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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 5 juillet 2017, n° 17-08926

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Terminaux de Normandie (SAS) , Terminal Porte Océane (SA), Ateliers de Normandie (SARL), Dockers de Normandie (SAS), Portiques de Normandie Assistance (SAS)

Défendeur :

NYK Group Europe (Sté), OOCL Logistics (Europe) Limited (Sté), Orient Overseas Container Line Limited (Sté), APL (Sté), Hapag-Lloyd (Sté), Hyundai Merchant Marine (Europe) Limited (Sté), Mol Europe BV (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Grappotte-Benetreau, Calla, Michel, Mazot, Courtois, Lequette, Ingold, Trotsky, Hunkeler

T. com. Lille Métropole, prés., du 27 ma…

27 mars 2017

Faits et procédure

La société Terminaux de Normandie (" TN ") est une société française, filiale du groupe Perrigault, qui exerce une activité de manutentionnaire portuaire au Havre. Elle propose " un ensemble global de services dans la manutention de conteneurs et du fret en général ", annonçant, sur son site Internet, pouvoir manutentionner " près de 2 000 000 d'EVP (Equivalent Vingt Pieds) annuellement - avec des possibilités d'extension - (la) plaçant parmi les plus grands manutentionnaires français ". Il est également indiqué sur le site que " Stratégiquement situé au Havre - comme le premier port d'escale parmi les principaux ports d'Europe du Nord - le groupe TN possède 2 terminaux à conteneurs offrant un accès rapide et facile à tous les modes de transport de marchandises et l'accès direct au port ".

Pour offrir ses services de manutention portuaire aux différentes compagnies maritimes mondiales, elle s'appuie sur les infrastructures et les prestations des sociétés suivantes :

- la société Terminal Porte Océane (" TPO "), société soeur de la société TN, qui exploite un terminal de manutention portuaire (le Terminal Porte Océane) sur la récente extension du Port du Havre (dite " Port 2000 ") ;

- la société Dockers de Normandie (" DN "), filiale de la société TN à 99 %, qui emploie les dockers rattachés à l'activité de la société TPO ; ainsi qu'il est mentionné sur le site Internet de TN : " Dockers de Normandie fonctionne comme un pool au service de l'ensemble des terminaux du Groupe, aussi bien dans le domaine des conteneurs, que de l'activité Ro-Ro voiture ou encore du conventionnel (petite manutention, colis lourds, etc.) " ;

- les sociétés Ateliers de Normandie (" AN ") et Portiques de Normandie Assistance (" PNA "), qui ont pour activité la réparation, le dépannage et la maintenance des outils et installations nécessaires à l'activité de manutention sur le Terminal Porte Océane.

Les sociétés Terminaux de Normandie, Terminal Porte Océane, Dockers de Normandie, Ateliers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance seront appelées " les sociétés TN ".

Les sociétés APL, Hapag-Lloyd, Hyundai Merchant Marine, Mol Europe, NYK Group Europe et OOCL Logistics (Europe) Limited sont des armateurs maritimes, ou " armements ", parmi les plus importants au monde :

- la société APL est une filiale du groupe CMA CGM, troisième armement mondial, depuis 2016, qui a un chiffre d'affaires consolidé d'environ 19,5 milliards d'euros,

- la société allemande Hapag-Lloyd est le cinquième plus important armement maritime au monde, avec un chiffre d'affaires consolidé d'environ 8,8 milliards d'euros,

- la société Hyundai Merchant Marine est une filiale sud-coréenne du groupe Hyundai, dont le chiffre d'affaires consolidé s'élève à 14 milliards d'euros,

- la société MOL est une filiale du groupe japonais Mitsui-OSK Line, avec un chiffre d'affaires consolidé d'environ 14,5 milliards d'euros,

- la société NYK est une filiale du groupe japonais Nippon Yusen Kaisha Group, dont le chiffre d'affaires consolidé s'élève à 19 milliards d'euros,

- la société OOCL est la filiale française du groupe hongkongais OOIL (Orient Overseas International), avec un chiffre d'affaires consolidé de 6 milliards d'euros.

Ces armements ont, depuis plusieurs années, fait appel aux prestations de manutention des sociétés TN et représentaient, notamment, une part importante du chiffres d'affaires de la société TN.

Ils opèrent à travers des alliances maritimes au sein desquelles ils se regroupent pour mutualiser leurs coûts, face à une baisse tendancielle des tarifs du frêt maritime, qui a entraîné la baisse de leurs revenus. Les alliances sont basées sur le principe d'accords de partage d'espaces (" vessel sharing agreements " ou " VSA ") qui leur permettent de charger leurs conteneurs sur les navires des uns et des autres pour mieux se répartir les routes maritimes. Partager les porte-conteneurs permet d'en limiter le nombre et d'améliorer les taux de remplissage par rapport à une situation où chacun chargerait exclusivement sur ses propres navires. L'intérêt des alliances est aussi de permettre de négocier globalement avec les différents prestataires de services portuaires.

Les sociétés ci-dessus faisaient partie de l'une des quatre alliances mondiales existant à l'époque, le " G6 ", créée en 2012, dont la société Huyndai était le " leader ", à savoir le représentant des autres parties au sein de l'alliance et l'interlocuteur des tiers.

Le 21 août 2012, un contrat intitulé " Terminal Contract " a été conclu entre la société TN d'une part et les six armements, membres du groupement G6 d'autre part, soit les sociétés APL, Hapag Lloyd, Huyndai, Mol, NYK et OOCL. Ce contrat n'a été signé que par la société TN et son objet portait sur la manutention exclusive des navires du groupement G6 opérant sur le terminal TPO de " Port 2 000 ". Toutefois, les tarifs de manutention ont été annuellement signés par l'ensemble des armements, lesquels se réfèrent aux prestations afférentes audit contrat (pièces TN n° 8 à 14).

La conclusion de ce contrat pour 5 années faisait suite à un appel d'offres lancé par l'Alliance G6 en février 2012, ainsi qu'il ressort d'un courrier adressé à la société Terminal de Normandie par les six armements du G6, le 21 mars 2012 (pièce 3 de la société Hyundai).

L'article 4.02 du contrat stipulait : " Dans le but d'exécuter ses obligations à l'égard des compagnies maritimes, l'opérateur du Terminal s'engage à : Mettre à disposition le terminal dédié : l'opérateur du Terminal garantit que les deux services hebdomadaires de G6 seront opérés exclusivement aux installations de TN, sur le Terminal TPO Port 2000, à partir de la fin du mois de décembre 2012 quand TPO aura déménagé au poste à quai n°6 et quand les deux portiques supplémentaires seront opérationnels ".

La clause 3.1 de ce contrat prévoyait un préavis de trois mois en cas de résiliation anticipée.

Dès le printemps 2016, il était notoire que les alliances maritimes allaient connaître des perturbations et recompositions. La presse spécialisée s'est faite l'écho des difficultés des armateurs et de la refonte des alliances.

Le 5 août 2016, la société Huyndai, leader de l'Alliance G6, a informé par email la société TN (dans les personnes de M. Didier Chapsal, directeur commercial, et de Messieurs Paul Sax et Christian de Tinguy, dirigeants, en copie de ce mail) de la dissolution du groupement G6 et de la fin du contrat de manutention le 31 décembre 2016 : " Avec la dissolution prochaine de l'Alliance G6 attendue pour la fin du 1er trimestre 2017, nous avons constaté que tous les accords tarifaires en vigueur et le contrat conclu entre le G6 et TPO expireront le 31 décembre 2016. Dans la mesure où les navires du G6 continueront de faire escale pendant le 1er trimestre 2017, nous souhaiterions discuter de la possibilité d'étendre l'accord tarifaire applicable, convenu jusqu'à la dernière escale de navire de l'Alliance G6 au Terminal TPO l'année prochaine. Cette solution vous semble-t-elle acceptable ? ".

Le 7 septembre 2016, la société TN a indiqué à la société Hyundai qu'elle souhaitait appliquer, pour le premier trimestre 2017, les tarifs 2016, majorés de 2 %, sans contester la fin annoncée du contrat : " Nous nous excusons pour notre réponse tardive, mais nous attendions les éléments financiers de notre département comptable concernant les résultats de TN/TPO des dernières années. Il semblerait que les résultats ne soient pas bons et nous préfèrerions donc appliquer une augmentation des tarifs de 2 %, comme nous vous l'avions proposé lors de nos dernières négociations. Vous trouverez, ci-joint, le nouveau détail des tarifs applicables que nous proposons d'appliquer à l'Alliance G6 pour le 1er trimestre 2017. Nous vous remercions de bien vouloir nous confirmer l'accord de l'Alliance G6 pour ce petit ajustement ".

La société Hyundai répondait le 26 septembre 2016 au nom du G6 que les tarifs devaient être gelés.

Le 1er décembre 2016, les sociétés MOL et NYK au nom de l' " Alliance", nouveau consortium en cours de constitution, que trois armements du G6 avaient rejoint (Hapag, MOL et NYK), ont lancé un appel d'offres auprès des opérateurs de manutention ayant pour objet la conclusion d'un contrat de manutention d'une durée de 5 ans. Le 12 décembre 2016, la société Terminaux de Normandie a répondu, mais l'appel d'offres a été attribué à la société Terminal de France, opérateur de manutention concurrent.

Le 5 janvier 2017, la société TN a reçu une lettre commune, signée par chacun des armements du G6, l'informant officiellement de la dissolution de l'alliance G6 et de la fin des relations commerciales avec chacun d'entre eux, à effet au 31 mars 2017 (pièce 20 des appelantes) : " cette lettre constitue également la dénonciation formelle de notre relation commerciale actuelle et des contrats connexes prenant effet à compter du départ du dernier navire G6. Par la suite, chaque compagnie pourrait être amenée à prendre contact individuellement avec vous pour de futures discussions".

En réponse, la société TN a envoyé le 23 février 2017, aux six armements, une mise en demeure leur demandant la poursuite de leurs relations commerciales, de manière à respecter un préavis suffisant de 21 mois, pour lui permettre de réorganiser son activité et trouver une solution alternative.

Les armements ont fait part de leur refus, par lettre du 7 mars 2017. Les relations entre les parties n'ont effectivement cessé que le 13 mai 2017.

Dès lors, le contrat, ayant été exécuté à partir de la fin du mois de décembre 2012 jusqu'à sa résiliation effective le 13 mai 2017, son exécution a duré quatre ans et cinq mois.

Le 8 mars 2017, la société TN et ses 4 sociétés filiales ou sœurs ont assigné les six armements, en référé d'heure à heure, sur le fondement de l'article 873 du Code de procédure civile, devant le président du Tribunal de commerce de Lille Métropole afin que soit ordonnée la poursuite des relations commerciales pendant une durée supplémentaire de 21 mois, sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies, pour insuffisance de préavis et dommage imminent.

Par ordonnance de référé du 27 mars 2017, le président du Tribunal de commerce de Lille Métropole a :

- joint les instances,

- débouté les sociétés Terminaux de Normandie, Terminal Porte Océane, Ateliers de Normandie, Dockers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- les a renvoyées à mieux se pourvoir devant les juges du fond,

- débouté les sociétés Hyundai Merchant Marine France et Hyundai Merchant Marine Europe de leurs demande de condamnation au titre d'une amende civile,

- condamné les sociétés demanderesses, soit Terminaux de Normandie, Terminal Porte Océane, Ateliers de Normandie, Dockers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance, à payer :

la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à la société Cie Mol Europe BV,

la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à la société de droit néerlandais Mol Europe BV,

la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à la société Orient Overseas Container Line Limited,

la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à la société de droit Hongkongais Orient Overseas Container Line Limited,

la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à la société Cie NYK Group Europ Limited,

la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à la société de droit anglais NKY Group Europe,

la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à la société Hapag Lloyd France,

la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à la société de droit allemand Hapag Lloyd,

la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure à la société CIE APL Co Pte Limited,

la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à la société ALP,

la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à la société Hyundai Merchant Marine France,

la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à la société Hyundai Mercant Marine Europe,

- condamné les sociétés Terminaux de Normandie, Terminal Porte Océane, Ateliers de Normandie, Dockers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance aux entiers dépens, taxés et liquidés à la somme de 156,30 euros en ce qui concerne les frais de greffe.

Le tribunal a conclu à l'absence de trouble manifestement illicite, estimant qu'un préavis suffisant avait été consenti aux requérants, dès avril 2016 par voie de presse, mais aussi dès le mail du 5 août 2016. Il a également conclu à l'absence de dommage imminent, aucun licenciement de dockers n'étant en vue et les sociétés en cause pouvant facilement reconvertir leurs activités sur le port du Havre.

Les sociétés Terminaux de Normandie, Terminal Porte Océane, Ateliers de Normandie, Dockers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance ont interjeté appel de l'ordonnance et ont sollicité la mise en œuvre de la procédure à jour fixe.

Par ordonnance sur requête du 2 mai 2014, le conseiller de la mise en état a autorisé les sociétés Terminaux de Normandie, Terminal Porte Océane, Ateliers de Normandie, Dockers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance à faire assigner à jour fixe les sociétés APL, Hapag-Lloyd, Hyundai Mercant Marine (Europe) Ltd, Mol Europe BV, NYK Group Europe, Orient Overseas Container Line Limited (Hong Kong Headquarters) pour l'audience du 24 mai 2017 de la chambre 4 du pôle 5 de la Cour d'appel de Paris.

LA COUR,

Vu l'assignation signifiée le 9 mai 2017, par les sociétés Terminaux de Normandie, Terminal Porte Océane, Ateliers de Normandie, Dockers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance, appelantes, par laquelle il est demandé à la cour de :

in limine litis,

- dire nulle l'ordonnance du président du Tribunal de commerce de Lille en ce que le juge a statué à l'encontre de personnes morales qui n'ont pas été régulièrement attraites devant lui,

à titre principal,

- infirmer l'ordonnance du président du Tribunal de commerce de Lille,

- dire qu'il existe un trouble manifestement illicite et un dommage imminent, en conséquence,

- ordonner à chacune des sociétés Mol, APL, Hapag-Lloyd, Hyundai Merchant Marine, NYK et OOCL, sous astreinte de 30 000 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir, de reprendre l'exécution, aux conditions tarifaires en vigueur au moment de la rupture, de ses relations commerciales avec les sociétés TN, pour une durée de 21 mois supplémentaire à compter du 1er avril 2017, soit jusqu'au 31 décembre 2018,

- dire que la cour réservera sa compétence pour ordonner directement la liquidation de l'astreinte,

- condamner chacune des sociétés Mol, APL, Hapag-Lloyd, Hyundai Merchant Marine,NYK et OOCL, individuellement, à verser à chacune des sociétés appelantes la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner les sociétés Mol, APL, Hapag-Lloyd, Hyundai Merchant Marine, NYK et OOCL, individuellement, au paiement des entiers dépens d'instance et d'appel lesquels seront directement recouvrés par la SCP Grappotte Benetreau dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile,

à titre subsidiaire,

- infirmer l'ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Lille en ce qu'il a condamné les appelantes, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, à payer 5 000 euros à douze entités au lieu de six ;

Vu les conclusions notifiées les 19 et 23 mai 2017 par la société Hyundai Merchant Marine, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- rejeter les moyens de nullité développés par les société TN, TPO, AN, DN et PNA,

- rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions des sociétés TN, TPO, ADN, DN et PNA, dirigées dans la présente procédure à l'encontre de la société Hyundai Merchant Marine (Europe) Ltd, et les déclarer mal fondées, en conséquence,

- confirmer dans l'ensemble de ses dispositions l'ordonnance du 27 mars 2017 rendue par le Tribunal de commerce de Lille Métropole,

- condamner les sociétés TN, TPO, AN, DN et PNA au paiement de la somme de 10 000 euros au profit de la société Hyundai Merchant Marine (Europe) LTD, au titre des frais irrépétibles engagés en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner les sociétés TN, TPO, AN, DN et PNA aux entiers dépens de l'instance ;

Vu les conclusions notifiées le 23 mai 2017 par les sociétés Hapag-Lloyd, Nippon Ysen Kaisha Group, Mol Europe BV et Orient Overseas Container Line Limited, intimées, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- accueillir les sociétés Hapag Lloyd, NYK, Mol et OCCL en leurs conclusions d'appel,

- confirmer l'ordonnance rendue le 27 mars 2017 par le juge des référés du Tribunal de commerce de Lille en toutes ses dispositions,

de plus fort,

- dire que les sociétés Terminal Porte Océane, Ateliers du Normandie, Dockers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance, ne justifient d'aucun droit d'agir à l'encontre des sociétés Hapag Lloyd, Mol, OOCL, NYK, celles-ci n'ayant conclu aucun contrat avec l'Alliance G6, en conséquence, les débouter de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- dire mal fondée la demande de poursuite de l'exécution des relations commerciales litigieuses, la rupture des relations concernées n'ayant pas été brutale en raison du préavis alloué et de l'absence de surprise de la société Terminaux de Normandie,

- dire qu'aucun dommage imminent, du fait de la cessation des relations contractuelles, n'est justifié, en conséquence,

- débouter les sociétés Terminaux de Normandie, Terminal Porte Océane, Ateliers de Normandie, Dockers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance de toutes leurs demandes, fins et conclusions, subsidiairement, dans l'hypothèse où le caractère brutal de la cessation des relations commerciales serait retenu,

- dire qu'il est matériellement impossible de poursuivre les relations commerciales litigieuses et que la solution judiciaire ne pourrait alors être que financière,

- dire que les sociétés appelantes ne justifient d'aucun élément comptable et financier utile à l'établissement de la marge brute d'explication qu'elles réalisaient dans le cadre des relations commerciales litigieuses, en conséquence,

- débouter les sociétés Terminaux de Normandie, Terminal Porte Océane, Ateliers de Normandie, Dockers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- dire que seul le juge du fond serait compétent pour statuer sur toute demande de compensation financière éventuelle,

- condamner les sociétés Terminaux de Normandie, Terminal Porte Océane, Ateliers de Normandie, Dockers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance à payer aux sociétés Hapag Lloyd, Mol, OOCL et NYK la somme de 10 000 euros chacune sous le visa de l'article 700 du Code de procédure civile, ce, afin de compenser les frais irrépétibles qu'elles ont été contraintes d'engager pour organiser leur défense, outre tous les dépens ;

Vu les conclusions de la société APL en date du 23 mai 2017 par lesquelles il est demandé à la cour de :

- confirmer l'ordonnance rendue,

- dire et juger que les sociétés Terminal Porte Océane, Ateliers de Normandie, Dockers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance ne justifient d'aucun droit à agir à l'encontre d'APL, celle-ci ne leur étant liée par aucun contrat,

- constater que le contrat du 21 août 2012 a été résilié de manière régulière et avec un préavis suffisant,

- constater que les demandeurs ne justifient d'aucun trouble manifestement illicite ni d'aucun dommage imminent résultant de la résiliation du contrat,

- constater que la poursuite du contrat se heurte à une impossibilité pratique,

- débouter les sociétés Terminaux de Normandie, Terminal Porte Océane, Ateliers de Normandie, Dockers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance de toutes leurs demandes,

- condamner les sociétés Terminaux de Normandie, Terminal Porte Océane, Ateliers de Normandie, Dockers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance à payer à la société APL la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

SUR CE,

Sur l'exception de nullité de l'ordonnance du 27 mars 2017

Les sociétés TN estiment que l'ordonnance du 27 mars 2017 encourt la nullité, dès lors que le président du Tribunal de commerce de Lille aurait commis un excès de pouvoir en statuant à l'encontre de personnes morales non régulièrement attraites devant lui. Elles soutiennent, en effet, que près de la moitié des entités visées par l'ordonnance sont, soit des filiales situées en France auxquelles elles avaient simplement fait délivrer l'assignation par sécurité mais sans les attraire dans la cause, soit même des sociétés qui n'avaient jamais fait l'objet d'une telle assignation.

Mais ainsi que le souligne la société Hyundai, si les cinq sociétés appelantes ont été condamnées, dans le jugement entrepris, à payer 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à des personnes morales ou entités non concernées par le présent litige, cela résulte de l'assignation délivrée par les sociétés appelantes elles-mêmes, qui les ont attraites en la cause et ne peuvent dès lors s'en plaindre.

Par ailleurs, une erreur du juge ne peut être considérée en soi comme un excès de pouvoir, qui n'est caractérisé que lorsque le juge méconnaît son pouvoir juridictionnel ou adopte un comportement étranger à ses attributions.

Il y a donc lieu de rejeter l'exception de nullité de l'ordonnance entreprise.

Sur l'intérêt à agir des sociétés Terminal Porte Océane (" TPO "), Dockers de Normandie (" DN "), Ateliers de Normandie (" AN ") et Portiques de Normandie Assistance (" PNA ")

Les armements exposent que les sociétés Terminal Porte Océane (" TPO "), Dockers de Normandie (" DN "), Ateliers de Normandie (" AN ") et Portiques de Normandie Assistance (" PNA "), non signataires de l'accord du 21 août 2012, n'ont pas intérêt à agir.

Mais les sociétés appelantes soulignent à juste titre qu'elles ont toutes exécuté des prestations pour les armements du G6 et que la rupture brutale du contrat leur cause un préjudice en leur qualité de tiers, dont elles peuvent demander la réparation sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Leur action est donc bien recevable.

Sur les conditions du référé

L'article 873 du Code de procédure civile dispose que " Le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. (...) ".

Cet article permet de solliciter, du juge des référés, des mesures conservatoires pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, les deux conditions étant alternatives.

Il convient donc d'examiner si une des deux conditions de l'article 873 du Code de procédure civile est remplie en l'espèce.

Sur le trouble manifestement illicite

Les sociétés TN soutiennent que le fait, pour chacun des armements, d'avoir, de façon concertée et simultanée, décidé de rompre leurs relations commerciales établies avec les sociétés TN, avec un préavis de seulement 2 mois et 26 jours, alors qu'ils composaient la quasi-totalité de leur clientèle depuis des années, constitue une violation des dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et partant, un trouble manifestement illicite, compte tenu du caractère établi, pérenne et dédié des relations commerciales en cause.

Les sociétés TN soutiennent que leurs relations commerciales sont établies avec chacun des armements depuis plusieurs années, et pour certains, depuis plusieurs décennies, et non pas uniquement avec l'alliance G6, qui ne dispose aucunement de la personnalité morale. Ainsi, les sociétés TN estiment que les armements se devaient, nécessairement et loyalement, de leur notifier par écrit la rupture des relations avec un préavis minimum de 24 mois, compte tenu de la durée des relations, de la situation du marché et de l'état de dépendance économique dans lequel se trouvaient les sociétés TN à leur égard.

Elles exposent également que la prétendue annonce, via la presse, des changements à venir dans les alliances maritimes dès avril 2016 ne peut valablement constituer une notification de la rupture au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. De même, un e-mail du 5 août 2016 annonçant la dissolution future du G6 ne peut pas davantage équivaloir à une notification de la rupture de la relation commerciale de chaque armement avec les sociétés TN, dans la mesure où la fin d'une alliance n'est nullement synonyme de rupture de relations commerciales et que cet e-mail n'émanait que d'un seul armement, la société Hyundai. Les sociétés TN soutiennent également que la date de la rupture ne peut pas non plus être le 1er décembre 2016, date à laquelle la nouvelle alliance d'armements (" The Alliance ") a invité la société TN à candidater à un appel d'offre pour la manutention de ses lignes sur le port du Havre.

Les sociétés intimées avancent l'absence de tout caractère brutal de la rupture des relations, dès lors que la cessation du contrat litigieux conclu avec le groupement " G6 Alliance ", dont elles faisaient partie, a résulté de la dissolution dudit groupement dans le contexte d'un marché du transport maritime en pleine restructuration, ce dont la société TN avait une parfaite connaissance depuis le printemps 2016, de sorte qu'elles ne peuvent sérieusement prétendre avoir été surprises par cette résiliation.

L'absence de caractère brutal de la rupture résulterait aussi de la durée du préavis plus que suffisante qui aurait été appliquée par les armateurs, les relations commerciales ayant perduré jusqu'à la mi-mai 2017, de sorte que le préavis aurait duré dans les faits mois et demi, soit près de deux fois celui qui aurait pu résulter de la jurisprudence la plus récente.

Les sociétés intimées soutiennent enfin que n'existent pas de relations commerciales établies, en présence d'appels d'offre lancés par les armateurs pour sélectionner leur opérateur de manutention au Havre.

Si, aux termes de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers: De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels", la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer.

Les parties reconnaissent qu'elles sont en relations d'affaires, mais s'opposent sur leur ancienneté et leur nature, les armements exposant que les relations consécutives à un appel d'offres ne peuvent être que précaires.

Si la société TN justifie de relations avec chacun des armements de la cause, dont certaines remontent à 1998, il résulte des pièces du dossier que c'est à la suite d'un appel d'offres lancé en février 2012 que les six armements de la cause, regroupés dans le G6, ont, le 21 août 2012, conclu le contrat par lequel était confiée à la société TN la manutention exclusive de leurs navires. En effet, même si le contrat n'a pas été signé par chacun des armements, les tarifs des prestations annuelles l'ont été et il n'est pas contesté que le contrat a été exécuté.

Dès lors, la société TN ne peut faire état de relations commerciales établies depuis plus de vingt ans avec chacun des armements, les relations interrompues dont il est demandé réparation étant celles inaugurées par le contrat du 21 août 2012, sans qu'aucune continuité ne puisse être établie entre l'objet de ce contrat relatif à la concession exclusive à la société TN de la manutention des navires du G6, et les relations antérieures entre les sociétés TN et chacun des armements.

Par ailleurs, la mise en concurrence de 2012 marque, dans ces relations, l'intervention d'un aléa concurrentiel qui les empêche d'être qualifiées de relations commerciales établies. Dès la conclusion du contrat, la société TN savait que les prestations exécutées pour les membres du G6 ne dureraient que cinq ans, à savoir la durée de l'alliance elle-même, sans qu'aucune garantie ne lui ait été donnée par ailleurs d'un renouvellement à terme. Aucune certitude d'emporter l'appel d'offres de 2017 ne pouvait, en tout état de cause, lui être donnée, les alliances maritimes ayant par ailleurs vocation à changer fréquemment de composition.

Dès lors, l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne peut trouver à s'appliquer dans le présent litige.

A supposer même que, par impossible, les relations puissent être considérées comme établies depuis 2012, la société TN savait, dès le 5 août 2016, que l'alliance allait se rompre et que le contrat allait prendre fin de façon prématurée le 31 décembre 2016. Ce message électronique a bien été reçu et la seule réponse de la société TN a été, non pas de s'inquiéter des possibles conséquences sur son niveau d'activité, mais de demander, pour la période du premier trimestre 2017, une réévaluation de ses tarifs.

Les termes de ce courrier d'août sont dénués de toute ambigüité, compte tenu des termes employés : " Avec la dissolution prochaine de l'Alliance G6 attendue pour la fin du 1er trimestre 2017, nous avons revu l'accord tarifaire et le contrat conclu entre le G6 et TPO expirera au 31 décembre 20161. Dans la mesure où les navires du G6 continueront de faire escale pendant le 1er trimestre 2017, nous souhaiterions discuter de la possibilité d'étendre l'accord tarifaire applicable jusqu'à la dernière escale de navire de l'Alliance G6 au Terminal TPO l'année prochaine. Cette solution vous semble-t-elle acceptable ?".

Les premiers juges ont, à bon droit, considéré que cette date pouvait être retenue comme la date de notification de la rupture des relations commerciales.

Le préavis laissé dans ce courrier, de 5 mois, était parfaitement suffisant, au regard des presque cinq années du contrat litigieux. La circonstance que ce message électronique émane de la société Hyundai ne peut le priver de sa portée, cette société étant reconnue de façon incontestée comme la société " leader " de l'Alliance, y compris par la société TN (pièce 12 de la société APL). Dès lors, cette annonce valait annonce de la rupture anticipée du contrat par chaque armement du groupe.

Aucun trouble manifestement illicite ne peut donc résulter de la fin des relations commerciales, annoncée une première fois en août 2016 pour le 31 décembre 2016, puis rappelée encore une fois en janvier 2017 pour le 31 mars 2017, aucune rupture brutale des relations commerciales n'étant caractérisée avec le niveau d'évidence requis, en l'absence de démonstration du caractère " établi " de celles-ci au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, et, de manière surabondante, de leur " brutalité ".

Sur le dommage imminent

La société TN estime que les armements Mol, Hapag-Lloyd, NYK, OOCL, APL et Hyundai, qui représentaient plus de 80 % de son chiffre d'affaires, l'ont brutalement privée de la quasi-totalité de son activité, en décidant, de manière concertée, de rompre simultanément leurs relations commerciales avec elle, avec un préavis de seulement deux mois et demi, ce qui engendrerait de façon certaine un dommage imminent caractérisé par des conséquences sociales et financières désastreuses ainsi que par un risque grave de perte totale d'activité pour le dernier terminal indépendant au Havre.

Les sociétés intimées soutiennent que le dommage imminent se définit comme celui qui " n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer " et qu'il nécessairement être constaté, à la date à laquelle la cour statue l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, imminence d'un dommage, d'un préjudice sur le point de se réaliser et la survenance et la réalité sont certaines, un dommage purement éventuel ne pouvant être retenu pour fonder l'intervention du juge des référés.

Sur les conséquences sociales

La société TN expose que la rupture de ses relations commerciales avec les armements engendre un risque de licenciement massif de dockers et autres personnels. Au soutien de son affirmation, elle produit un rapport du cabinet d'expertise comptable FITECO qui indique que, à la suite du départ des armements du terminal TPO, 231 personnes du groupe TN seraient licenciées. La société TN indique également que le licenciement de 188 dockers entraînerait d'importantes répercussions sur l'ensemble du port du Havre, comme en attesteraient la première grève et les premiers blocages survenus le 27 avril 2017 sur le port, voire sur les autres ports français. Elle prétend que, depuis la loi du 9 juin 1992, les dockers ne travaillent que pour la société de manutention à laquelle est rattachée la société qui les emploie et que les conditions posées pour un transfert d'activités d'un terminal à un autre, sur la base de l'article L. 1224-1 du Code du travail, ne sont pas réunies.

La société Hyundai soutient que les chiffrages du cabinet FITECO ne reposent sur aucun extrait des comptes annuels de la société TN, que le rapport a été émis sur la base de données communiquées par la seule société TN et que ce cabinet est dépourvu d'expertise en droit social. Elle estime que la société TN n'apporte pas la démonstration d'un risque imminent de grève en lien de causalité directe et immédiate avec la dissolution du G6 et la fin de la relation commerciale de cette alliance avec les sociétés TN.

Les autres armements soutiennent que le risque social est inexistant, dans la mesure où les dockers peuvent être transférés, en même temps que l'activité, d'un terminal à un autre, en cas de changements de terminal par les armements clients, et que les changements d'organisation des alliances ne remettent pas en cause l'emploi des dockers havrais.

Si les sociétés appelantes versent aux débats un constat d'huissier du 28 avril 2017 dont elles déduisent l'existence d'une grève pour le maintien de l'emploi des dockers, il convient de relever que l'huissier se contente de faire état d'une file de camions sur le terminal TPO, mais ne mentionne à aucun moment la cause ou l'objet de cet encombrement, de sorte qu'aucun élément probant ne peut en être tiré. Aucun mouvement de grève, aucun licenciement ou perturbation sociale sur le port du Havre ne sont par ailleurs attestés depuis le 8 mars 2017.

Par ailleurs, les courriers versés aux débats émanant du Syndicat général des ouvriers-dockers du Havre ne font état d'aucun péril et encore moins de péril imminent, en lien direct avec la fin du contrat de manutention litigieux. Les courriers versés aux débats reflètent, au contraire, par leur tonalité générale, l'indifférence de principe du syndicat, sur le choix du nouveau terminal par la nouvelle alliance (" The Alliance ") d'armements au sein du port du Havre, le point central de préoccupation du syndicat semblant être le maintien des escales des navires de l'alliance sur le port du Havre.

Le 7 février 2017, le secrétaire général du Syndicat, prenant acte du " profond changement " affectant le secteur du transport maritime, écrivait en effet à la nouvelle alliance, dont font désormais partie les sociétés Hapag Lloyd, MOL et NYK : " Nous avons récemment été informés que The Alliance était en cours de finalisation de son choix au profit du Havre. De notre côté, nous souhaitons souligner que les Alliances sont libres de choisir avec qui elles souhaitent travailler et à qui elles confient le traitement de leurs navires. Nous respectons votre décision, à condition que l'emploi aux terminaux nord soit préservé " (pièce 8 de Hapag Loyd, MOL, NYK et OOCC). La seule préoccupation manifestée par le syndicat concerne donc le maintien de l'emploi dans les terminaux nord, ce qui constituait d'ailleurs déjà ses préoccupations en 2015, comme il sera vu infra. Or, les terminaux nord ne sont pas affectés par le présent litige.

De plus, le secrétaire général du syndicat approuve, dans une lettre du 12 mai 2017 adressée aux anciens membres de l'Alliance G6, le choix de la nouvelle Alliance de confier sa manutention à un autre terminal que TPO, sans évoquer de problèmes d'emploi des dockers : " faisant référence à notre lettre du 7 février dernier, nous saluons le fait que le nouveau consortium The Alliance a finalisé son choix de terminaux, conduisant ainsi à une meilleure visibilité sur les opérations au Havre. Ce choix ayant également permis de lever l'incertitude quant à la place du Havre et, par conséquence l'incertitude qui vivaient nos collègues dockers. En effet, nous sommes tous à la recherche d'une situation apaisée qui est propice au développement de notre port. Toute action susceptible d'entraver cette tranquillité récemment acquise, découlant de ce choix, ou potentiellement de l'interrompre ne peut être que dommageable à nos intérêts communs. Il est important de noter que les problèmes de productivité que connaissaient momentanément l'un des grands terminaux au Havre n'est pas lié au choix des terminaux de votre alliance, mais est en lien avec des aspects des conditions de travail sur ce terminal, ainsi qu'à des questions d'organisation interne " (pièce 21 D'apl).

Par ailleurs, il résulte du site Internet de la société TN, décrit par la société APL, et dont les pages d'accueil sont versées aux débats en copies d'écran, que la société TN peut compter sur le terminal TPO, mais également sur le terminal TN-MSC, qui relève du même groupe Perrigault, dont la capacité est deux fois supérieure : " Terminaux de Normandie est un groupe proposant un ensemble global de services dans la manutention de conteneurs et du fret en général. (...) Stratégiquement situé au Havre - comme le premier port d'escale parmi les principaux ports d'Europe du Nord - le groupe TN possède 2 terminaux à conteneurs offrant un accès rapide et facile à tous les modes de transport de marchandises et l'accès direct au port ". Par ailleurs, toujours selon ce site, qui reflète la communication commerciale de la société TN, la société Dockers de Normandie (DN) qui emploie les dockers " fonctionne comme un pool au service de l'ensemble des terminaux du Groupe, aussi bien dans le domaine des conteneurs, que de l'activité Ro-Ro voiture ou encore du conventionnel (petite manutention, colis lourds, etc.) ". Il en résulte que les dockers de la société TN peuvent être employés aussi bien sur le terminal TPO que sur le terminal TN-MSC.

Enfin, il ressort du dossier qu'existe un usage selon lequel les dockers, bien que salariés de sociétés de manutention affectées à un terminal donné, peuvent travailler, en cas de nécessité, pour un autre terminal, étant alors " transférés " d'un opérateur à un autre, ainsi qu'en atteste M. Paul Sax, en 2015, président de la société TN-MSC, directeur général de la société TPO et administrateur de la société TN, répondant au projet des membres de l'Alliance G6 de transférer leurs activités restées sur les terminaux Nord vers ceux de " Port 2000 " : " le fait que le changement de trafic d'un terminal à un autre doive être accompagné, après une raisonnable négociation, par un transfert de la main-d'œuvre correspondante d'un opérateur à un autre pour éviter tout problème social est effectivement la manière dont TN voit les choses et dont TN a opéré par le passé. Dans tous les cas, comme il vous a été dit plus tôt, à ce niveau et seulement à ce niveau, c'est un problème qui doit être adressé à l'association des dockers (GEMO). Nous ne voyons simplement aucune raison de traiter différemment la conduite de n'importe quel transfert de lignes vers le nord ou le sud. Il n'y a aucune règle réglementaire ou administrative interdisant un tel transfert, surtout vers Port 2000, qui est et a toujours été une pratique naturelle s'agissant des infrastructures. Le contraire ne serait pas conforme aux habitudes et règles administratives applicables au port, la décision est vôtre, et il ne devrait y avoir aucun trouble social insurmontable, ce qui est confirmé par les autorités portuaires " (pièce 19 d'APL). Monsieur Sax précisait dans ce message qu'en cas de transfert d'un service AX d'un terminal situé dans le nord du port au terminal TPO, le nombre de dockers correspondant de la société CNMEP, société de manutention concurrente de la société TN, serait transféré.

Face à ces arguments, qui permettent de conclure à l'absence de dommage imminent, les sociétés appelantes versent aux débats des éléments insuffisamment probants.

Les attestations du cabinet comptable FITECO (pièces 32 à 36 des appelantes), qui évaluent les licenciements à venir dans chacune des sociétés appelantes, ne sauraient suffire à démontrer l'imminence de licenciements de dockers avec le niveau d'évidence requis. Ces documents n'expliquent pas les résultats auxquels le comptable parvient et ne font que traduire mécaniquement les conséquences de la perte sèche de 80 % de chiffre d'affaires, qui serait, selon ce cabinet, consécutive à la perte des armements du G6, chiffre dont la pertinence n'est étayée que par des attestations du même cabinet. De plus, ces chiffres ne tiennent pas compte des usages rappelés plus haut, ni des facultés de reconversion de la société TN, que l'annonce de la perte de la clientèle du G6, dès août 2016, lui aurait permis de mobiliser.

Par ailleurs, s'agissant de l'article L. 1224-1 du Code de travail, dont l'application est contestée par les appelantes, celui-ci prévoit que " Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ". Si cet article ne peut pas s'appliquer de plein droit à la situation présente, cette application peut être décidée conventionnellement. En effet, la transmission automatique des contrats de travail par une entreprise qui a repris l'activité d'une autre n'a vocation à s'appliquer que lorsque l'ancien employeur transfère son activité économique au nouvel employeur, à savoir quand est transférée une entité économique constituée d' " un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre ". Or, il ne s'agit pas ici d'un simple transfert de lignes d'un terminal à l'autre. Mais il est toujours possible, lorsque l'article L. 1224-1 du Code du travail n'est pas applicable de plein droit, que deux sociétés conviennent de se soumettre volontairement aux règles du transfert d'entreprise.

Dans cette hypothèse, dans le cas où une entreprise de manutention (employant des dockers) perd un trafic régulier au profit d'une autre entreprise, celle qui récupère le trafic peut être tenue de maintenir en nombre les contrats de travail concernés par ce trafic dès la date du transfert de l'activité. L'hypothèse d'un transfert des emplois n'est donc pas exclue.

Aucun risque imminent de grève ou de licenciement en lien de causalité immédiat avec l'arrêt des relations n'est donc établi.

Sur les conséquences financières

La société TN soutient que les pertes financières induites, pour elle et pour les sociétés TPO, AN, DN et PNA, par la rupture de ses relations commerciales avec les armements constitueraient un dommage imminent et mettraient en péril la survie de chacune de ces sociétés.

Mais la rupture n'ayant pas été brutale, la société TN avait le temps de réorganiser son activité, de sorte qu'elle ne démontre pas que son activité ait été d'évidence mise en péril par la résiliation du contrat.

De plus, les sociétés DN, AN et PNA travaillent aussi bien sur le terminal TPO que sur le terminal TN-MSC, ce dernier étant deux fois plus important en volumes traités que le terminal TPO, sachant que le terminal TN-MSC est celui sur lequel chargent et déchargent les navires des plus gros armateurs mondiaux MAERSK et MSC.

Il a été vu plus haut que la société TN se présente sur son site Internet comme contrôlant les terminaux TPO et TN-MSC. Au demeurant, lors du lancement de l'appel d'offres de 2012, le directeur commercial de la société TN présentait le contrôle de TN- MSC comme un avantage dans la concurrence : " Comme vous devez certainement le savoir, Terminaux de Normandie est à 100 % une entreprise familiale, contrôlant TPO et TN-MSC à travers des contrats de longue durée, ce qui est la garantie pour votre Alliance d'obtenir un service indépendant et de première classe au Havre " (pièce 22 de la société APL). La possibilité d'utiliser les deux terminaux simultanément est notamment mentionnée comme source de flexibilité des services proposés.

La faculté, pour la société TN, de gérer simultanément les deux terminaux est corroborée par un message du 13 mars 2017 de Monsieur Chervy, commandant de port adjoint au Havre, au directeur général du port du Havre, dans lequel il confirme que les deux portiques Reggiane751 et 752, du terminal TPO géré par TN, viennent d'être déplacés pour être désormais positionnés à chacune des extrémités de l'ensemble constitué par TPO et TN-MSC, composant donc un seul terminal d'une longueur totale de 2100 m au lieu de deux terminaux de 1400 mètres et 700 mètres respectivement (pièce 26 des sociétés Hapag et autres).

Sur le risque de perte totale d'activité sur TPO, dernier terminal indépendant au Havre

La société TN rappelle que la société TPO est titulaire d'une convention d'exploitation de terminal (CET), signée avec le Guichet Unique du Grand Port Maritime du Havre (GPMH), dont l'article 15 prévoit une obligation de manutention d'un minimum de volumes par an et, à défaut, une résiliation totale de cette convention. La société TN affirme ainsi qu'avec le départ de six armements, le seuil requis par la CET ne pourra pas être atteint pour l'année 2017 ce qui entraînerait inéluctablement la résiliation de la CET et, partant, la perte du terminal exploité par la société TPO.

La société Hyundai Merchant rétorque que le dommage imminent n'est pas caractérisé du fait d'un risque de résiliation de la convention exploitation conclue entre le Port et la société TPO dès lors qu'il ressort des termes même de la CET que la résiliation totale de la convention à l'initiative du Port en cas d'insuffisance de volume ne constitue qu'une simple faculté pour le Port et n'est en aucun cas automatique ni impérative.

Les autres armateurs soutiennent que TPO n'a pas conclu de contrats avec les armements de sorte que cet argument serait inopérant. Par ailleurs, elles rappellent que la société TN était parfaitement informée, le 5 août 2016, date de notification de la rupture des relations commerciales, et même depuis le printemps 2016, de la dissolution à venir de l'Alliance G6 et qu'il lui appartenait dès ce moment de s'organiser en conséquence pour aller démarcher des clients tiers.

L'article 15 de la CET prévoit que " 15.2 Résiliation à l'iniative du Port b) sauf cas de force majeure dûment constatée le Port peut résilier la présente convention lorsque l'entreprise ne remplit pas les obligations qui découlent de la présente convention, et notamment (...) - si au-delà des 24 premiers mois d'exploitation, le trafic cumulé réalisé par l'entreprise pendant une période de 12 mois consécutifs reste au seuil annuel de 235 000 EVP pendant trois mois de suite ". Or, le volume des six armements représentaient 170 200 conteneurs (pièce 6 des appelantes).

Mais, le port a la faculté, non l'obligation, de résilier la convention, en cas de non-respect de l'engagement de volumes. En outre, il ne peut actionner cette faculté qu'après un préavis consenti par écrit de 6 mois.

Or, les sociétés appelantes ne versent aux débats aucun élément de nature à démontrer l'intention du port de mettre un terme imminent à la convention. Par ailleurs, le trafic exact de ce terminal n'est pas non plus indiqué à la cour, étant de 500 000 EVP sur le site Internet et de 300 000 EVP selon le courrier versé aux débats par la société TN, de sorte qu'il n'est pas démontré que la perte sèche de la clientèle du G6 sur le terminal TPO fasse baisser son volume d'activité en deçà du seuil fatidique.

Enfin, la société TN ne démontre pas avec le niveau d'évidence requis que compte tenu du poids des alliances, elle n'a aucune chance de trouver une solution alternative et que la baisse du trafic résultant de la fin du contrat avec le G6 ne pourrait être compensée par la conclusion d'autres contrats.

En définitive, la cour approuve les premiers juges d'avoir estimé qu'aucun dommage imminent ne pouvait résulter des pratiques dénoncées.

La demande des sociétés Terminaux de Normandie, Terminal Porte Océane, Ateliers de Normandie, Dockers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance sera donc rejetée.

Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile en première instance

Les sociétés Terminaux de Normandie, Terminal Porte Océane, Ateliers de Normandie, Dockers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance demandent, à titre subsidiaire, à la cour, d'infirmer l'ordonnance entreprise, en ce qu'elle les a condamnées, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, à payer 5 000 euros à douze entités au lieu de six.

Mais ces sociétés ou entités, dont les appelantes ne donnent pas le Kbis, et qui ne sont pas présentes en cause d'appel, ont été attraites dans la procédure de première instance par les appelantes elles-mêmes et doivent être dédommagées des frais indûment mis à leur charge par celles-ci.

Il y a lieu toutefois de constater que les sociétés Mol Europe BV et Orient Overseas Container Line Limited ont bénéficié par erreur de deux sommes de 5000 euros chacune.

Il convient donc d'infirmer le jugement entrepris sur ce point.

Sur les dépens d'appel et les frais irrépétibles d'appel

Les sociétés Terminaux de Normandie, Terminal Porte Océane, Ateliers de Normandie, Dockers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance succombant, elles supporteront les frais irrépétibles et seront condamnées à payer à chacune des sociétés APL, Hapag-Lloyd, Hyundai Merchant Marine, Mol Europe, NYK Group Europe et OOCL Logistics (Europe) Limited la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, rejette l'exception de nullité de l'ordonnance entreprise ; dit que les sociétés Terminal Porte Océane, Dockers de Normandie, Ateliers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance ont un intérêt à agir ; confirme l'ordonnance en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a condamné les sociétés appelantes à payer deux fois la somme de 5 000 euros à chacune des sociétés Mol Europe BV et Orient Overseas Container Line Limited ; l'infirme sur ce point ; rejette la demande des sociétés Terminal Porte Océane, Dockers de Normandie, Ateliers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance tendant à se voir dispensées de payer 5 000 euros aux quatre autres sociétés ou entités, non présentes en la cause, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en première instance ; condamne les sociétés Terminaux de Normandie, Terminal Porte Océane, Ateliers de Normandie, Dockers de Normandie et Portiques de Normandie Assistance in solidum aux dépens de l'instance d'appel ; condamne les sociétés Terminaux de Normandie, Terminal Porte Océane, payer in solidum à chacune des sociétés APL, Hapag-Lloyd, Hyundai Merchant Marine, Mol Europe, NYK Group Europe et OOCL Logistics (Europe) Limited la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, en appel.