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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 1 juin 2017, n° 15-17995

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Des Gros Ormes (EARL)

Défendeur :

CPE Energies (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schaller

Conseillers :

Mmes Du Besset, Castermans

Avocats :

Mes Bouaziz, Djaziri, Gruber, Jaulin

T. com. Melun, du 8 juill. 2015

8 juillet 2015

Faits et procédure

La société CPE Energies a livré du carburant à l'Earl des Gros Ormes à usage exclusivement professionnel et de nature à permettre d'alimenter les tracteurs de son exploitation. Suite à ces livraisons, la société CPE Energies a émis des factures les 11 juillet, 25 juillet et 9 août 2012 pour un montant total de 7012,92 euros.

La livraison est intervenue dans une cuve à carburant dans les locaux de l'Earl des Gros Ormes.

Après livraison du carburant, l'un des tracteurs de l'Earl des Gros Ormes a subi des désordres importants tenant au grippage et à la casse des injecteurs pour un coût total chiffré à 8 863,22 euros.

Contestant la qualité du carburant vendu, l'Earl des Gros Ormes a fait appel à un laboratoire qui a procédé à une analyse d'un prélèvement de carburant effectué au niveau du réservoir du tracteur alors qu'il était en réparation. Le 7 septembre 2012, l'Earl des Gros Ormes a procédé à un nouveau prélèvement au niveau de la cuve à carburant et l'a transmis pour analyse au même laboratoire. Le 2 octobre 2012, l'Earl des Gros Ormes a remis les rapports d'analyse à la société CPE Energies.

Le 2 octobre 2012, la société CPE Energies s'est rendue dans les locaux de l'Earl des Gros Ormes pour effectuer deux prélèvements de carburant en présence du dirigeant de l'Earl des Gros Ormes l'un dans la cuve, et l'autre dans le tracteur qui avait été réparé, qu'elle a ensuite adressés au laboratoire SGS (groupe Total). Le résultat de ces analyses a été transmis à l'Earl des Gros Ormes les 7 et 12 novembre 2012.

Par courrier du 27 novembre 2012, l'Earl des Gros Ormes a sollicité trois avoirs sur les factures litigieuses pour l'indemniser de son dommage.

Par courrier du 15 janvier 2013, la société CPE Energies a refusé, indiquant que le produit livré était conforme aux spécifications administratives et ne pouvait se trouver à l'origine des dysfonctionnements du moteur du tracteur de l'Earl des Gros Ormes et la mettait en demeure de régler la somme de 7012,92 euros.

Par courrier du 8 mars 2013, la société CPE Energies a adressé une nouvelle mise en demeure à l'Earl des Gros Ormes.

C'est dans ces conditions que, par acte du 28 juillet 2014, la société CPE Energies a assigné l'Earl des Gros Ormes devant le Tribunal de commerce de Melun.

Par jugement du 8 juillet 2015, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Melun a :

- Rejeté l'ensemble des prétentions, fins et conclusions de l'Earl des Gros Ormes,

- Condamné l'Earl des Gros Ormes, à payer à la SNC CPE Energies la somme de sept mille douze euros et quatre-vingt-douze centimes T.T.C (7 012,92eurosuros) avec intérêts au taux BCE majoré de dix points à compter du 8 mars 2013, date de la mise en demeure,

- Ordonné la capitalisation des intérêts dès lors qu'ils seront dus au moins pour une année entière en application de l'article 1154 du code civil,

- Condamné l'Earl des Gros Ormes à payer à la SNC CPE Energies la somme de mille cinq cent euros T.T.C (1500,00 euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Vu l'appel interjeté le 1er septembre 2015 par l'Earl des Gros Ormes à l'encontre de cette décision,

Vu les dernières conclusions signifiées le 10 novembre 2015 par l'Earl des Gros Ormes par lesquelles il est demandé à la cour de :

Recevant l'Earl des Gros Ormes en son appel,

L'y déclarer bien fondée.

- Infirmer le jugement rendu le 8 juillet 2015 par le Tribunal de Commerce de Melun en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau,

- Constater la pollution du carburant livré par la société CPE Energies à l'Earl des Gros Ormes en juillet et août 2012 et ayant donné lieu à l'établissement des factures litigieuses respectivement datées des 11 juillet, 25 juillet et 9 août 2012.

- Dire et juger en conséquence que la société CPE Energies a manqué à son obligation de délivrance conforme.

- La voir déclarer entièrement responsable des dommages occasionnés sur le tracteur de l'Earl des Gros Ormes et tenant à la casse des injecteurs liée à la pollution du carburant litigieux.

- La condamner en conséquence au paiement d'une indemnité de 8 863,22 euros correspondant au coût de la reprise des dommages avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure en date du 27 novembre 2012.

- Ordonner la compensation des sommes réciproquement dues.

- En conséquence, condamner la société CPE Energies au paiement de la somme de 1 850,30 euros.

- Condamner la société CPE Energies au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions signifiées le 15 janvier 2016 par la société CPE Energies par lesquelles il est demandé à la cour de :

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement frappé d'appel,

- Condamner l'Earl des Gros Ormes à payer à la société CPE Energies la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner l'Earl des Gros Ormes aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Christine Gruber pour la Selarl Groupe Rabelais conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

- Débouter l'Earl des Gros Ormes de toutes ses demandes.

L'Earl des Gros Ormes soutient qu'elle est bien fondée à refuser le règlement des factures compte-tenu du manquement de la société CPE Energies à son obligation contractuelle de délivrance conforme. Elle indique que le carburant litigieux a été livré les 11 juillet, 25 juillet et 9 août 2012, que son matériel a connu des difficultés immédiatement après ces livraisons, qu'elle a dû faire réparer son tracteur le 8 août, qu'elle a fait procéder à une analyse du carburant prélevé dans le réservoir du tracteur le 20 août, que le rapport d'analyse du 4 septembre 2012 effectué par le laboratoire Ternaire motors France indiquait que le " carburant en l'état est dangereux pour les circuits d'alimentation et d'injection ", à la suite de quoi un prélèvement a été effectué le 7 septembre 2012 par le même laboratoire dans la cuve à fuel, que l'analyse dudit prélèvement indiquait " carburant hors normes, dangereux pour les matériels en cas d'utilisation " et relevait la présence d'une " pollution significative par des poussières très fines pouvant causer des colmatages de filtres ou des anomalies plus graves dans le circuit d'injection ", que le constat étant le même dans le réservoir et dans la cuve, à savoir la non-conformité du carburant, il ne peut être soutenu que le dysfonctionnement provient du réservoir du tracteur. L'Earl des Gros Ormes fait valoir que la société CPE Energies a engagé sa responsabilité du fait de la vente d'un produit défectueux à l'origine d'un dommage causé par le défaut de la chose vendue et demande une indemnité correspondant à la facture de réparation du tracteur.

La société CPE Energies conteste que le carburant qu'elle a livré soit à l'origine des dysfonctionnements du tracteur car ce dernier a été pris en charge pour réparation le 8 août 2012, soit antérieurement à la livraison du carburant intervenue le 9 août 2012, et qu'à la suite des livraisons des 11 et 25 juillet 2012 aucun incident n'a été immédiatement signalé. Elle conteste les analyses produites qui n'ont pas été réalisées de manière contradictoire et indique qu'elle a fait effectuer de nouveaux prélèvements le 2 octobre 2012 qui ont été analysés par la société SGS, société indépendante mandatée par le groupe Total, et qui font apparaître que seul le carburant issu du réservoir contenait des sédiments, les prélèvements réalisés dans le réservoir du tracteur ayant une teneur en sédiments de 21 mg/kg de nature, soit une présence de sédiments en quantité non négligeable, alors que les prélèvements réalisés dans la cuve avaient une teneur en sédiments de 5 mg/kg, soit une quantité négligeable, ce qui a conduit la société Total à conclure au caractère conforme de l'échantillon prélevé. Elle indique également que la dernière livraison a eu lieu le 9 août à 10h41, alors que le tracteur avait été pris en charge pour être réparé le 8 août soit avant ladite livraison, que cette livraison ne peut dès lors être à l'origine de la défectuosité antérieure, qu'en ce qui concerne les livraisons précédentes, aucun incident n'a été signalé immédiatement après la livraison, que ce n'est que deux mois plus tard que CPE Energie a été informée de la difficulté, qu'entretemps, la société Les Gros Ormes avait supprimé toute possibilité de constater contradictoirement l'origine de la panne, que la preuve de la défectuosité du carburant livré par la société CPE Energies n'est pas rapportée.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Sur ce, la Cour,

Considérant qu'aux termes de l'article 1603 du Code civil " le vendeur a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend " ;

Qu'il résulte des éléments du débat que le tracteur de la société les Gros Ormes a subi une panne par grippage et casse des injecteurs à une date non précisée, mais postérieurement au 11 juillet 2012 et antérieure au 8 août 2012, date de sa mise en réparation ;

Que la panne a été identifiée par le garage qui a effectué la réparation - qui n'est pas partie au litige,- comme étant liée au carburant, et non comme résultant d'une panne mécanique du moteur, ce point n'étant pas remis en cause, seule étant dès lors en cause l'origine des particules présentes dans le carburant ayant grippé les injecteurs ;

Que sans renverser la charge de la preuve, il résulte du lien de causalité ainsi établi entre la panne et le carburant, que sont en cause soit le manque d'entretien des cuves et/ou du réservoir du tracteur, soit la pollution du carburant livré ;

Qu'il appartient dès lors à chacune des parties qui l'allègue, et non au seul acquéreur, de rapporter la preuve de l'origine de la pollution invoquée de part et d'autre ;

Que la société CPE Energies soutient que ce serait le réservoir du tracteur qui serait souillé, l'analyse comparée effectuée sur la base de prélèvements faits le 2 octobre tant dans la cuve que dans le réservoir établissant que seul le réservoir contiendrait des sédiments alors que la cuve n'en contient pas ;

Qu'elle ne conteste pas que les cuves étaient entretenues annuellement, seul étant selon elle en cause le réservoir du tracteur ;

Que toutefois les analyses effectuées par l'Earl Les Gros Ormes auprès du laboratoire Ternaire, tant dans la cuve que dans le réservoir du tracteur, ont relevé la présence dans ces deux contenants d'un taux très élevé de particules tellement fines qu'elles restaient en suspension, contrairement aux sédiments qui retombent au fonds des cuves ;

Que les analyses effectuées ont conclu que le carburant prélevé tant dans la cuve que dans le réservoir du tracteur était hors normes et dangereux, ce qui exclut une pollution du seul réservoir du tracteur et laisse présumer une pollution également de la cuve ;

Qu'à supposer que la pollution provienne de la cuve elle-même, le taux de sédiments trouvés dans la cuve ou dans le réservoir du tracteur devrait être presque identique, ce qui n'était pas le cas à l'issue des prélèvements faits tant par l'Earl Les Gros Ormes, que par CPE Energies ;

Que le caractère non contradictoire des pièces produites par les parties ne leur enlève pas leur caractère probant dès lors que la conclusion qui en résulte est comparable, peut être discutée et se trouve corroborée par d'autres pièces versées aux débats ;

Considérant qu'en l'espèce, les prélèvements dans la cuve et dans le réservoir ayant été faits à des dates très différentes, alors qu'une, voire plusieurs nouvelles livraisons de gasoil ont été faites entretemps dans la cuve et dans le tracteur qui a été réutilisé, les résultats obtenus ne peuvent constituer, à eux seuls la preuve de la pollution alléguée ;

Que néanmoins, il peut être relevé que le gasoil présente de moins en moins de sédiments au fil du temps, ce qui corrobore qu'une pollution unique est intervenue en amont de la panne, puis s'est diluée au contact de gasoil propre et après nettoyage de la cuve et du réservoir ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que l'Earl les Gros Ormes ne se fournissait en gasoil qu'auprès de la société CPE Energies, et que le carburant défectueux ne pouvait provenir que de la société CPE Energies ;

Que ce fait est attesté par le cabinet comptable de la société Les Gros Ormes ;

Que le tracteur a été amené en réparation du 8 août jusqu'au 24 août ;

Que le prélèvement dans le réservoir du tracteur a été effectué le 20 août par le garagiste, puis le 7 septembre dans la cuve, après une nouvelle livraison de gasoil qui a eu lieu dans la cuve le 9 août, ce qui a nécessairement modifié la qualité du carburant trouvé dans la cuve et les taux analysés par rapport au réservoir du tracteur ;

Que néanmoins, le taux de particules trouvé dans les deux prélèvements était encore largement au-delà des normes, que ce soit dans le réservoir du tracteur ou dans la cuve, ce qui exclut une pollution liée au seul réservoir du tracteur ;

Que la panne s'étant produite avant le 8 août, soit avant la livraison de carburant dans la cuve le 9 août, cette dernière livraison ne peut non plus être à l'origine de ladite panne ;

Que si le prélèvement fait dans le réservoir du tracteur le 20 août est bien représentatif de la pollution subie puisqu'il n'a pas été mélangé avec le nouveau gasoil livré dans la cuve le 9 août, le prélèvement effectué dans la cuve de la société Les Gros Ormes le 7 septembre puis ensuite le prélèvement effectué par la société CPE Energie le 2 octobre après que deux nouvelles livraisons aient eu lieu, démontrent qu'au fur et à mesure, le taux de sédiments dans la cuve a baissé, ce qui permet d'établir que les nouvelles livraisons étaient exemptes de tout vice, mais qu'il restait encore quelques particules issues d'une précédente livraison, celles-ci n'ayant pas totalement disparu, même le 2 octobre 2012, à faible dose dans la cuve, et à dose encore anormale dans le réservoir ;

Que la panne semble dès lors liée à la présence de particules dans le gasoil lui-même, aucune contradiction ne résultant des analyses produites et les résultats issus de ces analyses étant confortés par la chronologie des faits tels qu'ils résultent des pièces versées aux débats ;

Que sont en cause les deux livraisons précédant la panne du 8 août qui peuvent chacune être à l'origine de la panne ;

Qu'il résulte des factures produites que deux qualités différentes de carburant ont été livrées, l'une, le 11 juillet 2012, désignée sous " Diesel Performance Eco ", inhabituelle, et l'autre, le 25 juillet, identique à celle du 9 août 2012, désignée sous " Total traction premier/ GNR supérieur " ;

Qu'aucun élément ne permettant d'imputer à la société Les Gros Ormes l'origine des souillures, alors qu'un faisceau d'indices permet de démontrer que c'est le carburant livré avant le 8 août qui était défectueux, il y a lieu de retenir la responsabilité de la société CPE Energies et de la condamner à réparer les dommages liés au défaut de conformité établi, à hauteur de la facture de réparation produite ;

Que la société Les Gros Ormes sollicite la compensation de cette indemnisation avec le montant des factures restant dues dont elle ne conteste pas le montant et limite sa demande à ladite compensation, non discutée par les parties ;

Qu'il y a lieu par conséquent d'y faire droit ;

Considérant qu'il y a lieu d'allouer à l'Earl Les Gros Ormes une somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et de condamner la société CPE Energies aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel ;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, infirme la décision rendue en première instance en toutes ses dispositions ; condamne la société CPE Energies à payer à la société Les Gros Ormes la somme de 8 863,22 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 27 novembre 2012, condamne l'Earl les Gros Ormes à payer à la société CPE Energies la somme de 7 012,92 euros au titre des factures impayées avec intérêts au taux BCE majoré de dix points à compter du 8 mars 2013, ordonne la capitalisation des intérêts pour les deux condamnations, ordonne la compensation des sommes ainsi fixées, après décompte des intérêts ; déboute les parties du surplus de leurs demandes, condamne la société CPE Energies à payer à l'Earl Les Gros Ormes la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; condamne la société CPE Energies aux entiers dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.