CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 22 mai 2017, n° 16-03651
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Renault (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beauclair
Conseillers :
Mme Mazarin-Georgin, M. Soubeyran
Avocats :
Mes Jeusset, Schoenacker-Rossi, Sorel, Masson, Rives, Rodriguez Leal
Exposé du litige
Vu l'appel interjeté le 21 juillet 2016 par Monsieur Frédéric P. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de grande instance de Montauban en date du 5 juillet 2016.
Vu les conclusions de Monsieur Frédéric P. en date du 30 mars 2017.
Vu les conclusions de Monsieur Nicolas G. en date du 4 avril 2017.
Vu les conclusions de la SAS Renault en date du 3 avril 2017.
Vu l'ordonnance de clôture du 4 avril 2017 pour l'audience de plaidoiries fixée au 19 avril 2017.
Le 4 janvier 2012, lors d'une vente aux enchères, Monsieur Nicolas G. a fait l'acquisition d'un véhicule de marque Renault modèle Kangoo, immatriculé pour la première fois, le 3 janvier 2007. Le 28 octobre 2012, Monsieur Nicolas G. a vendu à Monsieur Frédéric P. ledit véhicule au prix de 4 200 euros.
À la suite d'une panne survenue le 17 septembre 2013, Monsieur Frédéric P. a confié le véhicule au garage Cabillo qui a constaté la présence de particules métalliques dans le réservoir et la défectuosité des injecteurs.
La société Groupama d'OC, assureur de Monsieur P., a mandaté le cabinet A.-C. pour réaliser une expertise amiable au contradictoire de Monsieur G. et de la société Renault. Le rapport a été déposé le 20 janvier 2014, la survenance de la panne est imputée à la rupture de la pompe à injection, dont la dégradation des rouleaux internes s'est matérialisée par l'apparition de particules métalliques dans le circuit de carburant. Cette panne est connue pour survenir sur cette pompe et chez le constructeur, et peut résulter d'un défaut de qualité de carburant ou d'un problème interne à la pompe. Il conclut à l'existence d'un vice caché à l'état de germe au moment de l'achat du véhicule qui le rend impropre à sa destination et chiffre le montant des réparations à la somme de 4 799,93 euros HT.
Sollicitée par Monsieur P. quant au financement des frais de remise en état du véhicule, la société Renault proposait d'abord de prendre en charge 50 %, puis 70 % de ceux-ci le 16 février 2014. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 18 juin 2014, Monsieur P. a demandé à la société Renault d'assurer la prise en charge des frais de remise en état du véhicule, les frais d'immobilisation de celui-ci et les frais de recherche de panne.
Par actes d'huissier en date des 25 et 28 juillet 2014, Monsieur P. a saisi le juge des référés aux fins d'obtenir la réalisation d'une expertise judiciaire du véhicule, mesure décidée et confiée à Monsieur Patrick C. par ordonnance en date du 8 août 2014. L'expert a déposé son rapport le 6 février 2015.
Par acte d'huissier en date des 24 et 25 septembre 2015, Monsieur Frédéric P. a assigné Monsieur Nicolas G. et la société Renault en indemnisation de ses préjudices.
Monsieur G. n'a pas constitué avocat devant le premier juge.
Par jugement réputé contradictoire, en date du 5 juillet 2016, le Tribunal de grande instance de Montauban a :
- déclaré irrecevable l'action formée par Monsieur Frédéric P. à l'encontre de la société Renault ;
- déclaré recevable l'action formée par Monsieur Frédéric P. à l'encontre de Monsieur Nicolas G. ;
- dit que Monsieur Nicolas G. doit sa garantie au titre des vices cachés à Monsieur Frédéric P. ;
- condamné Monsieur Nicolas G. à payer à Monsieur Frédéric P. la somme de 3 150 euros au titre de la restitution partielle du prix d'achat du véhicule vendu ;
- débouté Monsieur Frédéric P. de ses autres chefs de demandes en indemnisation ;
- condamné Monsieur Nicolas G. à payer à Monsieur Frédéric P. la somme de 1 500,00 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- dit que la société Renault conservera la charge des frais exposés au titre de l'article 700, 1° du Code de procédure civile ;
- condamné Monsieur Nicolas G. aux entiers dépens, comprenant ceux de la procédure de référé et d'expertise, et de la présente procédure au fond ;
- ordonné l'exécution provisoire.
Monsieur Frédéric P. demande à la cour, le dispositif de ses écritures reprenant ses moyens, de :
- infirmer le jugement dont appel dans toutes ses dispositions ;
- dire que le véhicule de marque Renault immatriculé CJ-095-NT modèle Kangoo est affecté de vices cachés dont la responsabilité relève du constructeur, la SA Renault, conformément au rapport d'expertise de Monsieur C.
- en conséquence, condamner solidairement le vendeur Monsieur G. et la SA Renault à indemniser Monsieur P. de l'intégralité des réparations nécessaires sur ce véhicule, ainsi que des préjudices subis :
- indemnisation au titre des réparations 5 759,93 euros TTC
- indemnisation au titre de l'immobilisation 3,5 euros HT/jour, depuis le 5 septembre 2013, outre la TVA afférente jusqu'à parfait règlement,
- Frais de recherche de panne 316,80 euros TTC
- Contrôle des injecteurs 161,76 euros TTC
- Frais de gardiennage : 7 euros HT par jours depuis le 5 septembre 2013, outre la TVA afférente, jusqu'à parfait règlement.
- condamner en outre solidairement la SA Renault et Monsieur G. à régler à Monsieur P., l'intégralité des dépens en ceux compris les dépens de référé, l'intégralité des frais d'expertise et les dépens nécessités par la procédure devant le tribunal de grande instance et devant la cour d'appel dont distraction au profit de Maître Jean-Louis J.
- condamner en outre solidairement la SA Renault et Monsieur G. à régler à Monsieur P., au titre des frais irrépétibles concernant l'instance de référé, les opérations d'expertise et l'instance au fond, à la somme de 5 000 euros.
Monsieur Nicolas G. demande à la cour, le dispositif de ses écritures reprenant ses moyens, de :
- réformer le jugement dont appel,
- dire que s'agissant d'une pièce d'usure et de la vente d'un véhicule d'occasion, le vice n'est pas suffisamment grave pour permettre les actions fondées sur les articles 1641 et suivants du Code civil,
- débouter en conséquence Monsieur P. de ses demandes,
- subsidiairement, dire bien fondé l'action en garantie contre la société Renault par Monsieur G.,
- en conséquence condamner la société Renault à le relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre,
- très subsidiairement, dire recevable l'action de Monsieur G. à l'encontre de la société Renault sur le fondement de sa responsabilité délictuelle pour ne pas avoir pris les mesures nécessaires dès la connaissance par elle du défaut affectant la pièce montée sur son véhicule,
- en tout état de cause, débouter Monsieur P. de ses demandes indemnitaires, en raison de son action estimatoire,
- condamner la société Renault et Monsieur P., chacun à payer à la somme de 3 000 euros à Monsieur G. en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens.
La SAS Renault demande à la cour, le dispositif de ses écritures reprenant ses moyens, de :
- à titre principal constater que les demandes de Monsieur Frédéric P. fondées sur la garantie des vices cachés sont irrecevables car prescrites
- constater que les demandes de Monsieur Nicolas G. sont irrecevables en application de l'article 564 du Code de procédure civile,
- par conséquent : déclarer Monsieur Frédéric P. irrecevable en son action à l'encontre de la société Renault,
- déclarer Monsieur Nicolas G. irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société Renault,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 5 juillet 2016 par le Tribunal de Grande Instance de Montauban,
- à titre très subsidiaire si l'action de monsieur P. devait être déclarée recevable, constater en tout état de cause que la preuve d'un vice caché n'est aucunement démontrée en l'espèce ;
- constater, au demeurant, que les demandes d'indemnisations de Monsieur Frédéric P. s'avèrent mal fondées et injustifiées ;
- par conséquent : débouter en tout état de cause Monsieur Frédéric P. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions qui s'avèrent tant irrecevables que mal fondées et injustifiées ;
- en tout état de cause le condamner au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- le condamner aux entiers dépens aux entiers dépens, qui pourront être directement recouvrés par Maître Robert R.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Monsieur G. n'ayant pas comparu en première instance, les demandes qu'il forme devant la cour ne sont pas nouvelles.
1- Sur la prescription
L'action de Monsieur P. à l'encontre de Monsieur G. est soumise aux dispositions de l'article 1648 du Code civil, aux termes desquelles l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
Le point de départ du délai est le jour de la découverte du vice. En l'espèce ledit vice est mis en évidence par le rapport d'expertise amiable déposé le 20 janvier 2014, l'assignation au fond en date du 24 septembre 2015 a été délivrée dans le délai biennal, l'action de Monsieur P. a justement été déclarée recevable par le premier juge.
L'action en garantie des vices cachés de Monsieur P., et l'action en garantie de Monsieur G. à l'encontre de la SAS Renault sont de même soumises au délai biennal de l'article 1648, lequel ne peut être utilement invoqué qu'à l'intérieur de la prescription de droit commun de 5 ans, issue de la loi du 17 juin 2008, dont le point de départ se situe au jour de la vente.
En l'espèce la vente par la SAS Renault est intervenue le 3 janvier 2007, antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du réformant la prescription du 17 juin 2008, le délai de 5 ans de la prescription de droit commun a expiré le 19 juin 2013, le vice n'a été découvert que le 20 janvier 2014, l'action en garantie des vices cachés de Monsieur P. à l'encontre de la SAS Renault devait donc être intentée avant cette date, or l'assignation en référé de la SAS Renault n'est intervenue que le 28 juillet 2014.
C'est donc à bon droit que le premier juge a déclaré l'action de Monsieur P. à l'encontre de la SAS Renault prescrite.
L'action directe du sous-acquéreur à l'encontre du constructeur comme l'action en garantie du vendeur intermédiaire à l'encontre du constructeur, doivent être introduites dans le délai de prescription de droit commun courant à compter de la vente. En l'espèce la demande en garantie formée par Monsieur G. a été présentée par conclusions devant la cour en date du 9 janvier 2017.
La demande de Monsieur G. ne peut prospérer sur le fondement de l'article 1382 alors que la responsabilité mise en œuvre par Monsieur G. est la responsabilité du fabricant, et l'action sur ce fondement est soumise au régime ci-dessus exposé.
La proposition de prise en charge partielle des travaux de réparation par la SAS Renault ne vaut pas renonciation de la part du constructeur au délai de prescription en application de l'article 2240 du Code civil. En effet, cette proposition est un geste commercial et non une reconnaissance de responsabilité, en outre elle a été formulée le 18 octobre 2013 alors que la prescription était acquise depuis le 19 juin 2013.
L'action de Monsieur G. à l'encontre de la SAS Renault est donc irrecevable.
2- Sur la demande de Monsieur P. à l'encontre de Monsieur G.
Aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
Il ressort du rapport d'expertise judiciaire que le véhicule Renault Kangoo immatriculé CJ-095-NT est affecté de désordres de type destruction anormale des galets internes de la pompe d'injection. Cette destruction a pollué l'ensemble du circuit de gasoil et d'injection. Ces désordres sont décrits comme présents à l'état de germe lors de l'achat du véhicule le 28 octobre 2012. La préexistence à l'état de germe de cette usure anormale des galets internes caractérise l'existence d'un vice caché et antérieur à la vente du véhicule en date du 28 octobre 2012. La pollution du circuit de gasoil et d'injection doit être considérée comme rendant le véhicule impropre à sa destination.
Le premier juge en a justement déduit que Monsieur G., vendeur du véhicule doit sa responsabilité à Monsieur P. au titre de la garantie en vices cachés.
Aux termes de l'article 1644 du Code civil, dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.
Dans le dispositif de ses écritures, Monsieur P. sollicite le versement de dommages-intérêts, et ne reprend pas le subsidiaire évoqué dans ses motifs d'une restitution du prix, il convient donc de considérer qu'il a choisi d'exercer une action estimatoire en conservant le véhicule acheté.
Le prix d'achat du véhicule est de 4 200 euros, la valeur vénale du véhicule est de 800 euros le montant des réparations est de 5 759,93 euros.
Le premier juge a justement retenu que dès lors que l'article 1644 prévoit expressément que l'acquéreur qui choisit de conserver le bien ne pourra se faire rendre qu'une partie du prix acquitté pour l'acquisition du bien entaché d'un vice caché, et que le montant des réparations de celui-ci est supérieur à sa valeur vénale, Monsieur P. est mal fondé à solliciter le versement d'une somme correspondant au coût des travaux de remise en état, la restitution partielle du prix n'ayant pas pour objectif de réparer un quelconque préjudice résultant du vice de la chose.
Eu égard à l'age du véhicule, 5 ans, à son prix d'achat de 4 200 euros TTC et à la valeur vénale actuelle de 960 euros TTC, le premier juge a justement fixé à 70 % du prix d'achat, la somme devant revenir à Monsieur P.
Aux termes de l'article 1646 du Code civil, si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix, et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente.
Monsieur G. est un simple particulier, il ignorait les vices de la chose, il ne peut être tenu qu'à la restitution du prix de vente telle que fixée ci dessus, et au remboursement des frais occasionnés par la vente.
En conséquence, la demande au titre des frais de recherche de panne et de contrôle des injecteurs, des frais de gardiennage et du préjudice de jouissance du véhicule qui ne constituent pas des dépenses directement liées à la conclusion du contrat, ne peut prospérer. C'est à bon droit que le premier juge l'a rejetée.
3- Sur les demandes accessoires
Monsieur P. et Monsieur G. succombent. Ils supporteront la charge des dépens engagés par la SAS Renault. Monsieur G. supportera la charge des dépens de Monsieur P.
L'équité commande qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et y ajoutant, Déclare irrecevable l'action de Monsieur G. à l'encontre de la SAS Renault, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Messieurs P. et G. aux dépens d'appel engagés par la SAS Renault dont distraction au profit de Maître R., Condamne Monsieur G. aux dépens d'appel de Monsieur P. distraction au profit de Maître Jean-Louis J.