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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 22 juin 2017, n° 16-10556

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fort et Clair (SARL)

Défendeur :

Albert Ménès (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schaller

Conseillers :

Mmes Du desset, Simon-Rossenthal

Avocats :

Mes Perrin, Sullo, Gourdon

T. com. Paris, du 18 avr. 2016

18 avril 2016

Faits et procédure

La société Fort et Clair est une agence de relations presse et relations publiques, intervenant dans les domaines du luxe, de la gastronomie, du vin, de l'art de vivre et de l'Internet.

La société Albert Ménès a pour activité la distribution de produits d'épicerie fine en France.

Depuis 1987, la société Albert Ménès a confié sa communication à Mme Jeannine Coureau qui exerçait une activité à titre libéral de conseil en relations publiques, cette relation s'étant poursuivie sur la base de contrats régulièrement renouvelés jusqu'en 2013.

En 2013, Mme Coureau, alors âgée de 64 ans, s'est rapprochée de Madame Laurence Desmousseaux qui exerçait la même activité au sein de la société Fort et Clair dont elle était la gérante. Madame Coureau a cédé sa clientèle à la société Fort et Clair par acte du 1er février 2013.

Par courriels du 6 mars et 8 avril 2013, Mme Coureau a informé la société Albert Ménès du rapprochement de ses activités avec celles de Mme Desmoussaux au sein de la société Fort et Clair.

Par courrier du 31 octobre 2013, la société Albert Ménès a notifié à la société Fort et Clair la fin de leur collaboration au 1er janvier 2014.

Le 15 novembre 2013, la société Fort et Clair a contesté cette rupture qu'elle a considérée comme étant brutale et a sollicité à ce titre une indemnisation de 59 217 euros de la part de la société Albert Ménès.

Par courrier du 6 décembre 2013, la société Albert Ménès a refusé de faire droit à cette demande qui sera réitérée par le conseil de la société Fort et Clair le 16 décembre 2013.

Par courrier du 9 janvier 2014, la société Albert Ménès a renouvelé son refus de faire droit à cette demande d'indemnisation.

C'est dans ces conditions que, par acte du 14 mars 2014, la société Fort et Clair a assigné la société Albert Ménès aux fins de condamnation à lui payer une indemnité pour rupture brutale de relations commerciales établies.

Par jugement du 18 avril 2016, le Tribunal de commerce de Paris a :

débouté la SARL Fort et Clair de l'ensemble de ses demandes ;

condamné la SARL Fort et Clair à payer à la SA Albert Ménès la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;

Vu l'appel interjeté le 9 mai 2016 par la société Fort et Clair à l'encontre de cette décision ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 5 juillet 2016 par la société Fort et Clair par lesquelles il est demandé à la cour de :

Condamner la société Albert Ménès à payer à la société Fort et Clair, à titre de dommages et intérêts, la somme de 59 217 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 28 novembre 2013 ;

Condamner la société Albert Ménès à payer à la société Fort et Clair la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Débouter la société Albert Ménès de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 31 août 2016 par la société Albert Ménès par lesquelles il est demandé à la cour de :

confirmer le jugement rendu le 18 avril 2016 par le Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions ;

débouter la société Fort et Clair de toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées contre la société Albert Ménès ;

condamner la société Fort et Clair à payer à la société Albert Ménès une somme de 5 000 euros, en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

La société Fort et Clair soutient que l'existence d'un contrat écrit n'est pas une condition exigée pour démontrer l'existence d'une relation commerciale établie, que la présence d'une clause de variabilité du prix dans l'acte de cession de clientèle ne démontrait rien quant à l'existence ou l'absence d'une relation commerciale établie, qu'il n'est pas contestable qu'une relation commerciale établie existait entre la société Fort et Clair et la société Albert Menès. Elle estime que du fait de la relation commerciale établie, elle pouvait espérer une continuité de son flux d'affaires avec la société Albert Ménès, ou tout au moins le respect d'un préavis suffisant. Elle fait valoir que la durée de la relation commerciale à prendre en compte est celle de la durée totale de la relation avant la cession de clientèle de Mme Coureau à la société Fort et Clair, soit 26 ans. Elle considère qu'une telle durée de relations fait naître une obligation de préavis d'au moins 24 mois et pas de 2 mois comme l'a retenu à tort le tribunal, que la rupture est brutale, que le préjudice subi correspond à la perte de marge brute qu'elle aurait réalisée sur la période de préavis de 22 mois restant dus, marge estimée à 85 % du chiffre d'affaires réalisé en moyenne sur les trois dernières années.

La société Albert Ménès soutient en réponse que la société Fort et Clair ne peut bénéficier de la relation commerciale ayant existé entre Mme Coureau et la société Albert Ménès, qu'elle ne peut se prévaloir d'une durée de préavis basée sur l'antériorité de cette relation, qu'elle ne peut justifier d'une transmission des droits au titre de la relation commerciale d'origine, qu'elle n'établit pas la volonté des parties de se placer dans le prolongement de la relation d'origine. Elle souligne que l'acte de cession de clientèle manifestait la liberté des clients de Mme Coureau de poursuivre ou non la relation avec la société Fort et Clair, que la société Albert Ménès a refusé de signer l'acte de formalisation de transmission de son contrat au profit de la société Fort et Clair. Elle précise que cette dernière ne justifie pas de l'existence d'une relation commerciale établie, ni de la durée du préavis ni encore du taux de marge de 85 % invoqués.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée, et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers [...] de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels, [...] ces dispositions ne faisant pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. " ;

Qu'une relation commerciale établie s'entend d'échanges commerciaux stables, conclus directement entre les parties ;

Qu'il est constant qu'un simple acquéreur d'un fonds de commerce ne peut se prévaloir ipso facto de la durée de la relation commerciale initialement nouée entre une société tierce et le cédant du fonds ;

Qu'en effet, la cession de clientèle ou la cession d'un fonds de commerce n'emporte pas cession des contrats conclus par le cédant, sauf stipulations expresses de la convention de cession et accord de la société tierce ;

Qu'en l'espèce, à supposer qu'il y ait eu une stipulation expresse dans l'accord de cession de clientèle entre Madame Coureau et la société Fort et Clair, encore faudrait-il que la société Albert Menès ait accepté la poursuite de la relation commerciale initialement nouée entre la société Albert Ménès et Mme Coureau ;

Mais considérant d'une part que si la convention de cession de clientèle mentionne expressément la relation avec la société Albert Ménès, elle fait également état du fort intuitu personae caractérisant la relation commerciale établie entre la société Albert Ménès et Mme Coureau, entraînant par conséquent un risque de perte de clientèle, ce qui ne peut être considéré comme une stipulation expresse valant cession de contrat ;

Qu'au demeurant, la société Fort et Clair a payé un prix d'achat de la clientèle moindre, en prévision de ces éventuelles ruptures et ainsi de cet aléa ;

Qu'en conséquence, elle ne peut soutenir, sans se contredire, avoir anticipé une continuité des flux d'affaires avec la société Albert Ménès ;

Que rien ne permet de considérer que la convention de cession garantisse qu'une relation commerciale stable et établie puisse se poursuive entre la société Fort et Clair et la société Albert Ménès ;

Considérant d'autre part et à titre surabondant qu'il n'est pas établi que la société Albert Ménès ait donné son accord à la poursuite de la relation contractuelle initialement nouée avec Mme Coureau ;

Que le fait que la société Fort et Clair ait repris le flux d'affaires de Mme Coureau en réalisant des prestations identiques sans interruption au moment de la cession, et que la société Albert Ménès se soit acquittée des factures de la société Fort et Clair sans formuler de contestation, ne permet tout au plus que d'établir qu'elle était informée de la cession de clientèle intervenue, mais pas qu'elle ait donné son accord à la poursuite de la relation commerciale initialement nouée entre la société Albert Menès et Madame Coureau ;

Qu'au demeurant, la société Albert Ménès a refusé de signer le contrat proposé par la société Fort et Clair afin d'encadrer leurs relations ;

Qu'en conséquence, l'existence d'une relation commerciale stable reprenant l'antériorité de la relation avec Madame Coureau n'est pas établie entre la société Fort et Clair et la société Albert Ménès ;

Qu'il en résulte que la relation commerciale existant entre la société Fort et Clair et la société Albert Ménès, qui n'a en réalité commencé que le 1er février 2013, n'a ainsi duré que 9 mois avant que la rupture n'intervienne, qu'il s'agissait d'une période de transition au cours de laquelle la société Albert Ménès n'a pas accepté la signature du contrat qui lui était proposé, ce qui ne caractérise pas une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Qu'en tout état de cause, le préavis de 2 mois accordé par la société Albert Ménès par lettre du 31 octobre 2013 était suffisant au regard de cette durée ;

Que c'est dès lors à juste titre que les premiers juges ont débouté la société Fort et Clair de ses demandes ;

Qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions;

Considérant qu'il est inéquitable de laisser à la charge de la société Albert Ménès le montant de ses frais irrépétibles ;

Qu'il convient de condamner la société Fort et Clair à lui payer la somme 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Considérant que la société Fort et Clair, qui succombe, supportera les dépens ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, condamne la société Fort et Clair à payer à la société Albert Ménès la somme de 5 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; condamne la société Fort et Clair aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Frédéric Gourdon, membre de l'Association Vatier & Associés et avocat au barreau de Paris, toque P82, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.