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Décisions

Cass. crim., 11 juillet 2017, n° 16-81.039

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Chaubon

Avocat général :

Mme Moracchini

Avocats :

SCP Odent, Poulet, SCP Baraduc, Duhamel, Rameix

Paris, 1er prés., du 13 janv. 2016

13 janvier 2016

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X France, contre l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Paris, en date du 13 janvier 2016, qui a confirmé les ordonnances des juges des libertés et de la détention autorisant Mme la Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence à effectuer des opérations de visite et saisie en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, L. 450-4 du Code de commerce, préliminaire et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, défaut de base légale ;

"en ce que l'ordonnance attaquée a confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 1er juillet 2013 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris ayant autorisé les opérations de visite et de saisies dans les locaux de X France et celle subséquente rendue sur commission rogatoire le 3 juillet 2013 par le Tribunal de grande instance de Lyon (il faut lire par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bobigny) ;

"aux motifs que sur l'absence de loyauté dans l'établissement des éléments d'information présentés au juge des libertés et de la détention, sur l'obligation, pesant sur l'Autorité de la concurrence, de communiquer, au juge des libertés et de la détention, tous les éléments d'information en sa possession, sur les éléments démontrant, en l'espèce, le manquement à son obligation de loyauté, le juge qui autorise des opérations de visite et de saisie sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce est tenu de vérifier si la demande d'autorisation doit (sic) comporter tous les éléments utiles en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; que par suite le juge doit s'assurer que les éléments produits par l'Administration aient l'apparence de licéité et sont suffisants pour justifier que la mesure intrusive de visite et de saisie soit justifiée ; qu'à cette fin le juge des libertés et de la détention doit vérifier, en se référant aux éléments d'information fournis par l'Autorité, qu'il existait des indices faisant apparaître des faisceaux de présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies de documents s'y rapportant sans qu'il soit nécessaire que soit caractérisée des présomptions précises, graves et concordantes ou des indices particulièrement troublants des pratiques ; que les présomptions sont appréciées par le juge en proportion de l'atteinte aux libertés individuelles que sont susceptibles de comporter la visite et saisies envisagées ; qu'il est reproché à l'Autorité de ne pas voir communiqué au juge tous les éléments en sa possession pour lui permettre de prendre sa décision, et notamment la décision n° 09-D-05 rendue le 2 février 2009 par le Conseil de la concurrence devenu Autorité de la concurrence ; qu'or, dans les annexes présentées à l'appui de sa requête, cette décision figurait en annexe 3 et c'est en connaissance de cause que le juge des libertés et de la détention de Paris a rendu son autorisation ; que le juge des libertés et de la détention a, en prenant connaissance de la requête et de l'intégralité de ses annexes, estimé qu'il existait des présomptions simples laissant apparaître des indices selon lesquels certaines filiales telles A pour X, mais également la filiale commune Y aux trois entreprises de travail temporaire (ETT), seraient susceptibles, outre les services qu'elles apportent réellement à leurs sociétés mères, de favoriser la transmission d'informations sensibles qui pourraient être anticoncurrentielles ; qu'il a également estimé que les filiales des trois ETT n'étaient pas autonomes vis-à-vis de leurs sociétés mères ; que, par ailleurs, le fait pour la société X France de communiquer des rapports annuels de suivi de ses engagements pris suite à la décision du 2 février 2009 susvisée ne saurait constituer un élément permettant d'éviter qu'une enquête "lourde" soit déclenchée dès lors que des présomptions simples d'agissements prohibés existeraient ; qu'en l'espèce, le principe de loyauté n'a pas été violé, étant précisé qu'entre le dépôt de la requête et la signature de l'ordonnance le juge des libertés et de la décision (sic) avait toute possibilité de demander à l'Autorité tout élément complémentaire s'il avait estimé que le dossier présenté était incomplet ; que ces moyens seront écartés ; que, II. Sur l'absence d'indices permettant de présumer l'existence de pratiques anticoncurrentielles, sur l'obligation de vérifier le bien-fondé de la requête de l'Autorité de la concurrence, sur l'absence d'éléments permettant de présumer l'existence d'une concertation anticoncurrentielle, contrairement à ce qui est soutenu par la société appelante, le Premier juge n'a pas présumé l'existence d'une concertation frauduleuse du seul fait que la société mère pouvait disposer d'une ou de plusieurs filiales et que ces sociétés auraient des liens capitalistiques ; que le juge des libertés et de la détention de Paris, au terme d'une analyse plus fine, s'est intéressé, d'une part, comme il a été indiqué ci-dessus, à l'absence d'autonomie de ces filiales, au vu de leur résultat financier, de leur gouvernance, de leur localisation et de l'administration de leur site Internet et a estimé qu'il existait des présomptions simples selon lesquelles la filiale A n'était pas autonome et constituait avec sa société mère Groupe X France et sa société soeur X une unité économique et qu'elle était susceptible de véhiculer des informations sensibles, en retenant que la même personne est responsable des sites internet de X, Groupe X France et de A, étant précisé que la réponse n° 25 au questionnaire transmis au groupe Leader (annexe 26 de la requête) rend compte des atteintes qui peuvent éventuellement être portées à la confidentialité des informations qui transitent entre les entreprises de travail temporaire et Y, filiale commune ; que cet accès à des données commerciales provenant d'entreprises de travail temporaire (ETT) concurrentes ou d'entreprises utilisatrices (EU) étant susceptibles de constituer des présomptions simples laissant apparaître des indices d'agissements prohibés ; que ces présomptions ajoutées à une similitude des coefficients multiplicateurs et/ou des prix unitaires ont convaincu le juge de délivrer une autorisation de visite et saisie, eu égard au parallélisme des comportements des ETT, ce qui constitue un indice de pratiques anticoncurrentielles ; que par ailleurs, dans la même analyse du secteur visé dans l'autorisation le juge a pris en considération que trois groupes avaient une place prépondérante dans le secteur des entreprises de travail temporaire, à savoir les groupes Z, X et W, lesquels avaient emporté en 2011 58 % des contrats de mission d'intérim, soit directement, soit par l'intermédiaire de leurs filiales ; que ces groupes avaient une filiale commune à parts égales, la société Y, et qu'il existait des présomptions d'uniformité de coefficients multiplicateurs ou de prix unitaires appliqués par les entreprises de travail temporaire, notamment au sein des sociétés du groupe X, et ce pour une même catégorie professionnelle ; que s'agissant de l'argument de la violation du secret des affaires, par la connaissance d'un coefficient multiplicateur ou d'un prix unitaire au profit d'éventuels tiers, ce dernier est inopérant en l'espèce ; que ces moyens seront rejetés ;

"1°) alors que le principe d'égalité des armes commande de préserver l'équilibre des parties ; qu'en raison de l'absence de contradiction de la procédure d'autorisation des visites et des saisies prévue par l'article L. 450-4 du Code de commerce, la requête unilatérale de l'Autorité de la concurrence doit comporter tous les éléments de nature à permettre au juge des libertés et de la détention de prendre sa décision ; qu'il en résulte que tant le principe de loyauté des preuves que celui de l'égalité des armes commandent à l'Autorité de la concurrence de produire les éléments à charge comme à décharge qu'elle détient, sans les interpréter, ce rôle revenant légalement au juge des libertés et de la détention ; qu'en l'espèce, ainsi que le soutenait la société X dans ses écritures en appel, l'Autorité de la concurrence a dissimulé des éléments essentiels en sa possession, à savoir s'agissant de Y, la mise en place de mesures fonctionnelles et techniques ("chinese wall", sécurisation des échanges, traitement confidentiel des informations de la plateforme vis-à-vis de ses parents) susceptibles d'exclure tout risque de coordination des ETT sur le marché du travail temporaire, mesures qui avaient conduit la Commission européenne à autoriser sa création en dépit de la dépendance capitalistique de la société Y, et, s'agissant de A, l'ensemble des garanties mises en place par la société X, en exécution des engagements souscrits par cette dernière en 2009, acceptés et rendus obligatoires par l'Autorité de la concurrence elle-même dans le cadre de la décision n° 09-D-05, mesures visant spécifiquement à remédier aux risques de circulation d'informations identifiées par l'Autorité de la concurrence dans sa requête ; que ces éléments étaient de nature à modifier l'appréciation du juge des libertés et de la détention sur les indices de présomption d'entente ; qu'en confirmant néanmoins l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris ayant autorisé l'Autorité à procéder à une visite et à des saisies dans les locaux de X France, aux motifs inopérants, d'une part, que la demande d'autorisation doit comporter les éléments d'informations utiles (souligné par l'ordonnance), ce que la loi ne prévoit pas et qui confère à l'Autorité un pouvoir d'interprétation que la loi ne lui confrère pas, d'autre part que, si le juge des libertés et de la détention avait estimé que le dossier était incomplet, il aurait réclamé des éléments complémentaires, ce qui relève d'un illogisme, le juge des libertés et de la détention ne pouvant demander des documents dont il ignore l'existence, étant précisé qu'en l'espèce la décision n° 09-D-05, qui décrivait en détail les mesures concrètes prises par X (x' à l'époque) afin de remédier aux risques de circulation d'informations identifiés par l'Autorité dans sa requête, a été soumise par l'Autorité au juge des libertés et de la détention, non pas pour porter à son attention l'existence de ces mesures, mais pour tenter de le convaincre que les entreprises faisant l'objet de sa demande d'enquête seraient coutumières de la commission de pratiques anticoncurrentielles, ce qui, dès lors, rendait superflue la lecture dans son intégralité par le juge des libertés et de la détention de cette décision de condamnation de 2009, longue de 64 pages, ne faisant plus débat, le délégué du premier président de la Cour d'appel de Paris, qui aurait dû examiner si les mesures dissimulées étaient de nature à modifier l'appréciation portée par le juge des libertés et de la détention sur l'existence de présomptions d'entente illicite, a violé les articles L. 450-4 du Code de commerce, 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme et préliminaire du Code de procédure pénale ;

"2°) alors que l'insuffisance et la contradiction de motifs équivalent à leur absence ; qu'en relevant que la société X reprochait à l'Autorité de ne pas avoir communiqué la décision n° 09-D-05 rendue par le Conseil de la concurrence le 2 février 2009, alors que la demanderesse invoquait l'absence d'indication explicite, par l'Autorité, de la mise en place des mesures concrètes visant spécifiquement à remédier aux risques de circulation d'informations identifiés par l'Autorité dans sa requête, éléments de nature à modifier l'appréciation du juge des libertés et de la détention sur les indices de présomption d'entente, le délégué du premier président de la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des conclusions de la demanderesse et a entaché son ordonnance d'une contradiction de motifs ;

"3°) alors que la constatation d'un parallélisme de comportement n'est pas, en elle-même, suffisante pour faire présumer l'existence d'une pratique prohibée ; qu'en l'espèce, le délégué du premier président a considéré que, " eu égard au parallélisme de comportements des ETT " dû à la " similitude des coefficients multiplicateurs et/ou des prix unitaires ", le juge des libertés et de la détention avait justifié l'autorisation de visite et de saisie ; qu'en statuant ainsi, le conseiller délégué a violé l'article L. 450-4 du Code de commerce" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'à la suite d'une requête présentée à l'occasion de l'enquête des services de l'Autorité de la concurrence d'où il résultait que les entreprises de travail temporaires W, Z et X utiliseraient leurs filiales respectives, Alisia (groupe W), V (groupe Z), A (groupe X) et Y (société commune aux trois groupes), spécialisées dans la gestion externalisée du travail temporaire, pour acquérir des informations commerciales sensibles sur leurs concurrents, de nature à orienter leurs stratégies commerciales pour faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris a autorisé, par ordonnance du 1er juillet 2013, Mme la Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence à faire procéder en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce à des opérations de visites et de saisies dans les locaux desdites sociétés ; que les opérations de visites et de saisies ont été effectuées simultanément le 10 et le 11 juillet 2013 ; que la société Ranstad a demandé l'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Paris et celle du juge des libertés et de la détention de Lyon rendue sur commission rogatoire ;

Attendu que pour confirmer ces ordonnances, le premier président énonce que le juge des libertés et de la détention de Paris a relevé que les liens de dépendance, la circulation des informations et la similitude de comportement existant entre les sociétés concernées faisaient présumer l'existence de pratiques anticoncurrentielles et que les engagements pris par l'une de ces sociétés dont le juge avait connaissance n'étaient pas de nature à éviter le déclenchement d'une enquête lourde ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors qu'il n'est pas établi que les pièces visées au moyen, non produites devant le juge des libertés et de la détention, auraient été de nature à modifier l'appréciation portée sur les éléments démontrant les présomptions de fraude, le premier président a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées ; d'où suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;

Rejette le pourvoi.