Cass. com., 8 juin 2017, n° 15-22.792
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Rent A Car (SA)
Défendeur :
Citer (SA), Enterprise Holdings Incorporated (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Darbois
Avocats :
SCP Hémery, Thomas-Raquin, SCP Spinosi, Sureau
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Rent A Car est titulaire de la marque française verbale " Rent A Car " n° 98 756 140, déposée le 26 octobre 1998 pour désigner, en classes 12 et 39, les véhicules, véhicules automobiles, véhicules utilitaires, véhicules industriels, camions, camionnettes, remorques, véhicules électriques, location de véhicules de tourisme, de véhicules utilitaires, de véhicules industriels, ainsi que du nom de domaine " www.rentacar.fr " ; qu'ayant constaté que la société Citer et la société Enterprise Holdings Incorporated (la société Enterprise), ayant racheté celle-ci, devaient, à compter du 1er février 2013, proposer des services de location de véhicules sous la marque semi-figurative " Enterprise Rent-a-car ", déposée en France par la seconde, le 22 avril 2011, sous le numéro 3 825 905, pour désigner, en classe 36, le crédit-bail pour véhicules et, en classe 39, les services de location et de crédit-bail de véhicules, services de réservation pour la location et le crédit-bail de véhicules, la société Rent A Car a assigné ces deux sociétés en réparation de l'atteinte portée à sa dénomination sociale, son nom commercial, son enseigne, son nom de domaine et sa marque ; que les sociétés Citer et Enterprise ont, reconventionnellement, demandé l'annulation de la marque " Rent A Car " n° 98 756 140 pour défaut de distinctivité ;
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article 4 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour prononcer l'annulation de la marque française verbale " Rent A Car " n° 98 756 140 pour tous les produits et services qu'elle désigne en classes 12 et 39 et, en conséquence, rejeter les demandes de la société Rent A Car fondées sur l'atteinte à ses droits antérieurs sur cette marque, l'arrêt retient que cette société reconnaît n'avoir pas usé de la dénomination " Rent A Car " seule ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, la société Rent A Car faisait état d'un usage de la marque verbale, notamment par la communication effectuée à la radio, et soutenait établir sa notoriété par des sondages réalisés auprès de particuliers interrogés par téléphone, la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige, a violé le texte susvisé ;
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche : - Vu l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu'interprété à la lumière de l'article 3 de la directive n° 89/104/CEE du 21 décembre 1988, applicable en l'espèce ; - Attendu que la Cour de justice de l'Union européenne (7 juillet 2005, C-353/03, Nestlé) a dit pour droit que " le caractère distinctif d'une marque visé à l'article 3, paragraphe 3, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, peut être acquis en conséquence de l'usage de cette marque en tant que partie d'une marque enregistrée ou en combinaison avec celle-ci " ;
Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient, en outre, que les justificatifs d'exploitation produits par la société Rent A Car sont relatifs à sa marque semi-figurative, constituée de son logo dans lequel est insérée la marque verbale, et que cette société ne peut se fonder sur l'usage intensif de ladite marque semi-figurative pour justifier du caractère distinctif de la seule dénomination " Rent A Car " ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, en conséquence de cet usage, qu'elle a qualifié d'intensif, la marque verbale " Rent A Car " n° 98 756 140 n'était pas devenue apte, dans l'esprit du consommateur moyen, à identifier les produits et services désignés à son enregistrement comme provenant de la société Rent A Car, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche : - Vu l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu'interprété à la lumière de l'article 3 de la directive n° 89/104/CEE du 21 décembre 1988, applicable en l'espèce ; - Attendu qu'un signe, qui remplit d'autres fonctions que celle d'une marque, est distinctif s'il peut être perçu comme une indication de l'origine commerciale des produits ou des services, afin de permettre au public concerné de distinguer sans confusion possible les produits ou les services provenant d'une entreprise déterminée de ceux qui ont une autre provenance commerciale ;
Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient, ensuite, qu'il n'est fait usage des termes " Rent A Car ", dans les documents d'exploitation fournis, qu'à titre de dénomination sociale et que la renommée revendiquée par la société Rent A Car, ne concernant, selon l'étude de notoriété de 2011 et les sondages de 2004 et 2013, que la dénomination sociale, n'est pas susceptible de lui faire acquérir des droits opposables au titre de la marque verbale éponyme ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette dénomination sociale ne permettait pas au consommateur moyen d'établir un lien avec l'activité de location de véhicules exercée par la société Rent A Car et si, compte tenu de sa connaissance sur le marché, ce signe n'était pas devenu apte à identifier l'origine commerciale des services en cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Sur le premier moyen, pris en sa sixième branche : - Vu l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu'interprété à la lumière de l'article 3 de la directive n° 89/104/CEE du 21 décembre 1988, applicable en l'espèce ; - Attendu que pour déterminer si une marque a acquis un caractère distinctif par l'usage, l'autorité compétente doit apprécier globalement les éléments qui peuvent démontrer que la marque est devenue apte à identifier le service concerné comme provenant d'une entreprise déterminée et donc à distinguer ce produit de ceux d'autres entreprises ;
Attendu que pour statuer encore comme il fait, l'arrêt, après avoir écarté l'usage du signe fait par la société Rent A Car au titre de sa dénomination sociale, écarte également l'usage qu'elle en fait sous la forme de son logo, connu du public pour être apposé sur l'ensemble de ses véhicules et utilisé dans sa communication ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans apprécier de manière globale ces différents usages pour désigner l'activité de location de véhicules et sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette dénomination sociale, compte tenu de sa connaissance sur le marché, et ce logo, en l'état de son usage intensif, ne permettaient pas au consommateur moyen, en identifiant l'activité de la société Rent A Car, d'établir un lien avec les services identiques désignés à l'enregistrement de la marque " Rent A Car " dont cette société est titulaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Sur le second moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 1382, devenu 1240, du Code civil ; - Attendu que pour écarter tout risque de confusion dans l'esprit du public et rejeter les demandes de la société Rent A Car, l'arrêt retient qu'il n'est pas établi que l'emploi des termes " Rent A Car ", non distinctifs par rapport aux services commercialisés, pour le consommateur français, et largement exploités par d'autres intervenants du même marché, revête un caractère fautif attentatoire aux droits de la société Rent A Car sur sa dénomination sociale ou son nom commercial ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la notoriété et l'usage intensif de la dénomination sociale et du nom commercial de la société Rent A Car n'étaient pas de nature à conférer un caractère distinctif aux termes " Rent A Car ", la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Sur le second moyen, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article 1382, devenu 1240, du Code civil ; - Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient, ensuite, que le consommateur de services de location de véhicules automobiles est un consommateur éduqué et averti, tenu de souscrire un contrat de service ;
Qu'en se déterminant par de tels motifs, sans caractériser en quoi, au vu de leur nature, les services de location de véhicules exercés sous la dénomination sociale et le nom commercial " Rent A Car ", ou proposés sur un site Internet accessible par le nom de domaine " www.rentacar.fr ", s'adresseraient à un public dont le niveau d'attention serait supérieur à celui qui caractérise le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé de la catégorie de services concernée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Sur le second moyen, pris en sa troisième branche : - Vu les articles L. 120-1 et L. 121-1, devenus L. 121-1 et L. 121-2, du Code de la consommation ; - Attendu qu'une pratique commerciale est réputée trompeuse lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial, ou un autre signe distinctif d'un concurrent, et qu'elle altère, ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service, en le conduisant à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement ;
Attendu que pour rejeter les demandes formées au titre des pratiques commerciales trompeuses, l'arrêt retient que la société Rent A Car ne démontre pas une altération substantielle du comportement économique du consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé des produits et services concernés ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si la pratique en cause était susceptible d'entraîner une telle altération, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Et sur le second moyen, pris en sa quatrième branche : - Vu les articles L. 120-1 et L. 121-1, devenus L. 121-1 et L. 121-2, du Code de la consommation ; - Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient, encore, qu'aucune diminution de parts de marché ou de chiffre d'affaires n'étant établie, la société Rent A Car ne démontre pas une altération substantielle du comportement économique du consommateur moyen ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a apprécié le caractère substantiel de l'altération du comportement économique du consommateur au regard de l'incidence de la pratique sur le marché concerné et le chiffre d'affaires et non de son incidence sur la décision commerciale du consommateur moyen, a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 mai 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.