cas d'espèce
a. Concernant les sanctions infligées par la cour aux sociétés Senagral, Novandie, MLC et Laïta
Concernant la société Novandie
437. En premier lieu, les sociétés Novandie et Andros et Cie font valoir que la première a adopté un comportement de franc-tireur dès 2006 et jusqu'en 2010, qui a durablement perturbé l'entente. Elles réclament donc au titre de cette circonstance atténuante, une réduction de la sanction d'au moins 60 %.
438. À cet égard, il est constant que la société Novandie a été à l'origine du conflit commercial qui l'a notamment opposée à la société Senagral, anciennement Senoble France, pendant l'épisode de " guerre des prix ", de la mi-2009 à la mi-2010. La mésentente entre ces deux acteurs majeurs du secteur a conduit à une désorganisation des pratiques qui a duré plusieurs mois durant lesquels les réunions physiques ont été interrompues et les effets de l'entente sur le marché fortement atténués.
439. En revanche, les sociétés Novandie et Andros et Cie ne démontrent pas que ce comportement de franc-tireur aurait duré plus de quatre ans.
440. D'une part, les requérantes ne cherchent pas même à décrire quels agissements concrets en 2006, 2007 et 2008 caractériseraient un rôle de franc-tireur de la part de la société Novandie. À cet égard, le fait que celle-ci ait entrepris, avant 2006, et donc avant même le début de l'entente, la construction d'une nouvelle usine à Auneau ne saurait évidemment suffire à rapporter cette preuve.
441. Les requérantes se prévalent certes d'une pièce saisie, datée du 29 novembre 2007 (cote 6708), dans laquelle la société Yoplait se plaint des " prix pratiqués par Nova pour les marchés 2008 " et de ce que la société Novandie " [a] donc bien l'intention de prendre des volumes sur 2008 ". Mais elles ne démontrent pas que ces craintes de la société Yoplait se sont finalement concrétisées, faute d'établir la réalité des comportements concurrentiels qu'aurait adoptés la société Novandie en 2007 et 2008.
442. En effet, les requérantes se bornent à citer un épisode, survenu en 2008, dans lequel la société Novandie a pris à la société Lactalis des volumes de vente de crèmes dessert en pot de verre, en remportant un appel d'offres avec des produits conditionnés dans des pots en PET, épisode évoqué au paragraphe 125 de la décision attaquée et ayant provoqué une crise entre ces deux sociétés. Il résulte toutefois du dossier que, lors de cet épisode, la société Novandie n'était pas dans une démarche de franc-tireur, puisqu'elle s'est alors prévalue du statut d'innovation des pots en PET pour soutenir que la prise à la société Lactalis de volumes de crèmes dessert ne constituait pas une violation de l'entente. Dès lors, quel que fût le bien-fondé de l'argumentation de la société Novandie quant au fait que le remplacement des pots en verre par des pots en PET était une innovation au sens des accords passés entre les parties à l'entente, ledit épisode, loin de caractériser un comportement de franc-tireur de la part de la société Novandie, démontre qu'en 2008 encore, cette société inscrivait sa politique commerciale dans le cadre de l'entente. Une telle analyse s'impose d'autant plus qu'il ressort du dossier (voir, notamment, cote 30585 ainsi que cotes 468 - 11- 0067AC; 214 à 215 - 11-0067AC; et 4402 à 4403), que la définition de ce qui pouvait relever du champ des accords ou en être exclu au titre des innovations a donné lieu à de nombreuses discussions et occasionné des conflits, sans qu'aucune autre entreprise engagée dans de tels conflits soutienne qu'elle avait, ce faisant, adopté un rôle de franc-tireur.
443. Ainsi, les requérantes n'établissent pas un comportement de franc-tireur de la société Novandie avant sa participation à l'appel d'offres lancé par le groupe Carrefour en juillet 2009.
444. Certes, la société Yoplait, premier demandeur de clémence, a indiqué dans ses déclarations des 29 septembre et 18 novembre 2011, qu'" [u]ne guerre des prix a eu lieu entre Novandie et Senoble, à partir de mi-2008 et jusqu'en 2010 ". Mais la société Senagral, anciennement Senoble, principale entreprise concernée, a précisé quant à elle que l'épisode de " guerre des prix " n'avait commencé qu'à la mi-2009, à l'occasion de l'appel d'offres lancé par le groupe Carrefour en juillet 2009, ce qu'ont confirmé toutes les entreprises concernées autres que la société Yoplait, de sorte qu'il ne fait pas de doute que les déclarations précitées de la société Yoplait sont, sur ce point, erronées.
445. D'autre part, les requérantes ne contestent pas que la société Novandie a abandonné son rôle de franc-tireur à la suite des réunions de conciliation des 15 juin et 26 octobre 2010, qui ont mis fin à l'épisode de " guerre des prix ". De fait, elles ne se prévalent d'aucun comportement de la société Novandie postérieur à ces deux dates attestant qu'elle aurait continué à agir en tant que franc-tireur.
446. Dès lors, la cour constate que la société Novandie n'a adopté le rôle de franc-tireur qu'à compter de la mi-2009 et jusqu'à la mi-2010, soit pendant une année environ.
447. La société Novandie ayant adopté pendant une année un comportement suffisamment concurrentiel pour perturber le fonctionnement même du cartel, et même si cette perturbation a été limitée dans le temps et s'est achevée par un retour du franc-tireur au sein de l'entente, elle doit bénéficier d'une réduction au titre de cette circonstance atténuante.
448. Concernant l'importance de la réduction, la cour rappelle, d'une part, qu'ainsi qu'il résulte du communiqué sanctions, c'est l'adoption volontaire d'un comportement concurrentiel durable qu'il y a lieu de prendre en compte à titre de circonstance atténuante.
449. Or, lorsqu'une entreprise renonce à son rôle de franc-tireur et se soumet de nouveau pleinement à la discipline de l'entente, la prolongation dans le temps des effets du comportement concurrentiel qu'elle a adopté un temps intervient indépendamment de sa volonté nouvelle de voir l'entente produire ses effets anticoncurrentiels, et même contre celle-ci. Dans ces conditions, rien ne justifie de tenir compte de cette prolongation au titre de la circonstance atténuante d'adoption d'un rôle de franc-tireur. Au demeurant, la prolongation des effets concurrentiels du comportement de franc-tireur adopté par une entreprise est prise en compte dans le cadre de la détermination du montant de base de la sanction lorsqu'elle a eu pour conséquence une diminution de l'importance du dommage causé à l'économie.
450. Il est donc indifférent, aux fins d'apprécier la réduction à accorder à la société Novandie pour son rôle de franc-tireur, que les effets de l'épisode de " guerre des prix " aient pu se prolonger jusqu'aux premières réunions multipartites de janvier 2011, avec lesquelles la réconciliation a trouvé une traduction effective, voire même jusqu'à la fin de l'entente.
451. D'autre part, la cour constate certes que la durée pendant laquelle la société Novandie a joué un rôle de franc-tireur (un an) représente 20 % environ de la durée totale du grief n° 1 (cinq ans et deux mois). Mais, dans la mesure où le grief n° 2, d'une gravité supérieure, est également reproché à cette société, et où l'épisode de " guerre des prix " ne recouvre pas les périodes pendant lesquelles se sont déroulées les pratiques constitutives de ce grief n° 2 - pour partie avant (du 6 décembre 2006 au 17 décembre 2008) et pour partie après (du 15 juin 2010 au 9 février 2012) -, la société Novandie ne saurait bénéficier d'un abattement égal ou supérieur à ce pourcentage.
452. La cour considère dès lors qu'il est approprié d'accorder à la société Novandie une réduction de 15 % au titre de son rôle de franc-tireur.
453. En second lieu, la société Novandie fait valoir qu'il résulte du dossier qu'elle a subi des pressions pour cesser sa " guerre des prix ", notamment de la part de la société Yoplait, demandeur de clémence, et du syndicat professionnel Syndifrais, dont elle a dû se retirer en octobre 2009.
454. Selon la requérante, le groupe Andros n'étant pas un groupe intégré, mais dépendant de ses concurrents pour ses approvisionnements en lait, la société Novandie n'était pas en mesure de dénoncer ces derniers, et notamment la société Yoplait.
455. Le refus de prendre cette circonstance atténuante en compte constituerait une violation du principe constitutionnel d'individualisation des peines et infligerait à la société Novandie une peine qui n'est pas proportionnée aux faits commis.
456. Mais force est de constater qu'à aucun moment, et notamment pas devant la cour, la société Novandie n'a produit la moindre preuve de la réalité de pressions dont elle aurait fait l'objet et auxquelles elle aurait tenté de résister. Au demeurant, si les requérantes rappellent que le groupe Andros n'est pas un groupe intégré, elles ne soutiennent pas, ni a fortiori ne démontrent, que des menaces de refus d'approvisionnement en lait auraient été adressées, ne serait-ce que de manière indirecte, à la société Novandie pour l'obliger à se soumettre pleinement à la discipline de l'entente.
457. La demande de la société Novandie de bénéficier d'une réduction supplémentaire à ce titre doit être rejetée.
458. Rappelant que les sociétés Novandie et Andros et Cie ont renoncé à toute contestation des griefs, et réaffirmé devant la cour qu'elles n'entendent pas revenir sur ce choix, la cour ajoute surabondamment qu'il est reproché, d'une part, à la société Novandie d'avoir participé aux pratiques constitutives du grief n° 1 du 6 décembre 2006 au 9 février 2012, sans que l'épisode de " guerre des prix ", de la mi-2009 à la mi-2010 ait marqué la fin de sa participation à ces pratiques, même s'il les a perturbées.
459. Or les requérantes n'allèguent et a fortiori ne démontrent pas que la société Novandie aurait été contrainte de participer à l'entente au moment où celle-ci s'est constituée en 2006. Elle ne saurait donc se voir appliquer la circonstance atténuante accordée aux entreprises qui ont été contraintes de participer à l'infraction.
460. Il est reproché à la société Novandie, d'autre part, d'avoir participé aux pratiques constitutives du grief n° 2 du 6 décembre 2006 au 17 décembre 2008 et du 15 juin 2010 au 9 février 2012.
461. Si, s'agissant des pratiques constitutives du grief n° 2, la cessation de l'épisode de " guerre des prix " a coïncidé soit avec la reprise des accords sur les hausses des prix, soit avec le début des accords sur le gel des prix et sur les prix en appel d'offres, la cour relève que, interrogé par les services d'instruction de l'Autorité, le représentant de la société Novandie a expliqué comme suit la reprise des accords sur les hausse des prix : " La réunion du 4 janvier 2011 marque la fin temporaire (un an) de la période de conquête des volumes. Le marché des matières première se remet à disjoncter fin 2010 (explosion du prix du lait et du sucre à l'automne 2010). Les industriels en ont conclu qu'ils devaient passer des hausses. J'ai été contacté par Yoplait, mais également par Senoble et Lactalis. Cela explique la réunion du 4 janvier 2011. Nous avons tous émis le souhait de passer les hausses. " (cotes 11438 à 11 439, citées au § 103 de la décision attaquée).
462. Il résulte de ces explications que, loin d'avoir été contrainte par ses concurrents de s'associer aux accords de hausse des prix à compter du 4 janvier 2011, la société Novandie l'a fait par intérêt propre.
463. En troisième lieu, les sociétés Novandie et Andros et Cie soutiennent que l'" entreprise concernée " visée au point 48 du communiqué sanctions, n'est pas synonyme de " groupe ", comme en atteste le fait que l'article L. 464-2 du Code de commerce, auquel se réfère le communiqué sanctions, et les points 20 et 49 de ce communiqué visent, sans les confondre, l'" entreprise concernée " et le " groupe auquel l'entreprise appartient ". Dès lors, selon les requérantes, c'est bien dans le chef de la seule société Novandie qu'il convient d'apprécier le caractère d'entreprise mono-produit, et non au niveau de l'entité qu'elle formerait avec le groupe Andros.
464. Elles demandent donc à voir reconnaître à la société Novandie le caractère d'entreprise mono-produit et à bénéficier de cette circonstance atténuante.
465. Mais il ressort de la décision attaquée (§ 262 et article 2), non annulée sur ce point, qu'a été retenue la responsabilité de la société Novandie, en tant qu'auteure des pratiques, et de la société Andros et Cie, en raison de sa qualité de société mère ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de sa filiale pendant la période de commission de celles-ci. Ni devant l'Autorité ni dans le cadre du présent recours, les sociétés Novandie et Andros et Cie n'ont contesté cette analyse.
466. Partant, ces deux sociétés forment, ensemble, l'" entreprise ", au sens tant de l'article L. 464-2 du Code de commerce que du communiqué sanctions, notamment son point 48.
467. C'est donc bien au regard de l'entité économique formée par lesdites sociétés qu'il convient d'apprécier le caractère d'entreprise mono-produit. D'ailleurs, dès lors que toutes les sociétés constituant l'entreprise sanctionnée sont solidairement tenues au paiement de la sanction pécuniaire, seul le chiffre d'affaires réalisé par l'ensemble de ces sociétés fournit une indication sur leur capacité collective à assurer le poids de la sanction.
468. Les sociétés Novandie et Andros et Cie n'ont jamais soutenu devant l'Autorité - et ne soutiennent pas davantage dans la présente instance - que l'entité économique qu'elles forment aurait eu le caractère d'entreprise mono-produit en 2011. De fait, la valeur des ventes affectées par l'entente - c'est-à-dire la valeur des ventes de produits laitiers frais sous MDD en France réalisées par la société Novandie, auteure des pratiques - qui s'est élevée à près de 240 millions d'euros en 2011, représente moins de 15 % du chiffre d'affaires net total de l'entreprise formée par les sociétés Novandie et Andros et Cie, qui était de 1,685 milliard d'euros cette même année.
469. Il y a dès lors lieu de constater que l'entreprise formée par les sociétés Novandie et Andros et Cie n'a pas le caractère d'entreprise mono-produit.
470. Enfin, en dernier lieu, la cour, qui, même si aucune demande n'est présentée à ce titre, doit respecter le principes d'individualisation des peines et d'égalité lorsque, après annulation de la décision attaquée, elle arrête elle-même les sanctions, constate que la société Novandie a appartenu au cercle, identifié par les services d'instruction, des quatre principales entreprises du secteur (les sociétés Yoplait, Senagral, Novandie et LNUF MDD), qui constituaient le " noyau de l'entente " (décision attaquée, §§ 68 à 71) et dont l'implication a eu un effet d'entraînement sur les acteurs secondaires (décision attaquée, §§ 345 et 349).
471. Elle fait en outre partie des entreprises dont la participation aux pratiques a présenté l'intensité la plus forte, ainsi qu'il ressort du tableau figurant au paragraphe 49 du rapport, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'envisager une réduction supplémentaire à ce titre.
Concernant la société Senagral
472. En premier lieu, rappelant que l'Autorité a reconnu que la mésentente entre les sociétés Novandie et Senagral entre septembre 2009 et juin 2010 (épisode de " guerre des prix ") avait conduit à une désorganisation des pratiques qui a duré plusieurs mois, durant lesquels les réunions physiques ont été interrompues et les effets de l'entente sur le marché fortement atténués, les sociétés Senagral et Senagral Holding soutiennent que doit être reconnu à la société Senagral un rôle de franc-tireur.
473. Les requérantes font valoir que, si c'est la société Novandie qui a initié la " guerre des prix ", celle-ci n'a pas reposé uniquement sur la société Novandie, la résistance et les contre-attaques de la société Senagral ayant contribué à la prolongation du conflit pendant près d'un an.
474. Eu égard au rôle actif et déterminant de la société Senagral dans l'épisode de " guerre des prix ", elle satisferait à l'unique condition fixée au point 45 du communiqué sanctions, à savoir l'adoption d'un comportement concurrentiel, pour une part substantielle des produits et services en cause, au point d'avoir perturbé le fonctionnement même de la pratique en cause, et devrait bénéficier de la même réduction de 15 % de la sanction que celle que l'Autorité avait accordé à la société Novandie par la décision attaquée.
475. Se fondant sur la jurisprudence du Tribunal de l'Union européenne (TUE, arrêt du 5 mars 2006, Daiichi Pharmaceutical/Commission, T-26/02, point 113), l'Autorité considère que le statut de franc-tireur suppose que, pendant la période au cours de laquelle l'entreprise a adhéré aux accords infractionnels, elle s'est effectivement soustraite à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché ou, à tout le moins, a clairement et de manière considérable enfreint les obligations visant à mettre en œuvre cette entente, au point d'avoir perturbé le fonctionnement même de celle-ci.
476. Or, selon l'Autorité, tel n'est pas le cas de la société Senagral, qui, pendant tout l'épisode de " guerre des prix ", a maintenu tous ses contacts avec les membres de l'entente autres que la société Novandie, et a participé aux pratiques sur l'ensemble de la période incriminée, y compris au cours de l'épisode de " guerre des prix ".
477. À cet égard, la cour relève qu'il ne résulte pas du communiqué sanctions que la reconnaissance de la qualité de franc-tireur serait réservée à la première entreprise ayant adopté un comportement concurrentiel durable, ni qu'il serait exigé du franc-tireur qu'il sorte de l'entente. Toutefois, pour pouvoir bénéficier de cette circonstance atténuante, il faut que le non-respect des obligations de l'entente ait été réalisé de façon visible et " considérable " et qu'il ait eu pour effet d'en perturber le fonctionnement. Ainsi, le fait que la société Senagral n'a pas pris l'initiative de la " guerre des prix ", mais a réagi à la prise de ses parts de marché par la société Novandie n'est pas à soi seul de nature à la priver du bénéfice de cette circonstance atténuante.
478. Mais la cour observe que, pendant l'épisode de " guerre des prix ", la société Senagral s'est bornée à tenter de reprendre à la seule société Novandie les parts de marché que celle-ci, agissant en franc-tireur, lui avait prises. Ce comportement limité au seul membre de l'entente qui en avait rompu la discipline, tout en respectant les accords de l'entente vis-à-vis des autres partenaires, ne traduit donc aucune intention de sa part d'adopter un comportement concurrentiel et de s'abstraire de la discipline de l'entente.
479. La position adoptée par la société Senagral ne pouvant donc être considérée comme ayant été considérable ou comme ayant été de nature à perturber l'entente, aucune réduction de la sanction ne lui sera accordée à ce titre.
480. En second lieu, la société Senagral soutient qu'elle a le caractère d'entreprise mono-produit justifiant une réduction de la sanction qui lui a été infligée.
481. Elle fait valoir, d'une part, qu'aux fins d'apprécier le caractère d'entreprise mono-produit, il convient de tenir compte de la valeur des ventes de produits laitiers frais sous MDD qu'elle a réalisées tant sur le marché français qu'à l'export, soit 501,624 millions d'euros (323,371 millions d'euros pour les ventes en France et 178,253 millions d'euros pour les ventes à l'export).
482. Or, rapportées au chiffre d'affaires net total de la société Senagral (641,779 millions d'euros), ces ventes constituaient plus de 78 % de l'activité de cette société en 2011, permettant de conclure à son caractère d'entreprise mono-produit.
483. Elle fait valoir, d'autre part, qu'il convient de retraiter le chiffre d'affaires net total en 2011 (641,779 millions d'euros) pour écarter divers postes de facturation qui ne correspondaient pas à des activités économiques sur des marchés (notamment les refacturations de services internes liés à l'organisation du groupe auquel elle appartient et les reventes à perte d'excédents de collecte de lait) et, partant, ne permettaient pas de compenser une éventuelle amende sur le marché français des produits laitiers frais sous MDD.
484. En procédant à ce retraitement, la proportion des ventes réalisées par la société Senagral sur le marché des produits laitiers vendus sous MDD en 2011 (501,624 millions d'euros) représentait près de 87 % de son chiffre d'affaires retraité (577,374 millions d'euros), pourcentage permettant de conclure de plus fort à son caractère d'entreprise mono-produit.
485. Mais, d'une part, ainsi qu'il résulte des paragraphes 427 et suivants du présent arrêt, aux fins d'apprécier le caractère d'entreprise mono-produit, il convient de mettre en rapport la valeur des ventes réalisées en relation avec l'infraction avec le chiffre d'affaires total réalisé par l'entreprise concernée, afin de rechercher si l'activité de l'entreprise sanctionnée sur le marché affecté par l'infraction représente l'essentiel de son activité.
486. Dès lors, toutes les activités qui contribuent au chiffre d'affaires doivent être prises en considération, y compris les cessions à d'autres entreprises du même groupe, les services facturés en interne aux entreprises du même groupe et les reventes à perte.
487. Partant, rien ne justifie de retraiter le chiffre d'affaires net de la société Senagral.
488. La cour ajoute surabondamment que, s'agissant des reventes à perte des excédents de collecte de lait, excédents résultant de la contractualisation des achats auprès des producteurs de lait, évaluées par la société Senagral à la somme de 53,088 millions d'euros, leur retranchement aboutit à un chiffre d'affaires retraité de 588,691 millions d'euros, dont le montant des ventes réalisées en relation avec l'infraction représente moins de 55 %, pourcentage insuffisant pour reconnaître à la société Senagral le caractère d'entreprise mono-produit.
489. D'autre part, dès lors qu'a le caractère d'entreprise mono-produit l'entreprise qui mène l'essentiel de son activité sur le secteur ou marché en relation avec l'infraction, et qu'en l'espèce l'entente a été cantonnée au marché des produits laitiers frais vendus sous MDD en France, c'est à tort que la société Senagral soutient qu'il convenait de tenir également compte des ventes de produits laitiers frais vendus sous MDD à l'export, s'agissant d'un marché qui n'a pas été affecté par l'entente.
490. La société Senagral indiquant que son chiffre d'affaires net total était de 641,779 millions d'euro en 2011, la valeur de ses ventes réalisées en relation avec l'infraction, qui a été de 316,253 millions d'euros cette même année, selon l'Autorité, ne représente que 49,28 % du chiffre d'affaires total. Cette société ne présente donc pas le caractère d'entreprise mono-produit.
491. Même en tenant compte de la communication, au cours de la présente instance, d'une valeur des ventes rectifiée de 323,371 millions d'euros, celle-ci ne représente que 50,39 % du chiffre d'affaires net total de la société Senagral, de sorte que n'est pas remis en cause le constat que cette société ne menait pas l'essentiel de son activité sur le marché affecté par l'entente.
492. Il y a dès lors lieu de constater que la société Senagral n'a pas le caractère d'entreprise mono-produit.
493. En dernier lieu, la cour constate que la société Senagral a appartenu au cercle des quatre principales entreprises du secteur qui constituaient le " noyau de l'entente " et dont l'implication a eu un effet d'entraînement sur les acteurs secondaires.
494. Elle fait en outre partie des entreprises dont la participation aux pratiques a présenté l'intensité la plus forte, ainsi qu'il ressort du tableau figurant au paragraphe 49 du rapport - constat qui n'est pas remis en cause par la constatation, au paragraphe 136 du présent arrêt, que la participation de la société Senagral à la troisième branche du grief n° 2 n'a duré que jusqu'au mois de juillet 2011 -, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'envisager une réduction supplémentaire à ce titre.
Concernant la société MLC
495. La société MLC fait valoir que, tant dans la notification des griefs que dans le rapport, les rapporteurs ont identifié trois groupes d'entreprises en fonction de leur implication importante, moyenne ou minime dans les pratiques, et qu'ils ont considéré sa participation aux pratiques comme moyenne. Elle considère donc qu'il y a lieu de lui octroyer un abattement supplémentaire, par rapport aux entreprises dont l'implication a été identifiée comme forte par les services d'instruction, et réclame un abattement forfaitaire d'au moins 40 %.
496. D'une part, ainsi qu'il résulte des développements consacrés au montant de base de la sanction, la cour a déjà accordé à la société MLC un abattement forfaitaire de 20 % pour tenir compte de l'écart entre la durée de sa participation au grief n° 1 et celle de sa participation au grief n° 2.
497. Mais, d'autre part, la cour manquerait à l'obligation d'individualisation des sanctions si elle ne tenait pas compte de la moindre intensité de la participation de la société MLC aux pratiques sanctionnées par rapport aux autres entreprises, ce que n'a pas permis la prise en compte de la durée de sa participation.
498. Or la cour relève que la société MLC n'appartenait pas au cercle des quatre entreprises constituant le " noyau de l'entente " et qu'en outre, si la durée de sa participation aux pratiques a été la plus longue, son intensité a été moyenne, ainsi que l'ont relevé les rapporteurs au paragraphe 49 du rapport.
499. Dans ces conditions, la cour considère qu'il convient d'accorder à la société MLC une réduction de 20 %.
Concernant la société Laïta
500. En premier lieu, la société Laïta fait valoir qu'il a été reconnu, tant dans la notification des griefs et le rapport que dans la décision attaquée (§§ 68, 69, 111 et 201), qu'elle n'avait eu qu'une implication relativement limitée dans les pratiques sanctionnées en comparaison avec le rôle joué par les leaders du secteur. Elle considère donc qu'il y a lieu de lui octroyer un abattement supplémentaire, par rapport aux entreprises dont l'implication a été identifiée comme forte par les services d'instruction, et réclame un abattement forfaitaire supérieur à 37,5 %.
501. D'une part, ainsi qu'il résulte des développements consacrés au montant de base de la sanction, la cour a déjà accordé à la société Laïta un abattement forfaitaire de 20 % pour tenir compte de l'écart entre la durée de sa participation au grief n° 1 et celle de sa participation au grief n° 2.
502. Mais, d'autre part, la cour manquerait à l'obligation d'individualisation des sanctions si elle ne tenait pas compte de la moindre intensité de la participation de la société Laïta dans pratiques sanctionnées par rapport aux autres entreprises, ce que n'a pas permis la prise en compte de la durée de sa participation.
503. Or la cour relève que la société Laïta n'appartenait pas au cercle des quatre entreprises constituant le " noyau de l'entente " et qu'en outre, si la durée de sa participation aux pratiques a été la plus longue, son intensité a été moyenne, ainsi que l'ont relevé les rapporteurs au paragraphe 49 du rapport.
504. Dans ces conditions, la cour considère qu'il convient de lui accorder une réduction de la sanction de 20 %.
505. En second lieu, la société Laïta fait valoir que les efforts particuliers de coopération dont elle a fait preuve pendant l'instruction, efforts qui excédaient ses obligations légales et dont l'effectivité a été reconnue par les rapporteurs en séance, constituent une circonstance atténuante et que c'est à tort que l'Autorité a refusé de lui accorder une réduction de la sanction à ce titre.
506. À cet égard, elle fait valoir, d'une part, que, si le communiqué sanctions ne prévoit pas expressément qu'une coopération effective d'une entreprise en dehors de la procédure de clémence constitue une circonstance atténuante, il ne comporte pas une liste exhaustive des circonstances atténuantes.
507. D'autre part, la société Laïta rappelle que, selon les lignes directrices de la Commission, " le montant de base de l'amende peut être réduit lorsque la Commission constate l'existence de circonstances atténuantes, telles que [...] lorsque l'entreprise concernée coopère effectivement avec la Commission, en dehors du champ d'application de la communication sur la clémence et au-delà de ses obligations juridiques de coopérer " ; que, selon la Commission, cette réduction constitue un principe sous-jacent de son programme de clémence, et que, au travers des déclarations de son président, l'Autorité a exprimé le souhait d'une harmonisation dans le calcul de la sanction.
508. L'Autorité réplique que, contrairement aux lignes directrices de la Commission, la pratique décisionnelle et la jurisprudence française ne récompensent pas les entreprises pour leur coopération, aussi active soit-elle, hors de la procédure de clémence.
509. La cour constate que, comme que l'a justement souligné l'Autorité, la coopération de la société Laïta n'a en tout état de cause pas apporté une plus-value significative à l'enquête.
En effet, ainsi qu'il ressort des paragraphes 72 à 76 de la décision attaquée, la réalité et l'intensité des échanges téléphoniques entre les entreprises impliquées dans les pratiques était suffisamment établie par les déclarations des demandeurs de clémence de premier rang, les sociétés General Mills et Yoplait, ainsi que par les documents recueillis lors des opérations de visite et saisies. Dès lors, le fait que la société Laïta ait révélé l'utilisation par son directeur commercial d'une ligne téléphonique mobile dédiée à l'entente et fourni les factures détaillées correspondant à cette ligne, n'a pas représenté une avancée significative pour l'instruction.
510. Sa demande de réduction à ce titre ne peut donc, en tout état de cause, qu'être rejetée.
b. Concernant les sanctions infligées par l'Autorité aux sociétés LNUF MDD, Lactalis B&C, Alsace Lait, Yéo Frais et LHT
Concernant la société LNUF MDD
511. En premier lieu, les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF font valoir que l'activité de la société LNUF MDD est quasi-exclusivement consacrée à la production et à la commercialisation de produits laitiers ultra-frais sous MDD, la valeur des ventes réalisées en relation avec l'infraction représentant 93,59 % de son chiffre d'affaires. Elles considèrent donc que l'Autorité aurait dû reconnaître à la société LNUF MDD le caractère d'entreprise mono-produit.
512. La cour rappelle, d'une part, que le caractère d'entreprise mono-produit s'apprécie dans le chef de l'entreprise concernée.
513. Or, l'Autorité n'a pas imputé à la société BSA, société faîtière du groupe Lactalis, la responsabilité des agissements de la société LNUF MDD. Dans ces conditions, le constat que la valeur des ventes affectées par les pratiques ne représente pas une part essentielle de l'activité de ce groupe est indifférent aux fins d'apprécier le caractère d'entreprise mono-produit de l'entreprise sanctionnée.
514. Il est également indifférent que l'organisation du groupe Lactalis ait conduit au cantonnement de ses activités de vente de produits laitiers frais sous MDD dans une filiale dédiée, la société LNUF MDD.
515. Mais, d'autre part, il ressort de la décision attaquée (§ 260 et article 2) qu'a été retenue la responsabilité de la société LNUF MDD, en tant qu'auteure des pratiques, et des sociétés LNUF et LNPF, en raison de leur qualité de sociétés mères ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de leur filiale pendant la période de commission des pratiques. Ni devant l'Autorité ni dans le cadre du présent recours, les requérantes n'ont contesté cette analyse.
516. Partant, il est constant que ces trois sociétés forment, ensemble, l'" entreprise ", au sens tant de l'article L. 464-2 du Code de commerce que du communiqué sanctions, notamment son point 48.
517. C'est donc au regard de l'entité économique formée par lesdites sociétés qu'il convient d'apprécier le caractère d'entreprise mono-produit. À cet égard, ainsi que la cour l'a déjà souligné, dès lors que toutes les sociétés constituant l'entreprise sanctionnée sont solidairement tenues au paiement de la sanction pécuniaire, seul le chiffre d'affaires réalisé par l'ensemble de ces sociétés fournit une indication sur leur capacité collective à assurer le poids de la sanction.
518. Selon les propres écritures des requérantes, le chiffre d'affaires de la société LNPF était de 1,185 milliards d'euros en 2012. Certes, l'année de référence pour le calcul de la sanction est l'année 2011, dernier exercice comptable complet de participation aux deux griefs, mais dans la mesure où la société LNUF à la fois ne communique pas son chiffre d'affaires pour 2011 et ne soutient pas qu'il serait substantiellement différent de celui qu'elle a réalisé en 2012, le chiffre de 1,185 milliard permet à la cour de vérifier le caractère d'entreprise mono-produit de l'entreprise sanctionnée.
519. La valeur des ventes en relation avec l'infraction s'étant élevée à 166 millions d'euros, il est manifeste que l'entreprise formée des sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF n'a pas le caractère d'entreprise mono-produit.
520. C'est donc à juste titre que l'Autorité a refusé à ces sociétés une réduction à ce titre.
521. En second lieu, les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF soutiennent que c'est à tort que l'Autorité a appliqué une augmentation de 25 % au motif de leur appartenance au groupe Lactalis.
522. Elles objectent, d'abord, qu'aux termes de la jurisprudence de la Cour de cassation, l'exigence de détermination individuelle des sanctions prononcées sur le fondement de l'article L. 464-2 du Code de commerce, exclut, à l'égard d'une entreprise, qu'elle ait ou non agi de manière autonome, le relèvement automatique de la sanction en raison de sa seule appartenance à un groupe (Cass. com., 21 octobre 2014, n° 13-16.905, Bull. civ. IV, n° 152). Pour pouvoir appliquer une majoration de la sanction pour appartenance à un groupe, il faudrait démontrer, par des éléments concrets du dossier, que cette appartenance a joué un rôle dans la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles ou est de nature à influer sur l'appréciation de la gravité de ces pratiques.
523. Or tel ne serait pas le cas en l'espèce.
524. Les sociétés requérantes soulignent à cet égard que, dans la décision attaquée, l'Autorité n'avait pas aggravé les sanctions infligées aux sociétés Senagral et Novandie au titre de leur appartenance à un groupe, bien qu'elles fassent également partie du " cercle restreint " identifié par l'Autorité.
525. À supposer même que, comme le soutient l'Autorité, il puisse être procédé à un relèvement automatique de la sanction au titre de l'appartenance à un groupe, lorsque les pratiques ont été imputées à la société faîtière du groupe, force serait de constater que les pratiques n'ont pas été imputées à la société BSA, société faîtière du groupe Lactalis.
526. Les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF font valoir, ensuite, que leur appartenance au groupe Lactalis est déjà prise en compte, d'abord, au titre du calcul du plafond légal du montant de la sanction, fondé sur le chiffre d'affaires mondial hors taxe de la société BSA, ensuite, au travers de l'imputation des pratiques mises en œuvre par la société LNUF MDD à ses sociétés mères LNUF et LNPF, enfin, compte tenu du refus de reconnaître à la société LNUF MDD le caractère d'entreprise mono-produit à raison de son appartenance au groupe Lactalis.
527. Dès lors, il n'y aurait pas lieu d'appliquer de surcroît un coefficient de majoration à la sanction infligée aux sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF au titre de leur appartenance au groupe Lactalis.
528. Les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF allèguent, enfin, qu'un effet dissuasif supplémentaire est inutile, puisqu'un programme de conformité visant l'ensemble des sociétés du groupe Lactalis a d'ores et déjà été décidé et mis en œuvre.
529. Invoquant le point 49 du communiqué sanctions, l'Autorité répond que l'augmentation critiquée est justifiée en raison de l'appartenance de la société LNUF MDD, auteure des pratiques, à un groupe qui à la fois occupe une place importante sur le marché français des produits laitiers sous MDD et est d'envergure internationale, circonstance ayant permis à cette société de faire partie du cercle restreint constitué par les quatre principales entreprises du secteur dont l'implication dans l'entente a eu un effet d'entraînement sur les acteurs secondaires.
530. La cour relève que, contrairement à ce que soutient l'Autorité dans ses observations, aucun développement de la décision attaquée n'impute les pratiques reprochées à l'entreprise formée par les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF à la société Groupe Lactalis, société mère de la société LNPF (la société Groupe Lactalis ne s'étant vu notifier les griefs qu'en sa seule qualité de société mère de la société Lactalis B&C), ou à la société BSA, à la fois société mère de la société Groupe Lactalis et société faîtière du groupe Lactalis. La cour renvoie à cet égard au paragraphe 260 de la décision attaquée. Il apparaît donc que l'entreprise formée par les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF a agi de façon autonome par rapport aux sociétés Groupe Lactalis et BSA.
531. Par ailleurs, il ne ressort pas du dossier, et il n'est pas d'ailleurs pas allégué par l'Autorité, que l'appartenance de ces sociétés, et notamment de la société LNUF MDD, auteure des pratiques, au groupe Lactalis a été de nature à influer sur l'appréciation de la gravité des pratiques qui leurs sont imputées.
532. Enfin, il ressort certes du dossier que les quatre entreprises ayant joué un rôle moteur dans l'entente - Yoplait, LNUF MDD, Senoble France, devenue Senagral, et Novandie - appartenaient toutes à des groupes importants, d'envergure nationale ou internationale.
Toutefois, il s'agissait également des quatre principales entreprises sur le marché des produits laitiers sous MDD, ainsi que le démontre le tableau de la valeur des ventes affectées par l'entente figurant au paragraphe 206 du présent arrêt.
533. Or rien dans le dossier ne permet de conclure que c'est l'appartenance de ces entreprises à un groupe, plutôt que leur qualité de principales entreprises du secteur, qui - à le supposer établi - a eu un effet d'entraînement sur les acteurs secondaires.
534. Dès lors, les conditions pour appliquer à l'entreprise constituée des sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF une majoration au titre de son appartenance au groupe Lactalis ne sont pas réunies. La décision attaquée sera réformée sur ce point et la sanction réduite à due proportion.
Concernant la société Lactalis B&C
535. II convient de rappeler, à titre liminaire, d'une part, que l'Autorité a retenu la responsabilité de la société Lactalis B&C en tant qu'auteure des pratiques, et de la société Groupe Lactalis en raison de sa qualité de société mère ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de sa filiale pendant la période de commission des pratiques (décision attaquée, § 260).
536. Les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis soutiennent que c'est à tort que l'Autorité a appliqué une augmentation de 25 % au motif de leur appartenance au groupe Lactalis.
537. Elles développent sur ce point les mêmes moyens que ceux exposés par les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, tels qu'ils sont synthétisés aux paragraphes 522 et suivants du présent arrêt.
538. Invoquant le point 49 du communiqué sanctions, l'Autorité répond que l'augmentation critiquée est justifiée en raison de l'appartenance de la société Lactalis B&C, auteure des pratiques, à un groupe qui à la fois occupe une place importante sur le marché français des produits laitiers sous MDD et est d'envergure internationale, circonstance ayant permis à cette société de faire partie du cercle restreint constitué par les quatre principales entreprises du secteur dont l'implication dans l'entente a eu un effet d'entraînement sur les acteurs secondaires.
539. La cour relève que, contrairement à ce que soutient l'Autorité dans ses observations, aucun développement de la décision attaquée n'impute les pratiques reprochées à l'entreprise formée par les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis à la société BSA, à la fois société mère de la société Groupe Lactalis et société faîtière du groupe Lactalis. Il apparaît donc que l'entreprise formée par les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis a agi de façon autonome par rapport à la société BSA.
540. Par ailleurs, il ne ressort pas du dossier, et il n'est pas d'ailleurs pas allégué par l'Autorité que l'appartenance de ces sociétés au groupe Lactalis a été de nature à influer sur l'appréciation de la gravité des pratiques qui leurs sont imputées.
541. Enfin, il ressort certes du dossier que les quatre entreprises ayant joué un rôle moteur dans l'entente - Yoplait, LNUF MDD, Senoble France, devenue Senagral, et Novandie - appartenaient toutes à des groupes importants, d'envergure nationale ou internationale.
Toutefois, il s'agissait également des quatre principales entreprises sur le marché des produits laitiers sous MDD, ainsi que le démontre le tableau de la valeur des ventes affectées par l'entente figurant au paragraphe 206 du présent arrêt.
542. Or, rien dans le dossier ne permet de conclure que c'est l'appartenance de ces entreprises à un groupe, plutôt que leur qualité de principales entreprises du secteur, qui - à le supposer établi - a eu un effet d'entraînement sur les acteurs secondaires.
543. À supposer même que tel ait été le cas, la seule participation à l'entente de la société LNUF MDD, société appartenant au groupe Lactalis, aurait suffi à produire un tel effet d'entraînement, sans que la participation de la société Lactalis B&C, société du même groupe, mais n'occupant elle-même qu'une position modeste sur le marché des produits laitiers sous MDD et n'appartenant pas au cercle restreint des quatre entreprises susmentionnées ayant joué un rôle moteur dans l'entente, ait pu augmenter de quelque façon que ce soit cet effet.
544. Dès lors, les conditions pour appliquer à l'entreprise constituée des sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis une majoration au titre de leur appartenance au groupe Lactalis ne sont pas réunies. La décision attaquée sera réformée sur ce point et la sanction réduite à due proportion.
Concernant la société Alsace Lait
545. La société Alsace Lait fait valoir que l'Autorité à manqué à l'obligation d'individualisation de la sanction qui pèse sur elle aux termes du point 47 du communiqué sanctions et lui impose de prendre en compte les éléments objectifs propres à chaque entreprise.
546. En premier lieu, la société Alsace Lait soutient qu'en ce qui la concerne, figurent parmi ces éléments son poids extrêmement faible sur le marché en cause, sa petite taille et le caractère régional de son activité. Elle considère que, dès lors que l'Autorité n'en a pas tenu compte au stade de la détermination de l'assiette de la sanction, en choisissant de se référer à la valeur des ventes, elle aurait dû prendre en considération lesdits éléments au stade du montant final de la sanction en appliquant une réduction significative à la sanction qui lui a été infligée.
547. Mais, ainsi qu'il a déjà été dit aux paragraphes 178 et suivants du présent arrêt, dans la présente espèce, où l'ensemble des pratiques sont concentrées sur le seul marché français des produits laitiers frais sous MDD, il est manifeste que la valeur des ventes affectées par l'entente propre à chaque entreprise est un indicateur fiable de son poids relatif dans l'entente.
548. Il s'ensuit que le faible poids de la société Alsace Lait sur le marché concerné par l'entente, paramètre traduisant à la fois la petite taille de cette entreprise et le caractère régional de son activité, est pris en compte dans le calcul de la sanction, fondé sur la valeur des ventes. Il peut notamment être relevé que la société Alsace Lait apparaît en neuvième position - sur onze entreprises - quant à la valeur des ventes affectées.
549. Ainsi, la méthode de calcul mise en œuvre conformément au communiqué sanctions a d'ores et déjà pris en compte le faible poids sur le marché en cause, la petite taille et le caractère régional de l'activité de la société Alsace Lait, de sorte qu'il n'y a pas lieu de lui accorder à ce titre une réduction supplémentaire de sa sanction.
550. En deuxième lieu, la société Alsace Lait fait valoir qu'elle n'exerce son activité que sur le segment des fromages frais et des crèmes fraîches, de sorte qu'elle doit être qualifiée d'entreprise mono-produit.
551. Elle réaliserait certes une partie de son chiffre d'affaires sur des marchés à l'export, qui ne sont pas affectés par l'entente, mais l'Autorité aurait déjà octroyé une réduction de sanction à des entreprises mono-produits dont le chiffre d'affaires intégrait des ventes sur des segments de marchés non affectés par les pratiques ou à des ventes à l'export (décision n° 13-D-03 du 13 février 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du porc charcutier).
552. Mais, dès lors qu'a le caractère d'entreprise mono-produit l'entreprise qui mène l'essentiel de son activité sur le secteur ou marché en relation avec l'infraction, et qu'en l'espèce, l'entente a été cantonnée au marché des produits laitiers frais vendus sous MDD en France, c'est à tort que la société Alsace Lait soutient qu'il convient de tenir également compte des ventes de produits laitiers frais sous MDD à l'export, s'agissant de marchés qui n'ont pas été affectés par l'entente.
553.À cet égard, la société Alsace Lait ne saurait utilement faire valoir que l'Autorité aurait déjà pris en compte des ventes non affectées par l'infraction pour apprécier le caractère d'entreprise mono-produit de l'entreprise concernée. En effet, la pratique décisionnelle antérieure de l'Autorité, si elle peut apporter des points de comparaison, pour autant que les questions d'espèce soient comparables, ne constitue pas un cadre juridique applicable à la détermination des sanctions pécuniaires en droit de la concurrence.
554. La société Alsace Lait ayant indiqué à l'Autorité que son chiffre d'affaires net total était de 121,054 millions d'euros en 2011 et la valeur de ses ventes réalisées en relation avec l'infraction de 42,721 millions d'euros cette même année, soit 35,29 % du chiffre d'affaires total, c'est à juste titre que l'Autorité ne lui a pas accordé la réduction dont, en vertu du point 48 du communiqué sanctions, peuvent bénéficier les entreprises mono-produits.
555. La cour ajoute surabondamment que, même en ajoutant à la valeur des ventes réalisées en relation avec l'infraction, c'est-à-dire sur le marché français ( 42,721 millions d'euros), la valeur des ventes de produits laitiers frais sous MDD réalisées à l'export (10 % de son chiffre d'affaires, soit 12,105 millions d'euros), la valeur des ventes de produits laitiers frais sous MDD (54,826 millions d'euros) ne représente que 45,29 % du chiffre d'affaires en2011, ce qui est insuffisant pour reconnaître à la société Alsace Lait le caractère d'entreprise mono-produit.
556. En dernier lieu, la société Alsace Lait fait valoir qu'il ressort du paragraphe 70 de la décision attaquée qu'elle a minimisé son implication en ne participant qu'à 9 des 22 réunions organisées par le groupe des meneurs.
557. A cet égard, la cour relève que si la société Alsace Lait n'a participé qu'à neuf réunions, elle a néanmoins été particulièrement active dans le cadre des appels d'offres, échangeant des informations ou passant des accords à l'occasion de quinze d'entre eux, ce qui constitue de loin le chiffre le plus élevé (décision attaquée, § 151 - tableau 19). L'intensité de sa participation se rapproche donc celle des sociétés Yoplait, Senagral, Novandie et LNPF MDD, qui constituaient ensemble le " noyau de l'entente ".
558. Dans ces conditions, il ne lui sera accordé qu'une réduction de 10 %.
Concernant la société Yéo Frais
559. En premier lieu, les sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union font valoir, d'abord, que la société Yéo Frais a participé de façon limitée aux faits d'ententes qui lui étaient reprochés. Il résulterait en effet de l'instruction qu'elle ne faisait pas partie du noyau dur de l'entente, composé des sociétés Yoplait, Senagral, Novandie et LNUF MDD ; qu'elle n'a participé qu'à six réunions sur les vingt-deux répertoriées par l'Autorité ; qu'elle n'a eu des contacts téléphoniques avec ses concurrents qu'à une " fréquence moyenne ", alors que cette fréquence a été qualifiée d'" élevée " ou " très élevée " pour une majorité des entreprises concernées ; enfin, que sur les dix-huit appels d'offres concernés par les pratiques, elle n'a été impliquée que dans un seul (un échange d'informations concernant l'appel d'offres lancé par la société Carrefour en 2009).
560. Elles soulignent, ensuite, que la société Yéo Frais a été la seule à avoir à la fois participé à une seule catégorie d'accords anticoncurrentiels visés par le grief n° 2 et participé à ce grief pour une durée inférieure à sa participation au grief n° 1 et, de surcroît, est celle qui à la fois présente l'écart de durée de participation le plus élevé et dont la durée de participation au grief n° 2 a été la plus brève, à l'exception de la société LHT. Elles estiment que toutes ces raisons justifient de les faire bénéficier d'un abattement plus important que celui accordé aux autres entreprises.
561. Enfin, elles arguent de ce que la société Yéo Frais n'aurait pas mis en œuvre de façon complète les mesures décidées en commun, c'est-à-dire, en ce qui la concerne, l'accord sur les hausses tarifaires. Les requérantes font en effet valoir que la décision attaquée n'identifie la participation de la société Yéo Frais qu'à un seul accord sur les hausses tarifaires, celui intervenu lors d'une réunion du 4 janvier 2011, tout en relevant qu'elle ne l'a pas mis en œuvre (décision attaquée, §§ 110 et suiv.).
562. À cet égard, d'une part, ainsi qu'il résulte des développements consacrés au montant de base de la sanction, l'Autorité a déjà accordé à la société Yéo Frais un abattement forfaitaire de 35 % pour tenir compte à la fois de l'importance de l'écart entre la durée de sa participation au grief n° 1 et celle de sa participation au grief n° 2 et de la brièveté de son implication dans le grief n° 2.
563. Mais, d'autre part, l'Autorité a manqué à son obligation d'individualisation des sanctions en ne tenant pas compte de la moindre intensité de la participation de la société Yéo Frais aux pratiques sanctionnées par rapport aux autres entreprises, ce que n'a pas permis la prise en compte de la durée de sa participation au grief n° 2, intrinsèquement comme par comparaison avec la durée de sa participation au grief n° 1.
564. D'abord, la société Yéo Frais n'appartenait pas au cercle des quatre entreprises constituant le " noyau de l'entente ".
565. Ensuite, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la décision attaquée a retenu la participation de la société Yéo Frais, non seulement à l'accord du 4 janvier 2011, mais également aux accords sur les hausses de prix conclus entre le 8 février 2007 et le 5 septembre 2007 ainsi qu'à l'accord sur les hausses de prix conclu le 22 juin 2011.
566. Il est en revanche constant que, s'agissant du grief n° 2, la société Yéo Frais n'a participé qu'aux accords sur les hausses de prix, et n'est concernée ni par l'accord sur le gel des volumes ni par celui sur les prix en appel d'offres (décision attaquée, § 172 - tableau 21).
567. Enfin, il ressort du paragraphe 49 du rapport que la fréquence des contacts téléphoniques de la société Yéo Frais avec les autres entreprises a été moyenne, qu'elle n'a participé qu'à six réunions et qu'elle n'a échangé des informations qu'à l'occasion d'un seul appel d'offres. Dès lors, l'intensité de sa participation aux pratiques apparaît globalement faible.
568. Afin de tenir compte de ces circonstances, qui rendent le comportement de la société Yéo Frais objectivement moins grave que celui des autres entreprises impliquées, il sera appliqué une réduction de 35 % au montant de base la concernant.
569. En second lieu, les sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union font valoir que la société Yéo Frais réalise 91 % de son chiffre d'affaires au titre de la vente de produits laitiers frais sous MDD, de sorte qu'elle doit se voir reconnaître le caractère d'entreprise mono-produit.
570. Mais il ressort de la décision attaquée (§ 268) qu'a été retenue la responsabilité de la société Yéo Frais, en tant qu'auteure des pratiques, et des sociétés 3A Groupe et Sodiaal Union, cette dernière venant aux droits de la société 3A Coop, en raison de leur qualité de sociétés mères ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de leur filiale pendant la période de commission des pratiques. Ni devant l'Autorité ni dans le cadre du présent recours, les requérantes n'ont contesté cette analyse.
571. Partant, il est constant que les sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union forment, ensemble, l'" entreprise ", au sens tant de l'article L. 464-2 du Code de commerce que du communiqué sanctions, notamment son point 48.
572. C'est donc au regard de l'entité économique formée par lesdites sociétés qu'il convient d'apprécier le caractère d'entreprise mono-produit. À cet égard, ainsi que la cour l'a déjà souligné, dès lors que toutes les sociétés constituant l'entreprise sanctionnée sont solidairement tenues au paiement de la sanction pécuniaire, seul le chiffre d'affaires réalisé par l'ensemble de ces sociétés fournit une indication sur leur capacité collective à assurer le poids de la sanction.
573. Or il ressort du dossier que le chiffre d'affaires de la société 3A Coop, aux droits de laquelle vient la société Sodiaal Union, était de 766,155 millions d'euros en 2011, tandis que la valeur des ventes en relation avec l'infraction s'élevait à 49,708 millions d'euros cette même année, soit 6,49 % seulement du chiffre d'affaires total.
574. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité a refusé d'accorder la réduction dont, en vertu du point 48 du communiqué sanctions, peuvent bénéficier les entreprises mono-produits.
Concernant la société LHT
575. En premier lieu, se fondant notamment sur la jurisprudence du Tribunal de l'Union, la société LHT fait valoir que, conformément au principe d'individualisation et de proportionnalité des peines, ainsi que d'égalité de traitement, il y a lieu de refléter, dans les sanctions prononcées, les différences existant dans les degrés de participation des entreprises à l'infraction poursuivie, notamment lorsqu'une entreprise n'a participé qu'à un seul des trois volets que comporte l'infraction.
576. Elle considère que la brièveté de sa participation à l'infraction, le fait qu'elle n'a participé qu'à une seule des branches du grief n° 2, le rôle de suiveur qui a été le sien dans l'entente et son absence du marché des yaourts, lesquels constituent la principale catégorie de produits laitiers frais, justifient que lui soit accordé un abattement de 58 %.
577. À cet égard, la cour rappelle que l'Autorité a déjà tenu compte de la brièveté de la participation de la société LHT aux pratiques sanctionnées, au travers à la fois du coefficient de durée de 0,66 qui lui a été appliqué - coefficient très faible dans l'absolu comme par comparaison avec ceux appliqués aux autres entreprises, compris de 2,16 ou 3 ou 3,08, selon l'entreprise concernée et de l'abattement de 38 % au titre de la participation inégale au grief N°2, appliqué en vue du calcul du montant de base.
578. De même, son absence du marché des yaourts est suffisamment prise en compte au travers de la valeur des ventes affectées, qui a servi au calcul du montant de base de la sanction, d'un montant relativement faible (seules deux entreprises présentaient une valeur de leurs ventes inférieure).
579. En revanche, l'Autorité a manqué à l'obligation d'individualisation des sanctions en ne tenant pas compte de la moindre intensité de la participation de la société LHT aux pratiques sanctionnées par rapport aux autres entreprises, ce que n'a pas permis la prise en compte de la durée intrinsèque de sa participation au grief n° 2.
580. D'abord, la société LHT n'appartenait pas au cercle des quatre entreprises constituant le " noyau de l'entente ".
581. Ensuite, il est constant que, au cours de la courte période (8 mois) de sa participation aux pratiques sanctionnées, la société n'a participé qu'à une seule branche des pratiques constitutives du grief n° 2, à savoir les accords sur les hausses de prix, et n'est concernée ni par l'accord sur le gel des volumes ni par celui sur les prix en appel d'offres (décision attaquée, § 172 - tableau 21).
582. Enfin, il ressort du paragraphe 49 du rapport que la fréquence des contacts téléphoniques de la société LHT avec les autres entreprises a été très faible. Même si elle a participé à cinq réunions, l'intensité de sa participation aux pratiques apparaît globalement faible.
583. Afin de tenir compte de cette circonstance, qui rend le comportement de la société LHT objectivement moins grave que celui des autres entreprises impliquées, il sera appliqué une réduction de 35 % de la sanction prononcée à son encontre. La sanction sera réduite à due proportion.
584. En second lieu, la société LHT fait valoir qu'elle s'est distancée publiquement de l'entente en la quittant de manière définitive, ainsi que le démontre le fait qu'après la réunion du 5 septembre 2007, elle n'a plus jamais participé aux pratiques incriminées, ni été invitée à y participer, alors que celles-ci se sont poursuivies jusqu'aux opérations de visite et saisies réalisées au début de l'année 2012.
585. Elle considère que l'Autorité aurait dû lui reconnaître le bénéfice de la circonstance atténuante que sa pratique décisionnelle comme la jurisprudence des juridictions nationales et de l'Union accordent aux entreprises qui se dissocient publiquement d'une entente.
586. Elle souligne que les circonstances qu'elle met en avant pour bénéficier de ladite circonstance atténuante ne se recoupent pas avec celles ayant conduit aux réductions ou abattements opérés sur le montant de base de l'amende : en effet, elles ne tiennent pas à son faible degré d'implication dans l'infraction ou à la courte durée de sa participation, mais à la distanciation publique dont elle a fait preuve en quittant l'entente de manière définitive.
587. Elle réclame dès lors une réduction de la sanction au moins égale à celle accordé à la société Novandie à raison de son rôle de franc-tireur, soit 15 % au minimum.
588. À cet égard, la cour rappelle que, dès lors qu'une entreprise participe, même sans y prendre une part active, à des réunions entre entreprises ayant un objet anticoncurrentiel et qu'elle ne se distancie pas publiquement du contenu de celles-ci, donnant ainsi à penser aux autres participants qu'elle souscrit au résultat des réunions et qu'elle s'y conformera, il peut être considéré comme établi qu'elle participe à l'entente résultant desdites réunions.
589. La notion de distanciation publique est donc utilisée aux fins d'apprécier si, et à quel moment, une entreprise a cessé de participer à une entente. Elle ne constitue pas, en revanche, une circonstance atténuante autonome.
590. Ainsi, si l'entreprise est en mesure d'établir qu'elle s'est publiquement distanciée du contenu de l'entente à partir d'une certaine date, l'Autorité en tiendra compte dans le calcul de la durée de sa participation à l'entente, celle-ci prenant fin à la date de cette distanciation publique. Si, à l'inverse, l'entreprise ne rapporte pas cette preuve, elle sera considérée comme ayant continué de participer à l'entente.
591. Il est constant que la participation de la société LHT avait pris fin le 5 septembre 2007. Sa distanciation du contenu de l'entente à compter de cette date a donc été prise en compte à suffisance de droit, se traduisant par un coefficient de durée - 0,66 - très faible dans l'absolu comme par comparaison avec celui appliqué aux autres entreprises - de 2,16 ou 3 ou 3,08, selon l'entreprise concernée.
592. Vainement la société LHT compare-t-elle sa situation à celle de la société Novandie, qui a bénéficié d'une réduction de 15 % au titre de son rôle de franc-tireur. En effet, l'épisode de " guerre des prix " au cours duquel la société Novandie a durablement perturbé le fonctionnement même de l'entente, est entré dans le calcul de la durée de participation de cette société aux pratiques constitutives du grief n° 1 (décision attaquée, § 330).
593. C'est encore en vain que la société LHT fait valoir que le risque que prend une entreprise, notamment une PME, en quittant une entente horizontale, a fortiori lorsque celle-ci implique les entreprises les plus puissantes du secteur, devrait donner lieu à une réduction spécifique de la sanction. Une telle approche reviendrait à récompenser une entreprise au seul motif qu'elle se contente d'abandonner un comportement illicite.
594. C'est donc à juste titre que l'Autorité a rejeté la demande de la société LHT de réduction à ce titre de la sanction qui lui était infligée.
3. Conclusion sur le montant intermédiaire de la sanction
595. Le tableau ci-dessous récapitule, pour chaque entreprise, le montant intermédiaire de la sanction après individualisation, arrondi aux 100 000 euros inférieurs.
Entreprises Montant intermédiaire (en euros)
Senagral 116 800 000
Novandie 75 300 000
LNUF MDD 50 000 000
MLC 25 200 000
Alsace Lait 11 100 000
Yéo Frais 9 200 000
Laïta 8 800 000
Lactalis B&C 3 600 000
LHT 900 000
D. Sur la prise en compte du cas particulier de la société LSM
596. La société LSM n'est concernée que pour environ sept mois de participation - du 19 janvier au 7 septembre 2011, correspondant à la seconde phase de l'entente au cours de laquelle aucun surprix n'a été identifié, et uniquement au titre du grief n° 1, lequel présente un degré de gravité moindre que le grief n° 2.
597. En outre la société LSM, dont la valeur des ventes affectée par l'entente s'établissait à 8 597 586 euros en 2011 (décision attaquée, § 285), est le plus petit opérateur impliqué, n'occupant qu'une position très marginale sur le marché des produits laitiers frais sous MDD.
598. La spécificité de sa situation conduit la cour à ne pas faire application de la méthode de détermination des sanction résultant du communiqué sanctions pour fixer une sanction d'un montant en tout état de cause inférieur à celui qui aurait été obtenu avec cette méthode.
599. L'ensemble des éléments de la cause permet à la cour de fixer la sanction infligée à la société LSM, au titre de sa participation aux pratiques, et à la société SILL Entreprises, qui la détient à 100 %, au titre de l'influence déterminante sur sa filiale avec qui elle constitue une unité économique, une sanction pécuniaire qui sera limitée à 250 000 euros.
600. La cour souligne que cette sanction représente environ 2,9 % de la valeur des ventes de la société LSM affectées par l'entente en 2011.
601. La cour, qui considère que la seule prise en compte du grief n° 1, aurait conduit à retenir, aux fins du calcul du montant de base de la sanction, un pourcentage de la valeur des ventes qui n'aurait pas été inférieur à 10 %, souligne encore que le montant de 250 000 euros est inférieur au résultat qui aurait été obtenu en appliquant le communiqué sanctions, quand bien même la société LSM, qui, dans le cadre du présent recours, n'a invoqué le bénéfice d'aucune circonstance atténuante, aurait bénéficié d'une réduction de la sanction de 35 % en raison de la faible intensité de sa participation aux pratiques.
602. La sanction ainsi fixée est donc plus favorable aux sociétés LSM et SILL Entreprises que si le communiqué sanctions avait été appliqué à la situation particulière de la première.
E. Sur les ajustements finaux
1. Sur la vérification du respect du maximum légal
603. L'article L. 464-2 I quatrième alinéa du Code de commerce dispose :
" Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euros. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante. "
604. Par ailleurs, le III de l'article L. 464-2 du Code de commerce dispose qu'en cas de non-contestation de grief " le montant maximum de la sanction encourue est réduit de moitié ".
Concernant la société Senagral
605. Il convient de rappeler à titre liminaire qu'en mars 2012, les groupes Senoble et Agrial ont créé l'entreprise commune Senagral Holding, à laquelle 100 % du capital de la société Senagral, anciennement Senoble France, auteure des pratiques a été apporté (décision attaquée, § 36), et qu'en 2013, la participation du groupe Agrial dans le capital de la société Senagral Holding est passé de 49 % à 51 %. Partant, c'est à compter de l'exercice 2013 que le groupe Agrial a consolidé les comptes des sociétés Senagral et Senagral Holding.
606. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par le groupe Agrial était de 3 901 000 000 euros au 31 décembre 2013. Le montant maximum de la sanction pour la société Senagral s'élève donc à 390 millions d'euros.
607. Ce montant est supérieur au montant de la sanction de 116,8 millions d'euros figurant au tableau du paragraphe 595 du présent arrêt.
608. Les sociétés Senagral et Senagral Holding font toutefois valoir, à titre principal, que, dès lors qu'elles ont constitué, pendant toute la procédure devant l'Autorité, une entreprise commune, autonome de leurs mères successives - Senoble Holding et Agrial -, il y a lieu de vérifier la non-atteinte du plafond légal par rapport au seul chiffre d'affaires de l'entreprise commune, et non par rapport au groupe Agrial, auquel l'infraction n'est pas imputée.
609. Selon elles, en effet, lorsque l'entreprise sanctionnée a agi de façon autonome, la prise en compte du chiffre d'affaires consolidé du groupe auquel elle appartient priverait le plafond légal de sa finalité, qui est de protéger ladite entreprise contre un niveau excessif d'amende qui pourrait détruire sa substance.
610. Au demeurant, dès lors qu'il est fait application de l'article 101 du TFUE, doit être respectée la règle, énoncée dans la jurisprudence des juridictions de l'Union, selon laquelle le chiffre d'affaires à prendre en compte pour la détermination du plafond légal prévu successivement aux articles 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 81 et 82 du traité, et 23, paragraphe 2, du règlement(CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, est celui de l'entreprise qui s'est vu imputer l'infraction, en l'espèce la seule société Senagral.
611. A titre subsidiaire, les sociétés Senagral et Senagral Holding font valoir qu'en 2013, le groupe Agrial n'exerçait sur elles qu'un contrôle conjoint - avec la société Senoble Holding jusqu'au 25 juillet 2015, puis avec les sociétés Senoble Holding et Eurial à compter de cette même date. Dans ces conditions, rien ne justifierait que pèse sur le groupe Agrial une solidarité de fait pour le paiement de la fraction de la sanction pécuniaire supérieure à 10 % du chiffre d'affaires propre des sociétés Senagral et Senagral Holding, pourcentage au-delà duquel la sanction pécuniaire est présumée ne pas pouvoir être payée par l'entreprise sanctionnée.
612. De plus, l'entrée de la société Senagral dans le groupe Agrial comme la création de la société Senagral Holding ayant eu lieu postérieurement à la cessation des pratiques, et les chiffres d'affaires de ces sociétés n'ayant donc pas été consolidés dans les comptes du groupe Agrial sur la période de commission des pratiques, il serait contraire au principe de personnalité des peines et au droit de l'Union de fixer le plafond légal de la sanction qui leur est infligée par référence au chiffre d'affaires consolidé de ce groupe.
613. A titre infiniment subsidiaire, les sociétés Senagral et Senagral Holding font valoir que la société Senoble Holding s'étant engagée à garantir le groupe Agrial de toutes les conséquences de la procédure devant l'Autorité, c'est elle qui supportera in fine le poids de la sanction. Cette circonstance imposait à l'Autorité de prendre en compte, pour le calcul du plafond légal, le chiffre d'affaires du groupe Senoble.
614. La société Senso, venant aux droits de la société Senoble Groupe Services, anciennement Senoble Holding, développe en substance la même argumentation que les sociétés Senagral et Senagral Holding.
615. La cour rappelle, en premier lieu, que, dans son ordonnance du 28 juin 2008, Italsempione - Spedizioni Internazionali, (C-450/15, points 17 et 18), la CJUE a jugé qu'en ce qui concerne les amendes infligées aux entreprises ou aux associations d'entreprises pour infraction aux règles de concurrence de l'Union, l'article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 prévoit des règles uniquement pour des situations dans lesquelles de telles amendes sont imposées par la Commission, et rappelé qu'aux termes de l'article 5 du même règlement, les autorités de la concurrence des États membres infligent des amendes selon leur droit national.
616. Ainsi, le calcul de la sanction doit être effectué en application des seules règles de droit national, plus précisément l'article L. 464-2 du Code de commerce.
617. La référence aux arrêts du Tribunal de l'Union européenne du 12 octobre 2011, Alliance One International/Commission (T-41/05) et du 11 juillet 2014, Sasol e.a./Commission (T-541/08), qui se bornent à interpréter les articles 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, est donc dépourvue de pertinence.
618. En deuxième lieu, il résulte de la dernière phrase de l'article L. 464-2 I quatrième alinéa du Code de commerce que, lorsque les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte pour le calcul du plafond légal est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante.
619. À cet égard, premièrement, la prise en compte du chiffre d'affaires figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante n'est pas subordonnée au constat que cette dernière a exercé une influence déterminante sur le comportement de l'entreprise sanctionnée. Le plafond légal sera donc calculé par rapport à ce chiffre d'affaires, même lorsque l'entreprise sanctionnée a agi de façon autonome.
620. Deuxièmement, la prise en compte du chiffre d'affaires figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante n'est pas davantage subordonnée, par l'article L. 464-2 I quatrième alinéa du Code de commerce, au constat préalable que l'appartenance de l'entreprise sanctionnée à un groupe a joué un rôle dans la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles ou est de nature à influer sur l'appréciation de leur gravité, de sorte que ledit chiffre d'affaires doit servir de base au calcul du plafond légal, que la sanction ait ou non été majorée en raison de l'appartenance de l'entreprise sanctionnée à un groupe.
621. Troisièmement, ladite disposition n'exige pas que l'entreprise sanctionnée ait été, au moment des pratiques anticoncurrentielles, filiale de l'entreprise consolidante ou combinante, seul important le fait que ses comptes ont été consolidés ou combinés au titre de l'exercice au cours duquel a été réalisé le chiffre d'affaires retenu pour le calcul du plafond légal.
622. Quatrièmement, il n'est pas davantage exigé que, lors de l'exercice clos dont le chiffre d'affaires est retenu pour le calcul du maximum légal, l'entreprise consolidante ou combinante détienne 100 % du capital de l'entreprise sanctionnée.
623. En troisième lieu, dans sa décision n° 2015-489 QPC du 14 octobre 2015 (considérants 9 à 22), le Conseil constitutionnel a dit que les deuxième et troisième phrases du quatrième alinéa de l'article L. 464-2, I, du Code de commerce ne méconnaissent ni les principes de nécessité et de proportionnalité des peines, ni le principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait, ni le principe d'individualisation des peines.
624. Il convient, notamment, de souligner que le Conseil constitutionnel a statué en ce sens alors même que l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité faisait valoir devant lui que, " dans la mesure où [l]es dispositions [de l'article L. 464-2, I, du Code de commerce] permettent de prendre en considération le chiffre d'affaires consolidé d'un groupe alors même qu'il est étranger à l'infraction commise par l'entreprise, soit qu'aucune autre entreprise de ce groupe n'a contribué à l'infraction, soit que l'entreprise ayant commis l'infraction a intégré le groupe postérieurement à la commission de celle-ci, elles méconnaîtraient également les principes d'individualisation et de personnalité des peines " (décision n° 2015-489 QPC, considérant 11).
625. Ainsi, aucune disposition légale ou réglementaire et aucun principe ne s'opposent à ce que le maximum légal soit calculé par référence au chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxe du groupe Agrial.
626. Enfin, en dernier lieu, il n'est pas contesté que, lors de la création de l'entreprise commune Senagral Holding par les groupes Senoble et Agrial, la société Senoble Holding, devenue Senoble Groupe Services, société faîtière du groupe Senoble, s'est engagée à garantir le groupe Agrial contre toutes les conséquences de l'enquête alors menée par l'Autorité, enquête ayant abouti à la décision attaquée. Il apparaît ainsi qu'ultimement, la sanction pécuniaire infligée à la société Senagral sera supportée par la société Senso, venant aux droits de la société Senoble Groupe Services, que le groupe Agrial ne manquera pas d'appeler en garantie.
627. Les dispositions de l'article L. 464-2 I quatrième alinéa du Code de commerce ne permettent toutefois pas que des conventions entre les sociétés mères successives de la société auteure des pratiques soient prises en compte aux fins d'établir le plafond légal de la sanction pécuniaire infligée à cette société, une telle circonstance n'empêchant pas que, à la date à laquelle la sanction est infligée, l'entreprise auteure des faits appartienne à un groupe qui dispose de la puissance économique suffisante pour, s'il le souhaite, l'aider à régler la sanction.
628. L'ensemble des arguments des sociétés Senagral et Senagral Holding, ainsi que Senso, seront rejetés.
Concernant la société Novandie
629. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par le groupe Andros qui consolide les comptes de Novandie et Andros et Cie était de 1 886 700 000 euros au 31 décembre 2013.
630. Du fait de la mise en œuvre de la procédure de non-contestation des griefs, le montant maximum de la sanction pour les sociétés Novandie et Andros et Cie s'élève à 94,3 millions d'euros. Ce montant est supérieur au montant de la sanction de 75,3 millions d'euros figurant au tableau du paragraphe 595 du présent arrêt.
631. La cour ajoute, en tant que de besoin, que le fait de calculer le plafond légal de la sanction sur la base du chiffre d'affaires de la société consolidante, conformément aux dispositions légales en vigueur, ne constitue en aucun cas l'application d'une majoration de la sanction à raison de l'appartenance à un groupe, une telle majoration n'ayant au demeurant été ni appliquée par l'Autorité dans la décision attaquée, partiellement annulée, ni demandée par elle dans le cadre du présent recours.
Concernant la société MLC
632. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par la société MLC, société faîtière de son groupe, était de 1 742 485 279 euros au 31 décembre 2013.
633. Du fait de la mise en œuvre de la procédure de non-contestation des griefs, le montant maximum de la sanction pour la société MLC s'élève donc à 87,1 millions d'euros.
634. Ce montant est supérieur au montant de la sanction de 25,2 millions figurant au tableau du paragraphe 595 du présent arrêt.
635. La société MLC fait toutefois valoir que prendre en compte, pour la détermination du plafond légal de la sanction, son chiffre d'affaires consolidé, lequel intègre le chiffre d'affaires réalisé par ses filiales, alors qu'elles n'ont joué aucun rôle dans les pratiques anticoncurrentielles sanctionnées et n'interviennent même pas sur le marché concerné par l'entente, violerait les principes d'individualisation et de proportionnalité des sanctions.
636. Selon la société MLC, d'abord, retenir une lecture littérale de l'article L. 464-2 I quatrième alinéa du Code de commerce, méconnaîtrait l'esprit et la finalité de cette disposition, dont l'objectif premier est de lutter contre les montages juridiques permettant à une société filiale, auteure de pratiques prohibées, d'être vidée de sa substance par le transfert de ses revenus dans sa société mère, afin de réduire le montant de l'amende prononcée contre elle.
Or, tel n'était pas le cas en l'espèce, puisque la société MLC est la société mère de son groupe, et non une filiale.
637. Ensuite, il résulterait de la jurisprudence de la cour (CA Paris, 19 janvier 2010, n° 2009/00334; CA Paris, 28 mai 2015, n° 2014/09272), et de celle de la Cour de cassation (Com., 18 février 2014, n° 12-27.643) que l'appartenance à un groupe ne peut être retenue que si elle a joué un rôle dans les mécanismes anticoncurrentiels. A défaut, la détermination du plafond légal devrait être faite par référence au chiffre d'affaires de l'entreprise sanctionnée et non au chiffre d'affaires consolidé du groupe auquel elle appartient.
638. En l'espèce, aucune autre entreprise du groupe n'ayant joué le moindre rôle, il conviendrait de déterminer le plafond légal de la sanction par référence au seul chiffre d'affaires de la société MLC.
639. Enfin, la réforme introduite par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (ci-après la loi NRE) visait, plus généralement, à mettre le droit français de la concurrence en conformité avec le droit de l'Union. Or, retenir le chiffre d'affaires consolidé pour calculer le plafond légal serait contraire au droit de l'Union, l'article 23 du règlement n° 1/2003, tel qu'interprété par les juridictions de l'Union, disposant que la détermination du plafond légal de la sanction doit se faire par référence au seul chiffre d'affaires global de l'entreprise qui s'est vu imputer l'infraction.
640. Mais, en premier lieu, ainsi qu'il a déjà été dit au paragraphe 616 du présent arrêt, les autorités de la concurrence des États membres infligent des amendes selon leur droit national.
641. L'article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 étant inapplicable, il convient de déterminer le plafond légal de la sanction en application des seules règles de droit national, plus précisément l'article L. 464-2 du Code de commerce.
642. En second lieu, il résulte tant des travaux parlementaires que du libellé de l'article L. 464-2 I, quatrième alinéa, du Code de commerce que, si la loi NRE a cherché à éviter la fraude consistant à vider l'entreprise auteure des pratiques afin de réduire le chiffre d'affaires servant de base au plafond de la sanction et s'assurer ainsi que la sanction sera faible, voire dérisoire, elle a une autre finalité, plus générale, qui est d'inciter l'Autorité à, et lui donner les moyens de, rehausser le niveau des sanctions prononcées.
643. Ce second objectif, qui doit être poursuivi en dehors de toute hypothèse de fraude, est notamment atteint par le doublement du plafond (10 % du chiffre d'affaires et non plus 5 %), par la prise en compte du chiffre d'affaires mondial (et non plus national) et, en cas de consolidation des comptes, par la prise en compte du chiffre d'affaires de l'entreprise consolidante.
644. Dès lors, tant le rehaussement du plafond de 5 à 10 % que la prise en compte du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise consolidante dans le calcul du plafond légal doivent s'appliquer aussitôt que les comptes de l'entreprise auteure des pratiques anticoncurrentielles sont consolidés.
645. En dernier lieu, c'est en vain que la société MLC invoque la jurisprudence de la cour et de la Cour de cassation, laquelle énonce les conditions dans lesquelles l'Autorité peut user de la faculté de rehaussement de la sanction à raison de l'appartenance de l'entreprise concernée à un groupe, prévue au point 49 de son communiqué sanctions, mais est étrangère à la détermination du plafond légal.
646. En l'espèce, il est constant que les comptes de la société MLC sont consolidés. La circonstance, certes inhabituelle, qu'ils ne le sont pas au niveau d'une société mère de la société auteure des pratiques anticoncurrentielles, mais au niveau même de la société auteure des pratiques, par ailleurs société faîtière de son groupe, ne fait pas obstacle à l'application de l'article L. 464-2 I quatrième alinéa du Code de commerce.
647. Il serait pour le moins paradoxal que, lorsque l'auteure des pratiques est une filiale, les comptes consolidés au niveau de la société mère à laquelle les pratiques anticoncurrentielles n'ont pas été imputées soient pris en compte pour la détermination du plafond légal, tandis que, lorsque l'auteure des pratiques est la société mère, les comptes consolidés au niveau de cette société mère ne puissent pas l'être.
648. Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-489 QPC précitée (considérants 9 à 22), l'article L. 464-2 I quatrième alinéa du Code de commerce ne méconnaît ni les principes de nécessité et de proportionnalité des peines, ni le principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait, ni le principe d'individualisation des peines.
649. L'argumentation de la société MLC sera donc écartée.
Concernant la société Laïta
650. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par le groupe Even, qui consolide les comptes de la société Laïta, était de 2 060 000 000 euros au 31 décembre 2013.
651. Du fait de la mise en œuvre de la procédure de non-contestation des griefs, le montant maximum de la sanction pour la société Laïta s'élève donc à 103 millions d'euros.
652. Ce montant est supérieur au montant de la sanction 8,8 millions d'euros figurant au tableau du paragraphe 595 du présent arrêt.
Concernant la société LSM
653. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par le groupe SILL, qui consolide les comptes de la société LSM, était de 326 823 664 euros au 31 décembre 2011. Le montant maximum de la sanction pour la société LSM s'élève à 32,6 millions d'euros.
654. Ce montant est supérieur au montant de la sanction de 250 000 euros infligée à cette société aux paragraphes 596 et suivants du présent arrêt.
Concernant les sociétés LNUF MDD, Lactalis B&C, Alsace Lait, Yéo Frais et LHT
655. La cour constate que, dans le cadre du présent recours, les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, Lactalis B&C, Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union ainsi que LHT n'ont pas contesté que les montants intermédiaires de sanction figurant au paragraphe 359 de la décision attaquée, et qui sont plus élevés que ceux figurant au tableau du paragraphe 595 du présent arrêt, ne dépassaient pas le montant maximal de la sanction encourue.
656. Elle constate également qu'au paragraphe 370 de la décision attaquée, l'Autorité a écrêté la sanction encourue par la société Alsace Lait au niveau du maximum légal, soit 6 200 000 euros, sans que celle-ci soutienne, dans le cadre du présent recours, que le maximum légal s'établirait à un montant inférieur.
2. Sur l'exonération de sanction au titre de la procédure de clémence
657. Aux termes de l'article L. 464-2 IV du Code de commerce, " [u]ne exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires peut être accordée à une entreprise ou à un organisme qui a, avec d'autres, mis en œuvre une pratique prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 s'il a contribué à établir la réalité de la pratique prohibée et à identifier ses auteurs, en apportant des éléments d'information dont l'Autorité ou l'administration ne disposaient pas antérieurement".
658. Ainsi qu'il a été rappelé en page 6 du présent arrêt, le rapporteur général de l'Autorité a, par procès-verbal du 22 février 2012, reçu la demande de clémence que les sociétés Senagral, Senoble Holding, Senagral Holding et Senoble Desserts Premium lui avaient présentée en sollicitant la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 464-2 IV du Code de commerce.
659. Cette demande portait sur le secteur des produits laitiers frais commercialisés sous MDD par la GMS et celui des mêmes produits destinés à la RHF, ainsi que sur des pratiques bilatérales concernant les fromages frais lissés et moulés. Elle était postérieure à la demande de clémence présentée le 12 août 2011 pour le compte de la société General Mills Inc. et de certaines de ses filiales, laquelle avait fait l'objet d'un avis de clémence du 19 janvier 2012 leur accordant le bénéfice conditionnel d'une exonération totale de sanction, et avait donc le caractère d'une demande dite " de second rang ".
660. Par avis de clémence n° 13-AC-03 du 6 mars 2013, l'Autorité a décidé que les pratiques bilatérales portant sur les fromages frais lissés et moulés feraient l'objet d'un traitement distinct et considéré, s'agissant des produits laitiers commercialisés sous MDD et de ceux destinés à la RHF, qu'il y avait lieu d'accorder aux demanderesses une réduction conditionnelle de sanction comprise entre 25 % et 40 %, " ceci compte tenu du rang de la demande, du moment auquel la demande a été présentée ainsi que du degré de valeur ajoutée apportée par les pièces, en considération de ce dont les services d'instruction disposent déjà " (§ 50). Aux termes du même avis, le bénéfice de cette exonération était subordonné au respect de cinq conditions, tenant, en particulier, à la coopération attendue des demanderesses de clémence.
661. À l'issue de leur instruction, les rapporteurs ont considéré que les éléments recueillis n'établissaient pas la preuve des pratiques concernant le secteur de la RHF ; aussi les deux griefs qu'ils ont notifiés aux entreprises en cause n'ont-ils porté que sur le secteur des produits laitiers frais commercialisés sous MDD.
662. La cour ayant notamment annulé l'article 3 de la décision attaquée en tant qu'il a fixé le montant des sanctions pécuniaires prononcées à l'encontre des sociétés Senagral et Senagral Holding. Il lui incombe de faire directement application des dispositions de l'article L. 464-2 IV du Code de commerce et de déterminer s'il y a lieu, et dans quelle mesure, d'accorder à la société Senagral une exonération de la sanction pécuniaire qu'elle encourt.
663. À cet égard, la cour relève, en premier lieu, qu'il n'est pas discuté que les demanderesses clémence ont rempli les obligations auxquelles l'avis de clémence avait subordonné le bénéfice d'une exonération partielle de sanction.
664. En deuxième lieu, elle considère que c'est à juste titre que l'Autorité a pris en compte, dans son avis de clémence, le caractère de second rang de la demande ainsi que son moment, étant rappelé que les demanderesses de clémence se sont pour la première manifestées auprès du rapporteur général par une télécopie du 9 février 2012, soit le jour même des opérations de visites et saisies, lesquelles, comme cela est relevé dans l'avis, " ont très vraisemblablement constitué l'élément déclencheur de leur démarche ".
665. En troisième lieu, la cour considère, au vu des faits de l'espèce, que l'Autorité a, dans son avis de clémence, justement qualifié de " moyenne à forte " la valeur ajoutée significative des pièces fournies et, partant, que la limite haute de la fourchette d'exonération de 25 % à 40 % est proportionnée à la contribution apportée par les demanderesses de clémence à l'établissement des pratiques en cause, sans qu'aucun élément du dossier ne conduise à envisager de retenir un niveau supérieur d'exonération.
666. L'octroi du montant d'exonération le plus élevé de la fourchette envisagée par l'Autorité ne serait toutefois justifié que si toutes les pratiques dénoncées avaient pu être démontrées.
Or les éléments relatifs à la RHF se sont avérés insuffisants à établir les pratiques qui avaient été dénoncées dans ce domaine.
667. Dès lors, la cour fixe à 35 % l'exonération de sanction pécuniaire qu'elle accorde à la société Senagral.
3. Sur la réduction de sanction au titre de la procédure de non-contestation des griefs
668. L'article L. 464-2 III du Code de commerce permet au rapporteur général de proposer à l'Autorité de tenir compte, dans le cadre de la détermination de la sanction, du fait qu'une entreprise ou un organisme choisit de ne pas contester les griefs qui lui ont été notifiés. Le rapporteur général peut, par ailleurs, lui proposer de tenir compte du fait que l'intéressé s'engage en outre à modifier son comportement pour l'avenir.
669. En application du point 53 du communiqué sanctions, le montant définitif de la sanction, après avoir été comparé au maximum légal, intègre ensuite, le cas échéant, la réduction accordée au titre de la non-contestation des griefs. Le point 61 du même communiqué renvoie, pour les modalités de cette réduction, au communiqué de procédure pertinent publié par l'Autorité, en l'occurrence son communiqué de procédure du 10 février 2012 relatif à la non-contestation des griefs (ci-après le communiqué non-contestation des griefs).
670. Celui-ci distingue la renonciation à contester les griefs (points 14 à 17), condition nécessaire à la mise en œuvre de la procédure de non-contestation des griefs, de la prise d'engagements comportementaux ou structurels (points 18 à 22), qui est facultative. Il précise, aux points 34 et 35, que la réduction accordée à l'entreprise qui ne conteste pas les griefs est de 10 % et qu'une réduction supplémentaire peut être accordée lorsqu'elle souscrit un engagement. Cette réduction supplémentaire est comprise entre 5 % et 15 % lorsque l'engagement consiste en la mise en œuvre d'un programme de conformité aux règles de concurrence.
671. S'agissant plus particulièrement des engagements éventuellement pris, le point 21 du communiqué non-contestation des griefs prévoit que l'approche de l'Autorité vis-à-vis des programmes de conformité aux règles de concurrence est présentée dans le document-cadre de l'Autorité du 10 février 2012 sur les programmes de conformité aux règles de concurrence, publié sur le site Internet de l'Autorité (ci-après le document-cadre).
Concernant la société Senagral
672. Si les sociétés Senagral et Senagral Holding, demanderesses de clémence de second rang, avaient obtenu, à ce titre, une exonération partielle de sanction à hauteur de 35 % de l'Autorité (décision attaquée, §§377 à 380), en revanche, l'Autorité, suivant en cela les rapporteurs, avait refusé de leur accorder, comme elles l'avaient demandé, le bénéfice de la procédure de non-contestation des griefs, au motif qu'il n'en résultait pas un gain procédural de nature à en justifier le cumul avec la procédure de clémence (décision attaquée, §§ 381 à 384).
673. Par leur mémoire déposé le 13 juillet 2016, les sociétés Senagral et Senagral Holding contestent ce refus et soutiennent qu'un gain procédural " certain " justifiait l'application cumulative des procédures de clémence et de non-contestation de griefs. Elles demandent, en conséquence, à la cour de réformer l'article 3 de la décision attaquée en réduisant, sur le fondement des dispositions tant du III que du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le montant de la sanction qui leur a été infligée.
674. Mais, d'une part, la cour ayant notamment annulé l'article 3 de la décision attaquée en tant qu'il a fixé le montant de la sanction pécuniaire prononcée contre les sociétés Senagral et Senagral Holding, il n'y a pas lieu pour elle de déterminer si, s'agissant de ces sociétés, l'Autorité aurait dû, pour fixer ce montant, appliquer cumulativement les procédures de clémence et de non-contestation de griefs.
675. D'autre part, force est de constater que, dans leur mémoire déposé devant la cour le 22 mai 2015, les requérantes ont contesté que la société Senagral ait participé aux pratiques relevant des griefs nos 1 et 2 et, au paragraphe 33 de leur mémoire du 13 juillet 2016, tout en " renvoyant, pour le surplus au mémoire déposé (...) le 22 mai 2015 ", ont reproché à l'Autorité de ne pas avoir établi la participation de la société Senagral auxdites pratiques, moyens dont la cour a examiné le bien-fondé aux paragraphes 82 et suivants du présent arrêt.
676. Elles ne sauraient, dès lors, demander à la cour d'accorder à la société Senagral le bénéfice de la procédure de non-contestation de griefs.
Concernant les sociétés Novandie, MLC, Laïta, LNUF MDD, Lactalis B&C, Alsace Lait, Yéo Frais et LHT
677. Sur la proposition du rapporteur général, l'Autorité a, dans la décision attaquée, accepté de tenir compte, dans le cadre de la détermination des sanctions, du fait que les sociétés LNUF MDD et Lactalis B&C, Alsace Lait, Yéo Frais ainsi que LHT ont choisi de ne pas contester les griefs et pris l'engagement de modifier leur comportement pour l'avenir. Elle leur a accordé à ce titre une réduction de sanction de 16 % (décision attaquée, § 383).
678. S'agissant des sociétés Novandie, MLC et Laïta, pour lesquelles le rapporteur général avait fait la même proposition, la cour juge qu'il y a également lieu de les faire bénéficier de la procédure de non-contestation des griefs.
679. Dans le cadre de cette procédure, les sociétés Novandie, LNUF MDD et Lactalis B&C, MLC, Yéo Frais, Laïta, Alsace Lait ainsi que LHT ont proposé de prendre chacune l'engagement d'adopter un programme de conformité, ou de le compléter lorsqu'elles en disposaient déjà. Ces programmes sont annexés à la décision attaquée.
680. Les sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union, MLC ainsi qu'Alsace Lait demandent à la cour de leur octroyer à ce titre une réduction de sanction de 20 %. La société Laïta conteste le montant de 16 % qui lui avait été accordé par la décision attaquée, partiellement annulée par le présent arrêt, comme n'étant pas à la mesure des efforts que représentent les engagements qu'elle a pris. La société LHT demande que la réduction qui lui a été accordée pour la non-contestation des griefs par cette décision soit augmentée de 100 000 euros. La société Novandie ne présente pas de prétention chiffrée sur le montant de la réduction.
Enfin, les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF ainsi que les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis sollicitent la fixation de la réduction au taux de 22 %.
681. Les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, Lactalis B&C et Groupe Lactalis, Laïta, Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union, ainsi que MLC opposent qu'elles ont pris des engagements de grande ampleur, qui ne se limitent pas au secteur d'activité visé par la décision attaquée, ni à la seule entreprise sanctionnée. Elles rappellent que les rapporteurs ont, au regard de leur qualité et de leur ampleur, qualifié ces engagements de " substantiels, crédibles et vérifiables ". La société MLC précise en outre qu'elle a mis son programme en œuvre n partie avant le prononcé de la décision attaquée.
682. La société Laïta souligne que le rapport (§ 378) précisait qu' " [i]l est relevé en sus quelques points innovants et complémentaires au document-cadre ".
683. Les sociétés LNUFF MDD, LNUF et LNPF, et les sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union invoquent le coût important de la mise en place de ce programme compte tenu de l'importance du groupe et du nombre de salariés concernés. La société Alsace Lait souligne l'effort important que représente la mise en place d'un programme de conformité dans une petite entreprise.
684. La société Alsace Lait, qui fait observer que les engagements qu'elle a proposé de prendre consistent en un programme de conformité complet conforme au document-cadre, conteste au surplus que l'absence d'engagements structurels ou innovants puisse faire perdre le bénéfice de 5 % de réduction supplémentaires, qui auraient pu être accordés pour les engagements qui dépassent la mise en œuvre du programme de conformité cadre.
685. La cour relève toutefois que les engagements pris par les sociétés Alsace Lait, MLC, Yéo Frais et Laïta, s'ils sont certes " substantiels, crédibles et vérifiables ", comme l'ont relevé les rapporteurs, consistent néanmoins dans une reprise des préconisations exposées par l'Autorité au point 22 du document-cadre. Il en est de même des engagements pris par les sociétés Novandie et LHT.
686. Il est exact que les engagements pris par ces requérantes sont d'une ampleur qui dépasse les produits concernés par les pratiques en cause et concernent l'ensemble des filiales du groupe, lorsque les entreprises sont intégrées dans un groupe. L'effort ainsi consenti pour montrer leur engagement à respecter les principes du droit de la concurrence, ainsi que le bénéfice escompté pour le maintien de l'ordre public économique ont été, s'agissant des sociétés Alsace Lait, Yéo Frais et LHT, justement récompensés par une réduction de 16 % de leurs sanctions, taux qui excède d'un point le taux minimal prévu par le communiqué non-contestation des griefs en cas de prise d'engagements. Un taux identique sera fixé pour les sociétés Novandie et Laïta. A l'égard de la société MLC, ce taux sera majoré d'un point, pour atteindre 17 %, dans la mesure où elle a mis en partie en œuvre ses engagements avant le prononcé de la décision attaquée, et donc avant même de savoir si elle bénéficierait d'une réduction à ce titre.
687. La circonstance selon laquelle la mise en place d'un tel programme est coûteuse pour l'entreprise en cause, ou même plus coûteuse pour une grande entreprise que pour une plus petite, n'est pas opérante pour le calcul de la réduction, dans la mesure où la mise en place d'un programme de conformité au regard du droit de la concurrence se fait certes dans l'intérêt de l'ordre public économique, mais aussi dans celui de l'entreprise qui y procède. En effet, celle-ci ne peut qu'y trouver un bénéfice à titre individuel en ce qu'un tel programme démontrant une démarche respectueuse de la légalité, ne peut qu'être favorable à son positionnement sur les marchés. Par ailleurs, la mise en place et le respect des programmes de conformité devrait à l'avenir dissuader la société de réitérer les pratiques en cause et lui évitera d'en subir les multiples désagréments.
688. Pour la même raison, l'octroi d'un taux identique à plusieurs des entreprises en cause en l'espèce, dont la charge pèsera nécessairement de façon proportionnée à l'importance de chacune d'entre elles, n'introduit pas de rupture d'égalité entre elles.
689. La société Laïta soutient qu'elle a fait des efforts supplémentaires par rapport aux autres entreprises, d'une part, en ce qu'elle ne disposait jusqu'alors pas d'un programme de conformité, d'autre part, en ce que ses engagements prévoient une démarche pro-active à destination des organisations professionnelles, notamment, des coopératives de dimension nationale, non prévue par le document-cadre. Elle fait valoir que le choix qui serait fait de ne pas récompenser cet engagement supplémentaire en lui accordant le même taux de réduction qu'aux autres entreprises concernées, constituerait une méconnaissance du principe d'égalité de traitement.
690. Cependant, elle ne précise pas en quoi les engagements qu'elle a pris et qui s'inscrivent tous dans les préconisations du point 22 du document-cadre seraient innovants et complémentaires à ces préconisations, sans qu'importe que les rapporteurs, qui n'ont pas donné plus de précision à cet égard, aient pu ainsi qualifier ses engagements.
691. En outre, si la société Laïta a indiqué, dans ses observations au rapport, qu'elle proposait de mettre également en place une démarche proactive à destination des organisations professionnelles, et tout particulièrement des organisations professionnelles coopératives de dimension nationale, cette proposition ne figure pas dans les engagements qu'elle a adressés par écrit à l'Autorité et qui figurent en annexe de la décision attaquée comme étant ceux qui ont été acceptés. Par ailleurs, la cour relève qu'elle n'a apporté, ni dans le cadre du présent recours ni d'ailleurs devant l'Autorité, de précision sur la façon dont elle comptait mettre en œuvre cette proposition, qui ne peut dès lors être reçue comme un engagement précis pouvant être pris en compte au titre de la réduction de la sanction.
692. Les sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF, ainsi que les sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis opposent que les engagements qu'ont proposés les sociétés LNUF MDD et Lactalis B&C ne sont pas comparables à ceux des autres parties, leur programme étant clairement plus abouti. Elles exposent à ce sujet que ce programme était d'une ampleur particulière, puisqu'il s'applique à l'ensemble des sociétés du groupe Lactalis et qu'il a été mis en oeuvr r avant le prononcé de la décision attaquée. Elles ajoutent qu'elles ont, au-delà du document-cadre de l'Autorité, mis en place une démarche proactive par laquelle le groupe doit " exhorter toute organisation professionnelle française nationale dont il est membre à prendre les mesures de nature à assurer le respect du droit de la concurrence ". Il est précisé, dans ce cadre, qu' " en cas de refus ou de défaillance de l'organisation professionnelle et suivant le degré de gravité relevé, le groupe Lactalis soit s'abstiendra de participer à une réunion, soit se retirera de l'organisation ". Il est enfin indiqué que le groupe Lactalis s'engage à mettre en place une procédure de suivi des appels d'offres traités par les directions commerciales françaises du groupe concernant les produits sous MDD (" appels d'offres MDD ").
693. À la lecture des engagements pris par les sociétés LNUF MDD et Lactalis B&C, la cour constate qu'abstraction faite de ceux énoncés au paragraphe précédent et qui seront traités dans les développements qui suivent, son programme décline les préconisations exposées par l'Autorité au point 22 du document-cadre. En cela, l'Autorité est fondée à soutenir que, dans l'ensemble, les engagements pris par les parties sont semblables et comparables dans leur valeur. Sur ce point, la cour relève, notamment, que toutes les entreprises concernées ont pris l'engagement de communiquer un rapport annuel à l'Autorité, afin que la mise en œuvre du plan de conformité puisse être vérifiée, et que la plupart d'entre elles, lorsque cela pouvait être le cas, se sont engagées pour toutes leurs filiales et au-delà des activités concernées par les pratiques en cause. En outre, et ainsi qu'il a déjà été précisé, si la charge financière de la mise en œuvre du programme de conformité peut être plus importante pour les sociétés de grande envergure, par rapport à des entreprises plus petites, la non-prise en compte de cet élément, qui n'est qu'une conséquence de la taille de l'entreprise en cause, ne peut être analysée comme une pénalisation indirecte de l'appartenance à un grand groupe.
694. Toutefois, il est exact que l'engagement d'adopter une démarche proactive vis-à-vis des organisations professionnelles auxquelles les sociétés du groupe adhèrent n'est pas prévu par les préconisations publiées par l'Autorité. En outre, la façon dont les sociétés du groupe Lactalis devront réaliser cet engagement est précisée dans la déclinaison du programme annexé à la décision attaquée. Le caractère innovant et distinct de cette démarche par rapport aux engagements des autres parties doit donc être récompensé par un taux de réduction de la sanction supérieur à 16 %. En outre, il n'est pas contesté que ces sociétés sont les seules à avoir mis en œuvre la plupart des actions de conformité du plan proposé, avant l'intervention de la décision attaquée, sans même savoir si leurs engagements seraient acceptés et bénéficieraient d'une réduction de sanction.
695. En conclusion de ce qui précède, les moyens développés par les sociétés Yéo Frais, Alsace Lait et LHT visant à obtenir une réduction plus importante que celle que leur a accordée l'Autorité au titre de leurs engagements, sont rejetés ; il sera appliqué une réduction de 16 % aux sanctions précédemment calculées pour les sociétés Novandie et Laïta, de 17 % à celle précédemment calculée pour la société MLC et de 19 % à celles précédemment calculées pour les sociétés LNUF MDD et Lactalis B&C.
4. Sur la réduction de sanction au titre des difficultés financière des entreprises
696. Aux termes du point 47 du communiqué sanctions " [a]fin d'assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction pécuniaire, l'Autorité peut ensuite adapter, à la baisse ou à la hausse, le montant de base en considération d'autres éléments objectifs propres à la situation de l'entreprise ou de l'organisme concerné ". Le point 48 du même communiqué indique que peut être retenu à ce titre le fait que " l'entreprise ou l'organisme concerné rencontre des difficultés financières particulières affectant sa capacité contributive ".
697. Le point 62 du communiqué sanctions précise que, " [s]i les éventuelles difficultés générales du secteur concerné par les infractions ne figurent pas parmi les critères énumérés par l'article L. 464-2 du Code de commerce, les difficultés rencontrées individuellement par les entreprises ou organismes peuvent être prises en compte dans le cadre de la détermination de leur sanction, si ceux-ci rapportent la preuve, chacun en ce qui le concerne, de leurs difficultés contributives ".
698. Les sociétés Alsace Lait, Senagral et Senagral Holding, ainsi que Novandie et Andros et Cie, qui se sont vu accorder dans la décision attaquée une réduction de sanction de 30 % au titre de leurs capacités contributives estiment cette réduction uniforme à la fois insuffisante au regard des difficultés rencontrées par elles et non conforme au principe d'individualisation des sanctions, tandis que les sociétés MLC et LHT, qui considèrent que leur situation particulière n'a pas été convenablement appréciée par l'Autorité, demandent à la cour de leur accorder, en raison de leurs difficultés individuelles, une diminution de la sanction. Les sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union, qui n'avaient pas formé de demande à ce titre devant l'Autorité, soutiennent que la situation des sociétés Yéo Frais et 3A Groupe justifie une réduction de la sanction prononcée à leur encontre.
699. Le ministre chargé de l'Économie observe, de façon générale, que les sanctions prononcées lui apparaissent sévères au regard des difficultés financières des requérantes et il indique que cette sévérité va à l'encontre de la finalité poursuivie de rétablir le fonctionnement normal et loyal du marché en ce qu'elle risque de mettre en danger la pérennité économique des requérantes, ce qui affaiblirait par là même la concurrence sur le secteur des produits laitiers.
700. Le ministre rappelle que, sur ce secteur, les opérateurs économiques sont confrontés à la suppression des quotas laitiers qui a généré des nécessités d'investissements. Selon lui, les sanctions prononcées pourraient remettre ces investissements en cause, ce qui aura des répercussions sur les producteurs de lait déjà en difficulté.
701. Le ministre demande, en conséquence, une diminution des sanctions prononcées au titre de la situation financière dégradée des requérantes et s'en remet à la sagesse de la cour pour fixer cette réduction.
702. La cour rappelle qu'ainsi que l'énonce le communiqué sanctions dans ses dispositions précitées, il appartient à l'entreprise de justifier l'existence de ses difficultés contributives en s'appuyant sur des preuves fiables, complètes et objectives attestant de leur réalité et de leurs conséquences concrètes sur sa capacité contributive. Dans le cadre d'un recours, la cour doit examiner la situation des entreprises à la date où elle statue.
Concernant la société MLC
703. Après application de la réduction de 17 % accordée au titre de la non-contestation des griefs, la sanction envisagée pour la société MLC s'élève à 20 916 000 euros.
704. Cette société demande à la cour de prendre en compte sa situation particulière et ses difficultés au titre de sa capacité contributive dans la fixation du montant de la sanction.
705. Elle invoque à ce titre un rapport d'analyse du cabinet d'expertise KPMG qu'elle a elle-même missionné et qui confirme, selon elle, sa fragilité particulière.
706. Elle fait état de la détérioration de ses performances, de ses marges négatives, de son fort niveau d'endettement et de sa trésorerie négative l'ayant contrainte à recourir à l'affacturage. Elle précise que ses résultats n'ont cessé de décroître depuis 2011 et que son résultat d'exploitation au 31 mars 2014 est déficitaire pour près de 10 millions d'euros. Elle expose que sa trésorerie ne lui permet pas de payer l'amende et qu'il lui est impossible de souscrire un nouvel emprunt pour en acquitter le paiement. Elle précise que, par une lettre du 1 juillet 2016, le 1er cabinet KPMG a confirmé ces éléments.
707. La société MLC invoque, pour expliquer sa situation, les difficultés du secteur sur lequel elle intervient, la suppression des quotas laitiers et l'augmentation des volumes de production qui s'en est suivie, dans un contexte de stagnation de la consommation des produits laitiers. Elle rappelle son obligation d'acheter toutes les quantités de lait produites par ses producteurs-coopérateurs.
708. Elle expose qu'elle doit faire face à de lourds investissements, tant pour assurer sa pérennité que pour développer sa croissance et trouver de nouveaux débouchés afin d'écouler ses stocks de lait. Elle rappelle les investissements lourds effectués entre 2007 et 2012 et explique qu'il lui faut encore, notamment, d'une part, remplacer une de ses usines, d'autre part, remplacer un atelier réception et concentration du lait traité dans une autre.
Afin de trouver de nouveaux débouchés commerciaux pour le surplus de lait qu'elle achète à ses coopérateurs et qu'elle ne parvient pas à valoriser, il est nécessaire qu'elle se développe à l'international. Or le montant de la sanction prononcée l'empêcherait, d'après elle, de faire face à ces besoins d'investissements indispensables pour sa pérennité et l'amélioration de sa situation.
709. De plus, la société MLC souligne que sa situation d'endettement est particulièrement préoccupante en ce qu'elle n'a pas pu respecter les ratios d'endettement qui conditionnaient les concours apportés par la banque HSBC, de sorte que la dette de sanction prononcée aggravera encore sa situation, au risque qu'elle ne puisse plus respecter ses engagements en la matière vis-à-vis du Crédit Agricole, qui la finance également, et que ces banques mettent en œuvre les sanctions contractuellement prévues.
710. La société MLC fait encore valoir qu'en application des principes énoncés par la Cour de cassation dans un arrêt du 18 février 2014 (pourvoi n° 12-27.697), les comptes consolidés du groupe auquel elle appartient, ne peuvent être pris en compte sans que soit démontré qu'elle pourrait mobiliser celui-ci afin d'obtenir des fonds lui permettant de payer la sanction.
711. L'Autorité observe que l'analyse des comptes sociaux et des comptes consolidés qui lui ont été transmis lui a permis de conclure que, si la capacité contributive de la société MLC était relativement faible, les comptes consolidés du groupe auquel elle appartient font en revanche apparaître des résultats consolidés d'exploitation courant avant impôts et net bénéficiaires et des ratios financiers satisfaisants. L'Autorité ajoute que, bien que le niveau d'endettement soit élevé, les richesses générées par l'entreprise " semblent pouvoir couvrir ce risque ", l'endettement pouvant être remboursé par l'excédent brut d'exploitation au vu des éléments transmis. L'Autorité en conclut que la société MLC pourrait honorer sa sanction avec le soutien de son groupe et qu'aucune réduction ne devrait dès lors être accordée en l'absence d'éléments nouveaux.
712. La cour constate qu'il ressort des éléments produits par la société MLC que cette société est fortement endettée, que sa situation de trésorerie est particulièrement tendue et que la limite des ratios d'endettement qu'elle s'est engagée auprès de ses banques à observer est atteinte. Il s'en déduit que sa survie est menacée dans le cas où elle devrait payer la sanction telle qu'elle résulte des développements précédents.
713. Il n'est par ailleurs pas démontré que la société MLC, société faîtière du groupe, puisse mobiliser ses filiales pour l'aider à atténuer les effets du paiement de la sanction telle que fixée.
714. Cette situation justifie que la sanction infligée à la société MLC soit fixée à la somme de 14 000 000 euros.
Concernant la société Novandie
715. Après application de la réduction de 16 % accordée au titre de la non-contestation des griefs, la sanction envisagée pour les sociétés Novandie et Andros et Cie s'élève à 63 252 000 euros.
716. Ces deux sociétés font ensemble valoir que l'examen des facultés financières ne doit pas être mené au regard du chiffre d'affaires du groupe Andros, qui n'a pas pris part aux pratiques.
717. La société Novandie expose que ses commissaires aux comptes ont attesté qu'elle n'avait jamais été bénéficiaire depuis 2007 et qu'elle avait cumulé plus de 150 millions de déficit entre 2007 et 2014.
718. Elle explique que la sanction prononcée représente plus du quadruple de sa situation nette comptable et plus du cinquième des lignes de crédit disponibles. Elle conclut que toute sanction supérieure à sa situation nette comptable aura pour effet d'entraîner une démarche de déclaration de cessation des paiements, qu'elle ne pourra être recouvrée par l'État et qu'elle aura pour effet de restreindre la concurrence du fait de sa disparition. Elle souligne avoir subi, au titre de l'exercice 2014, une perte de 7,6 millions d'euros qui n'a pu être prise en compte par l'Autorité. Elle ajoute que, si son résultat s'est amélioré pour 2015, celui-ci reste inférieur à 554 000 euros, ce qui est très insuffisant pour absorber ses pertes accumulées.
719. La société Novandie indique qu'un mandataire ad hoc a été désigné par le tribunal de commerce de Rouen pour veiller à l'exécution d'un accord qu'elle a conclu avec le Trésor public concernant le paiement de la sanction, lequel a attesté des risques que fait poser sur sa viabilité une sanction aussi élevée que celle qui lui a été infligée.
720. La société Andros et Cie expose, au surplus, que les profits cumulés du groupe ne s'élèvent qu'à 700 000 euros sur la période de 2011 à 2013, que le groupe est en difficulté et qu'il a dû se restructurer.
721. Elle indique que ses commissaires aux comptes ont attesté que la sanction prononcée aboutirait à " mettre en péril l'exploitation de Novandie et obérer pour de nombreuses années les capacités d'investissement de l'ensemble du groupe Andros ".
722. Elle affirme que la sanction prononcée est excessive comparativement à d'autres sociétés mises en cause dans l'entente ainsi qu'à d'autres affaires.
723. La cour souligne que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l'imputation des pratiques à la société mère Andros et Cie et la condamnation solidaire subséquente de cette dernière impliquent qu'il y a lieu de prendre en considération, au titre de la capacité contributive, les comptes consolidés de la société Andros et Cie, et non pas les seuls comptes sociaux de la société Novandie. La cour observe, à ce sujet, que, dans le cadre du recours devant elle, la société Andros et Cie ne produit ni ses comptes consolidés pour l'exercice clos le 31 mars 2014 ni ses informations financières les plus récentes, à savoir les comptes consolidés pour les exercices clos les 31 mars 2015 et 31 mars 2016.
724. Au regard des éléments dont elle dispose, la cour relève que, si le groupe Andros a connu des exercices déficitaires en 2011 et 2012, le résultat consolidé de l'année 2013 était quant à lui bénéficiaire de plus de 25 millions d'euros. Pour ce même exercice, le chiffre d'affaires mondial du groupe Andros s'est élevé à près de 2 milliards d'euros et l'excédent brut d'exploitation à près de 160 millions d'euros, soit un montant nettement supérieur à celui de la sanction prononcée. En outre, l'appréciation de la situation particulière des requérantes au titre de leurs capacités contributives ne se limite pas à l'examen du compte de résultat, mais à l'ensemble des comptes consolidés. Or ceux de la société Andros et Cie au 31 mars 2013 permettent de constater des créances pour un montant important, des valeurs mobilières de placement et des disponibilités, soit des montants mobilisables très nettement supérieurs à la sanction prononcée.
725. Il s'en déduit que la société Andros et Cie dispose de facultés contributives pour payer la sanction qui lui a été solidairement infligée avec la société Novandie, sa filiale à 99,99 %.
726. En revanche, il est constant et non contesté que la société Novandie connaît d'importantes difficultés financières, lesquelles demeurent, au point qu'un mandataire ad hoc a été désigné pour suivre le paiement de la sanction auprès du Trésor public et a signalé les aléas que ce paiement pourrait faire peser sur la survie de l'entreprise.
727. Au regard de ces grandes difficultés, si le montant de la sanction était maintenu à 63,2 millions d'euros, son paiement constituerait une charge qui serait de nature à mettre en péril la continuité d'exploitation de la société Novandie au détriment de l'animation concurrentielle du marché à laquelle elle contribue. Ces conséquences seraient disproportionnées par rapport à l'effet dissuasif recherché par la sanction, qui sera suffisamment atteint en la ramenant à 35 000 000 euros.
Concernant la société Senagral
728. Après application de la réduction de 35 % accordée au titre de la clémence, la sanction envisagée pour la société Senagral s'élève à 75 920 000 euros.
729. Rappelant que l'Autorité lui avait accordé une réduction de 30 % au titre de ses difficultés financières, ramenant la sanction infligée par la décision attaquée à 46 millions d'euros, la société Senagral fait valoir que cette réduction n'était pas à la mesure desdites difficultés.
730. Elle expose que son résultat d'exploitation est systématiquement déficitaire depuis 2010, oscillant selon les années entre 1,2 million et 12 millions de déficit, que la sanction de 46 millions d'euros à laquelle la décision attaquée l'avait condamnée représentait 13 % de son chiffre d'affaires pour 2015 et que, ne pouvant la payer, elle a réclamé le bénéfice d'un paiement échelonné. Elle fait observer que le ministre chargé de l'Économie lui-même soutient, dans ses observations devant la cour, que les sanctions prononcées sont d'une extrême sévérité et risquent d'affecter la pérennité des entreprises en cause. Elle se réfère également à la pratique décisionnelle de l'Autorité, relevant six décisions de cette dernière où les difficultés financières de l'entreprise mise en cause l'avaient conduite à accorder une diminution de sanction oscillant entre 60 % et 99,80 %.
731. La société Senso, venant aux droits de la société Senoble Groupe Services, anciennement Senoble Holding, intervenante volontaire, expose que l'amende de 46 millions d'euros prononcée par l'Autorité représente 20 % du chiffre d'affaires de Senagral, lequel n'a cessé de décroître, et que le paiement d'un tel montant entraînerait de " sérieuses difficultés " pour cette société, difficultés qui se répercuteraient sur elle. Elle explique à ce sujet que, lors de la création de l'entreprise commune Senagral Holding par les groupes Senoble et Agrial, elle s'est engagée à garantir le groupe Agrial contre toutes les conséquences de l'enquête menée par l'Autorité, laquelle a abouti à la décision attaquée. Elle demande donc à la cour de réévaluer la réduction qui avait été appliquée par l'Autorité au titre des capacités contributives de la société Senagral.
732. L'Autorité observe qu'elle avait pris en compte, dans la décision attaquée, les pertes accumulées par la société Senagral et qu'il n'y a pas lieu de prendre en considération les conséquences que pourrait avoir pour la société Senso, venant aux droits de la société Senoble Groupe Services, le paiement de l'amende prononcée à l'égard de la société Senagral, la signature d'une clause de garantie de passif au profit de la société Agrial, nouvelle société mère de la société Senagral, étant indifférente à l'égard du montant de la sanction infligée à cette dernière.
733. La cour souligne que la capacité contributive de la société Senagral doit être examinée au regard de la situation de cette seule société dans la mesure où, d'une part, la société Senoble Holding, devenue Senoble Groupe Services, sa société mère au moment de la commission des pratiques, n'a été ni mise en cause ni sanctionnée, d'autre part, il n'est ni soutenu ni démontré que la société Senagral aurait les moyens de mobiliser son actuelle société mère pour le paiement de la sanction. Par ailleurs, ainsi que le soutient à juste titre l'Autorité, la signature d'une clause de garantie de passif entre sociétés n'est pas un élément opérant quant à l'appréciation des facultés contributives de la société sanctionnée.
734. L'examen des éléments produits par la société Senagral fait apparaître une situation financière particulièrement dégradée.
735. Elle a enregistré des déficits cumulés, dont certains très importants, de manière continue depuis 2012. Sa capacité à générer des ressources apparaît inexistante au vu du compte de résultat produit, qui révèle un résultat d'exploitation déjà largement déficitaire, le résultat courant avant impôt l'étant davantage encore, ce que les comptes font apparaître comme une aggravation de la situation antérieure.
736. Compte tenu de ces éléments la pérennité de la société Senagral apparaît remise en cause par la perspective du paiement de la sanction envisagée. Dans ces circonstances, il convient de fixer à 20 000 000 euros la sanction pécuniaire infligée à cette société.
Concernant la société Alsace Lait
737. L'Autorité a, au paragraphe 405 de la décision attaquée, estimé que la charge excessive que pouvait représenter le paiement de la sanction risquait d'affecter négativement la structure du bilan de la société Alsace Lait et d'affecter le rôle d'animation de la concurrence qu'elle exerce sur le marché et a, en conséquence, ramené la sanction à 3 600 000 euros.
738. La société Alsace Lait fait valoir que le paiement de cette sanction aurait un impact très grave sur sa situation en ce qu'elle correspond à un cinquième de ses capitaux propres, à plus du double de son résultat net comptable moyen, à plus de 69 % de sa capacité d'autofinancement moyenne, à une annuité moyenne de remboursement de sa dette et à 80 % de son investissement annuel moyen.
739. La société Alsace Lait ajoute qu'une telle sanction limiterait sa capacité d'investissement pour l'avenir. Elle explique avoir prévu un budget d'investissement de 5,73 millions d'euros pour 2016. Elle ajoute que la suppression des quotas laitiers et l'augmentation du volume de production qu'elle est contrainte d'acquérir l'obligent à investir davantage, d'autant que le secteur est confronté à une augmentation continue et incontrôlée de la production des autres pays européens du Nord. Elle précise qu'elle mène une politique de soutien de la filière en achetant le lait à un prix supérieur à celui pratiqué sur le marché et que l'amende de 3,6 millions d'euros fait obstacle à cette politique de soutien de la filière.
740. La requérante souligne enfin que son ratio d'endettement se trouve alourdi du fait des investissements en cours et que son annuité moyenne de remboursement est ainsi passée de 2,5 millions à plus de 3 millions d'euros.
741. L'Autorité observe que la société Alsace Lait ne rencontre pas de difficultés financières, que la réduction qu'elle lui a accordée l'a été en considération de sa petite taille et de sa dimension régionale, que la difficulté relative au retard de son plan d'investissement peut être contournée par l'obtention d'un paiement échelonné de la sanction. L'Autorité en conclut que la diminution qu'elle a prononcée au titre de la capacité contributive de la société Alsace Lait est suffisante pour garantir simultanément l'effet dissuasif et proportionné de la sanction, qu'il n'y a donc pas lieu de réduire davantage.
742. La cour rappelle que les critères énumérés par l'article L. 464-2 du Code de commerce pour la fixation de la sanction ne comprennent pas les difficultés du secteur concerné, mais seulement les difficultés individuelles des entreprises.
743. Par conséquent, les difficultés inhérentes à la suppression des quotas laitiers et aux nécessités futures d'investissement ne constituent des éléments pertinents dans le cadre de l'appréciation du montant de la sanction que dans la mesure où ce contexte est de nature à obérer la situation financière de l'entreprise sanctionnée et qu'il porte ainsi atteinte à sa capacité contributive.
744. Toutefois, et ainsi que l'a retenu l'Autorité dans la décision attaquée, il ne ressort pas des éléments produits aux débats par la société Alsace Lait que sa situation financière serait obérée. Plus précisément, la cour relève que les pièces produites par la société Alsace Lait permettent de constater que sa situation financière est saine et qu'elle ne présente pas de fragilité actuelle d'exploitation.
745. C'est compte tenu de cette situation et au regard de la nature particulière de cette entreprise, qui est une coopérative, de sa petite taille et de la dimension locale de son activité de collecte de lait, que l'Autorité a fixé, dans une juste proportion et par une motivation que la cour adopte pour le surplus, la sanction qui lui est infligée à la somme de 3 600 000 euros.
746. La part que représente cette sanction au regard des capitaux propres, du résultat net comptable moyen, de la capacité d'autofinancement moyenne et de l'investissement annuel moyen de la requérante ne constitue pas un critère opérant de la démonstration de difficultés financières susceptibles de justifier une diminution de la sanction.
747. Enfin, la société Alsace Lait peut atténuer la charge que représente le paiement de la sanction au regard de sa capacité d'investissement en demandant à la direction générale des finances publiques un paiement échelonné de celle-ci.
748. Les moyens développés par la société Alsace Lait au sujet de ses difficultés financières sont en conséquence rejetés.
Concernant la société Yéo Frais
749. Après application de la réduction de 16 % accordée au titre de la non-contestation des griefs, la sanction envisagée pour les sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union s'élève à 7 728 000 millions d'euros
750. Dans le cadre de leur recours, les sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union, qui n'avaient pas invoqué de difficultés contributives au regard de leurs situations individuelles devant l'Autorité, demandent une diminution de la sanction au titre des capacités contributives limitées des sociétés Yéo Frais et 3A Groupe. Elles font valoir à ce titre que l'activité de la société Yéo Frais est déficitaire et qu'elle connaît des problèmes importants de trésorerie. Elles invoquent des déficits de 9 millions d'euros en 2013, 5,5 millions d'euros en 2014 et 3,5 millions d'euros en 2015, ainsi qu'une trésorerie négative de 5,2 millions d'euros en 2013, de 9,5 millions en 2014 et 19,5 millions en 2015.
751. Par ailleurs, elles exposent que la société mère de premier rang, 3A Groupe, se trouve dans une situation similaire à celle de sa filiale, puisqu'elle connaît des déficits chroniques importants et de graves difficultés de trésorerie, outre des fonds propres négatifs à concurrence de 8,7 millions d'euros pour 2014.
752. Elles ajoutent que la situation financière du groupe Sodiaal s'est détériorée entre 2013 et 2014, puisque le résultat net consolidé du groupe est passé de 25,5 millions d'euros en 2013 à 1,5 million d'euros en 2014, et que le résultat net des entreprises consolidées s'est élevé à 16,7 millions d'euros en 2014. Si le résultat net s'est amélioré en 2015, il devrait à nouveau se détériorer en 2016.
753. Elles font valoir qu'elles doivent bénéficier du même traitement que la société Novandie, filiale du groupe Andros, qui avait obtenu de l'Autorité une réduction de sa sanction de 30 % au titre de ses capacités contributives, et expliquent que, contrairement à la façon dont avait raisonné l'Autorité, il n'y a pas lieu de tenir compte de leurs actifs, mais de la trésorerie disponible pour apprécier le caractère de la sanction prononcée. Elles soulignent que les besoins de financement du groupe n'ont cessé de s'accroître, pour atteindre 650 millions d'euros au 30 juin 2016, et ajoutent avoir obtenu un échelonnement auprès de la direction générale des finances publiques (3 millions payés le 15 juin 2015 suivi de mensualités de 250 000 euros).
754. La cour considère que, contrairement à ce que soutient l'Autorité, qui ne conteste pas l'existence des difficultés financières de la société Yéo Frais, la circonstance que cette société a provisionné le montant de la sanction en 2013 et 2014 ne saurait témoigner de l'absence de ses difficultés contributives.
755. Par ailleurs, la société Yéo Frais ayant été condamnée solidairement avec ses sociétés mères, il y a lieu d'apprécier la capacité contributive au regard des comptes des trois sociétés et notamment des comptes consolidés des sociétés 3A Groupe et Sodiaal Union, en tenant compte des dernières données comptables produites au titre de l'exercice 2015, ceci nonobstant l'absence d'invocation de difficultés financières au stade de la procédure devant l'Autorité, les difficultés financières devant s'apprécier au jour où la cour statue et au regard des documents qui lui sont communiqués.
756. Il résulte d'un document, non certifié, produit par les sociétés requérantes, que les besoins de financement du groupe Sodiaal n'ont cessé de croître depuis 2005 pour atteindre, comme elles le soulignent, 640 millions d'euros au 30 juin 2016. Il est, en outre, justifié d'un endettement de 15,9 millions d'euros au 31 mai 2016 pour la société 3A Groupe. Les comptes consolidés pour 2015 de la société 3A Groupe, certifiés par son commissaire aux comptes, font apparaître un déficit de 2,6 millions d'euros.
757. Toutefois, la cour observe qu'il ressort des pièces produites que la société 3A Groupe a fait l'objet en 2015 d'une recapitalisation à concurrence de 40 millions d'euros de la part de la société faîtière du groupe, la société Sodiaal Union, cette opération ayant permis d'apurer le bilan de la société 3A Groupe et de porter ses fonds propres à un montant de 27,3 millions d'euros.
758. De plus, la cour relève que les comptes consolidés pour 2014, produits par la société Sodiaal Union, sanctionnée solidairement avec les sociétés Yéo Frais et 3A Groupe, font ressortir un actif net consolidé de deux milliards d'euros et des fonds propres consolidés de 500 millions d'euros.
759. Au regard de l'ensemble de ces éléments, les sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union ne rapportent pas la preuve de difficultés contributives rendant la sanction infligée disproportionnée et devant conduire à sa diminution.
760. Leur demande de réduction de la sanction sera, par conséquent, rejetée
Concernant la société LHT
761. Après application de la réduction de 16 % accordée au titre de la non-contestation des griefs, la sanction envisagée pour la société LHT s'élève à 756 000 euros.
762. L'Autorité a, au paragraphe 402 de la décision attaquée, refusé d'accorder une réduction de sanction à cette société au motif que l'analyse des documents produits par elle n'attestait pas de difficultés financières particulières empêchant cette entreprise de s'acquitter de la sanction envisagée.
763. La société LHT soutient que ce refus n'est pas motivé et viole le principe d'égalité de traitement. Elle fait aussi valoir " la fragilité de sa situation financière " au titre de sa capacité contributive. Elle invoque à ce sujet une diminution de son résultat, son endettement, son insuffisante capacité d'autofinancement et ses obligations à l'égard de ses partenaires financiers en termes de ratios d'endettement. Elle souligne l'impact désastreux qu'aurait la sanction sur ses concours bancaires et sa capacité à financer ses investissements.
764. La requérante compare sa situation à celle de la société Alsace Lait et expose que les éléments relevés par l'Autorité pour réduire la sanction infligée à cette dernière correspondent également à sa propre situation.
765. La société LHT demande en conséquence à la cour de réduire la sanction " à un niveau qui n'affecte pas la poursuite de sa capacité de financement et de maintien de ses emplois ".
766. La cour souligne que la capacité contributive s'apprécie au regard de l'actif mobilisable pour le paiement de la sanction et de la capacité de l'entreprise à générer des ressources pour en assurer le paiement. Par ailleurs, la cour observe que les comptes sociaux expriment déjà, à travers l'enregistrement de son amortissement, le renouvellement de l'outil de production, de sorte que les investissements invoqués au surplus correspondent nécessairement à des investissements nouveaux permettant l'accroissement ou le développement de la capacité de production.
767. La cour observe que la société LHT ne produit que ses comptes consolidés pour l'exercice clos le 31 décembre 2013, qu'elle ne produit pas ses comptes pour les exercices 2014 et 2015, alors pourtant qu'ainsi qu'il a été précisé au paragraphe 702 du présent arrêt, l'appréciation de la capacité contributive doit s'effectuer au jour auquel la cour statue.
768. Sur le plan patrimonial, les comptes consolidés de l'exercice clos le 31 décembre 2013 de la société font effectivement apparaître un endettement important. Toutefois, l'analyse des comptes permet de constater que les fonds propres restent conséquents et ne sont pas diminués par une accumulation de déficits sur plusieurs exercices, mais uniquement par le seul déficit de 2013.
769. En outre, l'actif de la société LHT permet de constater des disponibilités et des valeurs mobilières de placement pour des montants nettement supérieurs à celui de la sanction prononcée, mais aussi des créances et des immobilisations financières conséquentes.
770. Par ailleurs, si le résultat net consolidé de l'exercice clos le 31 décembre 2013 apparaît déficitaire, le résultat courant avant impôt de cet exercice est quant à lui bénéficiaire. Dès lors, le déficit de cet exercice apparaît exceptionnel, ce que corrobore l'examen des exercices antérieurs, puisqu'aucun des résultats consolidés de ces exercices n'était déficitaire.
771. Il s'ensuit qu'au vu des éléments produits, la situation financière de la société LHT ne justifie pas une diminution de la sanction envisagée au titre de sa capacité contributive, celle-ci étant, ainsi que l'a retenu l'Autorité, en mesure de contribuer au paiement de cette sanction au moyen de ses actifs mobilisables et de son résultat d'exploitation. La Cour relève au surplus que la société requérante ne se trouve pas, tant en ce qui concerne ses caractéristiques individuelles que son positionnement sur le marché, dans une situation comparable à celle de la société Alsace Lait qui est une société coopérative et a réalisé en 2013 un chiffre d'affaires inférieur de moitié au sien.
772. Il s'en déduit que sa demande de réduction doit être rejetée.
F. Sur le montant final de la sanction
773. Eu égard à l'ensemble des développements précèdent, il y a lieu de fixer, que ce soit dans le cadre de l'annulation ou de la réformation de l'article 3 de la décision attaquée, les sanctions suivantes, arrondies - à l'exception de celle infligée à la société LSM, eu égard à son caractère forfaitaire - aux 100 000 euros inférieurs :
Entreprises Sanction finale (en euros)
Senagral 20 000 000
Novandie 35 000 000
LNUF MDD 40 500 000
MLC 14 000 000
Alsace Lait 3 600 000
Yéo Frais 7 700 000
Laïta 7 300 000
Lactalis B&C 2 900 000
LHT 700 000
LSM 250 000
774. Ces montants sont proportionnés à la fois à la gravité des pratiques et à la situation de chaque entreprise sanctionnée ou du groupe auquel elle appartient.
775. Dès lors, il convient de condamner la société Senagral au paiement de la somme de 20 000 000 euros, les sociétés Novandie et Andros et Cie solidairement au paiement de la somme de 35 000 000 euros, la société MLC au paiement de la somme de 14 000 000 euros, la société Laïta au paiement de la somme de 7 300 000 et les sociétés LSM et SILL Entreprises solidairement au paiement de la somme de 250 000 euros.
776. Il y a également lieu de réformer l'article 3 de la décision attaquée en tant qu'il a infligé les sanctions pécuniaires de 56 100 000 euros, solidairement aux sociétés LNUF MDD, LNUF et LNPF ; 4 000 000 euros, solidairement aux sociétés Lactalis B&C et Groupe Lactalis ; 12 000 000 euros, solidairement aux sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union et 1 400 000 euros à la société LHT, et, statuant de nouveau, de fixer les sanctions infligées à ces sociétés aux montants figurant dans le tableau qui précède.
777. La demande de la société Alsace Lait en réformation de l'article 3 de la décision attaquée, en tant qu'il lui a infligée la sanction pécuniaire de 3 600 000 euros, sera en revanche rejetée.
IV - SUR LE REMBOURSEMENT PAR LE TRÉSOR PUBLIC DU TROP-PERÇU
778. Les sanctions infligées par le présent arrêt aux sociétés Senagral, Novandie et Andros et Cie, LNUF MDD, LNUF et LNPF, MLC, Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union, Laïta, Lactalis B&C et Groupe Lactalis, LHT ainsi que LSM et SILL Entreprises sont inférieures à celles qui leur avaient été infligées par la décision attaquée.
779. Ces sociétés demandent à la cour d'ordonner au Trésor public le remboursement immédiat du montant indûment perçu, assorti des intérêts au taux légal commençant à courir, pour les unes, à la date de l'encaissement du trop-versé par le Trésor public, pour les autres, à compter du présent arrêt.
780. Plusieurs d'entre elles demandent en outre la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code de procédure civile.
781. La cour rappelle que le présent arrêt constitue le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées en surplus au titre de l'exécution de la décision attaquée, partiellement annulée et réformée, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la notification, valant mise en demeure, de cet arrêt avec, s'il y a lieu, capitalisation dans les termes de l'article 1154 du Code civil.
782. S'agissant, en effet, du point de départ des intérêts moratoires, ceux-ci ne peuvent courir qu'à compter de l'exigibilité des sommes. Or la décision attaquée, en exécution de laquelle les sommes ont été perçues par le Trésor public, n'ayant été partiellement annulée et réformée que par le présent arrêt, c'est seulement à compter de la notification de ce dernier que le Trésor public est tenu à restitution du trop-perçu.
783. Dès lors, il y a lieu de rejeter les demandes tenant à voir les intérêts courir à compter de l'encaissement du trop-versé par le Trésor public et rappeler, pour le surplus, que les sommes payées excédant les montants de sanction pécuniaire fixées par le présent arrêt devront être remboursées aux sociétés concernées, outre les intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt et, s'il y a lieu, capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1154 du Code civil.
V - SUR LA PUBLICATION DU PRÉSENT ARRÊT
784. Les sociétés LSM et SILL Entreprises demandent à la cour d'ordonner la publication d'un résumé de son arrêt annulant la décision attaquée, aux frais de l'Autorité et dans des conditions équivalentes à celles imposées par l'Autorité pour la publication du résumé de la décision attaquée.
785. Mais, par le présent arrêt, la cour a constaté la réalité de la participation de la société LSM aux pratiques objets du grief n° 1, même si elle a jugé que cette participation n'était établie que pour la période allant du 19 janvier au 7 septembre 2011, alors que la décision attaquée avait retenu qu'elle s'était étendue du 19 janvier 2011 à février 2012.
786. En outre, nonobstant l'annulation de l'article 3 de la décision attaquée pour violation du principe du contradictoire, la cour a infligé de nouveau une sanction aux sociétés LSM et SILL Entreprises, dont le montant - 250 000 euros - est du même ordre de grandeur que celui auquel ces sociétés avaient été condamnées par la décision attaquée - 300 000 euros.
787. Dans ces conditions, la demande des sociétés LSM et SILL Entreprises de voir ordonner la publication d'un résumé du présent arrêt doit être rejetée comme mal fondée.
788. La cour ajoute surabondamment qu'une telle mesure serait au demeurant contraire aux intérêts de ces sociétés en rappelant au public la participation de la société LSM à des pratiques anticoncurrentielles graves.
VI - SUR L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET LES DÉPENS
789. Il n'y a pas lieu de prononcer des condamnations en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
790. Les requérantes, autres que la société Senagral Holding, seront condamnés aux dépens, la société Senso, intervenante volontaire, conservant la charge de ses propres dépens.
Par ces motifs, rejette les demandes des sociétés LNUF MDD, Lactalis Nestlé Ultra-Frais et Lactalis Nestlé Produits Frais ainsi que Lactalis Beurres & Crèmes et Groupe Lactalis tendant à voir écarter les observations écrites déposées par l'Autorité de la concurrence le 31 mars 2016 ; Déclare recevable l'intervention volontaire accessoire de la société Senso, venant aux droits de la société Senoble Groupe Services ; Annule les articles 1er et 2 de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 15-D-03 du 11 mars 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits laitiers frais, mais seulement en tant qu'ils ont dit établi que la société Senagral Holding a enfreint les dispositions des articles 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-1 du Code de commerce ; Annule l'article 3 de la décision n° 15-D-03 mais seulement en tant qu'il a infligé les sanctions pécuniaires de : - 46 000 000 euros, solidairement aux sociétés Senagral et Senagral Holding ; - 38 300 000 euros, solidairement aux sociétés Novandie et Andros et Cie ; - 22 900 000 euros à la coopérative agricole laitières " Les Maîtres Laitiers du Cotentin " ; - 8 100 000 euros à la société Laïta ; - 300 000 euros, solidairement à la société Laiterie de Saint-Malo et à la Société Industrielle laitière du Léon. Rejette pour le surplus les moyens d'annulation de la décision n° 15-D-03 ; Réforme l'article 3 de la décision n° 15-D-03 en tant qu'il a infligé les sanctions pécuniaires de : - 56 100 000 euros, solidairement aux sociétés Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD, Lactalis Nestlé Produits Frais et Lactalis Nestlé Ultra-Frais ; - 4 000 000 euros, solidairement aux sociétés Lactalis Beurres & Crèmes et Groupe Lactalis ; - 12 000 000 euros, solidairement aux sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union, venant aux droits de 3A Coop ; - 1 400 000 euros à la société Laiterie H. Triballat ; Rejette la demande de la société Laiterie coopérative alsacienne Alsace Lait en réformation de l'article 3 de la décision n° 15-D-03 en tant qu'il lui a infligé la sanction pécuniaire de 3 600 000 euros ; Statuant de nouveau, Dit qu'il n'est pas établi que la société Senagral Holding a enfreint les dispositions des articles 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-1 du Code de commerce ; Inflige, au titre des pratiques visées aux articles 1er et 2 de la décision n° 15-D-03, les sanctions pécuniaires suivantes : - 20 000 000 euros à la société Senagral ; - 35 000 000 euros, solidairement aux sociétés Novandie et Andros et Cie ; - 40 500 000 euros, solidairement aux sociétés LNUF MDD, Lactalis Nestlé Ultra-Frais et Lactalis Nestlé Produits Frais ; - 14 000 000 euros à la société Coopérative agricole laitière " Les Maîtres Laitiers du Cotentin " ; - 7 700 000 euros, solidairement aux sociétés Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union, venant aux droits de la société Alliance Agro-Alimentaire Coopérative ; - 7 300 000 euros à la société Laïta ; - 2 900 000 euros, solidairement aux sociétés Lactalis Beurres & Crèmes et Groupe Lactalis ; - 700 000 euros à la société Laiteries H. Triballat ; - 250 000 euros, solidairement aux sociétés Laiterie de Saint-Malo et SILL Entreprises ; Rappelle que les sommes payées excédant les montants ci-dessus fixés devront être remboursées aux sociétés concernées, outre les intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt et, s'il y a lieu, capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1154 du code civil ; Rejette les demandes des sociétés Novandie et Andros et Cie, LNUF MDD, Lactalis Nestlé Ultra-Frais et Lactalis Nestlé Produits Frais, Lactalis Beurres & Crèmes et Groupe Lactalis, ainsi que Laiterie de Saint-Malo et SILL Entreprises, tendant à voir lesdites sommes produire intérêt à compter de leur versement au Trésor public ; Rejette la demande des sociétés Laiterie de Saint-Malo et SILL Entreprises tendant à ordonner la publication, aux frais de l'Autorité de la concurrence, d'un résumé du présent arrêt dans les journaux ; Rejette pour le surplus les moyens de réformation de la décision n° 15-D-03 ; Dit en application de l'article 15-2 du règlement (CE) n°1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, le présent arrêt sera transmis à la Commission européenne ; Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit que la société Senso, venant aux droits de la société Senoble Groupe Services, supportera ses propres dépens ; Condamne les sociétés Senagral, Novandie et Andros et Cie, LNUF MDD, Lactalis Nestlé Ultra-Frais et Lactalis Nestlé Produits Frais, Coopérative agricole laitière " Les Maîtres Laitiers du Cotentin ", Laiterie coopérative alsacienne Alsace Lait, Yéo Frais, 3A Groupe et Sodiaal Union, Laïta, Lactalis Beurres & Crèmes et Groupe Lactalis, Laiteries H. Triballat, ainsi que Laiterie de Saint-Malo et SILL Entreprises aux autres dépens.