Cass. com., 21 juin 2017, n° 16-12.539
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Sifam Trading (SAS)
Défendeur :
NGK Spark Plugs France (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
President :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Poillot-Peruzzetto
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Piwnica, Molinié
LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 décembre 2015), que la société Sifam France, filiale française de la Société de commercialisation de produits industriels, exerçant son activité sous la dénomination Sifam Trading (la société Sifam), elle-même spécialisée dans la distribution d'accessoires pour véhicules terrestres, s'est vu refuser, par lettre du 21 mai 2002 de la société NGK Spark Plug France (la société NGK), filiale d'un fabricant japonais de bougies d'allumage, la coopération qu'elle souhaitait établir avec la filiale malaise du groupe NGK, au motif que le renforcement du réseau de distribution de cette dernière n'était pas envisagé ; qu'à la suite d'une demande, le 24 mai 2006, de la société Sifam à la société NGK, les conditions d'une commande annuelle de bougies ont été discutées entre ces sociétés ; qu'en 2007, la société NGK, qui avait introduit une action en contrefaçon en Italie en 2006 et obtenu en France un arrêt définitif jugeant contrefaisantes les bougies importées des Etats-Unis sur le territoire européen par la société Sifam, a refusé d'honorer une commande passée par la société Sifam, au motif que la filiale italienne Sifam avait, depuis 2005, importé en contrefaçon sur le marché italien des bougies NGK en s'approvisionnant auprès d'une société américaine ; que le 28 novembre 2008, la société Sifam a assigné la société NGK aux fins de voir reconnaître qu'un contrat avait été conclu entre elles et de la condamner à honorer la commande ; qu'à la suite d'une plainte déposée par la société Sifam auprès de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, le rapport d'enquête ayant été versé aux débats, le tribunal a dit que la société NGK avait commis un abus de position dominante en refusant de livrer ses produits à la société Sifam et l'a condamnée au paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que la société Sifam fait grief à l'arrêt du rejet de ses demandes d'indemnisation au titre du refus de vente opposé par la société NGK France ; 1°) que sont prohibées, même par l'intermédiaire direct ou indirect d'une société du groupe implantée hors de France, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet, d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ; qu'il peut en aller ainsi du refus de vente opposé par une entreprise en position dominante ; qu'en s'abstenant dès lors de rechercher si le refus antérieur à toute action en contrefaçon opposé en 2001/2002 à la société Sifam par la société NGK, en position dominante, ne portait pas atteinte aux règles de la concurrence, peu important qu'aucune nouvelle sollicitation n'ait été formulée avant 2006, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 1°) et L. 420-2 du Code de commerce ; 2°) que le refus de vente injustifié constitue un abus de position dominante lorsqu'il est opposé par une entreprise en position dominante qui refuse de satisfaire des commandes ayant un caractère normal passées par des grossistes, puisqu'il établit une discrimination pouvant aller jusqu'à l'élimination de l'entreprise à laquelle le refus est opposé sur le marché en cause et/ou puisqu'il limite les débouchés au préjudice du consommateur ; qu'en reprochant dès lors à la société Sifam, grossiste ayant passé une commande présentant un caractère normal, de ne pas prouver les effets sur le marché du refus de vente injustifié dont elle avait été victime en 2007 de la part de la société NGK France, entreprise en position dominante, et en écartant dès lors tout abus de position dominante commis par cette dernière société, la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 1° et L. 420-2 du Code de commerce, et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; 3°) que le refus de vente injustifié constitue un abus de position dominante lorsqu'il est opposé par une entreprise en position dominante et qu'il a un effet sur le marché ; qu'en se bornant à juger que le cloisonnement du marché créé par le refus qui lui était opposé n'était pas démontré par la société Sifam et par le rapport de la Direccte qu'elle produisait, sans expliquer plus avant ce qui pouvait expliquer la décision d'exclure du marché cette entreprise française de dimension européenne qui remplissait toutes les conditions pour faire partie du réseau de distribution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 1° et L. 420-2 du Code de commerce, et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; 4°) que le refus de vente injustifié constitue un abus de position dominante lorsqu'il est opposé par une entreprise en position dominante et qu'il a un effet sur le marché ; que tel est le cas notamment lorsque la pratique incriminée porte atteinte aux intérêts des consommateurs ; qu'en jugeant pourtant que l'atteinte aux intérêts du consommateur était indifférente et en tout état de cause non établie, sans rechercher, comme cela lui était demandé, si le refus de vente incriminé n'avait pas empêché une diminution de prix des produits litigieux pour les consommateurs, peu important que le produit soit disponible ou non sur le marché, que ce marché soit déjà concurrentiel, qu'il existe ou non des substituts potentiels ou des possibilités de s'approvisionner ailleurs, ou encore que la société Sifam cherche également à protéger sa situation propre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 1° et L. 420-2 du Code de commerce, et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; 5°) que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en s'abstenant dès lors de répondre au moyen qui expliquait, pièces à l'appui, qu'il n'existait pas de produits véritablement substituables, dès lors que les bougies NGK équipaient la très grande majorité des motos neuves et que les clients réclamaient systématiquement des bougies de remplacement de la même marque que les bougies d'origine, les marchés de première et de seconde monte étant ainsi connexes, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 6°) que le refus de vente injustifié constitue une faute civile qui, lorsqu'elle entraîne un dommage, doit donner lieu à réparation sur le terrain du droit de la responsabilité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté que le refus de vente opposé en 2007 à la société Sifam par la société NGK France était injustifié ; qu'en se bornant à juger qu'en l'absence d'effet démontré sur le marché, ce refus de vente n'était pas constitutif d'un abus de position dominante et donc ne justifiait pas l'application des règles de droit de la concurrence, sans rechercher si la faute dont elle relevait l'existence n'avait pas causé un dommage à la société Sifam qu'elle aurait dû réparer sur le terrain du droit de la responsabilité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel n'ayant pas constaté de refus de vente en 2001/2002, mais seulement un refus d'agrément, le moyen, en sa première branche, manque en fait ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt relève que les distributeurs de la société NGK restaient libres de déterminer leur politique commerciale sans subir de contrainte de sa part et pouvaient s'approvisionner auprès de ses autres filiales européennes sans qu'elle ait imposé aux distributeurs de chaque Etat membre l'approvisionnement auprès d'un seul fournisseur et en déduit que le refus opposé n'entraîne aucun effet actuel ou potentiel de cloisonnement du marché ; qu'il relève encore que la société Sifam, qui dispose de solutions alternatives avec des bougies d'autres marques utilisées sur le marché de la seconde monte et peut s'approvisionner auprès de distributeurs agréés, n'est pas évincée du marché et que, si tel était le cas, la preuve des effets anticoncurrentiels avérés ou potentiels de cette éviction n'est pas rapportée ; qu'il relève en outre que l'innovation n'est pas limitée, que le produit, largement disponible sur le marché français, fait l'objet d'une concurrence par les prix entre les distributeurs agréés de sorte que le fonctionnement du marché national et communautaire n'est pas affecté ; qu'il en déduit qu'il n'est pas établi que le refus de vente ait eu des effets potentiels sur la concurrence ; qu'en l'état de ces énonciations, constatations et appréciations répondant aux conclusions prétendument délaissées, la cour d'appel, qui a fait une exacte application des dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en troisième lieu, qu'il ne résulte ni des conclusions d'appel ni de l'arrêt que la société Sifam ait soutenu que le refus d'honorer la commande constituât à lui seul une faute civile ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit ; d'où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.