CA Paris, Pôle 2 ch. 3, 26 juin 2017, n° 17-06836
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
JC Decaux (SA) , Compagnie d'Assurances Chubb Insurance Company of Europe SE
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ralincourt
Conseillers :
Mmes Nicoletis, Rey
Avocats :
Mes Balon, Capdevila
Le 22 avril 2010, vers 21h45, à hauteur du 47 boulevard de la Tour Maubourg à Paris, M. Y Barthe, âgé de 25 ans, a chuté sur la chaussée, après avoir été projeté en avant, alors qu'il circulait en bicyclette de location, dite " Vélib ", et a été blessé.
L'accident a eu deux témoins, M. Thomas et de Mme Valérie, amis de M. Y.
Par actes des 25 février et 4 mars 2013, M. Y a fait assigner la société JC Decaux et son assureur la société Chubb Insurance Company of Europe SE en indemnisation de ses préjudices corporel et matériel, et la Société Mutualiste des Etudiants de la Région Parisienne (SMEREP) en déclaration de jugement commun.
Par jugement du 29 avril 2014, le Tribunal d'instance du 7ème arrondissement de Paris a :
- déclaré l'action de M. Y recevable,
- rejeté ses demandes,
- rejeté la demande de la société JC Decaux et de la société Chubb Insurance Company of Europe au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- laissé les dépens de l'instance à la charge de M. Y.
Par déclaration du 17 juillet 2014, M. Y a interjeté appel de ce jugement et a fait assigner la CPAM de Paris en déclaration d'arrêt commun.
Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 14 avril 2017, par lesquelles M. Y demande à la Cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déclaré recevable en son action dirigée contre la société JC Decaux et la société Chubb Insurance ;
- l'infirmer pour le surplus,
- déclarer la société JC Decaux entièrement responsable de l'accident dont il a été victime le 22 avril 2010,
- condamner in solidum la société JC Decaux et son assureur la société Chubb Insurance à lui payer les sommes de :
* 6 817,50 euros en réparation de son préjudice corporel,
* 1 500 euros en réparation de son préjudice matériel,
* 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- rejeter toutes les demandes de la société JC Decaux et son assureur la société Chubb Insurance
- déclarer l'arrêt à intervenir commun à la SMEREP et à la CPAM de Paris.
Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 10 avril 2017, par lesquelles la société JC Decaux et la société Chubb Insurance Company of Europe SE demandent à la Cour de :
A titre principal,
- dire et juger que la société JC Decaux n'avait pas la qualité de gardien du "Vélib",
- en conséquence, rejeter les demandes de M. Y en ce qu'elles sont fondées sur l'article 1384 alinéa 1er du Code civil,
- constater que M. Y ne justifie pas de la qualité de fabricant de la société JC Decaux du "Vélib" litigieux,
- en conséquence, rejeter l'ensemble de ses demandes,
- en tout état de cause, dire et juger que M. Y ne rapporte pas la preuve, dont la charge lui incombe, du caractère défectueux du "Vélib", ni du lien de causalité entre le défaut allégué et le dommage,
- en conséquence, dire et juger que la responsabilité du fabricant ne saurait être recherchée sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du même Code,
- rejeter l'ensemble des demandes de Monsieur Y, Subsidiairement,
- dire et juger que M. Y a commis une faute de nature à supprimer la responsabilité du fabricant.
- en conséquence, rejeter ses demandes,
- constater que tant la SMEREP que la CPAM de Paris n'ont pas constitué avocat suite à l'assignation qui leur a été délivrée à la requête de M. Y et donc qu'aucune demande n'est formée dans leur intérêt,
A titre subsidiaire,
- rejeter la demande de M. Y en indemnisation du déficit fonctionnel temporaire total et de la tierce personne,
- réduire à de plus justes proportions le montant de l'indemnité qui sera, le cas échéant, allouée à M. Y en réparation des souffrances endurées, et du préjudice esthétique temporaire,
- rejeter la demande de M. Y en indemnisation du préjudice matériel,
Subsidiairement, dire que l'indemnisation de l'ordinateur portable ne saurait excéder la somme de 929,46 euros et constater que le dommage vestimentaire est inférieur à 500 euros, - condamner M. Y à payer à la société JC Decaux et à la compagnie CHUBB une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par courrier du 16 janvier 2017, la CPAM de Paris a fait savoir que sa créance définitive s'élève à la somme de 139,91euros, au titre des frais médicaux.
La SMEREP n'a pas constitué avocat et n'a pas fait connaître l'existence d'une éventuelle créance.
Cela étant exposé, LA COUR
M. Y soutient que, tant sa déclaration que les témoignages recueillis établissent que sa chute par-dessus la bicyclette est due à une rupture brutale de la fourche et qu'il importe peu de savoir si cette rupture est due à un vice intrinsèque de la machine ou à un trou dans la chaussée, ou aux deux causes, le mauvais état de la chaussée n'étant pas de nature à exonérer la société JC Decaux de sa responsabilité encourue en qualité de fabricante du "vélib", sur le fondement des articles 1384 al. 1er ou 1386-1 du Code civil, devenus 1242 et 1245 et suivants du Code civil.
En réplique, les sociétés JC Decaux SA et Chubb Insurance Company of Europe SE font valoir :
- d'une part, que la responsabilité de la société JC Decaux ne peut être recherchée sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1er du Code civil, puisque le gardien du "Vélib" était M. Y au moment de l'accident,
- d'autre part, que M. Y ne justifie pas de la qualité de fabricant de la société JC Decaux et ne rapporte la preuve, qui lui incombe, ni du caractère défectueux du "vélib", ni du lien de causalité entre le défaut allégué et le dommage.
Les intimés contestent que la fourche du "Vélib" se soit cassée, mais soutiennent qu'elle s'est pliée vers l'utilisateur au moment du passage de la bicyclette dans un trou de la chaussée et du blocage de la roue, ce qui a entraîné la chute de M. Y, de sorte que cette chute est la conséquence de l'imprudence de ce dernier qui a roulé sur un " nid de poule ".
En premier lieu, sur le fondement de l'article 1384 al. 1er devenu 1242 du Code civil, M. Y, locataire et conducteur du "vélib" litigieux, en avait l'usage, la direction et le contrôle au moment de l'accident. Il en était donc gardien et ne peut agir à l'encontre de la société JC Decaux sur le fondement du texte précité.
En second lieu, sur le fondement des articles 1386-1 et suivants devenus 1245 et suivants du Code civil, en droit, l'article 1386-1 devenu 1245 du Code civil dispose : le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
L'article 1386-7 alinéa 1er devenu 1245-6 du Code civil dispose : si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur (...) est responsable du défaut de sécurité du produit dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée.
En l'occurrence, la société JC Decaux fait valoir que sa qualité de " fabricant " (sic) n'est pas justifiée par M. Y, mais elle n'a pas désigné le producteur du produit litigieux, en application du texte précité.
L'action engagée par M. Y à l'encontre de la société JC Decaux est dès lors recevable concernant l'intérêt à agir de l'appelant.
L'article 1386-9 devenu 1245-8 du Code civil dispose : le demandeur doit prouver le dommage, le défaut, et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
L'article 1386-4 devenu 1245-3 alinéas 1 et 2 du Code civil dispose :
Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
En fait, la déclaration d'accident produite par M. Y énonce : " Arrivé à la hauteur du numéro 47 boulevard de la Tour Maubourg, la fourche avant du vélo se plia provoquant un arrêt brutal de celui-ci et ma subséquente projection sur la chaussée ".
M. Thomas a établi l'attestation suivante : " Après avoir parcouru 30 à 40 mètres environ, Matthieu Y était devant Valérie et moi-même, sa roue avant s'est bloquée et il est passé par-dessus le vélib. () La fourche semble avoir cédé suite à un trou dans le bitume ".
Mme Valérie née a établi l'attestation suivante : " Après quelques mètres, le vélo que Matthieu Y avait loué s'est arrêté brutalement entraînant sa chute vers l'avant du vélo. Celle-ci a été tellement sèche que M. Y est tombé sur sa tête et ensuite sur ses coudes. La fourche du vélo était pliée (et semblait manifestement avoir cédée). "
Il ressort de ces déclarations, et il n'est pas contesté par M. Y, que le "vélib" qu'il a pris en location le 22/04/2010 fonctionnait normalement quand il a commencé à l'utiliser, puis que la roue avant ne s'est bloquée, provoquant l'arrêt subit de l'engin, que lorsqu'il était en circulation.
Les photographies produites par les intimées (pièces n° 3) démontrent que la fourche du "vélib" litigieux présente une déformation (pliure) vers l'arrière.
M. Dominique, responsable d'exploitation Vélib, atteste que 'L'état de la fourche laisse supposer que le vélo a subi un choc qui a entraîné le défaut (fourche pliée) observable sur le vélo'.
L'ensemble de ces éléments fait présumer, de manière grave, précise et concordante, que la fourche du "vélib" loué par M. Y était intacte lors de la prise de possession de la bicyclette par ce dernier, qu'elle a subi une déformation (pliure) vers l'arrière en cours de circulation sous l'effet d'un choc, et que cette déformation a provoqué le retrait de la roue avant vers l'arrière et son blocage instantané contre le cadre de la bicyclette, et donc l'immobilisation aussi instantanée de l'engin lui-même.
M. Y et le témoin Valérie sont demeurés taisants sur les circonstances et la cause du choc ayant provoqué la déformation de la fourche du "Vélib" loué par l'appelant.
Le témoin Thomas a énoncé, de manière imprécise et peu explicite, que " la fourche semble avoir cédé suite à un trou dans le bitume ".
En l'état de ces seuls éléments, M. Y ne démontre ni que la déformation de la fourche du "Vélib" litigieux est survenue à l'occasion de l'usage qui peut raisonnablement être attendu de cet engin, ni, par conséquent, que ledit "Vélib" (intact et roulant en début de location) n'offrait pas une sécurité normale.
Plus spécialement, en raison du silence ou de l'imprécision de l'appelant et des témoins sur les circonstances et la cause du choc ayant provoqué la déformation de la fourche du "Vélib" litigieux, M. Y ne démontre pas que la bicyclette qu'il a prise en location présentait une résistance mécanique et structurelle moindre que celle à laquelle il pouvait légitimement s'attendre dans le cadre d'une utilisation normale de cet engin.
La carence probatoire de M. Y, au sens de l'article 1386-9 devenu 1245-8 du Code civil, induit le rejet de son action.
M. Y, partie perdante, supportera les dépens d'appel.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile en faveur des intimées.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement du Tribunal d'instance du 7e arrondissement de Paris en date du 29 avril 2014 ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Dit le présent arrêt commun à Société Mutualiste des Etudiants de la Région Parisienne (SMEREP) et à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Paris ; Condamne M. Matthieu Y aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.