Cass. com., 21 juin 2017, n° 15-25.941
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Cegedim (SA)
Défendeur :
Euris (SA), Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique, Procureur Général près la Cour d'appel de Paris
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Orsini
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer, SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, SCP Lévis, SCP Piwnica, Molinié
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Cegedim que sur le pourvoi incident relevé par la société Euris ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 septembre 2015), que la société Euris a saisi l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) d'une plainte relative à des pratiques commises dans le secteur des bases de données d'informations médicales, en reprochant à la société Cegedim de lui refuser l'accès à sa base de données One Key, présentée comme le fichier mondial de référence des professionnels de santé, et de tenter de l'évincer du marché ; que, par une décision n° 14-D-06 du 8 juillet 2014, l'Autorité a dit établi que la société Cegedim avait enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en mettant en œuvre, entre octobre 2007 et avril 2013, sur le marché des bases de données d'informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales, un abus de position dominante caractérisé par le refus discriminatoire de vendre sa base de données OneKey aux seuls utilisateurs actuels et potentiels de solutions logicielles commercialisées par la société Euris, lui a infligé une sanction pécuniaire et a dit qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre l'entreprise Cegedim au titre des autres pratiques dénoncées par la saisine ; que la société Cegedim a formé un recours contre cette décision, la société Euris formant, pour sa part, un recours incident ; que la société IMS Health Technology Solutions France, qui a acquis une partie des activités " gestion de la relation client et données stratégiques " de la société Cegedim, est intervenue volontairement devant la Cour de cassation, au soutien des moyens développés par cette société ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société Cegedim fait grief à l'arrêt du rejet de son recours alors, selon le moyen : 1°) que la caractérisation d'une pratique d'abus de position dominante impose à l'Autorité puis, le cas échéant, à la cour d'appel, d'établir la position dominante de l'entreprise poursuivie sur le marché sur lequel/es pratiques contestées ont été commises ; que la notion de marché s'entend du lieu où se rencontrent une offre et une demande de biens ou de services ; qu'en l'espèce, la société Cegedim faisait valoir que le marché sur lesquelles pratiques qui lui étaient imputées auraient été constatées ne pouvait, comme l'avait retenu l'Autorité, être limité de façon aussi excessivement étroite au marché des " bases de données d'informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales ", pour cette raison simple qu'à l'exception d'une seule société, aucun des professionnels auxquels elle aurait fautivement refusé l'accès à sa base de données n'avait le statut de laboratoires pharmaceutiques ; qu'il en résultait que la base de données " One Key " n'était pas une base à destination des seuls laboratoires pharmaceutiques et, surtout, que les pratiques dénoncées, à les supposer caractérisées, ne pouvaient avoir été constatées que sur un marché plus large que celui des seules " bases de données d'informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales " ; qu'en estimant que cette circonstance était indifférente pour la définition du marché pertinent et qu'il devait simplement en être tenu compte pour apprécier l'existence d'un " abus " ou pour apprécier la " position dominante " de la société Cegedim sur le marché des " bases de données d'informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales " , cependant qu'elle démontrait que la base de données " OneKey " n'était pas une base de données à seule destination des laboratoires pharmaceutiques et que les pratiques avaient été commises sur un marché plus large à l'intérieur duquel s'échangeait la base de données " OneKey ", la cour d'appel a violé l'article L. 420-2 du Code de commerce ; 2°) qu'en refusant de tenir compte de cette circonstance, alors qu'elle faisait elle-même de la nature de l'activité du destinataire (" bases de données à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales ") un élément de détermination du périmètre du marché, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 420-2 du Code de commerce ; 3°) que la détermination précise du marché pertinent est un préalable nécessaire pour apprécier et discuter l'existence d'une position dominante qui serait détenue par l'entreprise poursuivie sur ledit marché, l'éventuelle connexité entre les marchés en cause, et quantifier le dommage causé à l'économie par les pratiques contestées ; qu'en l'espèce, la société Cegedim faisait valoir qu'il était impossible de connaître l'étendue du marché pertinent dans la mesure où aucune définition de la notion de " laboratoire pharmaceutique " n'avait été donnée par l'Autorité ; que la cour d'appel s'est elle-même refusée à toute définition de cette notion, laissant ainsi planer le doute sur la délimitation du marché effectivement retenue ; qu'en statuant ainsi la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ;
Mais attendu que l'arrêt retient qu'il existe, de la part des laboratoires pharmaceutiques, une demande spécifique de données relatives aux noms, adresses et spécialités des médecins prescripteurs de médicaments ou de produits relatifs à la santé, afin de connaître quels sont les médecins qui prescrivent leurs médicaments et les zones géographiques les plus concernées par leurs offres et de pouvoir entrer en contact avec ces professionnels pour leur faire connaître leurs médicaments et produits ; qu'il ajoute que ces informations, qui répondent à un besoin particulier et propre aux laboratoires pharmaceutiques, leur sont indispensables pour connaître les besoins de leur clientèle et ne peuvent être substituées par d'autres informations portant, par exemple, sur un ou plusieurs autres secteurs d'activités, qui ne seraient d'aucune utilité pour eux ; qu'il retient encore qu'à cette demande spécifique et non substituable répond une offre de fourniture de ces informations, qui émane de divers acteurs, dont la société Cegedim ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire, sans avoir à définir précisément la notion de laboratoire pharmaceutique, que la rencontre de cette offre et de cette demande, portant sur des produits spécifiques non substituables, constituait un marché pertinent, exactement défini par l'Autorité comme étant celui des bases de données d'informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales, peu important que les entreprises auxquelles la société Cegedim avait refusé l'accès à sa base de données n'aient pas eu le statut de laboratoires pharmaceutiques, cette circonstance ne devant être prise en compte qu'au stade de l'appréciation de l'abus de position dominante invoqué ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen de ce pourvoi : - Attendu que la société Cegedim fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 1°) que pour vérifier si l'entreprise poursuivie détient une position dominante sur le marché pertinent le juge est tenu de calculer précisément la part de marché de l'entreprise mise en cause et des autres entreprises présentes sur ledit marché ; que pour établir que la société Cegedim était en position dominante sur le marché des bases de données d'informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques, l'Autorité a relevé qu'il n'était pas possible " d'identifier les détendeurs de plus des deux tiers du marché " et, de façon purement hypothétique, qu' " en l'absence d'autre explication, la part du marché non identifiée (...) peut être considérée comme couverte par les bases de données internes s aux laboratoires " ; que l'Autorité, après avoir décidé qu'il ne devait pas être tenu compte de la part de marché attribuée à l'autoconsommation, a estimé que la part de marché de la société Cegedim devait être portée en fait de 22 % à 78 % ; que pour retenir pareillement que la société Cegedim disposait d'une situation dominante sur le marché pertinent, la cour d'appel a relevé que l'Autorité avait mis en lumière l'existence d'une " part importante e de marché détenue par des opérateurs non identifiés " et que cette part devait être considérée comme étant " celle de l'autoconsommation " ; qu'en statuant ainsi, sans lever les incertitudes pesant sur la part de marché de la société Cegedim, et en livrant une analyse purement hypothétique de la part détenue par cette dernière et ses concurrents sur le marché pertinent, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ; 2°) que c'est à l'autorité de poursuite qu'il appartient t de démontrer que chacune des conditions nécessaires à la caractérisation d'un abus de position dominante sont réunies ; qu'en reprochant à la société Cegedim de ne produire aucun document permettant de vérifier ses parts de marché, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil ; 3°) qu'un opérateur détient une infrastructure essentielle lorsqu'il exerce un quasi-monopole de fait ou de droit sur un bien indispensable pour l'accès à la clientèle et non reproductible par la concurrence dans des conditions économiquement raisonnables ; qu'en estimant que la société Cegedim était en situation de position dominante sur le marché des bases de données médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion de leurs visites médicales, au motif que " la puissance de marché de la société Cegedim résulte des qualités d'exhaustivité, de spécificité et de services offert " et que la " constitution d'un fichier aussi exhaustif que celui de la société Cégedim réclame un investissement important qui doit être poursuivi par la suite pour la mise à jour constante et régulière du fichier (...) ce qui constitue une réelle barrière à l'entrée ", tout en relevant que selon la décision de l'autorité, la base de données One Key ne présentait pas le caractère d'une facilité essentielle, la cour d'appel, qui ne pouvait dès lors retenir que la société Cegedim bénéficiait d'une position dominante compte tenu de l'exhaustivité de sa base et des coûts nécessaires pour élaborer une base équivalente, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a violé l'article L. 420-2 du Code de commerce ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société Cegedim évaluait la part de marché de sa base de données à 22 % et celle des bases concurrentes à 6 % et qu'elle ne fournissait aucun chiffre pour les bases de données internes aux entreprises, l'arrêt retient que la part de marché détenue par des opérateurs non identifiés correspond à celle de l'autoproduction, constituée par les bases de données internes des entreprises, et ajoute, par des motifs non critiqués, que l'autoproduction ne doit pas être prise en compte dans le calcul des parts de marché ; qu'il en déduit que l'Autorité doit être approuvée en ce que, rapportant la part de 22 % à la totalité du marché composé de la base de données One Key et des bases de données concurrentes, elle a chiffré à 78 % la part de marché de la société Cegedim ; qu'il ajoute que l'importance de cette part de marché est confortée par de nombreux autres éléments et notamment par les données qui figurent dans la décision de l'Autorité, dont il résulte que les plus grands laboratoires sont clients de la société Cegedim et utilisent son fichier OneKey, ainsi que par les informations que cette société a elle-même diffusées au public sur son site internet ; qu'il retient encore que la puissance de marché de la société Cegedim résulte également des qualités de la base de données Onekey, telles son exhaustivité et sa mise à jour quotidienne, lesquelles réclament un investissement important et continu, ce qui constitue une réelle barrière à l'entrée ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire, sans inverser la charge de la preuve, que la société Cegedim se trouvait en position dominante sur le marché des bases de données d'informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques, peu important que la base OneKey ne puisse pas être qualifiée d'infrastructure essentielle, faute de remplir les conditions particulières nécessaires à cette qualification ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen du même pourvoi : - Attendu que la société Cegedim fait encore le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 1°) qu'il n'y a en principe d'abus de domination qu'à condition qu'une partie justifiant d'une position dominante sur un marché abuse de cette situation pour recourir sur ledit marché à des pratiques considérées, en l'état du pouvoir dont elle dispose, comme abusives ; que les juges du fond ne peuvent sanctionner, sur le fondement des dispositions relatives aux abus de domination, un comportement adopté par une entreprise dominante mais produisant des effets sur un marché qu'elle ne domine pas qu'à charge de constater l'existence de " circonstances particulières " démontrant que les marchés en cause présentent des liens de connexité si étroits que la position dominante dont dispose l'entreprise poursuivie sur le marché dominé lui permet d'exercer, sur le marché non dominé, un pouvoir équivalent à celui d'une entreprise dominante ; que pour caractériser ces circonstances particulières, le juge doit notamment tenir compte de la structure de la demande et de l'offre sur les marchés, des caractéristiques des produits, de l'utilisation par l'entreprise dominante de son pouvoir sur le marché dominé pour pénétrer sur le marché connexe, de la part de marché de l'entreprise dominante sur le marché non dominé et de l'étendue du contrôle du marché dominé par l'entreprise en question ; que pour démontrer l'absence de lien entre le marché des bases de données à destination des laboratoires pharmaceutiques et le marché des logiciels CRM, et démontrer qu'elle n'était pas placée en fait, sur le marché des logiciels CRM, dans une situation équivalente à celle qui serait celle d'une entreprise en position dominante, la société Cegedim faisait observer que les bases de données externes qui correspondaient au segment de marché sur lequel elle intervenait, n'étaient pas nécessaires au fonctionnement des logiciels CRM, qu'aucune autre entreprise n'était présente sur les deux marchés, qu'une entreprise choisissait un logiciel de CRM pour les qualités propres de celui-ci, sa capacité à gérer les différents canaux d'information interne e et de communication externe e avec les clients, et que le nombre de clients utilisateurs de son logiciel de CRM baissait de façon continue depuis 2009, alors que sa part sur le marché des bases de données restait stable ; qu'en se bornant pour conclure à l'existence d'un lien de connexité entre le marché des bases de données à destination des établissements pharmaceutiques et le marché des logiciels CRM, à relever qu'il existait un lien étroit entre ces marchés et qu'un logiciel CRM ne pouvait fonctionner sans base de données, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé les circonstances particulières démontrant qu'il existait un lien de connexité entre les deux marchés et que la société Cegedim disposait, du fait de son pouvoir sur le marché des bases de données à destination des laboratoires pharmaceutiques qu'elle dominait, d'un pouvoir de marché équivalent à celui d'une entreprise dominante sur le marché des logiciels CRM, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ; 2°) qu'en retenant l'existence d'un lien de connexité entre le marché des bases de données à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion de leurs visites médicales et le marché des logiciels CRM, au motif que lesdits logiciels ne pouvaient fonctionner sans base de données interne ou externe sans rechercher, comme elle y était invitée, si le fait que la société Cegedim ne commercialisait que des bases de données externes dont elle constatait qu'elles n'étaient nullement nécessaires au fonctionnement des logiciels CRM et dont elle estimait du reste qu'elles ne représentaient en soi que 28 % du marché des bases de données à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion de leurs visites médicales, ne faisait pas obstacle à ce qu'il soit considéré, fût-ce au regard du simple critère du " lien fonctionnel", que la société Cegedim disposait, du seul fait de sa position dominante sur le marché des bases de données à destination des laboratoires pharmaceutique pour la gestion de leurs visites médicales, d'un pouvoir équivalent à celui d'une entreprise dominante sur le marché des logiciels CRM, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ;
Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, qu'il était établi que la société Cegedim refusait de vendre sa base de données Onekey aux seuls utilisateurs actuels et potentiels de solutions logicielles commercialisées par la société Euris, cependant qu'elle acceptait de la vendre à des utilisateurs ayant recours à des logiciels concurrents, l'arrêt retient que ce refus discriminatoire a eu un effet anticoncurrentiel en créant, au préjudice de la société Euris, sans justification économique ou juridique, un désavantage en termes de coûts et d'image par rapport à l'ensemble de ses concurrents sur le marché des logiciels de gestion de la relation clients (logiciels CRM) dans le secteur de la santé, faussant ainsi le jeu de la concurrence sur ce marché ; qu'il ajoute que la société Cegedim n'est pas fondée à soutenir l'absence de lien de connexité entre le marché des bases de données d'informations médicales, sur lequel les pratiques abusives ont été commises, et celui des logiciels CRM dans le secteur de la santé, dès lors que ce lien se déduit de l'interdépendance fonctionnelle de ces logiciels et des bases de données, les logiciels CRM ne pouvant fonctionner sans base de données ; qu'en l'état de ces seules constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le cinquième moyen du pourvoi : - Attendu que la société Cegedim fait toujours le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 1°) que la légitime défense est un fait exonératoire de responsabilité en toute matière ; qu'il y a légitime défense lorsque la personne poursuivie adopte un comportement constitutif d'une infraction ou d'une faute, alors qu'elle pouvait" raisonnablement croire à l'imminence d'un péril " ; qu'en l'espèce, la société Cegedim faisait valoir que les refus de ventes qui lui étaient imputés ne pouvaient être qualifiés d'abus de position dominante dans la mesure où ces refus n'avaient aucune finalité ou objet anticoncurrentiel mais présentaient le caractère d'une mesure à caractère conservatoire, en l'état des soupçons sérieux de contrefaçon qui pesaient sur la société Euris ; que ces soupçons reposaient sur des éléments concordants et précis dont des témoignages émanant de plusieurs salariés de la société Euris elle-même ; qu'en estimant que les soupçons de la société Cegedim ne pouvaient justifier l'infraction au droit de la concurrence qui lui était reprochée, sans rechercher si, en l'état des éléments portés à sa connaissance, elle ne pouvait pas légitimement croire en l'existence d'un péril, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ; 2°) que toute entreprise, fût-elle placée dans une position dominante, dispose, dans une mesure raisonnable, de la faculté d'accomplir les actes qu'elle juge appropriés en vue de protéger ses intérêts (CJCE, United Brands, 15 février 1978, aff 27176) ; qu'en l'espèce, les soupçons de contrefaçon de la société Cegedim reposaient sur des éléments concordants et précis dont des témoignages émanant de plusieurs salariés de la société Euris elle-même ; que la société Cegedim faisait valoir que son dirigeant avait indiqué à l'association Santélys, qui était la seule association vis-à-vis de laquelle elle reconnaissait avoir opposé un refus de vente, que cette suspension était purement conservatoire et qu'elle cesserait le jour même où elle serait judiciairement fixée sur le bien-fondé des soupçons qu'elle entretenait à l'égard de la société Eu ris ; qu'en retenant par principe qu'un soupçon de contrefaçon ne pouvait justifier un refus de vente, cependant qu'une réaction proportionnée, limitée dans le temps, justifiée par des soupçons parfaitement légitimes, et manifestant le seul souci d'une entreprise de défendre ses actifs incorporels, et non de renforcer une éventuelle position dominante par des moyens contraires à l'exercice d'une concurrence par les mérites, ne pouvait être qualifiée de pratique abusive, la cour d'appel a violé l'article L. 420-2 du Code de commerce, ensemble le principe de proportionnalité ; 3°) que la discrimination, constitutive d'un abus de position dominante au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce, consiste dans le fait de traiter différemment t et sans motif légitime, deux ou plusieurs cocontractants placés dans une situation identique ; qu'en sanctionnant la société Cedegim, au motif que les soupçons formulés par celle-ci n'étaient pas de nature à justifier son comportement sur le marché des bases de données à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales, cependant que la nécessité de suspendre, à titre purement conservatoire, les ventes réalisées auprès des clients de la société Euris, pour des motifs tirés de l'existence de soupçons sérieux de contrefaçon, tout comme l'existence d'un litige commercial avec la société Eu ris constituaient des justes motifs de suspension des ventes en litige, la cour d'appel a violé l'article L. 420-2 du Code de commerce, ensemble le principe de proportionnalité ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que la société Cegedim ne reconnaissait qu'un seul refus de vente, à l'égard de l'association Santélys, qu'elle estimait justifié par les soupçons de contrefaçon qu'elle nourrissait à l'encontre de la société Euris, l'arrêt retient que la pratique mise en œuvre par la société Cegedim ne s'est pas limitée à ce seul refus mais s'est inscrite dans le cadre d'une stratégie commerciale consistant à opposer à tous les utilisateurs, actuels et potentiels, du logiciel de la société Euris un refus d'accès à la base de données One Key ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations qui rendaient inopérant le moyen, soutenu devant elle, tiré du caractère légitime et proportionné du seul et unique refus de vente reconnu par la société Cegedim, la cour d'appel a pu retenir, sans avoir à effectuer d'autres recherches, que les pratiques mises en œuvre par cette société, qui ne s'étaient pas limitées à ce seul refus, constituaient des pratiques discriminatoires qui allaient au-delà de la défense légitime de ses droits et procédaient d'une exploitation abusive de sa position dominante, cependant que les soupçons sur d'éventuelles pratiques de contrefaçon ne pouvaient la conduire qu'à introduire les actions judiciaires prévues pour la protection de ses droits, ce qu'elle avait d'ailleurs fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le sixième moyen : - Attendu que la société Cegedim fait grief à l'arrêt du montant de la sanction infligée alors, selon le moyen : 1°) que les sanctions pécuniaires doivent être proportionnées à la gravité des faits reprochés à l'entreprise poursuivie, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération des pratiques prohibées ; que ces sanctions doivent être déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ; que la détermination du dommage causé à l'économie implique, a minima, une définition du marché affecté par les pratiques contestées ; qu'en confirmant la sanction prononcée par l'autorité, tout en concédant que le marché des logiciels CRM pour le secteur de la santé, marché qui aurait été affecté épar les pratiques imputées à la société Cegedim, n'avait pu être délimité, la cour d'appel, qui a validé une évaluation arbitraire de la sanction infligé à la société Cegedim, sanction qui ne pouvait en l'état être proportionnée au dommage effectivement causé à l'économie par les pratiques qui lui étaient imputées, a violé l'article L. 464-2 du Code de commerce, ensemble le principe de l'individualisation des peines ; 2°) que s'il peut être tenu compte de la durée de l'infraction pour quantifier la sanction infligée à une entreprise poursuivie pour s'être livrée à des pratiques anticoncurrentielles en ce qu'il s'agit d'un critère permettant de mesurer la gravité de l'infraction et Je dommage causé par celle-ci à l'économie, il ne peut être tenu compte que de la durée effective de l'infraction, c'est-à-dire de la période pendant laquelle celle-ci a effectivement t produit ses effets ; qu'en matière de refus de vente discriminatoire, le point de départ des pratiques contestées doit ainsi être fixé à la date du premier refus discriminatoire ou de tout acte positif ayant porté à la connaissance du marché la mise en place d'une pratique de refus de vente discriminatoire ; qu'en l'espèce, la société Cegedim faisait valoir, sans être contredite, que Je premier refus de vente que les autorités de poursuites avaient établi datait du 15 mai 2009 ; qu'en fixant, à l'instar de l'Autorité de la concurrence, la date de début des pratiques en octobre 2007, soit à la date à laquelle la société Cegedim avait introduit son action en contrefaçon, sans constater qu'à compter de cette date la société Cegedim avait effectivement opposé des refus de vente aux clients de la société Eu ris ou que le marché avait pris connaissance d'une pratique mise en place par la société Cegedim, et qu'ainsi, à compter de cette date, les pratiques imputées à la société Cegedim avaient commencé à produire leurs effets la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 3°) que les juges sont tenus de s'expliquer sur l'ensemble des circonstances de nature à modérer la gravité de l'infraction imputée à l'entreprise poursuivie ou Je dommage que celle-ci aurait causé à l'économie ; qu'en infligeant à la société Cegedim une sanction pécuniaire de pas moins de 5 767 000 euros sans le moindre égard au fait que la réaction de la société Cegedim avait pour seul objet de défendre ses actifs incorporels, dont elle pouvait légitimement croire qu'ils étaient menacés, et non de renforcer sa position dominante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce, ensemble les principes d'individualisation et de proportionnalité des peines ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant constaté que le marché affecté par les pratiques était celui des logiciels CRM pour le secteur de la santé, la cour d'appel a pu retenir, comme assiette de la sanction, la valeur des ventes réalisées par la société Cegedim sur ce marché, peu important que le marché des logiciels CRM pour le secteur de la santé n'ait pas pu être délimité de façon exacte aux fins d'appréciation d'une éventuelle position dominante de la société Cegedim ;
Attendu, d'autre part, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, en se fondant sur les propres déclarations de la société Cegedim, que le refus d'accès de la base de données OneKey avait débuté avec l'ouverture du contentieux en contrefaçon, soit en octobre 2007 ;
Et attendu, enfin, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la proportionnalité de la sanction que la cour d'appel, devant laquelle aucune circonstance susceptible d'entraîner une modération de la sanction n'était invoquée, a approuvé la détermination de la sanction effectuée par l'Autorité ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen du pourvoi principal ni sur les deux moyens du pourvoi incident, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Par ces motifs : Rejette les pourvois principal et incident.