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Décisions

Cass. crim., 11 juillet 2017, n° 16-81.065

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Chaubon

Avocat général :

Mme Moracchini

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Baraduc, Duhamel, Rameix

Paris, 1er prés., du 13 janv. 2016

13 janvier 2016

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société Adecco Groupe France, la société Adecco France, la société Adecco Holding France, la société Pontoon anciennement Adjust Hr, contre l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Paris, en date du 13 janvier 2016, qui a confirmé les ordonnances des juges des libertés et de la détention autorisant Mme la Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence à effectuer des opérations de visite et saisie en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que suite à une requête présentée à l'occasion de l'enquête des services de l'Autorité de la concurrence d'où il résultait que les entreprises de travail temporaires Manpower, Adecco et Ranstad utiliseraient leurs filiales respectives, Alisia (groupe Manpower), Adjuste HR (groupe Adecco) RSR (groupe Ranstad AD) et Pixid (société commune aux trois groupes), spécialisées dans la gestion externalisée du travail temporaire, pour acquérir des informations commerciales sensibles sur leurs concurrents, de nature à orienter leurs stratégies commerciales pour faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris a autorisé, par ordonnance du 1er juillet 2013, Mme la Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence à faire procéder en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce à des opérations de visites et de saisies dans les locaux desdites sociétés ; que les opérations de visites et de saisies ont été effectuées simultanément le 10 et le 11 juillet 2013 ; que les sociétés Adecco et la société Pontoon ont demandé l'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Paris et celle du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Lyon rendue sur commission rogatoire ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, L. 450-1, L. 450-4, L. 461-4, L. 462-1, L. 462-2, L. 462-3, L. 462-4, L. 462-5 du Code de commerce pris dans leur rédaction applicable en la cause, 591 et 593 du Code de procédure pénale, contradiction de motifs manque de base légale ;

"en ce que l'ordonnance attaquée a confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 1er juillet 2013 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris et celle subséquente rendue sur commission rogatoire le 8 juillet 2013 par le Tribunal de grande instance de Lyon ;

"aux motifs que (...) la réforme du Code de commerce, apportée par la loi n° 2008-76 du 4 août 2008 et l'ordonnance du 13 novembre 2008, octroie au Rapporteur Général de l'Autorité de la concurrence le pouvoir d'initier des enquêtes pour des affaires dont l'Autorité de la concurrence est saisie mais également celui de déclencher à son initiative et avant toute saisine contentieuse des enquêtes visant à vérifier le respect les dispositions du livre II et III du Livre IV du Code de commerce sans que celle-ci ne fasse l'objet d'une saisine préalable de l'Autorité de la concurrence ; que ces deux missions distinctes ont été codifiées au sein des articles L. 450-1 et L. 461-4 du même code ; que si la Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence a été saisie pour avis par le syndicat SNTT-CFTC visant les sociétés Alisia et Manpower, cela n'excluait pas la possibilité pour elle d'ouvrir une enquête distincte de la procédure d'avis n'exigeant nullement une quelconque obligation de saisine d'office de l'Autorité de la concurrence par la Rapporteure générale ; qu'en l'espèce, c'est par une note datée du 13 juin 2013 que la Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence a prescrit des investigations sur toutes les pratiques anticoncurrentielles intéressant le secteur des entreprises de travail temporaire avec le recours à une enquête dite "lourde" en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce ; qu'il s'agit donc d'investigations distinctes basées sur des articles différents de ceux qui régissent les saisines pour avis et dont le choix de recourir à une requête d'autorisation de visite et de saisie est discrétionnaire, la procédure de l'article L. 450-4 du Code de commerce n'ayant pas un caractère subsidiaire par rapport aux autres prérogatives découlant des textes de 2008 sus-mentionnés ; qu'en conséquence, la procédure sera déclarée régulière et le moyen sera écarté (...) ;

"1°) alors que l'Autorité de la concurrence peut être saisie de pratiques anticoncurrentielles par le ministre de l'économie, sur plainte des entreprises ou des organismes intéressés, ou d'office sur proposition du rapporteur général ; qu'ainsi l'initiative de l'enquête appartient concurremment au ministre de l'économie et à l'Autorité de la concurrence d'office ou sur plainte ; qu'en considérant qu'en application des dispositions des articles L. 450-1 et L. 461-4 du Code de commerce, le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence peut, à son initiative, déclencher des enquêtes visant à vérifier le respect les dispositions du livre II et III du Livre IV du Code de commerce sans saisine contentieuse préalable de l'Autorité de la concurrence, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"2°) alors que les missions consultatives et contentieuses de l'Autorité de la concurrence sont totalement distinctes et sont soumises à des conditions et à un régime juridique différents ; qu'en considérant que le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence pouvait de son propre chef décider d'initier une enquête pour pratiques anticoncurrentielles et requérir l'organisation de visites et saisies domiciliaires, quand l'Autorité de la concurrence n'avait été saisie que pour avis par un syndicat professionnel, la cour d'appel qui a méconnu la dualité des fonctions de l'Autorité de la concurrence, a violé les textes visés au moyen ;

"3°) alors que la réalisation d'une visite domiciliaire doit être proportionnée au but recherché ; que cette proportionnalité doit être appréciée en fonction des circonstances de fait particulières propres à chaque espèce ; qu'en affirmant que " le choix de recourir à une requête d'autorisation de visite et de saisie est discrétionnaire ", la cour d'appel a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme et L. 450-4 du Code de commerce" ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, L. 450-4 du Code de commerce, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs manque de base légale ;

"en ce que l'ordonnance attaquée a confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 1er juillet 2013 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris et celle subséquente rendue sur commission rogatoire le 8 juillet 2013 par le Tribunal de grande instance de Lyon ;

"aux motifs que (...) si les sociétés appelantes font valoir que sur les 32 annexes présentées au juge des libertés et de la détention de Paris, seules 7 concernaient effectivement les sociétés du groupe Adecco, il n'en demeure pas moins que le juge qui autorise des opérations de visite et de saisie sur le fondement de l'article L.450-4 du code de commerce est tenu de vérifier si la demande d'autorisation doit comporter tous les éléments d'informations utiles en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; que par suite le juge doit s'assurer que les éléments produits par l'administration aient une apparence de licéité et sont suffisants pour justifier que la mesure intrusive de visite et de saisie soit justifiée ; qu'à cette fin le juge des libertés et de la détention doit vérifier, en se référant aux éléments d'informations fournis par l'Autorité qu'il existait des indices laissant apparaître des faisceaux de présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies de documents s'y rapportant sans qu'il soit nécessaire que soit caractérisées des présomptions précises, graves et concordantes ou des indices particulièrement troublants des pratiques ; que les présomptions sont appréciées par le juge en proportion de l'atteinte aux libertés individuelles que sont susceptibles de comporter la visite et les saisies envisagées ; qu'il est inopérant d'arguer qu'un juge des libertés et de la détention étant saisi d'une requête en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce se contente d'analyser une par une, les annexes, de les analyser séparément et de lire la requête qui lui est présentée pour prendre sa décision ; qu'en effet, dans la plupart des requêtes qui lui sont présentées par l'Autorité de la concurrence, celles-ci visent un secteur de l'économie qui intègre de nombreuses sociétés de ce secteur et que c'est en prenant en considération l'intégralité des pièces produites que le juge par la méthode dite "du faisceau de présomptions" décide ou pas d'accorder une autorisation de visite et de saisie ; qu'en l'espèce, le juge de l'autorisation a retenu qu'il existait, d'une part, des liens capitalistiques, juridiques, géographiques, managériaux et informatiques entre les sociétés du groupe Adecco France à savoir Adecco Groupe France, Adjust Hr devenue Pontoon, Adecco Holding France et Adecco France, que ces sociétés étaient susceptibles de constituer une seule unité économique, et, d'autre part, que la société Adjust Hr n'était pas autonome vis-à-vis de ses sociétés soeurs et de la société mère Adecco Holding France ; que par ailleurs, dans la même analyse du secteur visé dans l'autorisation le juge a pris en considération que trois groupes avaient une place prépondérante dans le secteur des entreprises de travail temporaire à savoir les groupes Adecco, Randstad et Manpower lesquels avaient emporté en 2011, 58% des contrats de missions d'intérim soit directement soit par l'intermédiaire de leurs filiales ; que ces groupes avaient une filiale commune à parts égales (la société PDCID) et qu'il existait des présomptions d'uniformité de coefficients multiplicateurs ou de prix unitaires appliqués par les entreprises de travail temporaires, notamment au sein des sociétés du groupe Adecco et ce pour une même catégorie professionnelle ; que le parallélisme des comportements entre les trois groupes additionnés aux liens évoqués ci-dessus entre les sociétés du groupe Adecco et leur filiale commune PDCID ainsi que des pratiques similaires constatées sur les coefficients et les taux horaires ont constitué pour le juge de l'autorisation des indices laissant apparaître des présomptions simples sur des agissements prohibés sans pour autant qu'il puisse porter de qualification à ce stade préalable des investigations étant précisé qu'à ce stade aucune accusation n'est portée à l'encontre des sociétés appelantes ; que ce n'est que par l'examen des documents saisis lors des investigations que la juridiction du fond pourra permettre de déterminer si ce parallélisme de comportement reposait ou non sur une action concertée, convention ou entente ; que les coefficients multiplicateurs ou les prix unitaires qui seraient voisins pour les trois groupes concernés mais dont la proximité pourrait s'expliquer par d'autres facteurs, notamment des remises de fin d'année n'est qu'une présomption simple que le juge des libertés et de la détention a retenu, présomption qui ajoutée à d'autres présomptions laisse apparaître au moins un indice susceptible de se rattacher à des agissements prohibés éventuels ; que s'agissant de la filiale Adjust Hr, la visite domiciliaire dans ses locaux se justifiait par les liens avec la maison-mère Adecco Holding France dont elle partage les locaux compte tenu de leur proximité à la fois capitalistique, juridique, géographique, managériale et informatique ; que sur le caractère incomplet ou tronqué du dossier transmis au juge des libertés et de la détention, la société PDCED n'est mentionnée que comme société susceptible de réaliser de manière indirecte des services aux entreprises visées dans l'ordonnance et dont elle est une filiale commune aux trois groupes et donc susceptible de favoriser les échanges d'informations anticoncurrentiels ; que concernant le questionnaire incomplet intéressant la société Chanel, un examen in concreto de la pièce en annexe 28 fait apparaître que la société Chanel a transmis la réponse à ce questionnaire en mettant la mention confidentielle, sur la lettre de présentation est indiqué : "Nous attirons votre attention sur le caractère confidentiel des informations qui sont incluses relevant du secret des affaires", ce qui explique le choix de l'Autorité de respecter la demande expresse de la société Chanel et de ne pas avoir fourni l'intégralité du questionnaire ; qu'en tout état de cause, c'est au regard de la requête et des éléments fournis en annexe que le juge des libertés et de la détention a pris la décision d'autoriser les opérations de visite et de saisie concernant les sociétés Adecco ; que ces moyens seront rejetés ;

"1°) alors que la seule appartenance à un groupe ne suffit pas pour présumer de l'existence d'une entente ; qu'en justifiant la visite dans l'ensemble des sociétés du groupe Adecco par les seuls liens capitalistiques et managériaux existants entre les différentes sociétés du groupe, la cour d'appel a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, ainsi que l'article L. 450-4 du Code de commerce ;

"2°) alors que la délivrance d'une autorisation de visite domiciliaire est subordonnée à l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles à l'encontre des sociétés visées ; qu'en affirmant qu'au stade de l'autorisation des visites domiciliaires aucune accusation n'est portée à l'encontre des sociétés visitées, la cour d'appel a violé l'article 6, §1, de la Convention européenne des droits de l'Homme, ensemble l'article L. 450-4 du Code de commerce ;

"3°) alors que tous les documents justifiant la requête doivent être soumis au juge dans leur intégralité ; que les entreprises visitées doivent avoir connaissance de toutes les pièces sur lesquelles le juge s'est fondé pour délivrer une autorisation de visite sans que le secret des affaires puisse leur être opposé ; qu'en affirmant au contraire que l'Autorité de la concurrence avait pu fournir valablement à l'appui de sa requête une réponse tronquée à un questionnaire adressée à la société Chanel afin de respecter la volonté de cette société de préserver le secret des affaires, la cour d'appel a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, ainsi que l'article L. 450-4 du Code de commerce" ;

Les moyens étant réunis ; - Attendu que, pour confirmer les ordonnances attaquées, le premier président a, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, et sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées, justifié sa décision ; que, d'une part, le Rapporteur Général de l'Autorité de la concurrence a le pouvoir de déclencher à son initiative, avant toute saisine contentieuse y compris lorsqu'il est saisi pour avis, des enquêtes visant à vérifier le respect des dispositions des livres II, III et IV du code de commerce, sans que celles-ci fassent l'objet d'une saisine préalable de l'Autorité de la concurrence ; que, d'autre part, l'administration n'a pas à rendre compte de son choix de recourir à la procédure de visite domiciliaire, les entreprises disposant d'un recours pour contester l'autorisation des opérations et leur déroulement ; qu'en outre, les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce sur le fondement desquelles les opérations litigieuses ont été autorisées ne contreviennent pas à celles de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, dès lors qu'elles assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et des nécessités de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles ; qu'enfin, le premier président a retenu d'autres éléments que la seule appartenance des différentes sociétés à un groupe et relevé, après examen, que le caractère incomplet de la réponse au questionnaire par la société Channel résultait du respect du secret des affaires par l'Autorité de la concurrence ; d'où il suit que les moyens devront écartés ;

Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;

Rejette le pourvoi.