Cass. com., 8 juin 2017, n° 15-26.755
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Kawasaki Motors Europe NV (Sté)
Défendeur :
Motoworld (SARL), PC Moto (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Orsini
Avocat général :
Mme Pénichon
Avocats :
SCP Bénabent, Jéhannin, SCP Boutet, Hourdeaux, SCP Hémery, Thomas-Raquin
LA COUR : - Joint les pourvois n° 15-27.562 et n° 15-26.755 qui attaquent le même arrêt ; - Donne acte à la société de droit néerlandais Kawasaki Motors Europe NV de ce qu'elle se désiste de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société PC Moto ; - Donne acte à la société Motoworld de ce qu'elle se désiste de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Kawasaki Motors Europe NV ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 septembre 2015), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 22 octobre 2013, pourvoi n° 12-22.281) que la société de droit néerlandais Kawasaki Motors Europe NV (la société Kawasaki) importe et distribue en France des motos de la marque Kawasaki dans le cadre d'un réseau de distribution dont fait partie la société Motoworld, qui bénéficie d'un contrat de concession exclusive pour les " arrondissements " de Nancy, Toul et Lunéville ; que reprochant à la société PC Moto, qui exerce à Nancy une activité indépendante de vente de motocycles, d'avoir, en commercialisant des motocycles de la marque Kawasaki, participé à la violation d'une interdiction de revente hors réseau et à la société Kawasaki, d'avoir manqué à ses obligations en ne veillant pas à l'étanchéité du réseau, la société Motoworld les a assignées en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° 15-26.755 : - Attendu que la société Kawasaki fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a engagé sa responsabilité en ne garantissant pas l'exclusivité qu'elle avait assurée à la société Motoworld et de la condamner au paiement de dommages-intérêts alors, selon le moyen : 1°) qu'il ne peut être reproché à un fournisseur de ne pas avoir fait respecter l'exclusivité concédée à l'un de ses distributeurs que s'il était en mesure d'intervenir pour assurer ce respect ; qu'en l'espèce, pour reprocher à la société Kawasaki de ne pas avoir assuré le respect de l'exclusivité accordée à la société Motoworld, la cour d'appel s'est bornée à retenir qu'elle avait attendu le 20 août 2008 pour mettre fin au contrat de concession la liant à la société belge City-2-roues, alors qu'elle avait eu connaissance, au plus tard le 19 février 2008, des numéros de série de trois motocyclettes vendues dans le magasin de la société PC Moto lui permettant de connaître l'historique de leur commercialisation ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était pourtant invitée, si le délai d'intervention de la société Kawasaki ne correspondait pas au temps qui lui avait été nécessaire pour retracer avec certitude l'historique de la commercialisation des trois motocyclettes en question, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ; 2°) qu'il ne peut être reproché à un fournisseur de ne pas avoir fait respecter l'exclusivité concédée à l'un de ses distributeurs que s'il était en mesure d'intervenir pour assurer ce respect ; qu'en reprochant à la société Kawasaki de ne pas avoir assuré le respect de l'exclusivité qu'elle avait accordée à la société Motoworld " sur la période allant de fin 2007 à août 2008 ", sans s'expliquer sur la manière dont elle aurait pu, entre fin 2007 et le 19 février 2008, identifier le concessionnaire ayant commercialisé les motocyclettes de marque Kawasaki revendues sur le territoire exclusivement réservé de la société Motoworld, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu qu'après avoir énoncé que le concédant a l'obligation de faire respecter l'exclusivité qu'il a consentie, l'arrêt relève que la société Kawasaki a été destinataire d'un constat d'huissier établi le 21 décembre 2007, mentionnant les numéros de série des motocycles neufs de marque Kawasaki en vente dans le magasin de la société PC Moto, au plus tard le 19 février 2008, et que ces numéros lui permettaient de connaître l'historique de la commercialisation des véhicules ; qu'il constate que, malgré la communication de ce constat et l'engagement du litige devant le Tribunal de commerce de Nancy, la société Kawasaki a attendu le 20 août 2008 pour mettre fin, à effet du 1er janvier 2009, au contrat de concession la liant à la société City-2-roues qui avait vendu les véhicules à une société de droit belge auprès de laquelle s'était fournie la société PC Moto ; qu'il retient que le fait que cette dernière ait cessé de s'approvisionner auprès de ce concessionnaire en juin 2008 est inopérant à justifier l'inaction reprochée à la société Kawasaki à compter du début de l'année 2008 ; qu'il ajoute que la société Motoworld est d'autant plus fondée à reprocher à la société Kawasaki sa passivité qu'un précédent avertissement avait été donné en 2007 à la société City-2-Roues, pour des faits similaires ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, rendant inopérante la recherche invoquée à la première branche, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen de ce pourvoi : - Attendu que la société Kawasaki fait grief à l'arrêt de sa condamnation à payer des dommages-intérêts à la société Motoworld alors, selon le moyen : 1°) que la fixation d'une créance de réparation suppose l'existence d'un préjudice qu'il appartient aux juges du fond de caractériser ; qu'en l'espèce, la société Kawasaki faisait valoir que les pratiques de la société PC Moto au cours des années 2007 et 2008 n'avaient causé aucun préjudice à la société Motoworld puisque ses ventes, qui s'étaient élevées à 198 véhicules en 2007 et 197 en 2008 contre 181 en 2006, n'avaient pas été affectées ; que la cour d'appel a néanmoins condamné la société Kawasaki à verser à la société Motoworld une somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts en se bornant à affirmer que la société Motoworld aurait " subi un préjudice certain du fait que la société Kawasaki Motors Europe a failli à son obligation de faire respecter l'exclusivité qu'elle lui a consentie ", après avoir relevé que la passivité de la société Kawasaki avait permis à la société PC Moto d'acquérir 12 motocyclettes de marque Kawasaki ; qu'en n'explicitant pas en quoi consistait le " préjudice certain " que l'acquisition de 12 motocyclettes par la société PC Moto aurait causé à la société Motoworld, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ; 2°) que la réparation d'un dommage, qui doit être intégrale, ne saurait excéder le montant du préjudice réellement subi ; qu'après avoir constaté que la société Motoworld ne versait aux débats aucun document permettant d'évaluer le préjudice qu'elle aurait subi, la cour d'appel a cependant considéré " p[ouvoir] chiffrer ce préjudice à la somme de 25 000 euros " ; qu'en fixant ainsi le préjudice dont elle a ordonné la réparation à une somme forfaitaire, cependant que cette somme ne pouvait excéder le montant du préjudice réellement subi, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil et le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la défaillance de la société Kawasaki à faire respecter l'exclusivité consentie à la société Motoworld avait permis à la société PC Moto d'acquérir douze motocycles de marque Kawasaki et retenu que cette défaillance avait causé un préjudice commercial certain à la société Motoworld, la cour d'appel, par une évaluation ne revêtant pas un caractère forfaitaire, a souverainement fixé le montant de l'indemnité propre à en assurer la réparation intégrale ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche, du pourvoi n° 15-27.562 : - Vu les articles 624, 625 et 638 du Code de procédure civile ; - Attendu que la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation, les parties étant remises de ce chef dans l'état où elles se trouvaient avant la décision censurée et ayant la faculté d'invoquer de nouveaux moyens à l'appui de leurs prétentions, l'affaire étant à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation ;
Attendu que pour rejeter les demandes de la société Motoworld dirigées contre la société PC Moto, l'arrêt retient que la Cour de cassation ayant, dans son arrêt du 22 octobre 2013, rejeté le premier moyen, pris en sa première branche, et le second moyen du pourvoi de la société Motoworld, il en résulte que les dispositions de l'arrêt du 25 avril 2012, par lesquelles la cour d'appel de Nancy a débouté cette société de ses demandes reprochant à la société PC Moto, sur le fondement des dispositions des articles 1382 du Code civil et L. 442-6, I, 6° du Code de commerce, sa résistance à révéler ses sources d'approvisionnement pour les douze motocycles de marque Kawasaki acquis jusqu'au mois de juin 2008, et lui reprochant, sur le fondement du second de ces articles, d'avoir une parfaite connaissance de participer à la violation de l'interdiction de vente hors réseaux, s'agissant de la mise en vente de ces motocycles acquis, jusqu'au mois de juin 2008, auprès de la société DC Motocycles Import Sprl, sont devenues irrévocables et que les demandes de la société Motoworld à ces titres doivent par conséquent être rejetées ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'arrêt de cassation ayant annulé l'arrêt rendu par la cour d'appel de Nancy le 25 avril 2012 en ce qu'il rejetait les demandes formées par la société Motoworld sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 6° du Code de commerce, il lui appartenait d'examiner l'ensemble des moyens invoqués par cette société au soutien de ses demandes fondées sur cet article, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : rejette le pourvoi n° 15-26.755 ; Et sur le pourvoi n° 15-27.562 : casse et annule, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes formées par la société Motoworld contre la société PC Moto du chef de l'article L. 442-6, I, 6° du Code de commerce, l'arrêt rendu le 9 septembre 2015, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.