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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 juin 2017, n° 15-02602

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Carrefour Hypermarchés (SAS)

Défendeur :

ITM Alimentaire International (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Guerre, Karsenty Ricard, Moreau-Margotin, Boccon Gibod, Deprez

T. com. Paris, du 31 déc. 2014

31 décembre 2014

EXPOSÉ DES FAITS

La société Carrefour Hypermarchés (ci-après, " la société Carrefour ") exerce son activité de grande distribution par un réseau d'hypermarchés.

La société ITM Alimentaire International (ci-après, " la société ITM ") est en charge de la politique commerciale des enseignes de distribution alimentaire du groupement des Mousquetaires.

A compter du mois de janvier 2012, la société Carrefour a lancé une campagne publicitaire " Garantie Prix le plus bas ", offrant au consommateur de lui rembourser deux fois la différence de prix s'il trouvait moins cher ailleurs, sur 500 produits alimentaires, de beauté et d'entretien. Cette garantie a été étendue à d'autres catégories de produits à partir de l'été 2012.

A partir de décembre 2012, cette campagne a été couplée avec une publicité comparative, de sorte qu'elle soutenait deux messages suivants :

- une garantie de prix qui porte désormais sur les premiers 500 produits auxquels ont été adjoints le carburant, les fournitures scolaires, les jouets, les produits de beauté de grande marque et les cartouches d'encre ;

- une publicité comparative portant sur les 500 produits mis en avant avec la garantie du prix le plus bas. Le résultat de cette publicité comparative pour chacune des enseignes concurrentes visées est représenté sous forme de pourcentage par rapport au prix Carrefour.

De décembre 2012 à juin 2014, cette campagne a fait l'objet de plusieurs spots publicitaires, mentionnant la société ITM comme étant plus chère que Carrefour d'un pourcentage qui variait de 9,8 % à 12,4 %.

Par courriers des 15 et 21 mars et 2 juillet 2013, la société ITM a dénoncé plusieurs spots publicitaires de la société Carrefour en faisant valoir que les allégations de différences de prix entre ces sociétés concurrentes étaient trompeuses et dénigrantes, et mis en demeure cette société de cesser la diffusion de la publicité et de lui communiquer une version exploitable des relevés de prix effectués dans les magasins Carrefour et Intermarché sur les produits visés par la publicité comparative.

Par acte du 2 octobre 2013, la société ITM a assigné la société Carrefour. Par jugement du 31 décembre 2014, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit que la société Carrefour a manqué à son obligation de prouver l'exactitude matérielle des énonciations et indications contenues dans ses publicités relatives aux écarts de prix allégués entre les enseignes Carrefour et Intermarché telle que l'article L. 121-12 du Code de la consommation lui en fait obligation,

- dit que la société Carrefour en :

* n'indiquant pas clairement les dates de relevés de prix ayant servi à la diffusion des spots publicitaires,

* retenant un mode de sélection des points de vente trompeur qui faussait la représentativité des comparaisons de prix, n'a pas respecté les dispositions du Code de la consommation et que ces manquements à la neutralité et à l'objectivité d'une campagne de publicité comparative constituent des actes de concurrence déloyale,

- condamné la société Carrefour au paiement de la somme de 800 000 euros à la société ITM en réparation du préjudice subi,

- ordonné l'interdiction de la diffusion de la publicité incriminée ainsi que de toute pratique de publicité comparative reposant sur des modalités de comparaison similaires, concernant notamment le format des magasins retenus,

- enjoint à la société Carrefour de cesser toute diffusion sur le site Internet www.youtube.fr des 8 spots publicitaires et toute diffusion à la télévision et sur le site Internet www.lesprixbaslaconfianceenplus.carrefour.fr des 8 spots publicitaires et ce, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter du délai de 6 jours suivant la date de signification du jugement pour une durée de deux mois,

- ordonné la publication du présent jugement dans trois revues au choix de la demanderesse et aux frais de la société Carrefour dans la limite de 10 000 euros par insertion ainsi que sur la première page des sites Internet www.carrefour.fr et www.lesprixbaslaconfianceenplus.carrefour.fr pendant une durée de deux mois,

- condamné la société Carrefour au paiement de la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus, et aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

La cour est saisie de l'appel interjeté par la société Carrefour, du jugement du Tribunal de commerce de Paris du 31 décembre 2014.

Par ordonnance du 29 octobre 2015, le conseiller de la mise en état de la Cour d'appel de Paris a renvoyé une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, laquelle a rendu son arrêt le 8 février 2017.

Par conclusions du 12 avril 2017, la société Carrefour Hypermarchés demande à la cour de :

Vu les articles L. 121-2, L. 122-1, L. 122-2 et L. 122-5 du Code de la consommation, vu l'article 1240 du Code civil,

- infirmer le jugement rendu le 31 décembre 2014 par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :

* dit que la société Carrefour a manqué à son obligation de prouver l'exactitude matérielle des énonciations et indications contenues dans ses publicités relatives aux écarts de prix allégués entre les enseignes Carrefour et Intermarché telle que l'article L. 121-12 du Code de la consommation lui en fait obligation,

* dit que la société Carrefour en n'indiquant pas clairement les dates de relevés de prix ayant servi à la diffusion des spots publicitaires, retenant un mode de sélection des points de vente trompeur qui faussait la représentativité des comparaisons de prix, n'a pas respecté les dispositions du Code de la consommation et que ces manquements à la neutralité et à l'objectivité d'une campagne de publicité comparative constituent des actes de concurrence déloyale,

* condamné la société Carrefour au paiement de la somme de 800 000 euros à la société ITM en réparation du préjudice subi,

* ordonné l'interdiction de la diffusion de la publicité incriminée ainsi que de toute pratique de publicité comparative reposant sur des modalités de comparaison similaires, concernant notamment le format des magasins retenus,

* enjoint à la société Carrefour de cesser toute diffusion sur le site Internet www.youtube.fr des 8 spots publicitaires et tout diffusion à la télévision et sur le site Internet www.lesprixbaslaconfianceenplus.carrefour.fr des 8 spots publicitaires et ce, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter du délai de 6 jours suivant la date de signification du jugement pour une durée de deux mois,

* ordonné la publication du présent jugement dans trois revues au choix de la demanderesse et aux frais de la société Carrefour dans la limite de 10 000 euros par insertion ainsi que sur la première page des sites Internet www.carrefour.fr et www.lesprixbaslaconfianceenplus.carrefour.fr pendant une durée de deux mois,

* condamné la société Carrefour au paiement de la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus, et aux entiers dépens,

Statuant à nouveau :

- dire que la société Carrefour a respecté son obligation de prouver à bref délai l'exactitude matérielle des énonciations et indications contenues dans sa publicité comparative diffusée dans le cadre de sa campagne " Garantie prix le plus bas Carrefour ",

- dire que la publicité comparative diffusée dans le cadre de sa campagne " Garantie prix le plus bas Carrefour ", sous toutes ses formes (spots TV, site Internet, presse) ne revêt aucun caractère trompeur et n'est pas constitutive de dénigrement à l'égard de l'enseigne Intermarché,

- débouter la société ITM de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société ITM à verser à la société Carrefour la somme de 50 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société ITM aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera effectué par la Selarl Pellerin-de Maria-Guerre, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions du 14 avril 2017, la société ITM, intimée, demande à la cour de :

Vu les articles L. 121-1, L. 122-1, L. 122-2 et L. 122-5 du Code de la consommation, vu l'article 1240 du Code civil,

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 31 décembre 2014 en ce qu'il a jugé que :

* la société Carrefour a manqué à son obligation de prouver à bref délai l'exactitude matérielle des énonciations et indications contenues dans ses publicités relatives aux écarts de prix allégués entre les enseignes Carrefour et Intermarché, en violation de l'article L. 122-5 du Code de la consommation,

* la publicité comparative de la société Carrefour est trompeuse du fait de l'utilisation de constats de prix réalisés plusieurs mois avant la diffusion des 4e et 7e spots publicitaires,

* la publicité comparative de la société Carrefour est trompeuse du fait de l'absence d'information du consommateur sur la différence de formats des points de vente Carrefour et Intermarché dont les prix ont fait l'objet de relevés conformément aux principes dégagés par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 8 février 2017,

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 31 décembre 2014 en ce qu'il a débouté la société ITM pour le surplus et statuant à nouveau :

* dire que la publicité comparative de la société Carrefour est illicite au regard de l'article L. 122-1 du Code de la consommation en ce qu'elle induit le consommateur en erreur sur l'économie qu'il peut réaliser dans les points de vente de la société Carrefour,

* dire que la publicité comparative de la société Carrefour est illicite au regard de l'article L. 122-1 du Code de la consommation du fait de l'absence d'objectivité de la sélection des points de vente comparés et du caractère trompeur de leur sélection géographique,

* dire que la publicité comparative de la société Carrefour est trompeuse du fait de la diffusion d'un classement trompeur des enseignes Carrefour, Leclerc et Intermarché,

* dire que le 6e spot publicitaire de la société Carrefour est trompeur et mensonger au sens de l'article L. 121-2 du Code de la consommation car ce spot prétend que la " Garantie prix le plus bas " porte sur des produits frais et, en particulier des oeufs, ce qui est faux,

En conséquence,

- condamner la société Carrefour au paiement de la somme de 1 500 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice commercial et au paiement de la somme de 1 500 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'image et moral subis par la société ITM,

- confirmer la cessation de toute diffusion, à la télévision, sur le site Internet www.youtube.fr et sur le site www.lesprixbaslaconfianceenplus.fr, des 8 spots publicitaires disponibles aux adresses mentionnées en page 2 du procès-verbal de constat du 19 mai 2014 et ce, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter du délai de 8 jours suivant la signification de la décision,

Y ajoutant, étendre cette mesure de cessation aux 9e et 10e spots publicitaires,

- confirmer la publication du jugement à intervenir dans trois revues au choix de la demanderesse et aux frais de la société Carrefour dans la limite de 10 000 euros par insertion, ainsi que sur la première page des sites Internet www.carrefour.fr et http://lesprixbaslaconfianceenplus.carrefour.fr pendant une durée de deux mois,

- enjoindre à la société Carrefour de cesser toute présentation comparant l'écart de prix moyen des différentes enseignes sur la base d'une méthodologie de comparaison dépourvue d'objectivité et ce, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter du délai de 8 jours suivant la signification de la décision,

En tout état de cause :

- condamner la société Carrefour au paiement de la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué Paris-Versailles.

MOTIVATION

Sur l'obligation de prouver à bref délai les énonciations et présentations contenues dans ses publicités

La société ITM estime que la société Carrefour n'a pas satisfait aux dispositions de l'article L. 122-5 en ne fournissant pas l'ensemble des éléments prouvant l'exactitude matérielle des énonciations contenues dans ses publicités, en se limitant à la renvoyer à son site Internet : les éléments qui y sont présents ne sont pas exploitables et ne répondraient pas à l'obligation de l'annonceur de prouver à bref délai l'exactitude des informations figurant dans la publicité. Elle reproche à la société Carrefour de n'avoir pas justifié des prix moyens des produits relevés dans les magasins ainsi que des critères de sélection des points de vente et des produits.

La société Carrefour soutient avoir toujours répondu à la société ITM dans un délai de trois jours ouvrables qui peut être qualifié de " bref ".

Elle précise avoir répondu à toutes les demandes de communications de pièces de la société ITM et pouvoir la renvoyer à son site Internet, sur lequel figurent la méthodologie comparative ainsi que les relevés de prix pour toutes les versions de la publicité. Elle ajoute avoir transmis la copie papier de l'ensemble des relevés qui permettaient à la société ITM d'effectuer toutes vérifications utiles, et avoir indiqué la liste des magasins participants à l'opération.

Sur ce

L'article L. 121-12 du Code de la consommation (devenu l'article L. 122-5) dispose que " sans préjudice des dispositions de l'article 121-2, l'annonceur pour le compte duquel la publicité comparative est diffusée doit être en mesure de prouver dans un bref délai l'exactitude matérielle des énonciations, indications et présentations contenues dans la publicité ".

En l'occurrence, la société Carrefour a répondu le 19 mars 2013 au courrier de la société ITM du 15 mars précédent la mettant en demeure de lui communiquer les éléments permettant de vérifier l'exactitude du contenu de sa publicité.

De même a-t-elle répondu le 25 mars 2013 à une demande du 21 mars 2013, le 5 juillet 2013 à une demande du 2 juillet 2013, le 8 octobre 2013 à une demande du 4 octobre précédent, le 13 juin 2014 à une demande du 12 juin 2014 et le 23 juin 2014 à une demande du 18 juin 2014 de la société ITM.

Il en ressort que la société Carrefour a répondu aux différentes demandes présentées par la société ITM dans un délai de trois jours ouvrables, qui correspond au bref délai prévu par l'article précité.

Pour autant, la seule indication par la société Carrefour que l'ensemble des éléments figurent sur son site Internet ne saurait en l'espèce répondre à l'obligation pour l'annonceur de prouver l'exactitude matérielle des énonciations et présentations contenues dans ses publicités.

En effet, le procès-verbal de constat d'huissier du 14 mars 2013 révèle que sur le site Internet de la société Carrefour est explicitée la " méthodologie comparative de prix " ayant permis à la société Carrefour de soutenir les énonciations contenues dans ses publicités, dans un fichier de 638 pages.

La méthodologie suivie par la société Carrefour indiquant reposer sur la comparaison des prix de 528 produits choisis, relevés dans 80 magasins Carrefour et 80 magasins Intermarché, rend nécessaire l'appréhension d'une masse de données très importante, dont la seule mise à disposition ne permet pas aux destinataires de prendre aisément connaissance des éléments leur permettant de vérifier l'exactitude des énonciations alléguées, si elle n'est pas accompagnée de la production de documents justifiant des calculs au vu desquels l'annonceur peut revendiquer les prix les plus bas ou parvenir au pourcentage constituant la différence de prix entre les produits vendus dans ses magasins et ceux proposés par les concurrents.

Il en est de même de la production de volumes compilant les données au vu desquelles la société Carrefour aurait effectué ses calculs, la seule communication de la totalité des relevés de prix ne suffisant pas à justifier du taux de différence de prix avancé par elle entre ses produits et ceux proposés par la société ITM, faute de documents permettant de vérifier aisément les relevés de prix avancés, comme les prix moyens des produits, soit des éléments dont elle doit disposer puisqu'ils lui ont permis la mise en œuvre de la publicité comparative et qu'elle devait communiquer au concurrent qui en fait la demande.

Aussi, le jugement sera confirmé en ce qu'il a estimé que les seuls éléments communiqués par la société Carrefour ne répondaient pas à l'exigence reposant sur la société Carrefour de " prouver dans un bref délai l'exactitude matérielle des énonciations, indications et présentations contenues dans la publicité ".

Sur la licéité de la campagne publicitaire comparative de la société Carrefour sur l'utilisation de relevés de prix effectués quelques mois avant la publicité

La société ITM estime que la société Carrefour n'a pas respecté les dispositions du Code de la consommation en utilisant des constats de prix réalisés plusieurs mois avant la diffusion des spots télévisés.

La société Carrefour soutient que l'utilisation de constats de prix réalisés quelques mois avant la diffusion des spots publicitaire n'a pas un caractère trompeur, la jurisprudence admettant de tels décalages entre la date des relevés de prix et la date de la publicité à condition que le consommateur soit clairement informé des dates de relevés de prix. Elle ajoute avoir reçu un avis favorable de l'ARPP, et qu'à compter de juin 2013, elle a fait figurer les dates de relevés de prix de manière fixe, en incrustation dans ses publicités, et non de manière déroulante.

Sur ce

Les parties s'accordent pour retenir que la société ITM reproche à la société Carrefour d'avoir diffusé en septembre 2013 un spot publicitaire évoquant des prix ITM supérieurs de 12,4 % aux prix Carrefour, en se fondant sur un constat de prix réalisé en mai 2013.

La société Carrefour a également diffusé de janvier à mai 2014 un spot faisant référence à une différence de prix, au vu de prix ITM relevés entre le 28 octobre et le 16 novembre 2013.

L'annonceur ayant recours à la publicité comparative a la possibilité de choisir les paramètres qui lui sont favorables, dès lors qu'ils sont exacts et vérifiables et ne présentent pas de caractère trompeur.

La société ITM ne conteste pas l'exactitude des prix pratiqués dans ses magasins sur lesquels la société Carrefour s'est fondée pour souligner la différence de prix, mais le fait que les dits prix aient été relevés plusieurs mois avant la diffusion de la publicité en question.

Il n'est pas contesté qu'en fin de film publicitaire, un bandeau déroulant indique la période à laquelle les relevés de prix ont été réalisés.

Cette période apparaît également de manière fixe à l'écran, de sorte que le consommateur en est avisé tant par cette incrustation lisible que par le bandeau déroulant (ainsi, pièce 5 appelante).

Dès lors, l'écoulement de temps entre la période de relevé de prix et la diffusion de la publicité n'apparaissant pas excessif et l'information donnée au consommateur sur cette période paraissant suffisante, l'utilisation de ces constats de prix n'était pas trompeuse pour le consommateur.

Sur le choix des points de vente comparés

La société Carrefour estime qu'il n'y a pas de caractère trompeur dans le choix des magasins, objets des relevés de prix en raison de leur différence de format. Elle fait état d'une présomption de validité au profit de la publicité comparative, la jurisprudence admettant la comparaison de produits de nature et de qualités différentes si le consommateur en est informé.

Le consommateur étant client d'une enseigne et non d'un format, sans considération de la taille du magasin, rien n'interdisait la comparaison de magasins de formats différents à condition qu'il soit clairement informé des modalités de la comparaison, ce qui était le cas en l'espèce.

Elle analyse l'arrêt de la CJUE du 8 février 2017 et en déduit que le consommateur était éclairé quant à la taille des magasins comparés, ce d'autant qu'il pouvait prendre connaissance de la méthodologie suivie sur son site Internet. Elle estime que le nom de l'enseigne suffit à donner l'information sur le format qu'il désigne, que la comparaison entre magasins de formats différents n'est pas de nature à fausser les résultats de la comparaison, ce d'autant que les prix des hypermarchés et supermarchés ITM sont très proches, et que la comparaison d'un seuil minimum de produits tend à éviter les résultats insuffisamment significatifs.

Selon l'intimée, le mode de sélection des points de vente retenu par la société Carrefour est trompeur et fausse la représentativité des relevés de prix. Elle soutient que selon la CJUE, une publicité comparative des prix entre des magasins de taille ou de formats différents n'est licite que dans certaines conditions, et que la comparaison des prix doit être faite de manière objective et non trompeuse. Or, le consommateur ne serait pas clairement informé du fait que la comparaison porte sur des prix pratiqués dans des points de vente de formats différents à savoir les hypermarchés Carrefour et les supermarchés Intermarché, ce qui fausse les résultats de la comparaison et induit ce consommateur en erreur. Elle affirme par ailleurs que les panels de points de vente des enseignes comparées ne sont pas représentatifs.

Sur ce

Si la société Carrefour avance qu'il n'existe pas de définition légale des magasins, elle fait elle-même mention d'une nomenclature de l'INSEE selon laquelle " les hypermarchés ont une surface de 2500 mètres-carré et plus, les supermarchés de 400 à moins de 2500 mètres-carré... ".

Aussi, et quand bien même la société Carrefour souligne que chaque groupe de distribution déterminerait arbitrairement ses critères pour définir ses formats de magasin, il n'en demeure pas moins que les hypermarchés désignent des magasins disposant d'une surface plus importante, la société ITM justifiant du reste (sa pièce 13) que la superficie moyenne des hypermarchés Carrefour est de 10 057 mètres-carré et que celle des supermarchés Carrefour est de 2 308 mètres-carré.

La société Carrefour dispose dans son groupe de distribution de ces deux types de magasins, indiquant elle-même dans ses conclusions que " l'enseigne Carrefour désigne les hypermarchés, tandis que l'enseigne Carrefour Market désigne les supermarchés ".

La société Carrefour rappelle que l'annonceur qui entreprend une publicité comparative peut choisir les paramètres qui lui sont favorables, dès lors qu'ils sont matériellement exacts et vérifiables et ne présentent pas de caractère trompeur en occultant une circonstance précise dont la connaissance aurait été de nature à faire renoncer un nombre significatif de consommateurs à leur décision d'achat.

Dans son arrêt du 8 février 2017, la CJUE a dit qu' " est susceptible d'être illicite... une publicité, telle que celle en cause au principal, comparant les prix de produits vendus dans des magasins de tailles ou de formats différents, lorsque ces magasins font partie d'enseignes possédant chacune une gamme de magasins de tailles ou de formats différents et que l'annonceur compare les prix pratiqués dans les magasins de tailles ou de formats supérieurs de son enseigne avec ceux relevés dans des magasins de tailles ou de formats inférieurs des enseignes concurrentes, à moins que les consommateurs ne soient informés, de façon claire et par le message publicitaire lui-même, que la comparaison a été effectuée entre les prix pratiqués dans les magasins de tailles ou de formats supérieurs de l'enseigne de l'annonceur et ceux relevés dans les magasins de tailles ou de formats inférieurs des enseignes concurrentes.

Il appartient à la juridiction de renvoi, pour apprécier la licéité d'une telle publicité, de vérifier si, dans l'affaire au principal, au vu des circonstances de l'espèce, la publicité en cause ne satisfait pas à l'exigence d'objectivité de la comparaison et/ou présente un caractère trompeur, d'une part, en prenant en considération la perception du consommateur moyen des produits concernés, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé et, d'autre part, en tenant compte des indications figurant dans ladite publicité, en particulier de celles concernant les magasins de l'enseigne de l'annonceur et ceux des enseignes concurrentes dont les prix ont été comparés, et plus généralement, de tous les éléments de celle-ci ".

En l'espèce, dans sa publicité comparative, la société Carrefour a comparé certains prix relevés dans ses hypermarchés, avec ceux relevés dans les supermarchés ITM.

Dans le 1er spot publicitaire comparatif, à la fin duquel est indiqué que Intermarché est 9,8 % plus cher que Carrefour, le vendeur indique que " même chez Leclerc ou chez Intermarché vous ne trouverez pas plus bas que chez Carrefour ", sans préciser qu'il s'agit des hypermarchés Carrefour.

Par ailleurs, la bande déroulante en bas de l'écran précise que la comparaison a été effectuée " dans 80 magasins Carrefour, 80 magasins Leclerc et 80 magasins Intermarché (Hyper et Super) ".

Ce n'est que sur le site www.garantieprixplusbas.carrefour.fr dédié par la société Carrefour à l'opération, qu'il est précisé que la garantie du prix le plus bas n'est valable que pour les magasins Carrefour et Carrefour Planet, et non sur les autres magasins (Carrefour Market, Carrefour Contact, Carrefour City, Carrefour Express, Carrefour Montagne et les stations d'autoroute), sans que l'accès à cette information en petits caractères soit immédiat.

Ainsi les clients n'ont, en visionnant ce spot publicitaire, aucune information sur le fait que ces données ont été comparées aux prix des hypermarchés Carrefour, et la société Carrefour ne justifie pas que les consommateurs distinguent les magasins carrefour des magasins " Carrefour Market " et perçoivent la différence de taille, alors que l'élément commun dominant est Carrefour de sorte que le consommateur pourrait assimiler " prix plus bas " à Carrefour, sans distinguer entre les magasins de cette enseigne.

La société ITM relève qu'à compter du 2e spot publicitaire, le bandeau publicitaire indique que la comparaison a été effectuée " dans 80 magasins Carrefour, 80 magasins Leclerc et 80 magasins Intermarché Super " ce qui révèle qu'il s'agit pour cette enseigne de supermarchés, dont les prix ont été comparés avec ceux des hypermarchés Carrefour.

Pour autant, ces informations figurent en petits caractères dans un bandeau déroulant rapidement, ce qui rend leur appréhension par le consommateur malaisée.

Ces informations ne sont pas de nature à éclairer suffisamment le consommateur, acquéreur de produits auxquels il porte une attention moyenne du fait qu'il s'agit de produits de consommation courante, " que la comparaison a été effectuée entre les prix pratiqués dans les magasins de tailles ou de formats supérieurs de l'enseigne de l'annonceur et ceux relevés dans les magasins de tailles ou de formats inférieurs des enseignes concurrentes ", au sens de la CJUE.

Dans les 10 spots mis en cause par la société ITM, la société Carrefour indique par une image fixe et une voix off que les prix pratiqués par Intermarché sont plus chers de 9,8 % à 13,5 %, en fonction des spots, alors que le consommateur ne sait pas que la comparaison s'est effectuée (sauf s'agissant du 1er spot) entre des supermarchés ITM et des hypermarchés Carrefour, et qu'un tel pourcentage de différence de prix est de nature à déclencher son acte d'achat auprès de l'annonceur plutôt que dans un magasin des deux autres enseignes comparées, dont la société ITM.

Aussi une telle présentation de la différence de prix entre les enseignes est tendancieuse, en ce que les prix comparés ont été relevés dans des magasins de taille différente sans que le consommateur en soit suffisamment informé, les messages publicitaires qui font état de cette différence de prix ne l'indiquant pas eux-mêmes, sans que la société Carrefour puisse tirer argument des contraintes liées au mode de communication car la CJUE prévoit que le message publicitaire doit lui-même apporter cette information, et la mention "Intermarché Super" sur le plan de comparaison des prix insérés dans les spots n'étant pas suffisante pour informer le consommateur de la différence de dimensions des magasins comparés.

Sur le caractère trompeur de la comparaison entre magasins de formats différents

La société Carrefour soutient que la comparaison entre des magasins de taille similaire n'est pas exigée par la CJUE, et souligne que les prix pratiqués entre les supermarchés et les hypermarchés du groupe ITM sont très proches, de sorte que l'objectivité de la comparaison effectuée n'est pas remise en cause. Elle conteste le défaut d'objectivité retenu par le jugement quant au choix des points de vente, et souligne le nombre important de produits retenus sur les prix desquels la comparaison s'est effectuée.

Pour la société ITM, la différence de formats entre les magasins comparés accentue les écarts de prix, de sorte que la comparaison n'est pas objective, puisque n'ont pas été comparés des prix relevés dans des supermarchés de deux enseignes, ce dont le consommateur n'a pas conscience. Elle fait état de la différence de prix pratiqués entre les supermarchés et hypermarchés Carrefour, et avance que la société Carrefour aurait dû comparer des magasins de taille identique.

Sur ce

Il se déduit de l'arrêt de la CJUE précité que pour que soit licite une publicité comparant les prix de produits vendus dans des magasins de tailles ou de formats différents, alors que les enseignes en cause ont des magasins de même taille, les consommateurs doivent être informés de façon claire par le message publicitaire, des conditions de cette comparaison.

Comme déjà relevé, le message n'informait pas clairement le consommateur que la société Carrefour comparait les prix pratiqués dans ses hypermarchés avec ceux des supermarchés d'ITM.

Il ressort d'une étude réalisée par l'institut " UFC que choisir " réalisée à l'automne 2013 soit au moment de la diffusion des publicités en cause, que le prix d'un panier moyen composé de 78 produits dont 2/3 de grandes marques et 1/3 de MDD était de 311 euros dans un hypermarché ITM pour 312 euros dans un hypermarché Carrefour, et de 312 euros pour un supermarché ITM pour 324 euros dans un supermarché Carrefour.

La société Carrefour souligne qu'en 2015, une nouvelle version de la même étude a établi que le prix du panier moyen était de 378 euros dans un hypermarché ITM et de 380 euros dans un supermarché ITM, de sorte que la faible différence de prix entre ces paniers, que confirmerait aussi une étude de l'observatoire des pris des familles rurales relevant le rattrapage des prix des supermarchés par ceux des hypermarchés, n'est pas de nature à contester l'objectivité de la comparaison qu'elle a réalisée ; ces deux études UFC révèlent surtout l'existence d'une différence des prix pratiqués entre les hypermarchés et les supermarchés Carrefour, et qu'ainsi comparer les prix des supermarchés ITM et des hypermarchés Carrefour présente une réalité déformée, puisqu'alors les prix pratiqués dans les supermarchés ITM étaient inférieurs à ceux affichés dans les supermarchés Carrefour.

Au surplus, l'indice IRI (selon l'intimée, indice pondéré en fonction des ventes réalisées par les points de vente) versé par la société ITM, dont il n'est pas justifié qu'il s'agirait d'une pièce confidentielle insusceptible d'être produite en justice, révèle que l'indice des ventes des hypermarchés Carrefour était alors sensiblement inférieur à celui des supermarchés Carrefour.

Au vu de ce qui précède, il apparaît que le mode de sélection des points de vente retenu par la société Carrefour est trompeur, comme l'a relevé le tribunal de commerce.

Sur la comparaison

La société Carrefour soutient que le message n'a pas un caractère trompeur, que la Garantie " prix le plus bas " ne concernait que les " 500 produits de grandes marques " et que le consommateur le comprenait ainsi sans penser que cette garantie visait également les autres produits de manière générale. Elle précise que les 500 produits en cause sont identifiables et accessibles pour le consommateur, qu'elle pouvait librement faire évoluer cette liste, et que le consommateur était informé de son aspect évolutif. Elle ajoute que les produits sélectionnés n'ont pas à être représentatifs des produits les plus consommés, et qu'il n'y avait aucune mention dans la publicité impliquant une quelconque représentativité.

Elle affirme que la sélection des points de vente n'a pas de caractère trompeur et qu'elle s'est opposée au refus de magasins ITM de la laisser relever leurs prix. Elle déclare avoir suivi une méthode objective de sélection de ces points de vente, et que son classement n'est pas trompeur.

La société ITM estime que le message publicitaire de Carrefour, la sélection géographique des points de vente servant de base à la comparaison, et le classement des enseignes réalisé par Carrefour en fonction de leurs prix étaient trompeurs. Le message induirait le consommateur en erreur sur l'économie qu'il peut réaliser en faisant ses courses chez Carrefour plutôt que chez Intermarché, car il serait incité à croire que l'écart de prix entre ces deux enseignes s'applique à l'ensemble des produits portant le logo " Garantie prix le plus bas ", ce qui est faux. Il serait aussi induit en erreur sur un niveau de prix globalement inférieur chez Carrefour.

Selon la société ITM, le consommateur n'est pas suffisamment informé sur les produits objet de la comparaison, dont la liste n'est que peu accessible, et varie en permanence. Elle dénonce l'absence de méthode de sélection des produits, lesquels ne sont pas représentatifs des achats courants du consommateur.

Elle ajoute que la sélection géographique des points de vente comparés présente un caractère trompeur puisque la société Carrefour aurait peu modifié lors des relevés de prix la sélection de ses propres points de vente, alors que la sélection des points de vente ITM aurait beaucoup plus évolué ; l'appelante aurait sélectionné des magasins Intermarché d'une superficie très inférieure à celle des points de vente Carrefour alors même qu'il existait dans la zone de chalandise de ses propres points de vente, des hypermarchés Intermarché d'une surface supérieure.

Enfin, le classement effectué par la société Carrefour ferait apparaître la société ITM comme plus chère que Leclerc, alors que le prix des produits n'a pas été comparé entre ces deux sociétés.

Sur ce

S'agissant de la garantie " prix le plus bas ", la publicité Carrefour portait à la fois sur une garantie " prix le plus bas " proposant au consommateur de lui rembourser le double de la différence de prix s'il trouvait moins cher ailleurs sur une liste de produits déterminés, et une publicité comparative sur 500 produits de grande marque objets de cette garantie.

Il ressort des pièces 52 de l'intimée que la société Carrefour a offert sa garantie " prix le plus bas " sur 200 fournitures scolaires, 200 jouets, 200 produits de beauté, 200 produits de saison, le carburant et 15 cartouches d'encre.

Le 1er spot publicitaire montre un logo " garantie prix le plus bas Carrefour " suivi de l'indication " sur 500 produits de grandes marques " ; une voix off dit alors " et en moyenne, sur le total de ces 500 produits, Leclerc est plus cher de 3,9 % et Intermarché est plus cher de 9,8 % " ; les spots publicitaires suivants reproduisent ce dispositif.

Si la société ITM avance que la concomitance de l'utilisation du logo " garantie prix le plus bas carrefour " sur d'autres produits (produits de beauté, essence, fournitures scolaires...) que les 500 produits de grandes marques au vu desquels la comparaison des prix a été réalisée, est de nature à faire croire que la différence de prix mise en avant par la société Carrefour à ce moment concernait aussi ces autres produits, cette confusion n'apparaît pas acquise au vu de la précision apportée selon laquelle la différence de prix portait sur les 500 produits de grande marque.

Par conséquent, la société ITM n'établit pas que le message utilisé par la société Carrefour est de nature à induire le consommateur en erreur sur le volume des produits présentant une différence de prix entre les magasins Carrefour et ITM.

S'agissant des produits objets de la comparaison, outre le fait que la société Carrefour souligne que ses spots ont été validés par l'autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), les pièces versées montrent que la liste des produits objets de la comparaison est accessible, comme l'a relevé le tribunal de commerce, de sorte que le consommateur moyen pouvait y avoir accès s'il le souhaitait, la liste des constats de prix renseignant sur celle des produits objets de la comparaison.

La cour relève du reste que la société ITM ne peut reprocher à l'appelante la variation des listes de produits sans avoir connaissance des produits figurant sur ces listes.

L'annonceur peut choisir les produits qu'il entend comparer, dans leur nombre comme dans leur nature, et il n'est pas démontré ni soutenu que la société Carrefour aurait revendiqué que la comparaison porte sur une liste intangible de produits.

L'appréciation du caractère trompeur d'une publicité doit s'effectuer eu égard à toutes les circonstances pertinentes du cas d'espèce, notamment aux indications ou aux omissions dont s'accompagne cette publicité.

En l'occurrence, l'ensemble des spots et publicité montrent qu'il est précisé que la comparaison a été effectuée sur 500 produits de grandes marques, de sorte que le consommateur moyen raisonnablement attentif aura perçu que la différence de prix correspond à une comparaison des prix des produits figurant sur cette liste, et non à un niveau de prix général.

La société ITM relève elle-même que l'appelante indique sur son site que les produits figurant sur la liste sont " des produits de grande consommation alimentaire, ainsi que des produits d'hygiène, d'entretien, et des consommables " de sorte que leur nature était, comme leur nombre, connu.

Si la société ITM dénonce un nombre réduit de produits de grande consommation, ou une sélection de produits qui ne seraient pas tous indispensables, la société Carrefour n'a pas revendiqué avoir sélectionné les produits les plus consommés ou les plus représentatifs, et le nombre de ces produits comme leur genre sont de nature à établir une certaine représentativité de cette liste, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a jugé que le choix de ces produits comme les messages de la société Carrefour n'étaient pas de nature à caractériser une violation de l'article L. 121-8 du Code de la consommation alors applicable.

S'agissant de la sélection des points de vente retenus par la société Carrefour pour faire réaliser ses relevés de prix, elle justifie avoir suivi une méthode reposant sur un découpage du territoire en neuf zones, et explique avoir retenu entre 8 et 11 magasins par zone, ce qui n'est pas contesté.

La faible rotation des magasins Carrefour qui ont fait l'objet des relevés de prix ne peut être utilement dénoncée par la société ITM, qui conteste dans le même temps l'évolution de la liste des produits dont les prix sont relevés, alors que leur nombre (les relevés étant effectués dans 80 magasins de chaque enseigne) garantit leur représentativité et évite une manipulation des prix.

Par ailleurs, si la société ITM soutient que la société Carrefour a délibérément choisi des points de vente ITM de superficie très inférieure à celle de ses points de vente sélectionnés alors qu'il existait dans la même zone des points de vente ITM d'une superficie supérieure, il convient de confirmer le tribunal de commerce qui a considéré que l'appréciation des zones de chalandise devait être moins stricte s'agissant d'une comparaison de prix au niveau national. De plus, la société ITM ayant refusé que les relevés de prix soient effectués dans certains de ses magasins, elle est malvenue à contester le choix des points de vente ITM sélectionnés par l'appelante.

Aussi, le caractère trompeur de la sélection des points de vente retenus par la société Carrefour n'est pas démontré.

Enfin, s'agissant du grief lié à la comparaison des prix entre Leclerc et ITM, la méthode de comparaison suivie par la société Carrefour pour aboutir au comparatif de prix qu'elle effectuait était accessible au consommateur, qui pouvait en prendre connaissance.

La présentation d'un spot publicitaire Carrefour, selon lequel Carrefour aurait les prix les plus bas, Leclerc serait 5,7 % plus cher et ITM 12,1 % plus cher, n'indique pas qu'ITM serait 6,4 % plus cher que Leclerc. Cette présentation n'effectuant pas de comparaison entre les deux enseignes Leclerc et Carrefour mais entre chacune de ces deux enseignes et Carrefour, et n'indiquant pas un pourcentage de différence de prix entre Leclerc et ITM, il n'est pas établi que la comparaison effectuée par la société Carrefour présente sur ce point un caractère trompeur.

Il résulte de ce qui précède que la société Carrefour a comparé les prix relevés dans ses hypermarchés avec ceux des supermarchés ITM - alors que la société ITM dispose également d'hypermarchés et que le groupe Carrefour dispose de supermarchés - soit des magasins de tailles différentes sans en informer correctement le consommateur, ce qui présente au vu de l'espèce un caractère trompeur, au sens de l'arrêt de la CJUE du 8 février 2017.

Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu que les manquements de la société Carrefour sont fautifs.

Sur le préjudice

La société ITM soutient avoir subi un préjudice commercial ainsi qu'un préjudice d'image du fait du matraquage publicitaire illicite et déloyal de Carrefour dont elle sollicite réparation.

Concernant son préjudice commercial, elle souligne que durant cette campagne publicitaire d'importance son " image prix " a diminué, et qu'elle n'a pu que stabiliser ses parts de marché. Elle ajoute avoir dû engager une campagne de publicité afin d'enrayer les effets négatifs de la campagne Carrefour, et sollicite la somme de 1 500 000 euros en réparation de son préjudice.

Le préjudice d'image et le dénigrement seraient dus au fait que la campagne Carrefour a convaincu une partie des consommateurs que les prix des produits des points de vente Intermarché étaient systématiquement plus chers que ceux commercialisés dans les points de vente Carrefour.

La société Carrefour estime que la société ITM n'est pas fondée à obtenir une indemnisation sur la base d'un préjudice commercial, dès lors qu'elle ne prouve ni l'existence ni le quantum d'un tel préjudice. Elle soutient que la diffusion de la publicité incriminée n'a pas gêné la poursuite de la prise de parts de marché par la société ITM, de sorte que son préjudice commercial ne serait pas établi.

Elle ajoute que la société ITM n'a pas subi de préjudice d'image ni de dénigrement, son image prix serait restée stable, et une comparaison de prix n'entraînerait pas le discrédit d'un concurrent.

Sur ce

Si la société ITM fait état de la baisse de son image-prix aux yeux des consommateurs, puisqu'elle serait passée de 31,6 % fin 2012 à 30,9 % à fin 2013, il convient de relever que ce taux était le même à la fin de l'année 2014, de sorte que l'image-prix de la société ITM n'a pas été modifiée en 2014 alors que la campagne publicitaire Carrefour était en cours.

Par ailleurs, il ressort des pièces versées par la société ITM que sa part de marché a augmenté entre les années 2012 et 2014, et qu'elle connaissait une augmentation de son chiffre d'affaires.

Si la société ITM indique avoir fait dresser un devis par une agence de publicité (sa pièce 16), le simple document " évaluation budget brut ", non daté, ne saurait justifier du bien-fondé de la demande de l'intimée, ce alors que son budget publicitaire a diminué entre 2012 et 2013 (pièce 19 appelante).

Il n'est pas établi par les pièces versées que l'engagement en 2014 par la société ITM d'une campagne de publicité intitulée " le pacte prix les plus bas ", d'un coût de 8 232 454 euros, ait été provoqué par la nécessité de " contrer les effets négatifs de la campagne publicitaire " de la société Carrefour.

Au vu de ce qui précède, la société ITM n'établit pas la réalité du préjudice commercial qu'elle aurait subi du fait de la campagne de la société Carrefour, et elle sera déboutée de sa demande en réparation sur ce fondement.

S'agissant de la dégradation de l'image et du dénigrement de la société ITM, la répétition au cours des différents spots publicitaires de la société Carrefour pendant plusieurs mois de l'information selon laquelle les prix dans les magasins Intermarché étaient plus chers que ceux dans les magasins Carrefour de X % sur 500 produits de grande marque, l'affichage à la fin de ces spots et sur le site Internet d'une image montrant que les prix Intermarché étaient plus élevés, ainsi que d'un classement dans lequel la société ITM apparaît comme parmi les sociétés ayant les prix les plus chers, est de nature à abîmer sérieusement l'image de cette société auprès des consommateurs.

La seule stabilité de l'image-prix de la société ITM auprès des consommateurs ne saurait nier que la présentation tendancieuse opérée par la société Carrefour quant aux prix pratiqués est de nature à dégrader auprès des consommateurs la façon dont ils considèrent l'intimée.

Au vu de l'importance et de la durée de la campagne, la condamnation comme le montant retenu par le tribunal de commerce seront confirmés.

Sur les mesures d'interdiction et de publication

La mesure d'interdiction concernant la diffusion des huit spots publicitaires, prononcée par le tribunal de commerce, sera confirmée et étendue aux dix spots publicitaires, au vu du caractère trompeur de la comparaison qui y est effectuée dont le consommateur n'a pas été correctement informé.

Pour autant, l'interdiction à la société Carrefour prononcée par le tribunal de commerce de toute pratique de publicité comparative reposant sur des modalités de comparaison similaires apparaît trop générale, et le jugement sera infirmé sur ce point.

De même, la demande présentée par la société ITM tendant à l'interdiction "de toute présentation comparant l'écart de prix moyen des différentes enseignes sur la base d'une méthodologie de comparaison dépourvue d'objectivité", telle que sollicitée par l'intimée, apparaît trop générale, et elle en sera déboutée.

Par ailleurs, au vu de l'écoulement du temps depuis la campagne de publicité et faute de démonstration de la persistance du message véhiculé dans l'esprit du public, il ne sera pas fait droit à la demande de publication, et le jugement sera réformé sur ce point.

Sur les autres demandes

La société Carrefour succombant au principal, elle sera condamnée au paiement des dépens.

Elle sera également condamnée au paiement de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Confirme le jugement, - en ce qu'il a jugé que la société Carrefour Hypermarchés n'avait pas respecté les dispositions du Code de la consommation et que ces manquements à la neutralité et l'objectivité d'une campagne de publicité comparative constituent des actes de concurrence déloyale, - en ce qu'il a condamné la société Carrefour au paiement à la société ITM d'une somme de 800 000 euros au titre de la réparation du seul préjudice d'image et de dénigrement, - en ce qu'il a interdit la diffusion de la publicité incriminé, - en ce qu'il a enjoint à la société Carrefour de cesser toute diffusion des huit spots publicitaires à la télévision et sur les sites Internet www.youtube.fr et www.lesprixlesplusbaslaconfianceenplus.carrefour.fr, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, - en ce qu'il a condamné la société Carrefour au paiement des dépens et sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; L'infirme pour le surplus ; Y ajoutant, Étend la mesure d'interdiction de diffusion aux 9e et 10e spots publicitaires, sous la même astreinte ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne la société Carrefour hypermarchés au paiement des dépens ; Condamne la société Carrefour hypermarchés au paiement de la somme de 25 000 euros à la société ITM sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.