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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. civ., 21 juin 2017, n° 15-00800

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Agrifoy Sainte Foy (SAS)

Défendeur :

Rousseau (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chelle

Conseillers :

Mme Fabry, M. Pettoello

Avocats :

Mes Galy, Alteirac, Berland

T. com. Bergerac, du 5 déc. 2014

5 décembre 2014

FAITS ET PROCÉDURE

Selon facture du 26 août 2008, la société Agrifoy a vendu cinq cuves, deux pour le stockage de vin et trois pour la vinification, à l'EARL Vignobles Castaing livrées le 8 septembre et payées le 18 septembre suivants.

Les cuves avaient acquises auprès de la société Rousseau SA.

Le 13 octobre 2009, la société Vignobles Castaing déclarait un sinistre à sa compagnie d'assurances AGF à la suite de la découverte le mois précédent dans ses vins de styrène en quantité supérieure aux normes admises.

Une expertise amiable en présence des sociétés Agrifoy et Rousseau était diligentée et des échantillons de vins provenant des cuves litigieuses étaient analysés par le laboratoire Duvernet le 18 janvier 2010 qui confirmait les premières constatations.

Le 19 août 2010, les Vignobles Castaing assignaient Agrifoy devant le Tribunal de grande instance de Bergerac aux fins de paiement à titre provisionnel de la somme de 23 200 euros correspondant au prix d'achat des cuves.

Le 22 septembre 2010, Agrifoy assignait à son tour la société Rousseau aux fins de se voir relever indemne et garantie des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au profit de Vignobles Castaing au titre des vices cachés.

Le juge des référés du Tribunal de grande instance de Bergerac rendait deux décisions.

Par ordonnance du 19 octobre 2010, il condamnait la société Agrifoy au paiement de la provision demandée en considérant qu'il n'existait pas de contestation sérieuse sur la garantie due au titre de l'article 1641 du Code civil.

Par ordonnance du 18 janvier 2011, il retenait une contestation sérieuse portant sur l'existence d'un défaut des cuves et déboutait Agrifoy de ses demandes à l'encontre de la société Rousseau.

A la suite, la société Agrifoy a exécuté sa condamnation du 19 octobre et payé la somme de 24 636,27 euros et elle a interjeté appel des deux ordonnances.

Par arrêt du 19 mars 2012, la cour d'appel de céans a joint les deux procédures, infirmé l'ordonnance du 19 octobre 2010, dit n'y avoir lieu à référé, condamné l'EARL Vignobles Castaing à payer la somme de 2 000 euros à la société Agrifoy sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile outre les dépens engagés dans le cadre de la procédure qu'elle a initié à l'encontre de la société Agrifoy, confirmé l'ordonnance du 18 janvier 2011 dans toutes ses dispositions.

Par ailleurs, par acte du 24 février 2011, la société Vignobles Castaing avait assigné au fond la société Agrifoy aux fins de prononcer la résolution de la vente des cuves litigieuses, se faire rembourser le prix d'achat à hauteur de 23 202,40 euros et être indemnisée de ses pertes d'exploitation évaluées à 95 160 euros et de frais bancaires pour 1 094,15 et 95,31 euros.

Par jugement réputé contradictoire du 13 mai 2011, le Tribunal de grande instance de Bergerac statuait dans les termes de l'assignation sauf à réduire la condamnation en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et ordonnait l'exécution provisoire.

La société Agrifoy interjetait appel et par arrêt du 20 décembre 2012, la cour d'appel confirmait le jugement, reconnaissant ainsi l'existence du vice caché affectant les cuves vendues aux Vignobles Castaing.

Le 17 avril 2013, la société Agrifoy assignait la société Rousseau en paiement à titre provisionnel de la somme de 101 882,03 euros.

Par ordonnance du 9 août suivant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Bergerac renvoyait l'affaire au fond devant le tribunal de commerce.

Par jugement contradictoire du 5 décembre 2014, le Tribunal de commerce de Bergerac a ainsi statué :

Déclare la société Agrifoy irrecevable en sa demande,

Condamne la société Agrifoy à payer à la société Rousseau la somme de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Laisse les dépens à la charge de la société Agrifoy.

Le tribunal a considéré que le contrat entre les sociétés Agrifoy et Rousseau était un contrat de vente et non la commande d'une prestation spécifique, qu'à ce titre l'action se prescrivant par deux ans à compter du 24 février 2011, elle était acquise le 24 février 2013 et l'action de la société Agrifoy était irrecevable au jour de son assignation délivrée à la société Rousseau.

Par déclaration faite au greffe le 5 janvier 2015, la société Agrifoy a interjeté appel de la décision.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières écritures en date du 28 avril 2017 auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens et arguments, la société Agrifoy demande à la cour de :

Vu les articles 1710 et 1641 et suivants du Code civil,

Vu les articles 2241 et suivants du Code de procédure civile,

Il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :

Recevoir la concluante en ses écritures et l'y déclarer recevable et bien fondée;

Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau,

Sur la recevabilité

Dire et juger que la société Rousseau a réalisé 5 cuves pour le compte de la société Agrifoy dans le cadre d'un contrat d'entreprise;

Dire et juger que son action est recevable

A titre subsidiaire, si le jugement devait être confirmé en ce qu'il a jugé que le contrat liant les sociétés Agrifoy et Rousseau était un contrat de vente

Dire et juger que le délai de prescription a été valablement interrompu par l'assignation en référé du 22 septembre 2010 jusqu'à l'arrêt définitif du 19 mars 2012

Dire et juger que l'action de la société Agrifoy est recevable

Sur le fond :

Dire et juger que la société Rousseau a manqué à son obligation de résultat en réalisant cinq cuves non conformes et affectées de vices ;

Dire et juger que la responsabilité de la société Rousseau est engagée à ce titre,

Condamner la société Rousseau au paiement de la somme de 101 882,03 euros

A titre subsidiaire, si le jugement devait être confirmé en ce qu'il a jugé que le contrat liant les sociétés Agrifoy et Rousseau était un contrat de vente

Dire et juger que les cuves sont affectées d'un vice les rendant impropres à l'usage auquel la société Agrifoy et son acheteur la société vignobles Castaing les destinaient

Condamner la société Rousseau au paiement de la somme de 101 882,03 euros

En toute hypothèse :

Condamner la société Rousseau à régler à la société Agrifoy la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La société Agrifoy fait valoir la recevabilité de son action en considérant que c'est à tort que le tribunal a retenu que le contrat qu'elle avait conclu avec la société Rousseau était un contrat de vente en comparant le devis présenté à la société Castaing et sa commande à la société Rousseau. Elle explique en fait qu'elle a répercuté la demande de Castaing à la société Rousseau qui lui a fourni les produits que Castaing lui demandait qui devaient répondre à ses besoins spécifiques hors catalogue de fournisseur. Elle considère donc qu'elle était liée par un contrat de louage et qu'à ce titre son action n'est pas prescrite.

Subsidiairement, elle fait également valoir qu'elle avait engagé une action en référé à l'encontre de la société Rousseau le 22 septembre 2010 pour laquelle la décision a été rendue en 2012, qu'ainsi le cours de la prescription n'ayant repris qu'à partir de l'arrêt de la cour d'appel le 19 mars 2012, son assignation le 17 avril 2013, avant le 19 mars 2014, est bien recevable. Elle conteste les arguments de l'intimée qui fait valoir que le rejet de la demande en référé au regard de l'existence d'une contestation sérieuse rend l'interruption de prescription non avenue, alors que selon elle, la cour n'a rejeté que les demandes de la société Castaing, rendant sa demande à l'encontre de la société Rousseau sans objet. Ainsi, elle estime que la cour n'ayant pas rejeté formellement sa demande, l'effet interruptif de son assignation ne peut pas être non avenu.

Sur la responsabilité de la société Rousseau, tenue aux termes du contrat d'une obligation de résultats, elle fait valoir que le vice caché sous forme de styrène dans les vins entreposés dans les cuves litigieuses n'est pas contesté, qu'elle n'est qu'intermédiaire entre le client utilisateur des cuves et leur fabricant qui a reconnu sa responsabilité, qu'elle est donc bien fondée à réclamer les sommes qu'elle a réglées au titre de sa condamnation.

Dans ses dernières écritures en date du 23 octobre 2015 auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens et arguments, la société Rousseau demande à la cour de :

Vu les articles 1641 et suivants du Code civil ;

Vu les articles 1710 et suivants du Code civil ;

A titre principal :

Confirmer en tous points le jugement du Tribunal de commerce de Bergerac du 5 décembre 2014.

Dire et juger que le contrat conclu entre la société Agrifoy et la société Rousseau est un contrat de vente.

Dire et juger irrecevable l'action engagée par la société Agrifoy en raison de la prescription de l'article 1648 du Code civil.

A titre subsidiaire :

Constater que la société Agrifoy ne fonde pas juridiquement son action.

Dire et juger que la société Agrifoy ne démontre pas l'existence d'une responsabilité de la société Rousseau.

Débouter la société Agrifoy de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Condamner la société Agrifoy au paiement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'intimée fait valoir que la prescription est acquise sur le fondement de l'action en garantie des vices cachés qui aurait dû être engagée avant le 24 février 2013, alors qu'elle ne l'était que le 17 avril suivant et que l'action en référé qui s'est soldée par un rejet n'a pas pu avoir d'effet interruptif. Elle expose que contrairement aux affirmations de l'appelante son action en référé à son encontre a bien fait l'objet de deux rejets par le juge puis la cour et qu'il s'en suit que les dispositions de l'article 2243 du Code civil lui sont bien applicables.

Sur la qualification du contrat intervenu entre elle et la société Agrifoy, elle fait d'abord valoir que cette dernière, qui a engagé ses actions en référé sur le fondement de l'article 1641 du Code civil visant le vice caché et sur lequel elle a été condamnée au profit de la société Castaing, a désormais modifié le fondement de son action en visant les dispositions de l'article 1710 du même Code relatif au contrat d'entreprise tout en maintenant sa demande de constat que les ouvrages sont affectés d'un vice les rendant impropres à leur usage.

Elle conteste que la commande de la société Castaing ait été de particulière spécificité eu égard au matériel recherché qui ne comportait que quelques aménagements accessoires au contrat non susceptibles d'affecter la nature juridique du contrat, rappelant que l'appréciation des parts respectives de l'élément matériel et l'élément façon relève du juge du fond, estimant que l'argumentation de l'appelante ne viserait qu'à échapper à la prescription encourue.

Elle en déduit la confirmation du jugement ayant prononcé l'irrecevabilité de la demande de l'appelante.

Subsidiairement dans le cas contraire, elle considère la demande mal fondée d'une part du fait que les décisions rendues entre les sociétés Agrifoy et Castaing lui sont inopposables, n'ayant jamais été appelée en cause alors qu'elle avait des arguments pour faire écarter sa responsabilité. Elle estime qu'il appartient à l'appelante de démontrer la responsabilité du fabricant alors que les analyses des laboratoires ne permettent à selon elle de l'établir et qu'elle n'a jamais admis sa responsabilité d'ailleurs écartée par son expert.

Par ordonnance en date du 3 mai 2017, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction et renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 24 mai 2017.

EXPOSE DES MOTIFS

Le débat est en premier lieu celui de la qualification du contrat liant les parties puisque l'appelante, pour conclure à la réformation du jugement, soutient que la convention n'était pas une vente mais un contrat de louage d'ouvrage.

Pour considérer que tel est le cas elle fait valoir qu'il ne s'agissait pas de commander un produit présent au catalogue selon une référence pré déterminée mais au contraire commander un travail spécifique destiné à répondre aux besoins particuliers de son donneur d'ordre.

Si ceci n'est pas parfaitement déterminant, il convient cependant de rappeler qu'initialement l'appelante elle-même se fondait sur les dispositions des articles 1641 et suivants du Code civil et donc sur un contrat de vente. Il apparaît surtout que la commande faite à la société Rousseau qui portait sur des cuves à vin comportait des spécifications techniques simples de contenance et de dimensions auxquelles il a été ajouté certains éléments, à savoir un levier à cheminée et un dégustateur sur bride. Ces derniers équipements s'apparentent davantage à des options qu'à une adaptation spécifique. Le fait que la commande soit particulière et ne porte pas sur une référence catalogue ne modifie pas la situation de fait d'où il résulte qu'il était commandé des cuves présentant certaines caractéristiques sans que cela relève d'une spécificité technique qui ferait prévaloir le travail sur la fourniture d'un produit. Il s'en déduit que si le contrat présentait certaines données imposant un travail particulier cela relevait d'un accessoire au contrat principal qui demeurait une vente de cuves. La cour observe ainsi que les données transmises par Agrifoy à son co-contractant étaient particulièrement simples, pour ne pas dire sommaires (contenance, diamètre des cuves, forme rectangulaire des portes, vannes dont le diamètre pouvait être de 40 ou de 50 et l'ajout d'un dégustateur). S'agissant d'une commande à un fournisseur de cuves, les adaptations demandées ne pouvaient donc être que mineures et ne pouvaient en aucun cas modifier la qualification du contrat qui demeure bien un contrat de vente.

La référence aux dispositions des articles 1710 et suivants du Code civil devient donc inopérante. Le fondement de l'action ne peut donc procéder que des dispositions des articles 1641 et suivants du Code civil, fondement donné à l'origine des procédures à titre principal à l'action puis devenu subsidiaire. À ce titre le débat est celui de la prescription de l'article 1648 du Code civil.

Pour conclure à la recevabilité de son action, l'appelante invoque l'effet interruptif de prescription de son instance en référé initiale introduite par l'assignation du 22 septembre 2010 et soutient que le délai n'aurait recommencé à courir qu'à compter du prononcé par la cour de céans de son arrêt du 19 mars 2012.

La cour ne saurait la suivre dans une telle analyse. En effet, il résulte des dispositions de l'article 2243 du Code civil que l'interruption de prescription procédant d'une demande en justice est non avenue si la demande est définitivement rejetée. La constatation par le juge des référés de l'existence d'une contestation sérieuse emporte rejet sur le fond même du référé et donc du caractère non avenu de l'interruption. Or, il apparaît que sur l'assignation qui a été délivrée à la société Rousseau le juge des référés a rendu une ordonnance le 18 janvier 2011 (non produite aux débats mais dont les énonciations sont reprises dans l'arrêt du 19 mars 2012) constatant l'existence d'une contestation sérieuse et déboutant la société Agrifoy de toutes ses demandes. Cette ordonnance a été confirmée en toutes ses dispositions par l'arrêt du 19 mars 2012. Peu importe à ce titre que dans ce même arrêt, après jonction des procédures, la cour ait statué sur la demande formée par l'acquéreur final à l'encontre d'Agrifoy, au demeurant pour constater là encore l'existence d'une contestation sérieuse et dire n'y avoir lieu à référé. En effet, il apparaît que, s'agissant des parties à la présente instance, l'ordonnance de référé du 18 janvier 2011 constatait bien l'existence d'une contestation sérieuse et déboutait en conséquence la société Agrifoy de ses demandes et a fait l'objet d'un arrêt confirmatif. L'appelante fait cependant valoir que dès lors que la seconde ordonnance était relative à un appel en garantie et que la première ordonnance était infirmée, la cour ne pouvait apprécier le recours à l'encontre de la seconde ordonnance et qu'il n'existe aucun motif à ce titre. Il n'en demeure pas moins que l'ordonnance a bien été confirmée et qu'en toute hypothèse la cour constatait qu'il existait une contestation sérieuse pour le tout, c'est-à-dire même au titre des dispositions ayant donné lieu à condamnation provisionnelle entre Agrifoy et l'acquéreur final, de sorte qu'il existait bien un rejet du référé tant principal qu'en garantie.

Il s'en déduit que l'effet interruptif de l'assignation en référé est bien non avenu sans que l'appelante puisse soutenir que l'arrêt du 19 mars 2012 a fait courir un nouveau délai de deux ans. Dès lors que l'appelante avait elle-même été assignée au fond par son acquéreur le 24 février 2011, elle devait introduire sa propre action avant le 24 février 2013. Elle ne l'a fait que par l'assignation du 17 avril 2013 de sorte que c'est à bon droit que les premiers juges ont constaté qu'elle l'avait été hors délai et que les prétentions étaient irrecevables.

Le jugement sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.

L'appel étant mal fondé, l'appelante sera condamnée au paiement de la somme de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Bergerac du 5 décembre 2014, Y ajoutant, Condamne la SAS Agrifoy Sainte Foy à payer à la SAS Rousseau la somme de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS Agrifoy Sainte Foy aux dépens.