CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 22 juin 2017, n° 15-20572
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ged (EURL)
Défendeur :
Sodexo Energie et Maintenance (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Schaller
Conseillers :
Mmes du Besset, Castermans
Avocats :
Mes Pourre, Boissavy, Ouabdesselam, Derot
Faits et procédure
L'EURL Ged a pour activité le nettoyage de bureaux et l'entretien d'espaces verts.
La société Sodexo est spécialisée dans la prestation de services de maintenance multi-technique.
Le 24 mars 2006, la société Ged a signé avec Altys, filiale de la société Sodexo, un contrat de sous-traitance d'une durée de 17 ans à compter du 6 mai 2006, portant sur le nettoyage de locaux situés à Bussy-Saint-Georges, suivi d'un avenant signé les 4 et 14 août 2006 portant sur la même durée.
Le 3 mai 2007, les parties ont signé un avenant mettant fin au contrat et à son avenant par anticipation.
Les 18 et 29 juin 2007, elles ont signé un autre contrat de sous-traitance pour le même site à Bussy Saint Georges pour une durée de 7 ans selon la société Ged et de 5 ans selon la société Sodexo avec une entrée en vigueur au 3 mai 2007.
En janvier 2013, la société Sodexo a confirmé à la société Ged que le contrat cesserait définitivement le 3 mai 2014.
La société Ged a contesté les conditions de la rupture et a demandé à être indemnisée à hauteur de trois années de chiffre d'affaires net.
C'est dans ces conditions que la société Ged a fait assigner le 16 juillet 2014 la société Sodexo pour voir constater que la société Sodexo a rompu brutalement la relation commerciale entretenue avec elle et obtenir l'indemnisation de son préjudice.
Par jugement rendu le 28 septembre 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :
débouté l'EURL Ged de sa demande d'indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales établies ;
condamné l'EURL Ged à payer à la SA Sodexo Energie et Maintenance la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
débouté les parties de leurs demandes plus amples ou autres.
Vu l'appel interjeté le 19 octobre 2015 par la société Ged contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Ged le 11 décembre 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :
infirmer le jugement rendu le 28 septembre 2015 par le Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau
constater une relation commerciale établie entre la société anonyme Sodexo Energie et Maintenance et l'EURL Ged ;
constater que la société anonyme Sodexo Energie et Maintenance a rompu brutalement la relation commerciale avec l'EURL Ged ;
condamner la société anonyme Sodexo Energie et Maintenance à payer à la société Ged les sommes suivantes :
383 040 euros représentant le chiffre d'affaires de la société Ged sur trois années de relations contractuelles ;
2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC ;
condamner la société anonyme Sodexo Energie et Maintenance aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Sodexo le 11 février 2016 par lesquelles il est demandé à la cour de :
dire et juger que la société Sodexo Energie et Maintenance n'a nullement engagé sa responsabilité envers la société Ged pour rupture brutale de relation commerciale établie ;
constater que le montant des dommages et intérêts sollicités par la société Ged est sans rapport avec le préjudice qu'elle pourrait avoir subi ;
En conséquence,
confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 28 septembre 2015 ;
condamner la société Ged à payer à la société Sodexo Energie et Maintenance la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
condamner la société Ged aux entiers dépens.
La société Ged soutient que les relations commerciales établies entre elle et la société Sodexo étaient suivies, stables et habituelles, que le contrat initial de 2006 était d'une durée de 17 ans, qu'il ne devait prendre fin qu'au mois de mai 2023, que contrairement à ce qu'elle allègue, Sodexo n'a pas procédé à un appel d'offres, qu'en tout état de cause, le recours à un appel d'offres ne suffit pas à exclure l'existence d'une relation commerciale établie, que la société Ged aurait dû être reconduite à la date anniversaire et qu'il a été mis fin de façon abusive au contrat de 2006.
Elle sollicite la nullité du contrat signé le 18 juin 2007 car la société Sodexo a modifié unilatéralement en signant, les conditions dudit contrat. Elle soutient que le contrat initial ne prévoyait la résiliation qu'en cas d'inexécution par l'une ou l'autre des parties d'une quelconque de ses obligations, qu'elle n'a jamais manqué à ses obligations et qu'il ne pouvait donc être mis fin au contrat de façon anticipée.
Elle rappelle qu'en application de l'annexe VII de la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011, la continuité des contrats de travail des salariés attachés au marché imposait à la société Sodexo de prévoir le sort des salariés suite à la rupture, ce qu'elle n'a pas fait, qu'elle a agi de mauvaise foi, unilatéralement et brusquement, alors qu'elle a laissé se créer chez la société Ged une confiance dans le renouvellement du contrat, qu'à la suite de la rupture, l'ensemble des effectifs a quitté la société Ged, qu'elle a dû être placée en sommeil, qu'elle était dans un état de dépendance économique forte puisqu'elle réalisait près de 98 % de son chiffre d'affaire avec la société Sodexo, que compte tenu de ces éléments et de la durée de l'engagement initial du contrat, elle est bien fondée à solliciter une indemnisation représentant trois années de chiffre d'affaires net.
En réponse, la société Sodexo fait d'abord valoir que le contrat conclu entre les parties le 24 mars 2006 et entré en vigueur le 6 mai 2006 pour une durée de 17 ans a été résilié par avenant du 3 mai 2007 de sorte que le seul contrat qui était en cours au jour de la dénonciation des relations est celui signé le 18 juin 2007 et entré en vigueur le 3 mai 2007, que, contrairement à ce que prétend la société Ged, la résiliation du contrat initial et la signature d'un nouveau contrat sont intervenues d'un commun accord entre les parties, comme en atteste le fait que l'avenant de résiliation ainsi que le contrat du 3 mai 2007 sont revêtus de la signature des deux parties, que quelle que soit la durée retenue de renouvellement, (cinq + deux ou sept ans) le contrat est venu à terme le 3 mai 2014, que le fait qu'elle ait ou non procédé à un appel d'offres formel en 2013 pour choisir son nouveau sous-traitant est également indifférent dès lors qu'elle a respecté les termes du contrat, qu'elle n'a pas engagé sa responsabilité pour rupture brutale de relations commerciales établies envers la société Ged, puisqu'elle lui a laissé un préavis total de plus de 16 mois avant de mettre un terme à la relation contractuelle, qu'en effet, par courrier du 20 décembre 2012, elle a notifié à la société Ged la résiliation du contrat de sous-traitance au 2 mai 2013, tout en lui indiquant qu'elle entendait, pour le futur, recourir à un appel d'offres en sorte que la préavis a bien commencé à courir le 20 décembre 2012, que la société Ged a alors contesté les conditions de la résiliation et qu'après des discussions entre les parties, la société Sodexo a accepté, en contrepartie d'une absence de remise en cause des tarifs, de prolonger l'exécution du contrat de sous-traitance jusqu'au 3 mai 2014, que la société Ged savait très précisément à quelle date la relation prendrait fin si elle n'était pas retenue dans le cadre de l'appel d'offres de sorte qu'elle était en mesure de mettre à profit ce préavis plus que suffisant pour diversifier et/ou reclasser son activité.
La société Sodexo conteste subsidiairement le montant des dommages et intérêts sollicités par la société Ged, cette dernière ne justifiant pas son chiffre d'affaires net servant de base aux calculs ni la durée de trois ans sollicitée qui est excessive pour une relation qui à peine dépassé 8 années, que les allégations de la société Ged relatives à l'arrêt de son activité ne sont pas sérieuses, que, quand bien même la société Ged rencontrerait des difficultés financières, rien ne démontrerait que celles-ci seraient imputables à la rupture de sa relation avec la société Sodexo et encore moins à la prétendue brutalité de cette rupture.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Considérant qu'aux termes de l'article 1134 (ancien) du Code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :... 5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) ";
Que le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce s'étend, au-delà des simples relations contractuelles, à des situations très diverses, dès lors qu'elles revêtent un caractère stable et établi ;
Que la fourniture de prestations de services entre dans le champ d'application dudit article dès lors que les conditions de stabilité et de régularité sont établies ;
Considérant qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que les parties étaient liées par une première convention de prestations de services signée le 24 mars 2006 et par un avenant n° 1 du 4 août 2006 prévoyant une durée du contrat de 17 ans ;
Que les parties ont toutefois résilié par écrit cette convention le 3 mai 2007 par un document intitulé " avenant ", les parties convenant d'y " mettre fin, à titre amiable, avant le terme du contrat ", de " manière définitive " chacune renonçant, au titre de la responsabilité à réclamer à l'autre des dommages et intérêts liés à l'exécution et/ou cessation anticipée dudit contrat ;
Que la société Ged n'a jamais contesté cette résiliation amiable avant la naissance du présent litige ;
Qu'en tout état de cause, elle n'allègue ni ne rapporte la preuve d'aucun motif qui pourrait justifier au visa de l'article 1134 susrappelé l'invalidité de ladite résiliation, les parties ayant librement convenu de mettre fin à leur contrat d'un commun accord ;
Que le fait que le contrat ait été initialement prévu pour 17 ans est sans incidence sur la validité de la résiliation conventionnelle anticipée ;
Que c'est dès lors à tort que la société Ged soutient que les parties seraient toujours liées jusqu'en 2023 ;
Considérant qu'un nouveau contrat portant sur le même chantier a été signé entre les parties le 18 juin 2007 par Ged et le 28 juin 2007 par Sodexo ;
Que les relations se sont poursuivies entre les parties sans difficulté sur les bases contractuelles ainsi convenues;
Que la société Ged n'a jamais contesté la validité de la nouvelle convention qui a été exécutée de part et d'autre depuis le 3 mai 2007 ;
Qu'elle n'allègue ni ne soutient que ladite convention serait entachée d'un vice du consentement, sa demande de nullité étant fondée sur l'ajout, par Sodexo, de mentions manuscrites non expressément validées par Ged au regard de la durée du contrat ;
Mais considérant que ladite convention a été signée et paraphée par les deux parties ;
Que les mentions manuscrites rajoutées par Sodexo, non validées par Ged, n'emportent par conséquent pas modification du contrat dont la durée a été fixée à 7 ans ;
Qu'à la suite de négociations tarifaires, la société Sodexo a, par courrier recommandé en date du 20 décembre 2012, résilié le contrat du 18 juin 2007 en fixant comme date d'effet de la résiliation le 2 mai 2013 et a sollicité une nouvelle proposition de prix de Ged, indiquant qu'elle entendait recourir à un appel d'offres pour les prestations en cause ;
Que la société Ged a contesté cette résiliation par courrier recommandé du 7 janvier 2013, estimant que le contrat dont elle ne contestait au demeurant pas la validité, ne pouvait être résilié avant l'expiration de la durée prévue de 7 ans, faisant elle-même référence à cette durée qu'elle avait expressément acceptée ;
Qu'après échanges entre les parties, la société Sodexo a reporté la date d'effet de la résiliation au 3 mai 2014, et a notifié cette date à la société Ged par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 31 janvier 2014 ;
Qu'il résulte de la convention signée par les parties qu'indépendamment des annotations manuscrites de Sodexo évoquées ci-dessus - qui n'ont pas été validées par la société Ged - le contrat avait été fixé pour une durée de sept années (que ce soit 7 ans comme indiqué par Ged ou 5 + 2 ans comme indiqué par Sodexo) ;
Qu'en conséquence, c'est à juste titre que les premiers juges ont relevé que la résiliation annoncée par Sodexo le 20 décembre 2012 pour le 3 mai 2013 puis reportée au 3 mai 2014 n'était pas anticipée par rapport à l'arrivée du terme initialement convenu et ne violait dès lors pas la convention des parties ;
Que de plus, l'annonce par Sodexo, en décembre 2012, de l'arrivée du terme, certes erroné car fixé à 2013 au lieu de 2014, et de l'éventualité, pour Sodexo, de procéder par appel d'offres, a nécessairement précarisé la relation commerciale, même ancienne, et avait vocation à permettre à la société Ged de faire de nouvelles propositions tarifaires, comme elle y a été invitée, ou à rechercher d'autres marchés ;
Qu'en indiquant qu'elle entendait recourir à un appel d'offres et en précisant la date de fin de contrat, la société Sodexo a clairement manifesté son intention de ne pas poursuivre les relations contractuelles dans les conditions antérieures et a ainsi fait courir un délai de préavis, qu'elle a ensuite prorogé de douze mois, jusqu'au 3 mai 2014, soit 17 mois de préavis au total, ce qui est suffisant au regard de la durée des relations contractuelles qui a duré huit ans, en tenant compte de la première année exécutée dans le cadre de la première convention ;
Que si la conjonction des deux périodes constitue bien une relation commerciale établie, le préavis accordé est compatible avec la durée réelle desdites relations ;
Qu'il ne peut être considéré que l'obligation de reclasser les salariés, issue de la convention nationale des entreprises de propreté constitue un état de dépendance économique dont il n'aurait pas été tenu compte pour fixer à 17 mois la durée du préavis accordé ;
Qu'au demeurant, les salariés concernés ont soit démissionné, soit été reclassés;
Que de plus, le fait que la convention constituait 98 % du chiffre d'affaires de la société Ged, chiffre établi par les bilans des années 2013 et 2014 versés aux débats, ne justifie toutefois pas un allongement du délai de préavis qui, en l'espèce, est déjà particulièrement long au regard de la durée de la convention ;
Qu'il appartenait à la société Ged de mettre à profit cette durée de préavis pour se diversifier ;
Que pour l'ensemble de ces motifs, il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges et d'allouer, en cause d'appel, la somme supplémentaire de 2 000 euros à la société Sodexo au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, y ajoutant, condamne la société Ged à payer à la société Sodexo la somme de 2 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la société Ged aux entiers dépens.