CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 30 juin 2017, n° 17-11866
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pacault, BAP (SASU) , LDP2B (SARL)
Défendeur :
McDonald's France (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Kerner-Menay
Conseillers :
M. Vasseur, Mme de Gromard
Avocats :
Mes Domain, Zenati, Sabatier
Exposé du litige
La société McDonald's France, licenciée exclusive en France du système McDonald's, a acquis auprès de la société McDonald's Corporation le droit d'exploiter des restaurants sous l'enseigne McDonald's et de concéder des sous-licences dans le cadre de contrats de location-gérance.
Mme Laurence Lutiau épouse Pacault est une ancienne manager de restaurant McDonald's qui a d'abord acheté par deux sociétés d'exploitation non parties à la procédure, un restaurant à Amard de Ferrières en Bray en juin 2006 puis, le restaurant Neucastel de Neufchâtel-en-Bray le 1er septembre 2010, en Normandie.
En 2011, à la demande ou en accord avec la société McDonald's France, Mme Pacault a vendu ses restaurants de Normandie pour s'installer dans la région du Limousin et y exploiter trois restaurants à cette enseigne.
Près de Limoges, elle exploite, à travers des sociétés d'exploitation, un restaurant à Saint-Junien dans le cadre d'un contrat de location-gérance d'une durée de onze années qui prendra fin le 30 septembre 2022 et un restaurant à Aixe-sur-Vienne selon un contrat de location-gérance conclu pour une durée de vingt années expirant le 20 septembre 2031.
Le présent litige porte sur le troisième restaurant sous l'enseigne McDonald's qui se situe dans la même région à Le Vigen (87 110) conclu pour une durée de 5 ans et 9 mois suivant un contrat de location-gérance du 30 septembre 2011 et pour la période s'étendant du 1er septembre 2011 au 23 juin 2017. Par un avenant du même jour, le bénéfice de cette location-gérance a été transféré à la société BAP qui exploitait jusqu'alors ledit restaurant, dont Mme Pacault venait de prendre le contrôle au travers de sa holding personnelle la SARL LDP2B.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 23 décembre 2016 reçue par Mme Pacault le 31 décembre 2016, la société McDonald's l'a informée de son intention de ne pas renouveler ledit contrat de location-gérance.
Les tentatives des parties pour trouver un accord ont échoué.
Par acte d'huissier en date du 30 mai 2017, Mme Pacault et les sociétés BAP et LDP2B ont assigné la société McDonald's devant le président du tribunal de commerce statuant en référé dans le cadre d'une procédure à heure déterminée afin d'obtenir la poursuite du contrat de location-gérance, et ce, sous astreinte.
Par une ordonnance du 15 juin 2017, le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris a débouté les demandeurs de leur demande de prolongation du contrat de location-gérance. Ces derniers ont été condamnés à verser à la société McDonald's la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.
Mme Pacault, la société LDP2B et la société BAP ont interjeté appel de cette décision le 15 juin 2017.
Par une ordonnance du 16 juin 2017, le délégataire du premier président a autorisé les appelantes a assigné la société McDonald's à jour fixe selon la procédure et dans les conditions prévues aux articles 917 et suivants du Code de procédure civile pour l'audience du 22 juin 2017.
Aux termes de cette assignation, les appelants demandent à la cour de :
- Infirmer l'ordonnance de référé du président du Tribunal de commerce de Paris du 15 juin 2017 en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau, de :
- Ordonner la poursuite du contrat de location-gérance conclu entre la société McDonald's France et Mme Pacault le 30 septembre 2011 et cédé à la société BAP, le même jour, pour une durée d'un an, soit jusqu'au 30 juin 2018 ;
- Dire et juger que la société McDonald's France devra exécuter cette obligation sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;
- Condamner la société McDonald's France à payer à Mme Pacault, la société BAP et la société LDP2B, à chacune, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner la société McDonald's France aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
- Dire et juger que la décision à intervenir sera exécutoire au seul vu de la minute.
Les appelants estiment, aux visas des articles 873 alinéa 1 du Code de procédure civile et L. 442-6 du Code de commerce, que le juge des référés a le pouvoir d'enjoindre la cessation des pratiques abusives de rupture brutale des relations commerciales qui constituent un trouble manifestement illicite.
Elles critiquent la décision du premier juge qui a considéré que l'article L. 442-6 du Code de commerce était inapplicable en l'espèce en l'absence de relation établie entre les parties. Elles soutiennent au contraire qu'en matière de contrat à durée déterminée, s'il ne saurait y avoir droit à renouvellement, il peut y avoir rupture des relations commerciales établies si l'un des partenaires a été maintenu dans l'espérance que ce renouvellement aura lieu, ce qui est le cas en l'espèce.
Elles insistent sur le fait que la rupture imprévisible et brutale des relations commerciales établies, caractérisée par la signature régulière de contrats d'exploitation avec McDonald's depuis 2006, est intervenue et s'est accompagnée d'un comportement particulièrement déloyal et malveillant de la société McDonalds qui a continué à lui promettre le renouvellement jusqu'au 9 mai 2017, soit un mois et demi avant la fin du contrat ; que la société McDonald's a modifié à plusieurs reprises sa position quant au renouvellement ; que Mme Pacault se trouve manifestement dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de son adversaire qui abuse de la situation ; que la société McDonald's n'a pas respecté les engagements pris dans son " Livre blanc " fixant les règles et procédure du système de franchise pour le renouvellement du contrat, ni le délai de prévenance pour y mettre fin.
Elles soutiennent enfin l'existence d'un dommage imminent dans la mesure où le 23 juin 2017, la société BAP ne pourra plus être cédée dans des conditions raisonnables et acceptables.
Suivant des conclusions du 21 juin 2017, la société McDonald's France demande à la cour de :
- Débouter les sociétés BAP, LDP2B et Mme Pacault de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé ;
- Condamner in solidum les sociétes BAP, LDP2B et Mme Pacault à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner in solidum les sociétes BAP, LDP2B et Mme Pacault aux entiers dépens.
La société McDonald's France soutient que la preuve du trouble manifestement illicite n'est pas établie alors que la situation des demandeurs résulte de l'expiration normale du contrat. Elle précise ainsi que le contrat qui unit les parties est un contrat à durée déterminée de 5 ans et 9 mois, du 1er septembre 2011 au 23 juin 2017, sans tacite reconduction et qu'elle n'a jamais promis le renouvellement. Elle ajoute que dès septembre 2016, elle a fait savoir à Mme Pacault que le contrat de location-gérance du site de Limoges Le Vigen, ne serait pas renouvelé ce qui lui a été confirmé par une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 23 décembre 2016, soit 6 mois avant l'échéance en cours.
Elle conteste l'existence d'un dommage imminent au regard de la situation des salariés dès lors qu'elle est propriétaire du fonds de commerce auquel ils sont rattachés de sorte qu'ils seront repris par le futur nouveau gérant ; qu'il n'existe pas davantage s'agissant des conditions de la cession des titres de la société BAP, la lettre recommandée notifiant l'absence de renouvellement lui ayant été adressée six mois avant l'échéance du contrat, les dispositions indicatives du " Livre blanc " ne trouvant pas à s'appliquer puisque le contrat en cause était d'une durée initiale de 5 ans et 9 mois et non de 20 ans. Elle ajoute que s'agissant de la date d'expiration du contrat, sans stipulation de tacite reconduction, elle n'était tenue à aucun préavis.
Elle remarque que les mesures exceptionnelles et graves demandées, consistant à la contraindre à poursuivre jusqu'au 30 juin 2018 un contrat expiré, reposent sur de fausses allégations et sans le moindre élément de preuve et constitueraient un trouble manifestement illicite.
Elle conclut que la cessation du contrat au 23 juin 2017 n'est ni inattendue, ni brutale et qu'il appartenait à ses adversaires d'engager toutes démarches utiles depuis les premières annonces du non renouvellement.
Sur ce, LA COUR,
Au terme de l'article 873 du Code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
L'article L. 442-6 I, 5° dudit code dispose en effet que " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ".
Les appelantes soutiennent l'existence d'un tel trouble caractérisé par la rupture brutale, au sens de l'article L. 442-6 du Code du commerce, des relations commerciales établies avec la société McDonald's France du fait de l'absence de renouvellement du contrat de location-gérance liant la société BAP à celle-ci pour le restaurant situé à Limoges Le Vigen et expirant le 23 juin 2017.
Elles font grief à l'ordonnance du juge des référés du Tribunal de commerce de Paris du 15 juin 2017 d'avoir écarté l'existence d'une relation commerciale établie et d'avoir refusé de considérer que le défaut de renouvellement caractérisait la rupture brutale de celle-ci.
La cour observe qu'après une analyse précise des éléments de fait de l'espèce, le premier juge a relevé que la responsabilité délictuelle de l'article L. 442-6 du Code de commerce n'est pas une notion de groupe ou collective et a très justement déduit des faits que le litige ne porte que sur un seul contrat, conclu pour une durée de 5 ans, dont le renouvellement fait difficulté, et que l'exploitation, précédemment en Normandie, par Mme Pacault de deux restaurants à l'enseigne McDonald's ainsi que l'exploitation actuelle, concomitante, de deux autres restaurants du même type en Haute-Vienne, ne caractérisaient pas l'existence de relations commerciales établies, cette relation ne pouvant être démontrée sur le fondement de plusieurs contrats différents, d'objets différents, se chevauchant dans le temps, conclu avec des personnes morales différentes, au motif qu'ils concernent l'exploitation de restaurants de même franchise et que les sociétés d'exploitation partagent une animatrice commune.
La notion de courant d'affaires invoquée par les appelantes comme étant reprise par la jurisprudence (Cass. com. ,24 nov. 2015) s'inscrit dans le cadre des seuls moyens soulevés, la cassation étant intervenue sur un autre moyen. Elle se réfère en outre à une relation ancienne, près de 20 ans, sur un marché restreint et qualifié d'exclusivité de fait, sans rapport avec la situation de l'espèce.
Le juge des référés a par ailleurs parfaitement rappelé que le contrat litigieux n'a fait l'objet d'aucune rupture mais est simplement parvenu à son terme le 23 juin 2017 faute de renouvellement par la société McDonald's France. Cette volonté a en outre été manifestée dès le 23 décembre 2016 permettant à la société BAP de faire utilement valoir ses droits dans le cadre d'une cession des titres de la société exploitante à un tiers agréé par McDonald's France.
La lecture des pièces produites à l'identique, conduit la cour à formuler la même analyse que le premier juge sur l'existence d'un bail à durée déterminée dont le terme est précis et connu dès l'origine, à l'absence d'engagement contractuel de renouvellement, le contrat, seule loi des parties prévoyant au contraire expressément l'impossibilité d'une tacite reconduction, à l'inexistence d'une quelconque manifestation, dès la signature en 2011 ou postérieurement, de volonté de prolongation du contrat pour quelques années ou pour 20 ans. Il est également relevé que les courriels versés par les appelantes n'émanent que de Mme Pacault elle-même ou lorsqu'ils émanent de McDonald's ne contribuent qu'à convenir de dates de réunions sans évoquer un possible ou probable renouvellement.
Aucune pièce ne vient étayer ses affirmations d'une promesse d'un renouvellement.
Seul le courriel du 5 novembre 2016, signé de Mme Jennie Ienzer, dont il est désormais établi qu'elle préside le Comité National des Franchisés (CNF), organe de concertation interne entre des représentants des franchisés et la direction de McDonald's France, fait état d'une discussion au sujet de la situation de Mme Pacault en réunion de CNF et de ce que " la DG nous a fait part de leur souhait de renouveler ton contrat ". Il ne pourrait toutefois en être tiré aucune conclusion utile ou suffisante dans la mesure où Mme Ienzer n'a pas qualité pour engager la société McDonald's, son courriel est imprécis sur les conditions d'un éventuel renouvellement et surtout, la réunion dont s'agit, dont le compte-rendu ne dit mot de l'échange relaté par Mme Ienzer, intervient antérieurement à la signification de la ferme intention de la société McDonald's de ne pas reconduire le contrat par son courrier recommandé du 23 décembre 2016.
Il est par ailleurs inutile d'insister sur le caractère particulier des discussions intervenues postérieurement au courrier de protestation de Mme Pacault du 17 janvier 2017 dont il est parfaitement établi qu'elles ne s'inscrivent que dans le cadre d'une transaction entre les parties destinée à mettre fin à leur contentieux. Ces discussions supposant par essence des concessions réciproques, il ne peut être tiré aucun avantage par les appelantes des propositions de renouvellement formulées dès lors qu'aucun accord n'a été possible entre elles.
C'est encore en vain que Mme Pacault se retranche derrière les énonciations du " Livre blanc " de McDonald's France dont le premier juge a pertinemment relevé qu'elles n'avaient qu'un caractère indicatif d'une politique générale. La durée même du contrat litigieux, dérogatoire à celle habituellement prescrite pour 20 années, démontre derechef l'inscription dans un cadre spécifique.
Enfin, les appelantes ne peuvent soutenir qu'il existe un trouble manifestement illicite et un dommage imminent tenant au fait que l'intimée abuse de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouve Mme Pacault. La cour rappelle en effet que le terme connu dès l'origine, rappelé en décembre 2016 puis constamment depuis, permettait à Mme Pacault, même en présence de pourparlers transactionnels, d'envisager sereinement toutes les possibilités de sortie du conflit l'opposant à son adversaire. Elle s'y est d'ailleurs partiellement employée en rencontrant au moins un candidat à la reprise présenté par McDonald's. En outre, la fin du contrat de location-gérance ne met nullement fin aux obligations du propriétaire du fonds de commerce.
Il résulte de ce qui précède que les appelantes ne peuvent se prévaloir de l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant d'une rupture brutale des relations existant entre elles et la société McDonald's France, ni d'un risque de dommage imminent.
Il convient dès lors de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et y ajoutant de condamner in solidum Mme Pacault, la société LDP2B et la société BAP à payer une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il n'apparaît pas nécessaire de dire que l'exécution de la présente décision aura lieu au vu de la minute.
Par ces motifs, Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Paris du 15 juin 2017 ; Y ajoutant, Condamne in solidum Mme Laurence Pacault, la SARL LDP2B et la SAS BAP à payer à la SAS Mcdonald's France une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ; Condamne in solidum Mme Laurence Pacault, la SARL LDP2B et la SAS BAP aux entiers dépens de l'appel ; Rejette la demande d'exécution au vu de la minute.