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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 juin 2017, n° 15-18784

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique, Syndicat National des Hôteliers Restaurateurs Cafetiers Traiteurs, Fédération Autonome Générale de l'Industrie Hôtelière Touristique, Confédération des Professionnels Indépendants de l'Hôtellerie (Sté), Synhorcat, FAGIHT, Union des Métiers et des Industries de l'Hotellerie

Défendeur :

Expedia Inc. (Sté), Travelscape LLC (Sté), Expedia France (SAS), Vacationspot SL (Sté), WWTE Travel Limited (Sté), Hotels.com LP (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Lallement, Tardif, Levy, Teytaud, Giard

CA Paris n° 15-18784

20 juin 2017

Faits et procédure

Le groupe Expedia exploite plusieurs agences de voyage en ligne qui proposent aux internautes de réserver, via leurs moteurs de recherche, des hébergements dans un grand nombre d'hôtels en France et à l'étranger. Le groupe détient notamment les sites Internet www.expedia.fr et www.hotels.com.

Il comprend plusieurs filiales, dont les sociétés :

- Expedia France, société de droit français,

- Travelscape LLC (ci-après " Travelscape "), société de droit américain,

- Vacationspot SL (ci-après " Vacationspot "), société de droit espagnol,

- WWTE Travel Limited (ci-après " WWTE Travel Limited "), société de droit irlandais,

- Hotels.com LP (ci-après " Hotels.com ", société de droit américain.

Les relations commerciales entre le groupe Expedia et les hôteliers pour les ventes de nuitées sont encadrées par des contrats définissant les droits et obligations de chaque partie, intitulés " contrat de participation d'une propriété " (le terme de propriété signifiant l'hôtel). Ces contrats organisent ainsi la mise en ligne de l'offre des hôteliers sur les canaux de réservation du groupe Expedia, et notamment sur ses sites Internet.

En février 2011, dans le cadre d'une enquête diligentée par les services de la DGCCRF, le groupe Expedia a communiqué 53 contrats signés entre 2008 et 2011 par les sociétés Travelscape (53), Hotels.com (53), Vacationsport (13) et WWWTE Travel Ltd (32), avec les hôtels.

Six de ces contrats, qui avaient été signés avant l'entrée en vigueur de l'article L. 442-6 du Code de commerce, ont été écartés de l'enquête par le ministre de l'Economie.

Ces contrats incluent tous, de 2008 à 2011, des clauses de parité des tarifs et des conditions et une clause de dernière chambre disponible.

S'agissant de la première clause, les sociétés du groupe Expédia s'assurent de l'obtention automatique des meilleures conditions tarifaires et des meilleures offres promotionnelles. Elle est ainsi rédigée, avec quelques nuances dans certains contrats : " 2. Tarifs : La propriété fixera les tarifs des chambres de telle sorte qu'ils seront (a) au moins aussi intéressants en terme de tarif, de règles, de termes et de conditions que ceux proposés ou fixés par la propriété pour les chambres proposées à la réservation par le biais de tout canal de la propriété ou canal tiers, et (b) au moins 25 % ou 20 euros (suivant lequel est le plus bas) inférieure au meilleur tarif disponible, y compris les tarifs de réservation promotionnels ". " 4. Primes/offres spéciales : la propriété proposera les mêmes primes, dérogations, promotions et autres offres spéciales que par le biais de tout canal de la propriété ou de tout autre canal tiers et ce pour chaque société ".

En miroir de cette clause de garantie contractuelle, les sites expedia.fr et hotels.com mettent en avant, sur leur page d'accueil, en guise d'argument commercial à destination des internautes, " une garantie d'alignement de prix ".

S'agissant de la seconde clause, dite de la " dernière chambre disponible ", elle est ainsi rédigée dans la plupart des contrats, avec quelques menues variantes : " 1. Chambres : (...) En plus de toute attribution de chambres, la propriété mettra également toute chambre non réservée existant au sein de la propriété à la disposition des clients pour réservation, même si toutes les chambres ont été réservées ou ne sont plus attribuées à une société (accès à la dernière chambre disponible) ".

Parallèlement, l'Autorité de la concurrence a été saisie en 2013 par les syndicats hôteliers de certaines clauses des contrats passés entre les agences de réservation en ligne, dont le groupe Expedia, et les hôteliers. Le 21 avril 2015, l'Autorité a rendu une décision sur les pratiques mises en œuvre par les sociétés Booking (décision n° 15-D-06), les procédures concernant les sociétés Expedia et HRS étant toujours en cours devant l'Autorité.

Par actes des 8 et 10 juillet 2013, puis du 17 septembre 2013, le ministre de l'Economie a fait assigner les sociétés Expedia Inc., Travelscape, Vacationspot, WWTE Travel Limited et Expedia France devant le Tribunal de commerce de Paris, sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce. La société Hotels.com a également été assignée devant le Tribunal de commerce de Paris. Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du 23 janvier 2015.

D'une part, le ministre de l'Economie demandait la nullité des clauses de parité tarifaires, non tarifaires et promotionnelles présentes dans 47 des contrats litigieux pour violation des dispositions de l'article L. 442-6, II, d) du Code de commerce sur l'interdiction de bénéficier automatiquement des conditions les plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant. A titre subsidiaire, il demandait leur nullité sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce relatif à la prohibition du déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

D'autre part, le ministre de l'Economie sollicitait la nullité des clauses dite " de la dernière chambre disponible " présentes dans 47 des contrats litigieux, qui, corrélées aux clauses de parité des conditions tarifaires, non tarifaires et promotionnelles, méconnaissaient la prohibition du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, telle que posée à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce.

Le ministre demandait également au tribunal de commerce d'enjoindre au groupe Expedia de cesser les pratiques consistant à mentionner de telles clauses dans leurs contrats, et de les condamner au paiement d'une amende civile de deux millions d'euros.

Par acte du 12 décembre 2014, trois associations d'hôteliers, le Synhorcat, la FAGIHT et la CPIH (devenue l'UMIH) sont intervenues volontairement à titre accessoire pour soutenir la position du ministre.

La Confédération des Professionnels Indépendants de l'Hôtellerie (" CPIH ") est une organisation professionnelle patronale qui a pour objet la défense des intérêts et la promotion des professions d'hôteliers, de restaurateurs, de cafetiers et des discothèques. Depuis le 1er avril 2016, l'UMIH intervient aux lieux et place de la CPIH, dont elle est l'ayant-cause à titre universel, par application de l'opération de fusion-acquisition de la CPIH par l'UMIH.

Par jugement du 7 mai 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

· dit les exceptions d'incompétence recevables mais non fondées,

· dit que le tribunal est compétent,

· dit l'action de Synhorcat, FAGHIT, CPIH recevable,

· débouté les défenderesses de leur demande de sursis à statuer,

· dit que l'action est irrecevable pour les clauses des contrats signés par l'hôtel Aix Orient Hôtel, faute d'information de l'introduction de l'action,

· dit que l'action est recevable pour l'ensemble des autres contrats, compte tenu de l'information des signataires,

· débouté les défenderesses de leur demande visant à écarter les contrats visés comme pièces à la procédure,

· dit que la loi applicable aux contrats visés dans l'assignation est la loi anglaise,

· dit que l'article L. 442-6, II, d) du Code de commerce n'est pas une disposition dont l'observation est nécessaire pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale et économique du pays au point de régir impérativement la situation quelle que soit la loi applicable et de constituer une loi de police,

· dit que, pour des établissements situés en France, l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce est une disposition dont l'observation est nécessaire pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale et économique du pays au point de régir impérativement la situation quelle que soit la loi applicable et de constituer une loi de police,

· mis hors de cause les sociétés Expedia France, Expedia Inc. et WWTE Travel,

· dit que, faute de contrepartie suffisante, les clauses visant à l'obtention automatique des meilleures conditions tarifaires et promotionnelles, dans les contrats des hôtels incriminés situés sur le territoire français sont constitutives d'un déséquilibre significatif au sens de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce et sont nulles,

· débouté les demandeurs au titre de la nullité de la clause dite " de la dernière chambre disponible ",

· débouté le ministre de l'Economie de sa demande d'amende,

· débouté le ministre de l'Economie et Synhorcat, FAGIHT et CPIH de leur demande d'injonction,

· condamné les sociétés Hotels.com, Vacationspot et Travelscape in solidum à payer la somme de 1 000 euros au ministre de l'Economie au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

· ordonné l'exécution provisoire,

· débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif,

· condamné les sociétés Hotels.com, Vacationspot et Travelscape aux dépens.

Le 24 juillet 2015, le ministre de l'Economie a interjeté appel du jugement du Tribunal de commerce de Paris du 7 mai 2015. L'UMIH a également interjeté appel de ce jugement le 18 décembre 2015. Le 21 décembre 2015, les sociétés du groupe Expedia ont formé un appel incident de ce jugement.

LA COUR,

Vu les appels du ministre de l'Economie, de l'UMIH, des sociétés Expedia France, Expedia Inc., Travelscape LLC, Vacationspot SL, WWTE Travel Limited et Hotels.com LP ;

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 6 mars 2017 par le ministre de l'Economie, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- dire l'appel du ministre recevable et bien fondé,

- débouter les sociétés Expedia France, Expedia Inc., Hotels.com, Vacationspot, WWTE Travel Limited et Travelscape de leurs appels incidents visant à solliciter in limine litis l'infirmation du jugement de première instance en ce qu'il a reconnu la compétence des juridictions françaises, et partant, rejeter leurs demandes visant à solliciter de la cour qu'elle décline sa compétence pour statuer sur l'ensemble des demandes présentées par le ministre de l'Economie et invite le ministre de l'Economie à se pourvoir devant les juridictions anglaises,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu la compétence du juge français et la recevabilité de l'action du ministre, débouté les sociétés Expedia France, Expedia Inc., Hotels.com, Vacationspot, WWTE Travel Limited et Travelscape de leur demande de sursis à statuer, débouté les sociétés du groupe Expedia précitées de leurs demandes visant à écarter les contrats visés comme pièces à la procédure, prononcé la nullité de la clause de parité tarifaire, non tarifaire et promotionnelle, ordonné l'exécution provisoire et débouté les sociétés du groupe Expedia précitées de leurs autres demandes,

- infirmer partiellement le jugement et en conséquence :

- dire que la loi applicable au litige est la loi française sur le fondement des articles 4 et 6 du Règlement Rome II et, en tout état de cause, que les articles L. 442-6, I, 2° et L. 442-6, II, d) du Code de commerce sont applicables au litige, selon les cas, conformément aux articles 9, 3 et 21 du Règlement Rome I ou 16 et 26 du Règlement Rome II,

- constater le respect par le ministre de l'obligation d'information prévue par la déclaration du Conseil constitutionnel du 13 mai 2011 (QPC 2011-126) pour les 47 hôteliers, y compris l'Aix Orient Hôtel, dont les contrats sont annexés et sur lesquels se fondent les demandes du ministre,

- dire que les clauses permettant aux sociétés Expedia Inc, Expedia France, Hôtels.com, Vacationspot, WWTE Travel Limited et Travelscape de s'assurer de l'obtention automatique des conditions de parité tarifaires, non tarifaires et promotionnelles contreviennent aux dispositions de l'article L. 442-6, II, d) du Code de commerce,

- en constater en conséquence la nullité pour les 47 contrats annexés,

- si la cour devait rejeter en tout ou partie cette qualification, dire que les clauses précitées contreviennent à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce et en prononcer en conséquence la nullité dans les contrats précités,

- dire que les clauses permettant aux sociétés Expedia Inc., Expedia France, Hôtels.com, Vacationspot, WWTE Travel Limited et Travelscape de se réserver automatiquement toute chambre encore disponible dans les contrats précités contreviennent aux dispositions de l'article L. 442-6, II, d) du Code de commerce et en prononcer en conséquence la nullité,

- si la cour devait rejeter en tout ou partie cette qualification, dire que les clauses précitées corrélées à la clause de parité des conditions, contreviennent à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce et en prononcer en conséquence la nullité dans les contrats précités,

- enjoindre aux sociétés Expedia Inc., Expedia France, Hôtels.com, Vacationspot, WWTE Travel Limited et Travelscape de cesser les pratiques consistant à mentionner les clauses précitées dans leurs contrats,

-prononcer une amende civile de deux millions d'euros à l'encontre des sociétés Expedia Inc., Expedia France, Hôtels.com, Vacationspot, WWTE Travel Limited et Travelscape sur le fondement de l'article L. 442-6, III du Code de commerce, in solidum,

- condamner solidairement les sociétés Expedia Inc., Expedia France, Hôtels.com, Vacationspot, WWTE Travel Limited et Travelscape à payer la somme de 3 000 euros au ministre de l'Economie au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner les sociétés Expedia Inc., Expedia France, Hôtels.com, Vacationspot, WWTE Travel Limited et Travelscape aux entiers dépens,

- débouter la société Expedia France de ses demandes au titre des frais irrépétibles et des dépens,

- ordonner la publication du dispositif de l'arrêt, aux frais des sociétés Expedia Inc, Expedia France, Hôtels.com, Vacationspot, WWTE Travel Limited et Travelscape, sous huit jours à compter de la décision à intervenir, dans Le Monde, Le Figaro, Les Echos et sur les pages d'accueil des sites expedia.fr et hotels.com, pour une durée d'un mois ;

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 21 mars 2017 par la société Expedia France, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- dire recevable Expedia France en son appel incident et en l'ensemble de ses demandes,

y faisant droit,

in limine litis

- infirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a reconnu la compétence des juridictions françaises, partant, décliner sa compétence pour statuer sur l'ensemble des demandes présentées par le ministre et l'UMIH, et les inviter à se pourvoir devant les juridictions anglaises,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré l'UMIH recevable, partant juger irrecevable l'UMIH en son appel et en l'ensemble de ses demandes,

à titre subsidiaire, sur le fond

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis hors de cause Expedia France,

par conséquent,

- débouter le ministre et l'UMIH de l'ensemble de leurs demandes à l'encontre d'Expedia France,

- condamner le ministre et l'UMIH, solidairement, au paiement de la somme de 20 000 (vingt-mille) euros à Expedia France, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner le ministre et l'UMIH, solidairement, au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 21 mars 2017 par les sociétés Expedia Inc., Travelscape LLC, Vacationspot SL, WWTE Travel Limited et Hotels.com LP, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- dire recevables les défenderesses en leur appel incident et en l'ensemble de leurs demandes,

y faire droit,

in limine litis

à titre principal,

- infirmer le jugement en ce qu'il a considéré que la matière était délictuelle, au sens du Règlement Bruxelles I, et reconnu les juridictions françaises compétentes pour statuer sur l'ensemble des demandes présentées par le ministre de l'Economie,

- en conséquence, donner acte au ministre qu'il doit se pourvoir devant les tribunaux anglais, à titre subsidiaire,

- infirmer le jugement en ce qu'il a refusé de prononcer un sursis à statuer en attendant l'issue des procédure parallèles en cours devant l'Autorité de la concurrence, dont l'objet est identique à la présente action,

en conséquence,

- surseoir à statuer en attendant l'issue des procédures en cours devant l'Autorité de la concurrence,

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé recevable l'action du ministre de l'Economie, malgré son défaut d'intérêt à agir et malgré l'irrecevabilité des pièces fondant ses demandes, obtenues par des procédés déloyaux, et en ce qu'il a jugé recevable l'UMIH (désormais UMIH),

- en conséquence, déclarer irrecevables et mal fondés l'action et l'appel du ministre, pour défaut d'objet et d'intérêt à agir, recueil déloyal de pièces, et introduction déloyale de l'action, et déclarer irrecevable la CPIH (aux droits de laquelle vient désormais l'UMIH).

sur le fond,

à titre principal,

- déclarer sans objet les demandes du ministre, suite à l'entrée en vigueur de la loi Macron,

- rejeter l'ensemble des prétentions de l'UMIH, celle-ci ne démontrant pas l'existence d'un dommage causé à la profession qu'elle représente,

à titre subsidiaire,

- confirmer le jugement en ce qu'il a mis hors de cause les sociétés Expedia Inc. et WWTE Travel Limited,

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le litige ressortait de la matière contractuelle au sens du Règlement Rome I, et déclaré le droit anglais applicable en vertu de ce Règlement et des clauses attributives de juridiction des contrats,

- confirmer le jugement en ce qu'il a refusé de faire application des articles 3.3 et 21 du Règlement Rome I, et déclaré que l'article L. 442-6, II, d) du Code de commerce n'était pas une loi de police et, partant, était inapplicable au litige, en vertu du Règlement Rome I,

- infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce applicable au litige, en tant que loi de police, au sens du Règlement Rome I,

en conséquence,

- juger que seuls le droit anglais et le droit communautaire sont applicables, et déclarer les clauses licites au regard du droit anglais et du droit communautaire,

- infirmer le jugement en ce qu'il a considéré que l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce était applicable au secteur de la réservation de voyages et aux contrats en particulier,

à défaut,

- infirmer le jugement en ce qu'il a considéré que les composantes tarifaires et promotionnelles des clauses ne disposaient pas de contreparties suffisantes, et étaient prohibées par l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce,

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé valable la clause dite " de la dernière chambre disponible " au regard de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce,

en conséquence,

- juger les clauses, dans leur totalité, licites au regard de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, car disposant de contrepartie,

en tout état de cause,

- confirmer le jugement en ce qu'il a refusé d'imposer une amende aux défenderesses,

- confirmer le jugement en ce qu'il a refusé de prononcer une injonction aux défenderesses,

par conséquent,

- débouter le ministre de l'Economie et l'UMIH de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner le ministre de l'Economie et l'UMIH, solidairement, au paiement, au profit de chacune des défenderesses, de la somme de 20 000 (vingt mille) euros, soit un total de 100 000 (cent mille) euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- les condamner solidairement aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris, notamment, les frais de traduction, qui seront recouvrés conformément à la loi ;

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 3 mars 2017 par l'Union des Métiers et des Industries de l'Hôtellerie (" UMIH "), venant aux droits de la Confédération des Professionnels Indépendants de l'Hôtellerie (" CPIH ") intervenante volontaire, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que l'intervention volontaire de la CPIH, aux droits de laquelle vient l'UMIH, à titre accessoire, était recevable,

- débouter Expedia de sa demande formulée in limine litis visant à voir la cour infirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a reconnu la compétence des juridictions françaises, décliner sa compétence pour statuer sur l'ensemble des demandes présentées par le ministre de l'Economie, et inviter le ministre de l'Economie à se pourvoir devant les juridictions anglaises,

- débouter Expedia de sa demande visant à voir la cour infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a refusé de prononcer un sursis à statuer en attendant l'issue des procédure parallèles en cours devant l'Autorité de la concurrence, et, en conséquence, et demandant de surseoir à statuer, en attendant l'issue des procédures en cours devant l'Autorité de la concurrence,

- faire droit aux demandes du ministre de l'Economie,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu la compétence du juge français et la recevabilité de l'action du ministre, prononcé la nullité des clauses visant à l'obtention automatique des meilleures conditions tarifaires et promotionnelles, ordonné l'exécution provisoire et débouté les sociétés Expedia de leurs demandes,

- l'infirmer partiellement, en conséquence :

- dire que la loi française est applicable au présent litige sur le fondement des articles 4 et 6 du Règlement " Rome II ", et, en tout état de cause, que les articles L. 442-6, I, 2e et II, d) du Code de commerce sont applicables au présent litige, selon le cas, conformément aux articles 9 et 21 du Règlement " Rome I " ou 16 et 26 du Règlement " Rome II ",

- dire que les clauses permettant aux sociétés Expedia Inc., Expedia France SAS, Hotels.com LP, Vacationspot SL, WWTE Travel Limited et Travelscape LLC de s'assurer de l'obtention automatique des conditions de prix et de disponibilité de ses nuitées plus favorables, consenties par l'hôtelier aux autres canaux de distribution qu'il s'agisse de ses propres canaux de distribution ou de ceux de tiers, contreviennent aux dispositions de l'article L. 442-6, II, d) du Code de commerce,

- dire que les clauses précitées, seules ou cumulées, créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties contraire aux dispositions de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce,

- en conséquence, prononcer la nullité des contrats visés par le ministre dans ses écritures,

- enjoindre aux sociétés Expedia Inc., Expedia France SAS, Travelscape LLC, Vacationspot SL, WWTE Travel Ltd et Hotels.com de cesser les pratiques consistant à mentionner les clauses précitées dans leurs contrats,

- ordonner la publication du dispositif de l'arrêt, aux frais des sociétés Expedia Inc., Expedia France, Travelscape LLC, Vacationspot SL, WWTE Travel Ltd et Hotels.com, sous huit jours à compter de la décision à intervenir, dans Le Monde, Le Figaro, Les Echos et sur les pages d'accueil des sites Internet expedia.fr et fr.hotels.com, pour une durée d'un mois,

- condamner Expedia à payer à l'UMIH venant aux droits de la CPIH la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de l'instance,

- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître François Teytaud, dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

SUR CE,

Sur l'exception d'incompétence des juridictions françaises

Les sociétés Expedia Inc., Travelscape, WWTE Travel Limited, Vacationspot, Hotels.com et Expedia France demandent, in limine litis, l'infirmation du jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a déclaré les juridictions françaises compétentes et demandent à la cour d'inviter le ministre à se pourvoir devant les juridictions anglaises, qui sont compétentes au regard des contrats et de l'article 23-1 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, dit règlement " Bruxelles I ". Pour elles, le litige est contractuel au sens du Règlement Bruxelles I, ce qui justifie l'application des clauses attributives de juridiction prévues aux contrats et exclut de fait la compétence des juridictions françaises. Elles soutiennent que le litige est nécessairement contractuel dès lors qu'il renvoie à une analyse et à une interprétation des contrats, que les juridictions françaises ne sont pas compétentes puisqu'aucune des signataires des contrats n'est située sur le territoire français, puisque, en vertu de l'article 2.1 du Règlement Bruxelles I, les défenderesses, c'est-à-dire les signataires des contrats, doivent être attraites devant les juridictions du lieu de leur domicile et que l'article 5.3 du Règlement Bruxelles, qui prévoit une compétence d'exception des juridictions du lieu dommageable en matière délictuelle et quasi-délictuelle, qui est invoqué par le ministre pour justifier la compétence des juridictions françaises, est inapplicable en l'espèce. Elles soulignent, enfin, que la Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises que la présence de lois de police applicables au fond ne peut faire échec à l'application d'une clause attributive de juridiction. Elles en concluent que les juridictions anglaises sont seules compétentes pour statuer sur le litige, en vertu des clauses attributives de juridiction prévues au contrat qui sont valides et applicables. L'article 23-1 du Règlement Bruxelles I prévoit en effet la compétence exclusive des juridictions choisies par les parties pour trancher un litige né à l'occasion de ce rapport de droit déterminé.

Le ministre de l'Economie soutient que le juge français est compétent pour statuer sur le présent litige, conformément à l'article 5.3 du Règlement Bruxelles I.

- Premièrement, la clause attributive de juridiction désignant le for anglais dans les contrats litigieux ne lie pas le ministre de l'Economie dans le cadre de son action aux fins de cessation des pratiques restrictives de concurrence sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce cette action étant autonome.

- Deuxièmement, l'action du ministre de l'Economie fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce est de nature délictuelle, le litige principal étant fondé non pas sur la violation d'une obligation contractuelle, mais sur l'obligation légale prévue à l'article L. 442-6 du Code de commerce. Eu égard à cette nature délictuelle, c'est l'article 5-3 du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, dit Règlement " Bruxelles I " qui s'applique et le tribunal compétent est celui du " lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ".

- Troisièmement, il est de jurisprudence constante que les clauses attributives de juridiction sont inopposables au ministre de l'Economie, qui n'est pas partie au litige et dont l'action relève de la défense de l'ordre public économique.

L'UMIH soutient également que les juridictions françaises sont compétentes pour statuer sur le présent litige, sur le fondement de l'article 5.3 du Règlement 44/2001 et que le ministre ne peut être tenu par une clause attributive de juridiction lorsqu'il intente une action sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Les parties s'accordent sur le fait que la juridiction compétente pour statuer sur le présent litige doit être déterminée par référence au Règlement Bruxelles I, entré en vigueur le 1er mars 2002, du fait du caractère international des contrats litigieux dont au moins un des cocontractants est situé sur le territoire de l'Union européenne.

Selon l'article 23-1 de ce règlement, " Si les parties, dont l'une au moins à son domicile sur le territoire d'un État membre, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. (...) ".

Il est constant que les contrats sous examen comportent une clause attributive de compétence aux juridictions anglaises portant application du droit anglais.

Mais l'article L. 442-6 du Code de commerce invoqué dans la présente instance réserve au ministère public, au ministre chargé de l'Economie et au président de l'Autorité de la concurrence la faculté de saisir les juridictions compétentes désignées par l'article D. 442-3 du Code de commerce, aux fins d'obtenir la cessation de pratiques illicites et l'application d'amendes civiles aux opérateurs économiques contrevenants. L'action qui a été attribuée à ces autorités publiques dans le cadre de leur mission de gardiens de l'ordre public économique et qui vise à la protection du fonctionnement du marché et de la concurrence et non à celle des intérêts immédiats des contractants lésés est une action autonome dont l'exercice n'est d'ailleurs pas soumis à l'accord des victimes des pratiques restrictives ni à leur mise en cause devant le juge saisi, mais seulement à leur information préalable.

La circonstance que l'autorité qui poursuit la cessation des pratiques illicites puisse également faire constater la nullité des clauses ou contrats et demander la répétition de l'indu, n'est pas de nature à modifier le caractère de cette action, distincte, par son objet de défense de l'intérêt général, de celle que la victime peut elle-même engager pour la sauvegarde de ses droits propres et la réparation de son préjudice personnel.

L'action ainsi attribuée au ministre au titre d'une mission de gardien de l'ordre public économique pour protéger le fonctionnement du marché et de la concurrence est une action autonome dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques au regard de sa nature et de son objet.

Le ministre n'agissant ni comme partie au contrat ni sur le fondement de celui-ci, la clause des contrats attribuant la compétence aux juridictions britanniques est manifestement inopposable au ministre et inapplicable au présent litige.

Cette clause étant inapplicable, il convient d'appliquer les règles de compétence du Règlement Bruxelles I.

Le dispositif d'attribution de compétences communes prévues au chapitre II du Règlement Bruxelles I est fondé sur la règle générale, énoncée à l'article 2, paragraphe 1, de celui-ci, selon laquelle les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites devant les juridictions de cet État, indépendamment de la nationalité des parties. Ce n'est que par dérogation à la règle générale de la compétence des juridictions du domicile du défendeur que le chapitre II, section 2, du règlement Bruxelles I prévoit un certain nombre de règles de compétence spéciales, parmi lesquelles figure celle de l'article 5, de ce règlement.

L'article 2.1 dispose que " Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ".

Mais aucun des défendeurs signataires des contrats litigieux (Vacationspot, Travescape et Hôtels.com) n'a son domicile situé en France.

Il s'agit ensuite, pour l'application de l'article 5 prévoyant des compétences spéciales, de déterminer si le présent litige relève de la matière contractuelle ou de la matière délictuelle.

Un comportement relève de la " matière contractuelle ", " si (celui-ci) peut être considéré comme un manquement aux obligations contractuelles, telles qu'elles peuvent être déterminées compte tenu de l'objet du contrat ". Ce qui n'est pas contractuel relève du délictuel. Toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d'un défendeur et qui ne se rattache pas à la " matière contractuelle ", au sens de l'article 5, point 1, sous a), de ce règlement, relève de la " matière délictuelle " (CUE, 13 mars 2014, Brogsitter, C-548/12).

En l'espèce, si les pratiques restrictives de concurrence sont généralement constatées à l'occasion de relations commerciales fondées sur un contrat, c'est, au travers de l'exécution du contrat, le comportement d'un opérateur économique ayant une pratique injustifiée au regard du jeu normal de la concurrence qui est sanctionné par l'action ouverte par l'article L. 442-6 du Code de commerce : l'action autonome du ministre aux fins de cessation de ces pratiques et aux fins d'annulation des contrats qui en sont le support revêt la nature d'une action en responsabilité quasi délictuelle (Cour de cassation, 18 octobre 2011, 10-28.005). L'action du ministre n'est pas une action indemnitaire fondée sur un manquement aux obligations du contrat, mais une action publique fondée sur le comportement fautif d'une des parties à la relation commerciale ayant consisté à violer une disposition légale (en imposant à l'autre partie des clauses affectées de nullité). De plus, le comportement reproché à ces parties ne peut être considéré comme un manquement aux obligations contractuelles, telles qu'elles peuvent être déterminées compte tenu de l'objet du contrat, mais comme la violation de règles d'ordre public.

L'objet de la procédure ne relève donc pas de la " matière contractuelle ", d'où il découle que la compétence en matière contractuelle prévue par l'article 5, point 1, du règlement n° 44/2001 ne saurait être applicable en l'espèce. Ce litige relevant de la " matière délictuelle ", l'article 5-3 du règlement trouve à s'appliquer. Celui-ci prévoit qu' " Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite, dans un autre État membre : 3) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ".

" Le lieu du fait dommageable " peut être le lieu de l'événement causal et le lieu de la survenance du dommage (CJCE, 30 novembre 1976, Mines de potasse d'Alsace, 21/76).

En l'espèce, les hôtels signataires des contrats et victimes des pratiques étant situés sur le territoire français, le lieu de survenance du dommage est la France. Les juridictions françaises sont donc compétentes.

Le jugement du tribunal de commerce entrepris sera donc confirmé en ce que celui-ci a retenu sa compétence.

Sur la demande de sursis à statuer

Les sociétés Expedia France, Expedia Inc., Travelscape, WWTE Travel Limited, Vacationspot et Hotels.com demandent l'infirmation du jugement de première instance en ce qu'il a refusé de prononcer le sursis à statuer, en attendant l'issue des procédures parallèles devant l'Autorité de la concurrence. Elles soutiennent que le ministre a saisi l'Autorité de la concurrence afin que celle-ci émette un avis sur les relations contractuelles entre hôteliers et centrales de réservation en ligne, c'est-à-dire sur les mêmes relations contractuelles que celles visées par la présente action. Ces relations contractuelles doivent être examinées à la lumière des pratiques tarifaires autorisées par le droit de l'Union européenne. L'Autorité de la concurrence est également saisie de saisines contentieuses, concernant Expedia, en cours. Or, les principes fondamentaux de bonne administration de la justice, de sécurité juridique et de confiance légitime commandent d'éviter une contradiction entre les décisions qui seront rendues dans le cadre de ces différentes procédures et donc un sursis à statuer de la cour.

Les sociétés du groupe Expedia soutiennent également qu'en vertu du principe non bis in idem, la cour ne pourrait sanctionner ces clauses deux fois si elles étaient reconnues illicites en droit communautaire. Inversement, elle ne pourrait les sanctionner au titre de l'article L. 442-6 du Code de commerce si elles étaient reconnues licites par le droit communautaire.

Le ministre de l'Economie et l'UMIH soutiennent que la procédure contentieuse devant la Cour d'appel de Paris doit être distinguée de la procédure en cours devant l'Autorité de la concurrence et que la demande de sursis à statuer doit être rejetée. Les procédures parallèles devant l'Autorité de la concurrence sont en effet sans rapport avec la présente instance et ne sauraient avoir de répercussions sur le cours de la procédure : le fondement des actions est différent, l'action du ministre étant fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce, tandis que la procédure devant l'Autorité de la concurrence porte sur les pratiques anticoncurrentielles ; au surplus, aucune décision n'a encore été rendue par l'Autorité de la concurrence et aucun élément ne permet d'affirmer qu'une telle décision est en voie d'être rendue. La Cour d'appel de Paris est la seule juridiction saisie des faits litigieux et de leur qualification.

Le sursis à statuer peut être prononcé dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice quand une décision à rendre dans le cadre d'une autre instance pendante est de nature à influer sur la solution de la contestation et afin d'éviter d'éventuelles contradictions.

Or, en l'espèce, l'Autorité de la concurrence, si elle est saisie des mêmes clauses, n'est pas saisie de la même qualification, ni de la même action.

En effet, il lui est demandé de dire si les clauses de parité tarifaire et de nuitée disponible imputées à la société Expedia sont contraires aux articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et 101 et 102 du TFUE, seuls articles qu'elle est chargée d'appliquer au contentieux.

La qualification qu'elle donnera à ces pratiques au regard des articles susvisés n'aura aucun impact sur la qualification des pratiques au regard de l'article L. 442-6 du Code de commerce, dont l'objet est différent et dont l'analyse repose sur des éléments constitutifs totalement distincts des pratiques anticoncurrentielles.

Il n'est pas démontré, au surplus, en l'état, que la même pratique pourrait être sanctionnée deux fois, au titre des pratiques anticoncurrentielles et au titre des pratiques restrictives. En effet, aucun élément du dossier ne laisse supposer que l'Autorité entre dans une procédure de sanction, le précédent de l'affaire Booking, pour laquelle la procédure d'engagements a été privilégiée, donnant à penser le contraire.

Par ailleurs, il n'est pas démontré que, même si les clauses étaient sanctionnées deux fois, sur deux fondements juridiques différents, le principe non bis in idem serait pour autant violé.

Si, en effet, la Cour européenne des droits de l'Homme défend une conception du principe non bis in idem rendant impossible de sanctionner la même personne pour le même comportement sur le double fondement de deux infractions différentes, sans égard à l'intérêt juridique protégé par chacune d'entre elles (CEDH, 10 février 2009, Sergueï Zolotoukhine contre Russie), la Cour de l'Union soumet l'application de ce principe à une triple condition d'identité des faits, d'unité de contrevenants et d'unité de l'intérêt juridique protégé (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C204/00 P, C205/00 P, C211/00 P, C213/00 P, C217/00 P et C219/00 P, Rec. p. I123, point 338). Or, en l'espèce, l'intérêt juridique protégé par les pratiques anticoncurrentielles, qui vise à préserver le bon fonctionnement de la concurrence sur le marché, est différent de celui poursuivi par les pratiques restrictives de l'article L. 442-6 du Code de commerce, qui protègent les concurrents, sans égard pour l'affectation du marché dans son ensemble.

Enfin, l'exonération des clauses au titre du droit de la concurrence européen ne saurait de facto entraîner leur exonération au titre des pratiques restrictives reprochées, le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (devenus 101 et 102 du TFUE) n'empêchant les États membres que de sanctionner en droit national de la concurrence des pratiques licites au regard du droit de la concurrence européen, mais ne les empêchant nullement de réprimer les pratiques sur d'autres fondements, en vertu de leur droit national. L'article 3 prévoit ainsi que " Sans préjudice des principes généraux et des autres dispositions du droit communautaire, les paragraphes 1 et 2 ne s'appliquent pas lorsque les autorités de concurrence et les juridictions des États membres appliquent la législation nationale relative au contrôle des concentrations, et ils n'interdisent pas l'application de dispositions de droit national qui visent à titre principal un objectif différent de celui visé par les articles 81 et 82 du traité ".

Enfin, si l'Autorité est également saisie de procédures d'avis qui pourraient la conduire à s'exprimer sur de possibles pratiques restrictives, ces avis n'engagent pas les juridictions, qui ne sont pas liées par eux.

La cour approuve donc le jugement entrepris, en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer formulée par les sociétés du groupe Expedia.

Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de la CPIH, aux droits de laquelle vient l'UMIH

Les sociétés Expedia France, Expedia Inc., Travelscape, WWTE Travel Limited, Vacationspot et Hotels.com soutiennent que l'UMIH (venant aux droits de la CPIH) est irrecevable à intervenir, faute d'un intérêt à agir. En effet, elle ne démontrerait pas que les clauses litigieuses, qui n'existent plus depuis l'entrée en vigueur de la loi Macron, causeraient un préjudice à l'ensemble de la profession ou à ses membres adhérents. En outre, selon les sociétés du groupe Expedia, admettre la recevabilité de l'action du ministre, qui est fondée sur la protection de l'ordre public, conduirait à exclure celle de l'UMIH.

L'UMIH demande la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré la CPIH recevable à intervenir volontairement dans le présent litige, au soutien de l'action du ministre à l'encontre des clauses des contrats qui causent un préjudice à la profession des hôteliers français. En tant qu'organisation représentant la profession hôtelière, elle assure la défense des intérêts collectifs des hôteliers et l'article 4 de ses statuts prévoit qu'elle a pour objet la représentation et la défense, dans toutes instances nationales et internationales, des intérêts de la profession.

L'article L. 470-7 du Code de commerce dispose que " les organisations professionnelles peuvent introduire l'action devant la juridiction civile ou commerciale pour les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession ou du secteur qu'elles représentent, ou à la loyauté de la concurrence ", cette disposition se référant " à l'ensemble des actions initiées au titre du Livre IV du Code de commerce ", en ce compris les actions initiées au titre de l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Enfin, selon l'article 325 du Code de procédure civile, " L'intervention n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant ". L'article 330 du Code de procédure civile dispose : " L'intervention est accessoire lorsqu'elle appuie les prétentions d'une partie. Elle est recevable si son auteur à un intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie ".

La qualité à agir de l'UMIH, intervenant aux lieux et place de la CPIH, dont elle est l'ayant-cause à titre universel par application d'une fusion-absorption du 1er avril 2016, n'est pas contestée.

Etant une union de syndicats et fédérations de syndicats regroupant des hôtels, cafés, cafés-brasseries, restaurants, discothèques et établissements de nuit, aux niveaux national, départemental et local, la plus importante des syndicats représentatifs de l'hôtellerie-restauration en France, représentant près de 85 % des professionnels, elle défend, selon ses statuts, les intérêts matériels et moraux de ses membres, les hôteliers français, et la défense de leurs intérêts professionnels, tant au point de vue économique qu'au point de vue social, juridique et fiscal.

Son intervention volontaire accessoire est recevable car elle se rattache aux prétentions du ministre par un lien suffisant, conformément aux dispositions de l'article 325 du Code de procédure civile. En effet, elle s'associe aux demandes du ministre, dans le but de poursuivre l'annulation de clauses qui portent atteinte aux intérêts collectifs de la profession qu'elle représente et à la loyauté de la concurrence.

En effet, elle soutient que la clause de parité prive les hôteliers de toute liberté tarifaire et leur empêche d'accorder des promotions à des clients spécifiques et que la clause de la dernière chambre disponible oblige l'hôtelier à proposer la dernière chambre disponible sur le site d'Expedia et à payer une commission sur la vente. Ces clauses, qui privent l'hôtelier de la maîtrise de sa politique commerciale et lui imposent de verser d'importantes commissions, porteraient atteinte aux intérêts collectifs de la profession d'hôteliers.

Par ailleurs, elle n'a pas à justifier que l'ensemble des hôteliers concernés par la présente procédure, préalablement avisés par le ministre de l'Economie, soit ses adhérents, son action n'étant pas une action de substitution de ceux-ci mais constituant une action autonome.

Enfin, le fait que le ministre de l'Economie agisse dans la procédure ne prive pas l'UMIH de son droit d'agir. Les intérêts défendus ne sont pas les mêmes, le ministre défendant l'ordre public économique et l'UMIH les intérêts catégoriels de la profession qu'elle représente. La jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, citée par le groupe Expedia, selon laquelle " si un syndicat est habilité par l'article L. 411-11 du Code du travail à exercer les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente, il ne tient d'aucune disposition de la loi le droit de poursuivre la réparation du dommage que porte une infraction aux intérêts généraux de la société, cette réparation étant assurée par l'exercice de l'action publique ", est sans conséquence en l'espèce, l'UMIH n'agissant pas en réparation d'un dommage, mais au soutien du ministre de l'Economie.

En outre, il résulte d'un arrêt de la CEDH, du 13 mars 2012 (Bouygues) que l'intervention concomitante de plusieurs autorités défendant un intérêt public n'est pas en soi contraire au principe d'égalité des armes, dès lors qu'aucune n'est privilégiée dans la procédure et que leurs observations ont été contradictoirement débattues.

Il convient donc d'approuver les premiers juges en ce qu'ils ont déclaré son intervention recevable.

Sur la recevabilité de l'action du ministre de l'Economie

L'action du ministre est contestée sur son intérêt à agir, sur la recevabilité des pièces fondant son intervention, et, enfin, sur sa loyauté procédurale.

Sur le défaut d'intérêt à agir du ministre

Les sociétés Expedia France, Expedia Inc., Travelscape, WWTE Travel Limited, Vacationspot et Hotels.com soutiennent que l'action du ministre est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir et défaut d'objet de ses demandes, du fait de l'entrée en vigueur de la loi Macron. En effet, l'ensemble des contrats qui fondent l'action du ministre ont été conclus avant l'entrée en vigueur de la loi Macron, publiée le 7 août 2015, qui prévoit que les contrats conclus avant sa publication, c'est-à-dire le 7 août 2015, sont nuls dès son entrée en vigueur. Les contrats litigieux sont donc dépourvus d'effets juridiques du fait de l'entrée en vigueur de cette loi.

Le ministre de l'Economie soutient que son action doit être déclarée recevable. L'intérêt à agir conditionnant la recevabilité de l'appel s'apprécie au jour où l'appel a été formé. Or, l'appel du ministre a été enregistré le 24 juillet 2015, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur de la loi Macron le 6 août 2015. De plus, les demandes du ministre sont précises et visent à la confirmation et à l'infirmation partielles du jugement du tribunal de commerce. Enfin, la jurisprudence estime que les demandes du ministre ne sont pas irrecevables du seul fait que les clauses litigieuses ont été supprimées par les parties en cours d'instance.

L'article 133 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a créé l'article L. 311-5-1 du Code du tourisme qui prévoit, outre l'exigence de conclusion d'un contrat de mandat entre l'hôtelier et la plateforme de réservation en ligne portant sur la location de chambres d'hôtel aux clients, que " l'hôtelier conserve la liberté de consentir au client tout rabais ou avantage tarifaire, de quelque nature que ce soit, toute clause contraire étant réputée non écrite ". Selon l'article L. 311-5-3 du Code du tourisme, " le non-respect de l'article L. 311-5-2 est puni d'une amende de 7 500 euros, pouvant être portée à 30 000 euros pour une personne morale ".

Il en résulte qu'une des deux clauses examinées dans le cadre du présent litige, la clause de parité tarifaire, est réputée non écrite.

Mais, en premier lieu, il convient de souligner que l'action du ministre est plus large et concerne une autre clause non concernée par les articles ci-dessus rappelés, la clause de " dernière chambre disponible ". L'exception d'irrecevabilité ne peut donc concerner cette clause.

S'agissant de la clause de parité, l'intérêt à agir s'apprécie au jour de l'action. Or, le ministre chargé de l'Economie a intenté son action devant le tribunal de commerce en juillet et septembre 2013 et interjeté appel du jugement de ce tribunal le 24 juillet 2015, soit antérieurement à l'entrée en vigueur de l'article 133 de la loi du 6 août 2015, le 8 août 2015.

Par ailleurs, l'action du ministre ne se trouve pas dépourvue d'intérêt. En effet, si l'article précité entraîne, pour l'avenir, la caducité de la clause de parité, il n'a pas pour finalité de rendre sans effet les actions engagées par le ministre pour obtenir que soit prononcée judiciairement la nullité de cette clause contenue dans des contrats conclus antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, et que les opérateurs économiques soient sanctionnés pour cette pratique passée sur le fondement de l'article L. 442-6, III du Code de commerce.

Enfin, de façon plus générale, l'action prévue à l'article L.442-6-III précité est une action régulatrice qui permet au ministre de demander qu'il soit fait injonction, pour l'avenir, de supprimer une clause illicite d'un contrat-type, même si cette clause a disparu entre temps des contrats en cours.

L'action du ministre n'est donc pas dépourvue d'objet et est donc recevable.

Sur la recevabilité des pièces versées aux débats par le ministre

Les sociétés Expedia France, Expedia Inc., Travelscape, WWTE Travel Limited, Vacationspot et Hotels.com demandent à la cour l'infirmation du jugement en ce qu'il a déclaré recevables les pièces obtenues dans le cadre de l'enquête effectuée en 2011, y compris les contrats objets du litige, et demandent que ces pièces soient écartées des débats. Elles soutiennent qu'ils ont été recueillis en violation du principe de loyauté de l'enquête, des droits de la défense et à l'occasion d'un détournement de procédure. En effet, elles exposent que l'action du ministre est fondée sur les éléments recueillis à l'occasion d'une enquête diligentée par la DGCCRF en 2011, dont l'objet, la conformité des contrats litigieux au droit de la consommation, serait distinct de l'objet de la présente instance, à savoir leur conformité à l'article L. 442-6 du Code de commerce, ce qui les aurait conduites à se méprendre sur l'objet véritable de l'enquête et les aurait empêchées d'exercer leur droit de la défense.

Le ministre de l'Economie soutient que l'enquête de la DGCCRF a été diligentée loyalement, contrairement à ce qu'affirment les sociétés du groupe Expedia. Premièrement, celles-ci ont été informées de l'objet de l'enquête qui portait à la fois sur les pratiques commerciales du groupe vis-à-vis des consommateurs finals et vis-à-vis des hôteliers, comme en témoigne le procès-verbal de déclaration signé par les agents d'Expedia. Les contrats, recueillis dans le respect des principes de loyauté de l'enquête et des droits de la défense, seraient donc légitimement versés aux débats.

L'intervention du ministre de l'Economie à l'instance repose notamment sur un " procès-verbal de déclaration et de prise de copie de documents " du 28 février 2011, " réalisé en application de l'article L. 450-3 du Code de commerce ", par un agent de la Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi de Paris (DIRECCTE), Laurent X, accompagné par deux inspecteurs du Service National des Enquêtes de Paris.

Ce procès-verbal de déclaration du 28 février 2011 ne comporte pas la mention écrite littérale de l'objet de l'enquête, mais une mention préimprimée selon laquelle les enquêteurs ont justifié de leur qualité et indiqué l'objet de l'enquête, cette mention faisant foi jusqu'à preuve contraire. Il appartient donc aux sociétés du groupe Expedia de rapporter cette preuve, ce qu'elles ne font pas.

En outre, s'il est exact que les enquêteurs de la DGCCRF ont des pouvoirs d'enquête pour rechercher les infractions au Code de la consommation, sur le fondement des articles L. 215-1 et suivants, du Code de la consommation, alors en vigueur, la mention expresse de l'article L. 450-3 du Code de commerce sur le procès-verbal permettait aux deux personnes entendues, respectivement " senior director " et " conseiller général assistant " de la société Expedia France et Expedia.com Ltd, de ne pas se méprendre sur l'objet de l'enquête et de savoir qu'elles étaient entendues au titre du livre IV du Code de commerce.

En effet, les enquêteurs de la DGCCRF, habilités par l'article A. 450-1 du Code de commerce pris en application de l'article L. 450-1 du Code de commerce, mettent en œuvre, pour la recherche des infractions et manquements au livre IV du Code de commerce les pouvoirs prévus à l'article L. 450-3 du Code de commerce. Ces pouvoirs prévoient notamment la possibilité de " recueillir sur convocation ou sur place les renseignements et justifications ". En vertu de l'article L. 450-2, " les enquêtes donnent lieu à l'établissement de procès-verbaux et, le cas échéant, de rapports. Les procès-verbaux sont transmis à l'autorité compétente. Un double en est laissé aux parties intéressées. Ils font foi jusqu'à preuve du contraire ". L'article L. 450-1 du Code de commerce, en vigueur au moment des faits, ajoute que " les procès-verbaux prévus à l'article L. 450-2 énoncent la nature, la date et le lieu des constatations ou des contrôles effectués. Ils sont signés d'un agent mentionné à l'article L. 450-1 et de la personne concernée par les investigations. En cas de refus de celle-ci, mention en est faite au procès-verbal ".

Par ailleurs, il ressort du contenu de ce procès-verbal que les deux représentants d'Expedia étaient parfaitement informés qu'ils étaient interrogés sur le modèle marchand des plate-formes en ligne, concernant tant leurs relations avec les clients finals, qu'avec les hôtels partenaires, ainsi que sur la répartition des diverses responsabilités au sein du groupe. Nulle violation du principe de non auto-incrimination ne peut donc s'en inférer.

Dès lors, le message électronique du 7 mars 2011 de Laurent X demandant, à la suite de leur audition, à ses deux interlocuteurs d'Expedia de lui faire parvenir, entre autre document, " les conditions générales d'Expedia adressées aux hôteliers " et " 50 contrats signés avec des hôteliers (contrats et annexes le cas échéant) " ainsi que " les contrats signés avec le groupe Accor, Concorde Hôtels, Louvre Hôtels ", est dépourvu de toute déloyauté, ceux-ci étant parfaitement informés de l'objet de l'enquête. Il n'est donc pas démontré qu'ils auraient communiqué des documents compromettants leur défense, dans l'ignorance de leur destination véritable.

La circonstance que la DGCCRF ait enquêté en 2011 sur des pratiques commerciales trompeuses imputables aux plate-formes de réservation hôtelières ne saurait la priver de la faculté d'enquêter sur d'autres pratiques du même secteur, les contrats figurant au dossier étant ceux recueillis à la suite du message électronique du 7 mars 2011 et non dans le cadre de l'enquête de consommation.

Il convient donc de rejeter l'exception d'irrecevabilité des contrats versés aux débats.

Sur la prétendue introduction déloyale de l'action

Les sociétés Expedia France, Expedia Inc., Travelscape, WWTE Travel Limited, Vacationspot et Hotels.com soutiennent que l'action a été introduite de manière déloyale par le ministre, celui-ci n'ayant pas mis en demeure les intéressées avant d'agir, et ayant porté atteinte au principe de loyauté ainsi qu'aux droits de la défense, incluant le droit à la présomption d'innocence prévu à l'article 6 de la CEDH, en faisant publier des communiqués de presse intempestifs contraires à cette présomption.

Le ministre soutient qu'il n'était pas tenu d'envoyer une mise en demeure au groupe Expedia, puisque cette disposition est applicable seulement en matière contractuelle. Enfin, la médiatisation de l'affaire ne contrevient pas, selon le ministre, à l'article 6 de la CESDH.

Aucune obligation de mise en demeure des personnes morales poursuivies sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, préalable à l'action, ne s'impose au ministre de l'Economie, sur lequel pèse l'unique formalité, obligatoire, d'informer les victimes des pratiques, dès lors qu'il envisage une action en nullité ou en répétition de l'indu, conformément à la réserve d'interprétation posée par le Conseil constitutionnel dans sa décision QPC n° 2011-126. La forme de cette information ne nécessite par le recours à un exploit d'huissier.

Or, le ministre justifie avoir avisé les 47 hôteliers cocontractants par courriers avec accusé de réception.

Par l'envoi de ces courriers, il établit avoir satisfait à son obligation d'information, peu important à cet égard qu'un courrier n'ait pas été retiré par son destinataire. Ainsi, le ministre a effectué les diligences nécessaires et suffisantes à l'encontre de la société Aix Orient Hôtel.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a écarté des débats le contrat conclu par les sociétés du groupe Expédia avec la société Aix Orient Hôtel.

L'article 9-1 du Code civil a introduit en droit interne une protection particulière de la présomption d'innocence, renforçant le principe déjà inscrit dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et la Convention européenne des droits de l'Homme. L'atteinte à la présomption d'innocence visée à cet article consiste à présenter publiquement, avant toute condamnation, une personne comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire.

La protection accordée à l'individu impliqué dans le déroulement d'une procédure pénale ou conduisant à des sanctions doit néanmoins se concilier avec une liberté fondamentale, qui est celle de communiquer et de recevoir des informations. Il importe, dès lors, de limiter la mise en œuvre de ces dispositions au cas où, par sa forme et les indications qu'elle fournit, la relation d'une poursuite ou d'une action judiciaire conduit inéluctablement le public à acquérir la certitude de la culpabilité de la personne citée à cette occasion.

En l'espèce, l'annonce médiatisée, par le ministre, qu'il avait engagé une action sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce contre les sociétés du groupe Expedia ne saurait en soi porter atteinte au principe de la présomption d'innocence.

En effet, le communiqué conjoint du ministre de l'Artisanat, du ministre délégué à l'Economie sociale et solidaire et à la Consommation, et de la ministre déléguée chargée des PME, de l'Innovation et de l'Economie numérique, daté du 13 novembre 2013, se borne à informer le public d'une action contre le groupe Expedia, en rappelant que les clauses des contrats sous revue ont été critiquées par la Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC), ce qui constitue un fait objectif, ne présume pas de la culpabilité du groupe Expedia et n'excède manifestement pas les limites légales de l'information nécessaire du public.

Cette demande sera donc rejetée.

Sur la demande de mise hors de cause des sociétés Expedia France et Expedia Inc.

Les sociétés Expedia France, Expedia Inc., Travelscape, WWTE Travel Limited, Vacationspot et Hotels.com demandent la confirmation du jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a prononcé la mise hors de cause d'Expedia Inc et Expedia France. Elles exposent que le litige porte exclusivement sur le contenu des contrats, puisque seule l'existence des clauses litigieuses est contestée. De plus, le ministre ne prouve pas qu'Expedia France aurait joué un rôle dans la production d'un éventuel dommage. Seules les sociétés signataires des contrats pourraient donc être mises en cause, conformément aux principes de l'effet relatif des contrats et de la responsabilité personnelle. De plus, l'appartenance à un groupe de sociétés ne permettrait pas de retenir la responsabilité contractuelle d'une société si celle-ci n'a pas signé le contrat litigieux.

Le ministre de l'Economie et l'UMIH contestent la mise hors de cause par le tribunal de commerce des sociétés Expedia France et Expedia Inc., soutenant que leur responsabilité est susceptible d'être engagée, même si elles ne sont pas signataires des contrats, du fait de leur rôle d'intermédiaires et de conseil ayant permis la conclusion et l'application des contrats litigieux avec les hôteliers français.

Selon l'article L. 442-6, I, 2 du Code de commerce, " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ".

Par ailleurs, l'article L. 442-6, II, d) du même code prévoit : " Sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour un producteur, un commerçant, un industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers, la possibilité : de bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant ".

Les éléments constitutifs de ces deux " quasi-délits civils ", dont les auteurs encourent des amendes civiles pouvant aller jusqu'à deux millions d'euros (dans la version de l'article en vigueur au moment des faits), sont d'interprétation stricte.

Sont donc seules potentiellement visées par l'article L. 442-6, II, d du Code de commerce qui sanctionne des clauses ou des contrats illicites, les sociétés WWTE Travel, VacationSpot S.L, Hotels.com et Travelscape, signataires des contrats de participation des hôtels aux sites www.expedia.fr et www.hotels.com dont les clauses sont critiquées.

Si les sociétés Expedia France et Expedia Inc. ont concouru à la violation de cet article, par des comportements de complicité en fournissant assistance et moyens pour l'exécution de ces contrats, elles ne pourraient donc être éventuellement sanctionnées que sur le fondement de la concurrence déloyale, et non sur le fondement de l'article L. 442-6, II, d) du Code de commerce.

Il n'en est pas de même de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce qui sanctionne un comportement consistant, de façon générale, à soumettre ou tenter de soumettre un partenaire, ce comportement pouvant revêtir d'autres formes que la signature d'un contrat dont certaines clauses seraient déséquilibrées.

Il convient donc de vérifier si les comportements imputés aux sociétés Expedia France et Expedia Inc. sont susceptibles d'engager leur responsabilité sur ce dernier fondement.

Il convient, en premier lieu de souligner que les sites expedia.fr et hotels.com mettent en avant, sur leur page d'accueil, pour attirer les internautes, " une garantie d'alignement de prix " sur les prix concurrents. Les gestionnaires des sites sont donc pleinement impliqués dans les pratiques dénoncées, puisqu'elles constituent un argument publicitaire.

En deuxième lieu, ce sont les commerciaux de la société Expedia France, organisés selon un maillage territorial fin, qui démarchent les hôteliers pour les faire adhérer aux programmes de commercialisation via les sites exploités par Expedia (notamment, expedia.com et hotels.com). L'UMIH souligne à juste titre que les statuts et l'extrait Kbis de la société Expedia France précisent d'ailleurs sans doute possible que son activité consiste à fournir en France un " service de support aux sociétés du groupe, incluant mais ne se limitant pas au marketing et aux activités liées aux fournisseurs ", c'est-à-dire aux hôteliers (pièce n° 3 de l'UMIH).

En troisième lieu, ce sont ces mêmes employés d'Expedia France qui animent la relation commerciale avec les hôteliers, notamment en procédant à la surveillance étroite du respect, par les hôteliers, des clauses de parité qui leur sont imposés. L'UMIH verse ainsi aux débats un exemple de message envoyé par des commerciaux d'Expedia France à un hôtel qui n'avait pas respecté l'exigence de parité (pièce n° 4 de l'UMIH). Le contenu de ce message, anonymisé pour garantir la confidentialité de l'hôtelier en question, daté du 28 septembre 2015 et attestant de la persistance des pratiques dénoncées, est clair et dénué de toute ambiguïté : " les anomalies de disponibilité peuvent apparaître comme des anomalies de tarif. Par exemple, si votre établissement propose une chambre triple plus chère sur Expedia qu'une chambre double sur le site d'un concurrent, cela sera signalé comme une anomalie de tarif. Pour résoudre ce problème, vous pouvez proposer à la réservation sur Expedia de nouvelles chambres doubles. Le secteur dans lequel travaille Expedia est en constante évolution. Si vous ne proposez pas aux voyageurs réservant sur nos sites les meilleurs tarifs et disponibilités possibles, (nom de l'hôtel occulté) perd du terrain sur ses concurrents. Consultez vos tarifs et disponibilités dans ExpediaPartnerCentral. Vous pourrez choisir soit de les mettre à jour par vous-même si votre hôtel est connecté, soit de faire appel à votre Channel manager en suivant la procédure habituelle. (...) . A défaut de corriger vos tarifs et disponibilités, votre rang de classement sur les résultats de recherche sur l'ensemble de nos sites risque de chuter ultérieurement, au profit de vos concurrents " (en gras dans le document).

En quatrième lieu, le site Internet www.expedia.fr, s'il a été déposé par la société Vacationspot SL qui en est formellement le titulaire, est bien géré par Expedia Inc. qui est indiquée comme l'entité d'administration et de contact (pièce n° 6 de l'UMIH).

Enfin, les conditions générales de vente et d'utilisation d'Expedia et le contrat Expedia Traveler Preference précisent sans aucune ambiguïté qu'il faut entendre par " Expedia " l'ensemble constitué des " entités suivantes " en fonction du type de réservation et de la localisation géographique des hôtels : " pour les Réservations Expedia Collect et les réservations de forfait voyage dans le monde entier : Travelscape, LLC, une société à responsabilité limitée du Nevada (sous le nom d'Expedia Travel), VacationSpot SL, une société privée espagnole, Hotels.com, LP, une société en commandite simple du Texas, et AAE Travel Pte, Ltd, une société privée de Singapour ; (b) pour les Réservations Hotel Collect : Expedia, Inc., une société de l'État de Washington (États-Unis), Venere Net Srl, une société italienne à responsabilité limitée (Italie), Expedia do Brasil Agencia de Viagens e Turismo Ltda, une société à responsabilité limitée du Brésil (Brésil), et Expedia Lodging Partner Services, Sarl, une société à responsabilité limitée suisse (dans le monde entier à l'exception des États-Unis, de l'Italie et du Brésil) ; et (c) pour les Réservations opaques dans le monde entier : Hotwire, Inc., une société du Delaware. " (Contrat Expedia Traveler Preference (ETP), article 6 " définition " ; Conditions Générales de Vente et d'Utilisation ETP, section C.6 " Définitions " : pièce n° 7 de l'UMIH).

Ces documents ne sauraient être écartés des débats, au seul motif qu'ils ont été produits tardivement dans la procédure d'appel.

L'opacité volontairement entretenue au sein du groupe ne saurait, au vu des éléments ci-dessus, démontrant la pleine implication des sociétés Expedia France et Expedia Inc., dans les pratiques incriminées, empêcher de rechercher leur responsabilité au regard de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce.

La circonstance que la société Expedia Inc. exerce une influence considérable sur le groupe Expedia, qu'elle soit détentrice du nom de domaine expedia.fr et qu'elle retire des bénéfices des activités alimentées par les contrats litigieux, ne saurait que renforcer sa responsabilité.

En conclusion, les sociétés Expedia France et Expedia Inc., qui ne sont pas signataires des contrats, mais qui ont concouru au dommage causé aux hôteliers du fait de l'application des contrats en fournissant certains moyens humains et matériels nécessaires au démarchage des hôteliers et à la conclusion des contrats litigieux, ne peuvent être mises en cause dans le cadre de cette procédure, sur le fondement de l'article L. 442,6, II, d) du Code de commerce.

En revanche, elles doivent être poursuivies sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, pour avoir soumis ou tenté de soumettre les hôtels à des clauses déséquilibrées, par les comportements ci-dessus décrits.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a mis ces deux sociétés hors de cause au titre deux articles, sans distinguer.

Sur la responsabilité de la société WWTE Travel Limited

Le ministre de l'Economie soutient que la société WWTE Travel Limited, qui a été partie à 24 contrats litigieux postérieurement à la cession de ses droits à la société Vacationspot, peut voir sa responsabilité engagée, le tribunal de commerce qui l'a mise hors de cause ayant méconnu le fait que la cession n'a concerné qu'une seule partie des contrats signés par la société WWTE Travel.

Il résulte en effet des pièces versées aux débats que l'acte de cession du 31 décembre 2009 n'a concerné qu'une partie des contrats : les 24 contrats signés postérieurement n'auraient donc pu être cédés. (cf page 65)

Mais la preuve n'est pas rapportée du maintien d'une activité autonome par la société WWTE Travel Limited après la cession litigieuse.

La cour confirmera donc le jugement entrepris en ce qu'il a mis cette société hors de cause.

Sur la loi applicable

Les sociétés Expedia France, Expedia Inc., Travelscape, WWTE Travel Limited, Vacationspot et Hotels.com soutiennent que la matière ainsi que les obligations visées par le ministre et l'UMIH sont contractuelles. Les clauses par lesquelles les parties au contrat ont choisi l'application du droit anglais manifestent la volonté non équivoque des parties d'appliquer celui-ci. Le Règlement Rome I étant d'application directe, aucune jurisprudence interne ne pourrait permettre d'écarter la loi du contrat dans le cadre des actions intentées par le ministre. Elles soutiennent que l'article 21 du Règlement Rome I, qui prévoit une exception au principe de l'application de la loi des parties, doit être interprété strictement. En outre, le ministre ne justifierait d'aucun élément permettant d'appliquer cette exception. Elles demandent, en conséquence, la confirmation du jugement en ce qu'il a refusé de faire application de l'article 3.3 du Règlement Rome I, de nombreux éléments du litige étant situés hors de France. Enfin, elles contestent que les articles L. 442-6 I 2° et L. 442-6-II d) du Code de commerce puissent être qualifiés de lois de police au sens du règlement Rome I, ces dispositions visant la protection d'intérêts " catégoriels ", et non pas celle de l'ordre public.

Le ministre de l'Economie réplique que la loi française est applicable au litige, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal de commerce en première instance. Les actions du ministre sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce sont de nature délictuelle conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation et le Règlement Rome II sur les obligations délictuelles est applicable à ces actions. Le ministre ne peut être lié par la loi du contrat des parties, conformément au principe de l'effet relatif des conventions, et la clause désignant la loi anglaise lui est inopposable. Le Règlement Rome II, applicable en l'espèce, désigne la loi du pays où le dommage survient, c'est-à-dire la loi française. Le ministre de l'Economie expose que, même si le Règlement Rome I était applicable, la clause de loi anglaise prévue au contrat serait inopposable au ministre, qui n'est pas partie au contrat, conformément à l'article 1165 du Code civil. Enfin, le Règlement Rome I contient plusieurs dispositions permettant l'application d'une autre loi que celle expressément prévue par les parties. Le ministre de l'Economie prétend en dernier lieu que, même à considérer que la clause de choix de loi est applicable au litige conformément au Règlement Rome I ou au Règlement Rome II, l'article L. 442-6 du Code de commerce est une loi de police, ce qui permet d'écarter en toute hypothèse l'application de la loi anglaise.

L'UMIH soutient que la loi française et plus particulièrement l'article L. 442-6 du Code de commerce est applicable au litige. Le tribunal ne pouvait faire une application distributive des Règlements Bruxelles I et Rome II, au risque de fragiliser la cohérence du droit, en décidant que les règles relatives à la compétence judiciaire relevaient de la compétence délictuelle et les règles relatives à la loi applicable relevaient de la compétence contractuelle. La loi applicable au litige doit être déterminée par rapport au Règlement Rome I applicable à la matière délictuelle. En effet, le tribunal ne pouvait juger que le litige relevait de la matière contractuelle, dès lors que le ministre n'était pas partie au rapport de droit concerné. L'article L. 442-6 du Code de commerce constitue une loi de police et n'a pas d'équivalent en droit anglais. Il est donc, en toute hypothèse, applicable au litige sur le fondement de l'ordre public du for des article 21 du Règlement Rome I et 26 du Règlement Rome II.

Les parties sont en désaccord sur le règlement applicable, le ministre soutenant l'application du Règlement Rome I, et les sociétés Expedia l'application du Règlement Rome II.

En l'espèce, l'action du ministre n'est pas une action indemnitaire fondée sur un manquement aux obligations contractuelles, mais une action publique fondée sur le comportement fautif d'une des parties à la relation commerciale ayant consisté à violer une disposition légale (en imposant à l'autre partie des clauses affectées de nullité). De plus, le comportement reproché à ces parties ne peut être considéré comme un manquement aux obligations contractuelles, telles qu'elles peuvent être déterminées compte tenu de l'objet du contrat, mais comme la violation de règles d'ordre public.

L'objet de la procédure ne relève donc pas de la " matière contractuelle ", mais de la " matière délictuelle ", d'où il découle que le règlement Rome II du 11 juillet 2007 s'applique.

En application de l'article 14.1 de ce règlement, " 1. Les parties peuvent choisir la loi applicable à l'obligation non contractuelle : a) par un accord postérieur à la survenance du fait générateur du dommage; ou b) lorsqu'elles exercent toutes une activité commerciale, par un accord librement négocié avant la survenance du fait générateur du dommage. Ce choix est exprès ou résulte de façon certaine des circonstances et ne porte pas préjudice aux droits des tiers ".

En l'espèce, les parties ont adopté une clause désignant la loi anglaise. Mais le ministre, tiers au contrat, ne peut être considéré comme ayant librement consenti à cette clause. La clause des contrats désignant la loi anglaise lui est donc manifestement inopposable et inapplicable au présent litige.

L'article 4.1 du règlement dispose par ailleurs : " Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent ". Il s'agit bien du territoire français.

La loi applicable est donc le droit français et le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Mais, à titre surabondant, à supposer même que la règle de conflit aboutirait à la désignation d'une loi étrangère, à partir du moment où l'action du ministre est portée devant une juridiction française, les lois de police s'appliquent, selon l'article 16 qui dispose : " Les dispositions du présent règlement ne portent pas atteinte à l'application des dispositions de la loi du for qui régissent impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable à l'obligation non contractuelle ".

Les lois de police sont définies à l'article 9 § 1 du règlement Rome I (sur les obligations contractuelles) comme des " disposition(s) impérative(s) dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociales ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement ".

L'article L. 442-6, I, 2° et l'article L. 442-6, II, d) du Code de commerce prévoit des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d'une certaine égalité des armes et loyauté entre partenaires économiques et s'avèrent donc indispensable pour l'organisation économique et sociale. Le régime spécifique commun à ces délits civils prévu au III, caractérisé par l'intervention du ministre de l'Economie pour la défense de l'ordre public, et les instruments juridiques dont celui-ci dispose, notamment demander le prononcé de sanctions civiles, illustrent l'importance que les pouvoirs publics accordent à ces dispositions.

Il s'agit donc de lois de police qui s'imposent au juge du for, même si la loi applicable est une loi étrangère.

Sur les pratiques

Sur le champ d'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce

Les sociétés Expedia Inc., Travelscape, WWTE Travel Limited, Vacationspot et Hotels.com soutiennent que l'article L. 442-6 du Code de commerce n'est applicable que dans le secteur de la grande distribution, cette disposition ayant été créée par la loi LME afin d'encadrer les négociations entre fournisseurs et distributeurs de la grande distribution. Elles avancent par ailleurs que les signataires des contrats ne sont pas revendeurs et ne peuvent se voir appliquer l'article L. 442-6 du Code de commerce, les hôteliers, à la différence des fournisseurs de la grande distribution, proposant leurs produits directement aux consommateurs, sans intermédiaire.

Mais le ministre de l'Economie réplique à juste titre que le champ d'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce excède le secteur de la grande distribution et ne suppose pas un acte d'achat ou de vente. Il s'applique aux centrales d'achat qui ne constituent que des intermédiaires à l'acte d'achat-vente, mais sont des commerçants au sens de l'article 410-2 du Code de commerce, qui régit le livre IV du Code de commerce, et vise en effet " tout commerçant, producteur, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers ". Cet article est donc pleinement applicable au secteur de la réservation hôtelière et aux relations entre les plate-formes de réservation et les hôtels.

Sur la conformité des clauses à l'article L. 442-6 II d) du Code de commerce

Le ministre de l'Economie et l'UMIH soutiennent à titre principal que les clauses de parité et de disponibilité violent l'interdiction édictée par l'article L. 442-6 II d) du Code de commerce.

Selon l'article L. 442-6, II, d) : " Sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour un producteur, un commerçant, un industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers, la possibilité : (...) d) De bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant ".

L'alinéa d) de cet article, dit de la clause de " la nation la plus favorisée ", interdit à un commerçant d'exiger de son partenaire qu'il lui consente les mêmes avantages qu'à ses concurrents. Il concerne toutes les conditions, tarifaires ou non tarifaires.

La clause de parité

La clause de parité est ainsi rédigée, avec quelques nuances dans certains contrats : " 2. Tarifs : La propriété fixera les tarifs des chambres de telle sorte qu'ils seront (a) au moins aussi intéressants en terme de tarif, de règles, de termes et de conditions que ceux proposés ou fixés par la propriété pour les chambres proposées à la réservation par le biais de tout canal de la propriété ou canal tiers, et (b) au moins 25 % ou 20 euros (suivant lequel est le plus bas) inférieure au meilleur tarif disponible, y compris les tarifs de réservation promotionnels ". " 4. Primes/offres spéciales : la propriété proposera les mêmes primes, dérogations, promotions et autres offres spéciales que par le biais de tout canal de la propriété ou de tout autre canal tiers et ce pour chaque société ".

Cette clause impose à l'hôtelier signataire de faire bénéficier automatiquement les sociétés du groupe Expedia des conditions (tarifaires, non tarifaires et promotionnelles) au moins aussi favorables que celles accordées via les autres réseaux de distribution (plate-formes concurrentes, autres formes de distribution par des tiers concurrents, ventes par l'hôtelier lui-même sur son propre site ou dans le cadre de la vente directe de ses nuitées).

Les sociétés du groupe Expedia profitent donc non seulement du tarif le plus bas pratiqué par l'hôtelier partenaire sur son propre site ou dans le cadre de la vente directe de ses nuitées, mais aussi de tout avantage supplémentaire, tel un surclassement, un petit-déjeuner gratuit, des conditions d'annulation plus souples, des avantages de fidélisation.

La clause litigieuse excède le champ d'application de l'article L. 442-6, II, d) à plusieurs titres.

En premier lieu, elle s'étend aussi aux conditions les plus favorables accordées par l'hôtelier lui-même. Or, ce cas de figure semble exclu par la rédaction même de l'article L. 442-6, II, d) qui sanctionne seulement l'alignement automatique sur les conditions plus favorables consenties aux " entreprises concurrentes " par l'hôtelier partenaire, et non celles pratiquées par l'hôtelier lui-même sur son propre site et dans le cadre de ventes directes.

En second lieu, la clause des contrats garantit également à Expedia des tarifs inférieurs d'au moins 25 % aux meilleurs tarifs disponibles pour des réservations de chambre seule ou d'au moins 10 % pour des réservations de chambre dans le cadre de forfait voyage. Elle n'entraîne donc pas seulement un alignement sur les conditions les plus favorables, mais garantit en plus à Expedia des réductions supplémentaires significatives par rapport à ces conditions les plus favorables, ce qui lui permet de proposer à la vente des tarifs inférieurs aux meilleurs tarifs du marché.

Les sociétés du groupe Expedia exposent vainement que la clause concernerait les conditions consenties aux consommateurs finals et non à elles et, qu'ainsi l'article en cause serait inapplicable.

Mais les conditions consenties sont en réalité celles donc le consommateur bénéficiera s'il réserve une chambre par l'intermédiaire des sociétés du groupe Expedia. Elles constituent donc des conditions de distribution des nuitées. En ce sens, l'article L. 442-6, II, d) est bien applicable.

En conclusion, cette clause, dans ses diverses variantes, est donc bien contraire à l'article L. 442-6, II, d) du Code de commerce, mais seulement en tant qu'elle vise l'alignement sur les meilleures conditions consenties aux concurrents tiers et non celles pratiquées par les canaux de distribution de l'hôtelier lui-même (vente en ligne ou vente directe). Elle ne couvre pas davantage les hypothèses où sont garanties à Expedia des conditions plus favorables que celles octroyées à ses concurrents.

La clause de disponibilité de la chambre.

La clause est ainsi rédigée dans la plupart des contrats, avec quelques menues variantes : " 1. Chambres : (...) En plus de toute attribution de chambres, la propriété mettra également toute chambre non réservée existant au sein de la propriété à la disposition des clients pour réservation, même si toutes les chambres ont été réservées ou ne sont plus attribuées à une société (accès à la dernière chambre disponible) ". La variante de la clause est ainsi rédigée : " L'Etablissement acceptera aussi de laisser ses chambres encore disponibles être réservées par le biais du système aussi longtemps que les dites chambres sont réservables sur ses propres canaux de distribution (accès à la derrière chambre disponible) ".

Cette clause dite " de la dernière chambre disponible " prévoit que, quel que soit le nombre de chambres disponibles à la vente, l'hôtel doit réserver à Expedia la dernière chambre qui serait disponible sur son site.

Une exigence plus large de parité des disponibilités figure dans le contrat conclu avec Groupe Concorde Hotels qui stipule que l'hôtel " devra rendre disponible à la réservation sur la plateforme de réservation d'Expedia au moins le même nombre et type de chambre que celui disponible sur tout canal de distribution de l'hôtel ou d'un tiers " et que l'hôtel " devra mettre des Chambres à disposition pour réservation tous les jours pendant la durée de l'Accord " (traduction libre).

Il s'agit là encore d'une garantie d'alignement d'Expedia sur les meilleures conditions en terme de disponibilité de chambres. Mais cette clause garantit aussi que l'hôtelier ne pourra faire bénéficier ses propres clients de conditions plus favorables. Elle échappe donc, dans cette mesure, à la qualification de l'article L. 442-6, II, d) à cause de la rédaction de cet article, qui distingue bien l'hôtelier du " partenaire concurrent ".

Cette clause dans ses diverses versions est donc contraire à l'article L. 442-6, II, d), mais sous les mêmes réserves d'interprétation que la clause de parité.

Ces clauses sont donc nulles au sens de l'article L. 442-6, II, d) du Code de commerce, mais seulement sous ces réserves.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il n'a pas appliqué cet article.

Il y a lieu de statuer sur la non-conformité de ces clauses à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, qui est soulevée par le ministre de l'Economie à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où tous les cas de figure ne seraient pas couverts par l'article L. 442-6, II, d) du Code de commerce, ce qui est le cas en l'espèce.

Sur la conformité des clauses à l'article L. 442-6, I, 2 du Code de commerce

L'UMIH et le ministre de l'Economie soutiennent que les clauses de parité et de disponibilité des chambres doivent être annulées car elles créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, comme en témoignerait la nature des relations commerciales entre les parties.

D'une part, les relations entre les hôteliers et les sociétés du groupe Expedia sont structurellement déséquilibrées et permettent à celles-ci d'imposer aux hôteliers les clauses litigieuses. Le marché des plateformes de réservation en ligne, dominé par un " duopole " entre Booking.com et Expedia, est aujourd'hui le principal canal de réservation de chambres d'hôtels en ligne. Ainsi, ces plateformes disposent d'un pouvoir de marché qui leur permet d'imposer aux hôteliers des conditions contractuelles structurellement déséquilibrées, qui ont pour objet ou pour effet de priver l'hôtelier de sa politique commerciale et tarifaire, entraînant ainsi une hausse des prix au détriment des consommateurs.

D'autre part, l'imposition de ces clauses de parité ne serait justifiée par aucune contrepartie de la part d'Expedia, la seule justification apportée, notamment l'effet de " panneau publicitaire ", n'étant pas démontrée.

Enfin, le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties serait aggravé par la présence d'autres clauses-types qui désavantageraient les hôteliers, telles que la clause de propriété intellectuelle, la clause d'exonération de responsabilité, la clause de garanties, la clause de modification unilatérale du contrat, et, enfin, la clause précisant que le classement et les conditions d'apparition d'un hôtel sur la plateforme de réservation sont déterminés suivant un ordre déterminé par Expedia à sa seule discrétion.

Les sociétés Expedia France, Expedia Inc., Travelscape, WWTE Travel Limited, Vacationspot et Hotels.com répliquent que le contexte lié à la conclusion de ces contrats n'est pas comparable à celui de la grande distribution et permet d'écarter tout déséquilibre significatif. D'une part, les signataires des contrats, et en particulier Expedia, ne sont pas incontournables sur le marché de la promotion et de la réservation de chambres d'hôtels. D'autre part, ni le ministre ni l'UMIH ne prouvent une quelconque coercition ou un quelconque abus dans la mise en œuvre des contrats, et en particulier, aucune pression ni menace ne peut être imputée aux signataires des contrats. Enfin, les contrats ne sont pas des contrats " types ", et en tout état de cause, le fait de proposer un contrat-type ne constitue pas en soi un déséquilibre significatif.

Elles soutiennent que ces contrats offrent deux types de services (la réservation des chambres des hôtels partenaires et la promotion de certains hôtels partenaires), ce qui promeut l'attractivité de certains hôtels tout en renforçant la transparence du marché au bénéfice des consommateurs. De plus, les sociétés de plate-formes hôtelières exposent que, selon l'Autorité de la concurrence, les clauses litigieuses sont favorables aux consommateurs puisqu'elles permettent notamment une baisse des prix, et seraient pro-concurrentielles. Elles soutiennent que ces clauses permettent aux signataires de conserver leur attractivité vis à vis des consommateurs et garantissent la loyauté des hôteliers ainsi que l'exécution de bonne foi des contrats.

Elles demandent l'infirmation du jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a jugé que les clauses ne présentaient pas de garanties suffisantes. En effet, le jugement reconnaît l'existence d'une contrepartie aux clauses mais estime que celle-ci n'est pas suffisante pour écarter le déséquilibre significatif. Or, cette notion de contrepartie " suffisante " n'est pas prévue par la loi. Seule l'existence d'une contrepartie doit être appréciée pour déterminer s'il y a un déséquilibre significatif, sans que le caractère suffisant de cette contrepartie puisse rentrer en considération. En tout état de cause, les arguments du ministre relatifs à la " marge relative ", au risque ou à l'engagement minimum doivent être rejetés car ils ne sont pas pertinents.

Selon l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ".

Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont donc, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif. L'insertion de clauses dans une convention-type ou un contrat d'adhésion qui ne donne lieu à aucune négociation effective des clauses litigieuses peut constituer ce premier élément. L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties.

Les clauses sont appréciées dans leur contexte, au regard de l'Economie du contrat et in concreto. La preuve d'un rééquilibrage du contrat par une autre clause incombe à l'entreprise mise en cause, sans que l'on puisse considérer qu'il y a inversion de la charge de la preuve. Enfin, les effets des pratiques n'ont pas à être pris en compte ou recherchés.

Sur la soumission ou tentative de soumission

Si le ministre de l'Economie et l'UMIH concluent à l'absence de toute négociation, les sociétés appelantes prétendent que les contrats ne sont pas le fruit d'une contrainte ou d'une soumission et versent aux débats, à titre d'exemples, sept contrats de référencement signés avec d'autres fournisseurs.

Mais le groupe Expedia est le leader mondial du voyage en ligne, comme l'a constaté l'Autorité de la concurrence dans sa décision n° 15-D-06 du 21 avril 2015 sur les pratiques mises en œuvre par les sociétés Booking dans le secteur de la réservation hôtelière en ligne.

Il se situe au deuxième rang dans ce secteur de la réservation hôtelière en ligne et dans un rapport de force défavorable aux hôteliers, ainsi que l'a souligné une étude Xerfi publiée en septembre 2012 sur l'hôtellerie, qui décrit la force de frappe des agences de voyage en ligne par rapport aux hôtels indépendants, qui maîtrisent mal la distribution de leurs produits. En outre, pendant la période sous revue, les commissions versées par les hôtels aux agences en ligne sont passées de 4 à 6 % du chiffre d'affaires total hébergement hôtels, et la commission versée aux sociétés Expedia s'élève à 25 % du prix de la chambre, ce qui traduit une évolution défavorable aux hôtels indépendants.

Les clauses litigieuses étaient insérées dans tous les contrats signés par les hôtels, lesquels ne disposaient pas du pouvoir réel de les négocier, et il a été relevé que les hôtels, dont aucun ne disposait d'une réelle force de négociation, ne pouvaient pas prendre le risque d'être déréférencés par les sociétés du groupe Expedia qui détenaient, en 2009, des parts importantes du marché de la vente de nuitées. Ce type de partanariat est devenu incontournable pour les hôteliers, 70 % des chambres réservées en ligne l'étant par le biais des agences de voyage en ligne ou des plate-formes de réservation (OTA). Ce canal représente 24 % du chiffre d'affaires des hôteliers. En outre, le poids d'Expedia lui permet d'acheter aux moteurs de recherche les plus importants les mots-clés et liens commerciaux qui lui permettent d'être mise en avant dans le listing des sites correspondant à la recherche d'un consommateur sur Internet.

L'Autorité de la concurrence, dans son avis précité, a, ainsi, considéré qu'une plateforme de réservation hôtelière en ligne, comme Booking.com ou Expedia, n'était pas en concurrence avec les autres canaux tels que les méta-moteurs de recherche ou les moteurs de recherche (§ 100), ces différents services n'étant pas substituables, tant du point de vue du consommateur que du point de vue des hôtels. Elle a estimé que le marché pertinent à considérer pour apprécier le pouvoir de marché des plateformes de réservation hôtelière en ligne était plutôt celui de l'offre de services de nuitées seules d'hôtels français sur des plateformes de réservation hôtelière en ligne et agences de voyages en ligne.

Sur ce marché, Expedia minimise sa part de marché en prétendant que le site expedia.fr ne dispose que d'une part de marché de 4 %. En effet, Expedia n'exploite pas que ce site, mais aussi hotels.com (13 %), venere.com (8 %), ebookers.fr depuis le rachat du groupe Orbitz en 2015 pour 1,3 milliard de dollars ( 3%) et voyages-sncf.fr grâce à son partenariat privilégié historique avec la SNCF (4 %). L'UMIH évalue sa part de marché à partir de ses propres données, sans être sérieusement contredite par Expedia, à environ 32 %.

Face à cet opérateur, les hôtels, quelle que soit leur taille, sont dépourvus de tout moyen de pression. Cela se traduit tout d'abord par l'absence de toute négociation possible par l'hôtelier des conditions générales et des contrats qui lui sont imposés par les plateformes. Ainsi que l'a relevé l'Autorité de la concurrence dans sa décision Booking.com précitée, les conditions générales support des contrats de distribution " ne sont en principe pas négociables pour les hôtels indépendants ". Ainsi que l'a également souligné l'Autorité de la concurrence, l'ensemble des OTA, même petites, semblent disposer d'un pouvoir de marché suffisant pour imposer leurs clauses de parité aux hôtels partenaires (§ 127).

Les différences signalées dans certains contrats produits par les sociétés du groupe Expedia, pour démontrer l'absence de contrainte pesant sur les hôtels, sont de pure forme, et tiennent au seul fait que deux versions des contrats coexistent dans les contrats soumis à l'appréciation de la cour, selon que le contrat pré rédigé est celui de Vacation Sport ou de WWTE Travel Ltd. Ces différences de détail ne sauraient en elles-mêmes témoigner de l'existence de véritables négociations.

Les sociétés du groupe Expedia, acteur important de la réservation hôtelière en ligne, étaient donc en mesure de " soumettre ou tenter de soumettre " les hôteliers à des obligations déséquilibrées.

Sur le déséquilibre significatif

Le ministre de l'Économie et l'UMIH soutiennent que l'effet cumulé de ces clauses de parité et de la dernière chambre disponible crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

Lorsque l'hôtelier dispose encore de chambres disponibles, il doit les accorder au groupe Expedia, ce qui le contraint à payer une commission, mais il doit en plus les lui proposer au tarif le plus bas proposé par ailleurs. Ceci limite ainsi l'autonomie de l'hôtelier dans sa politique commerciale et tarifaire. Il ne lui est pas possible de gérer une partie de ses chambres sans la confier à Expedia et de développer sur ces chambres des offres promotionnelles.

Il ne peut proposer une promotion à ses clients directs sans être obligé de la proposer aux clients des sites Internet du groupe Expedia, ce qui ampute encore plus sa marge, puisqu'il doit s'acquitter en plus de la commission d'Expedia. De même, la destination qu'il souhaite donner à ses chambres est limitée par la clause de disponibilité qui lui impose de mettre à disposition des sites Internet l'ensemble des chambres disponibles.

Ces clauses ont donc pour effet de faire bénéficier les sociétés du groupe Expedia des tarifs les plus concurrentiels du marché et d'imposer des réductions significatives sur ces montants déjà compétitifs. Or, l'avantage tarifaire et concurrentiel dont bénéficient les sociétés Expedia est entièrement pris en charge par les hôteliers, via ces clauses, sans que celles-ci ne prennent en retour aucun risque, ce qui traduit un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

De même, les clauses de parité des disponibilités des chambres entraînent un risque de surréservation entièrement supporté et pris en charge par les hôteliers, Expedia ne supportant en contrepartie aucun risque lié à la réservation ou pas d'une chambre.

De plus fort, la clause de la dernière chambre disponible impose aux hôteliers de la vendre par l'intermédiaire d'Expedia et donc de payer une commission sur elle.

La cour d'appel, qui a procédé à une analyse globale et concrète du contrat et apprécié le contexte dans lequel il était conclu ou proposé à la négociation, n'est pas tenue de rechercher les effets précis du déséquilibre significatif, en l'espèce non démontrés.

La clause dite " de la dernière chambre disponible ", corrélée à la clause de parité tarifaire, non tarifaire et promotionnelle, contrevient donc à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce.

Sur l'existence de contreparties des clauses

Le ministre de l'Economie et l'UMIH contestent l'existence des contreparties aux clauses alléguées par le groupe Expedia (investissements consentis par Expedia pour la promotion des hôtels partenaires, publicité gratuite réalisée via l'effet " panneau publicitaire ", possibilité réservée aux hôtels de ne les rémunérer qu'en cas de réservation). La rémunération de la plate-forme, via le paiement d'une commission par les hôtels, pour payer l'accès à une large clientèle que leur permet la plate-forme, ne suffirait pas, selon Expedia, à compenser ces investissements et ces dépenses publicitaires.

Mais la promotion réalisée par les sites Internet du partenaire est rémunérée par les commissions versées par les hôtels aux sociétés du groupe Expedia, sans que celles-ci ne parviennent à établir que l'importance des investissements réalisés par elles serait sans commune mesure avec les commissions, dont le montant est important, de l'ordre de 25 % des chambres.

Selon le groupe Expedia, sans les clauses de parité et si l'hôtelier pouvait proposer librement des prix et conditions différenciés selon les canaux de distribution, les internautes utiliseraient massivement son site Expedia comme une sorte de catalogue ou d'annuaire permettant aux internautes de comparer des offres puis ensuite d'aller réserver une nuitée sur un autre site. Ce faisant, l'internaute priverait Expedia d'une juste rémunération de ses investissements puisque Expedia ne percevrait aucune commission sur la réservation de la nuitée réalisée sur un autre site que le sien. Ainsi l'hôtel aurait bénéficié des investissements d'Expedia qui lui aurait permis d'attirer un nouveau client, lequel, sans Expedia, n'aurait jamais réservé dans cet hôtel. Elle soutient donc que ces clauses évitent des pratiques de parasitisme.

Mais il convient de noter que cette affirmation n'est pas valablement démontrée par Expedia. D'une part les sites des plateformes sont conçus pour capter le consommateur et faire en sorte que le taux de conversion du visiteur d'un site soit le plus élevé possible (pourcentage de visiteurs qui recherchent et réservent sur la plate-forme, ce qui limite le risque de déport de la demande vers les concurrents, Expédia ayant de ce point de vue, un taux de 5 %, ce qui est considéré comme élevé). D'autre part, beaucoup d'hôtels ne seraient pas facilement joignables, soit parce que leur site ne permet pas de réserver en ligne, soit parce qu'ils ne sont pas joignables par téléphone à tout moment. Donc le risque que le consommateur consulte les sites Expedia pour choisir son hôtel et réserve par un autre canal n'est pas démontré.

Les sociétés du groupe Expedia ne démontrent donc pas que les clauses de parité et de disponibilité étaient nécessaires à l'équilibre des contrats ou que ce déséquilibre était compensé par d'autres dispositions du contrat.

Elles peuvent d'autant moins le prétendre que les clauses sont caduques depuis l'entrée en vigueur de la loi Macron, et doivent avoir été supprimées des contrats, sans qu'elles justifient aujourd'hui d'un quelconque problème de rentabilité ou d'une remise en cause de leur modèle économique.

Enfin, l'UMIH soutient à juste titre que le déséquilibre résultant des pratiques est encore aggravé par la présence de nombreuses autres clauses, prévoyant des obligations unilatérales et non réciproques pesant exclusivement sur les hôteliers. Mais aucune conséquence juridique ne peut en être tirée, ces clauses n'ayant pas fait l'objet de la saisine du ministre de l'Economie.

Au regard de tous ces éléments, il y a donc lieu de dire que ces deux clauses, par leur effet cumulé, créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et d'en prononcer la nullité.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

Sur la demande d'injonction du ministre

Il y a lieu d'enjoindre aux sociétés de faire disparaître pour l'avenir les clauses litigieuses dans les contrats en cours, sans que les sociétés du groupe Expedia puissent prétendre que cette injonction aboutirait à un contrôle des tarifs hôteliers.

C'est au contraire dans l'objectif de restaurer la libre détermination des prix des nuitées par les hôteliers et de libérer leurs pratiques commerciales que cette injonction est octroyée.

Sur l'amende

Les sociétés Expedia Inc., Travelscape, WWTE Travel Limited, Vacationspot et Hotels.com soutiennent qu'elles sont de bonne foi, et ont toujours coopéré avec les autorités françaises, que les clauses de parité n'ont pas eu d'impact sur la différenciation tarifaire et que l'absence de préjudice ou de dommage lié aux clauses ne permet pas de justifier une éventuelle amende ou injonction.

Le ministre expose que les pratiques sont d'autant plus graves qu'un rapport de force très inégal existe entre les parties et que les pratiques, présentes dans tous les contrats, et pendant plusieurs années, ont entraîné un dommage à l'économie. Il demande donc que le montant maximum prévu par la loi soit prononcé, soit deux millions d'euros.

L'article L. 442-6, III du Code de commerce, dans sa version en vigueur au moment des faits précise que le ministre chargé de l'Economie et le ministère public peuvent " demander le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 2 millions d'euros. Toutefois, cette amende peut être portée au triple du montant des sommes indûment versées ".

Il appartient au juge saisi d'une demande tendant à l'imposition d'une amende au titre de l'article L. 442-6, III du Code de commerce, d'apprécier en premier lieu, s'il y a lieu de prononcer une amende civile et en second lieu quel quantum de sanction doit être fixé.

S'agissant des critères à prendre en considération pour la fixation du quantum, l'amende civile doit viser à prévenir et dissuader les pratiques restrictives prohibées, ainsi qu'à éviter leur réitération ; la gravité du comportement en cause et le dommage à l'économie en résultant doivent donc être pris en compte, ainsi que la situation individuelle de l'entreprise poursuivie, en vertu du principe d'individualisation des peines.

Le trouble à l'ordre public économique résultant des pratiques en cause, consistant dans la violation combinée des articles L. 442-6, II, b) et L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, justifie, en l'espèce, l'infliction de sanction pécuniaire.

La gravité de ces pratiques est importante, puisqu'elles émanent d'opérateurs dont l'intervention est indispensable aux hôteliers pour vendre leurs services. Le dommage à l'économie est constitué, compte tenu de l'effet conjugué des deux clauses et des importants taux de commissions versés à Expedia, aboutissant à une réduction de la liberté commerciale des hôtels.

Il y a lieu en outre de prendre en compte une certaine persistance des pratiques. Ainsi que le souligne l'UMIH, dans la plus récente version des conditions générales et contrats standards imposés par Expedia aux hôteliers (pièce n° 7), il est en effet prévu au III b) : " b. Tarifs. Vous acceptez que les Tarifs et les Formules tarifaires fournis à Expedia soient équivalents à ou plus favorables que ceux disponibles par le biais de Vos propres canaux de réservation publique en ligne ou de distribution. Toutes règles, restrictions, politiques et/ou conditions (y compris les règles relatives à l'annulation) applicables à toute chambre que Vous proposez par le biais du Système Expedia ne devront pas être plus restrictives que celles applicables à une chambre analogue que Vous proposez par le biais de Vos propres canaux de réservation publique en ligne ou de distribution. Sous réserve des Sections C0, 3.b et C0, 3. e, et sauf accord contraire, Vous demandez à Expedia de ne pas afficher des Réservations de chambres seules à un Prix par chambre inférieur au Meilleur tarif disponible pertinent. Vous reconnaissez qu'Expedia déterminera le Prix par chambre pour les Réservations de forfaits voyage et Réservations opaques à sa seule discrétion. ".

Il convient de prendre également en considération l'importance du chiffre d'affaires des sociétés du groupe Expedia et de l'effet d'entraînement que peut avoir le comportement de sociétés de cette taille et de cette notoriété sur les autres opérateurs économiques du secteur, et notamment les agences de voyage en ligne (Online Travel Agency ou " OTA ") plus petites.

Toutefois, l'absence d'effets avérés des pratiques sur les prix aux consommateurs et sur la rentabilité des hôtels partenaires doit entraîner une réduction du montant de la sanction.

Au vu de tous ces éléments, il y a lieu de prononcer une amende pécuniaire de 1 million d'euros au paiement de laquelle les sociétés seront condamnées in solidum, puisqu'elles ont, chacune, concouru aux mêmes pratiques contraires à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, soit en signant avec les hôteliers les contrats comportant les clauses litigieuses, soit en fournissant aide et assistance pour favoriser la signature de ces contrats et leur application.

Il ne sera en revanche pas tenu compte de la violation de l'article L. 442-6, II, d) au titre de la fixation de cette amende, seules les sociétés signataires des contrats en étant justiciables comme il a été vu supra.

Sur la publication

Compte tenu de l'ancienneté des pratiques, le dommage est suffisamment réparé par l'amende civile. L'information du public a été, par ailleurs, suffisamment assurée par le communiqué de presse décrit plus haut.

Il convient donc de rejeter la demande de publication du ministre de l'Economie.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant au principal, les sociétés Expedia France, Expedia Inc., Hotels.com, Vacationspot et Travelscape seront condamnées aux dépens de l'instance d'appel et à payer la somme de 3 000 euros au ministre de l'Economie et celle de 5 000 euros à l'UMIH venant aux droits de la CPIH, au titre des frais irrépétibles de l'instance.

Par ces motifs, confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a jugé que la loi anglaise était applicable, que le ministre ne pouvait demander la nullité des clauses des contrats signés par l'hôtel Aix Orient Hôtel, faute d'information préalable de l'introduction de l'action, sur l'application de l'article L. 442-6, II, d) du Code de commerce, en ce qu'il a mis hors de cause les sociétés Expedia France et Expedia Inc., débouté les demandeurs au titre de la nullité de la clause dite " de la dernière chambre disponible ", débouté le ministre de l'Economie de sa demande d'amende, et, enfin, débouté le ministre de l'Economie et Synhorcat, FAGIHT et CPIH de leur demande d'injonction ; l'infirme sur ces points ; Et, statuant à nouveau ; dit que l'action a été régulièrement signifiée par le ministre à la société Aix Orient Hôtel ; dit que la loi française est applicable ; maintient les sociétés Expedia France et Expedia Inc. dans la cause ; dit que la clause de parité des tarifs et conditions ainsi que la clause de disponibilité et de dernière chambre disponible sont contraires à l'article L. 442-6, II, d) du Code de commerce, mais seulement en tant qu'elles visent l'alignement sur les meilleures conditions consenties aux concurrents tiers et non pratiquées par l'hôtelier lui-même ; dit que la clause de parité et la clause de disponibilité des chambres, par leurs effets cumulés, constituent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; dit que les sociétés Expedia France et Expedia Inc. sont également responsables de la violation de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce ; prononce la nullité de ces clauses dans les 47 contrats du dossier (énumérés en pages 79 et 80 des conclusions du ministre) ; enjoint aux sociétés Expedia France, Expedia Inc., Hotels.com, Vacationspot et Travelscape de cesser les pratiques consistant à mentionner les clauses précitées dans leurs contrats signés avec les hôteliers adhérents de leur plate-forme ; condamne les sociétés Expedia France, Expedia Inc., Hotels.com, Vacationspot, et Travelscape, in solidum, au paiement d'une amende de 1 million d'euros au ministre de l'Economie ; rejette la demande de publication de l'arrêt à intervenir ; condamne les sociétés Expedia France, Expedia Inc., Hotels.com, Vacationspot et Travelscape, in solidum, aux dépens d'appel ; les condamne à payer, in solidum, au ministre de l'Economie la somme de 3 000 euros et à l'UMIH celle de 5 000 euros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.