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Décisions

Cass. com., 8 juin 2017, n° 15-25.712

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Carrefour hypermarchés (SAS)

Défendeur :

Ministère de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Tréard

Avocat général :

Mme Pénichon

Avocats :

SCP Delvolvé, Trichet, SCP Meier-Bourdeau, Lécuyer

Cass. com. n° 15-25.712

8 juin 2017

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er juillet 2015), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 10 septembre 2013, pourvoi n° 12-21.804), que le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi (le ministre de l'Economie) a assigné la société Carrefour hypermarchés (la société Carrefour) devant le tribunal de commerce en application des dispositions des articles L. 442-6-III et L. 470-5 du Code de commerce, en nullité de la clause relative à la rémunération de services distincts de ceux favorisant la commercialisation des produits des fournisseurs et visés dans les accords de partenariat conclus en décembre 2005 et février 2006 par la société Carrefour avec différents fournisseurs, en restitution des sommes trop perçues et en paiement d'une amende civile ; que la cour d'appel a accueilli l'action du ministre par un arrêt du 2 février 2012 qui a fait l'objet d'une cassation partielle ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Carrefour fait grief à l'arrêt de lui ordonner de restituer entre les mains du Trésor public, qui les reversera aux fournisseurs concernés, les sommes indûment perçues au titre des accords de partenariat alors, selon le moyen : 1°) que la cassation annule intégralement le chef du dispositif qu'elle atteint, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation ; qu'en l'espèce, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 2 février 2012 avait prononcé, dans un premier chef de dispositif, la nullité des clauses fixant la rémunération des services de coopération commerciale entre la société Carrefour et seize fournisseurs et ordonné, dans un autre chef de dispositif, la répétition de l'indu par le paiement entre les mains du Trésor public, qui les reversera aux fournisseurs concernés, des sommes indûment perçues par la société Carrefour au titre de ces contrats ; que, dans son arrêt du 10 septembre 2013, accueillant le moyen tiré de ce que la cour d'appel ne pouvait condamner la société Carrefour à restituer l'intégralité des sommes perçues au titre des contrats de coopération commerciale, la Cour de cassation a cassé l'arrêt du 2 février 2012 "en ce qu'il a ordonné la répétition de l'indu, par le paiement entre les mains du Trésor public, qui les reversera aux fournisseurs concernés, de sommes indûment perçues au titre des accords de partenariat" ; que la société Carrefour faisait valoir devant la cour de renvoi, que, tant en vertu du principe nemo auditur que parce qu'ils avaient commis une faute en qualité de solvens, les fournisseurs ne pouvaient pas obtenir restitution des sommes versées en application de la clause de rémunération annulée ; qu'en considérant que ces moyens se heurtaient à l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt du 2 février 2012 car la cassation n'aurait pas atteint le principe même des restitutions, cependant que l'arrêt du 2 février 2012 ne contenait pas de chef de dispositif sur le principe même des restitutions, la cour d'appel, qui a apprécié la portée de la cassation à l'aune du moyen qui a déterminé la cassation et non à l'aune du chef de dispositif censuré, a violé les articles 624, 625 et 638 du Code de procédure civile ; 2°) que les motifs d'une décision n'ont pas autorité de chose jugée ; que la cour d'appel a considéré que la société Carrefour tentait de remettre en cause l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt du 2 février 2012 en soutenant, d'une part, que la décision relative aux restitutions devait être prise au regard du tout indivisible que sont l'achat des marchandises aux fournisseurs et la réalisation par la société Carrefour de services de coopération commerciale et, d'autre part, que les deux parties avaient voulu la pratique sanctionnée dont l'objet était de préserver leurs marges, dans la mesure où, dans ses motifs, l'arrêt du 2 février 2012 n'avait reconnu aucune faute des fournisseurs ; qu'en se déterminant ainsi, cependant que les motifs n'ont pas autorité de chose jugée, la cour d'appel a violé l'article 480 du Code de procédure civile et l'article 1351 du Code civil ; 3°) qu'en vertu de l'adage nemo auditur, la partie qui a participé à l'illicéité ne peut obtenir restitution des sommes qu'elle a versées en exécution du contrat annulé ; que la circonstance que le contractant ait accepté un contrat à contenu illicite parce que c'était le seul moyen pour lui de conclure ledit contrat n'est pas de nature à exclure l'application de l'adage ; qu'en énonçant, pour conclure que l'adage était invoqué de manière inopérante par la société Carrefour, que, comme le souligne le ministre, "les fournisseurs n'ont aucun intérêt à verser ces marges arrière si ce n'est celui de pouvoir conclure avec leurs clients puissants de la grande distribution", la cour d'appel, qui s'est elle-même prononcée par des motifs inopérants, a méconnu l'adage nemo auditur et violé l'article 1131 du Code civil ; 4°) que, devant la cour d'appel, la société Carrefour faisait valoir que le prix des services de coopération commerciale était le fruit d'une action concertée du distributeur et de ses fournisseurs qui, en l'état d'un prix net élevé fixé par les fournisseurs, avaient compensé l'impossibilité pour le distributeur de réaliser une marge avant par une augmentation de la marge arrière, via le prix des services de coopération commerciale ; qu'en ne s'interrogeant pas, comme elle y était invitée, sur le point de savoir si l'illicéité des clauses de rémunération n'était pas ainsi le résultat d'une convergence d'intérêts et d'un commun accord de la société Carrefour et des fournisseurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'adage nemo auditur et de l'article 1131 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que si c'est à tort que la cour d'appel a retenu que la cassation partielle prononcée par l'arrêt du 10 septembre 2013, concernant le chef de l'arrêt ordonnant la répétition des sommes indûment perçues au titre des accords de partenariat par différents partenaires, ne remettait pas en cause le principe de restitution auquel était attachée l'autorité de chose jugée, cependant que ce chef de dispositif ne distinguait pas entre le principe de restitution et son quantum, la cassation n'est pas pour autant encourue, dès lors que les moyens soulevés à cet égard étaient inopérants ; qu'en effet, la cassation prononcée n'ayant pas affecté le chef de dispositif de l'arrêt du 2 février 2012, par lequel la cour d'appel avait jugé que la société Carrefour avait obtenu, en application des accords de partenariat conclus avec différents fournisseurs, des rémunérations manifestement disproportionnées ou ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu, au sens de l'article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce, et prononcé la nullité de ces clauses, le principe de restitution des sommes ainsi indûment perçues en résultait nécessairement ; que, par ce motif de pur droit, substitué, après avertissement délivré aux parties, à ceux justement critiqués par les deux premières branches, la décision se trouve justifiée ;

Et attendu, en second lieu, que la règle selon laquelle nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ne s'applique pas en matière délictuelle ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et sur le second moyen : - Attendu que la société Carrefour fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que l'accipiens n'est tenu à restitution que de ce dont il s'est enrichi ; qu'ainsi que le faisait valoir la société Carrefour dans ses conclusions, la contrepartie de la rémunération reçue au titre de chacun des contrats de coopération commerciale résidait tout à la fois dans les prestations proprement dites y figurant et dans la part du prix d'acquisition des marchandises négociée en fonction de la coopération commerciale et calculée pour chaque fournisseur en intégrant la rémunération versée au titre de la coopération ; que dès lors, le calcul des sommes dues par les fournisseurs au distributeur imposait d'évaluer la valeur de la prestation de coopération et de la compléter par la fraction du prix d'acquisition des marchandises dont les fournisseurs avaient bénéficié en raison de la coopération, représentée par la différence entre le prix net/net et le prix triple net ; qu'en se bornant, pour calculer la rémunération due au distributeur pour la coopération commerciale, à évaluer les seules prestations fournies à ce titre, sans aucunement prendre en considération l'autre contrepartie de la rémunération, à savoir la part du prix d'acquisition des marchandises venant neutraliser en partie le coût de la coopération, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 442-6, III du Code de commerce, 1235 et 1376 du Code civil et 1er du Premier protocole additionnel ;

Mais attendu que la cour d'appel de renvoi ayant statué en conformité de l'arrêt de cassation qui l'avait saisie, le moyen, qui invite la Cour de cassation à revenir sur la doctrine affirmée par son précédent arrêt, est irrecevable ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.