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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 6 juillet 2017, n° 15-25066

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

SOS Courses (SARL)

Défendeur :

Seine Express (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schaller

Conseillers :

Mmes du Besset, Castermans

Avocats :

Mes Tyl-Gaillard, Boccon Gibod, Chazel, Gruber

T. com. Paris, du 8 oct. 2015

8 octobre 2015

Faits et procédure

La société SOS Courses exerce une activité principalement de chauffeur-livreur.

La société Seine Express est une société spécialisée dans la logistique, le transport de marchandises et la messagerie expresse. Depuis ses plate-formes situées en Ile-de-France, elle réceptionne et expédie des marchandises, plis et colis en provenance et à destination de la France ou de l'étranger.

Selon contrat non daté dit " de location d'un véhicule avec chauffeur ", dont le courrier d'accompagnement daté du vendredi 25 mars 2005 indique qu'il a été signé en début de semaine, la société SOS Courses, en qualité de loueur, a mis à la disposition de la société Seine Express, en qualité de locataire, un camion immatriculé 378 PKG 75, ainsi qu'un chauffeur, ce, pour une durée d'un an, tacitement reconductible par périodes de 6 mois, sauf dénonciation de l'une des parties par lettre recommandée avec avis de réception au moins deux mois avant l'échéance.

La société Seine Express a également délégué à la société SOS Courses des prestations de messagerie expresse, dans le cadre d'une relation non écrite. A ce titre, la société SOS courses a assuré les prestations de transport qui lui étaient confiées.

Selon lettre recommandée avec avis de réception du 3 décembre 2013, la société Seine Express a notifié à la société SOS Courses la fin de la mise à disposition d'un camion avec chauffeur assurée par cette dernière, en raison de la perte totale des points du permis de conduire du chauffeur en cause et de l'incapacité de SOS Courses à le remplacer.

S'estimant victime fin 2013 d'une rupture partielle de relation commerciale établie, le 24 janvier 2014, la société SOS Courses a fait assigner la société Seine Express aux fins d'obtenir réparation du préjudice subi consécutivement.

Par jugement rendu le 8 octobre 2015, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société SOS Courses de ses demandes, mal fondées ;

- débouté les parties de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la société SOS Courses aux dépens.

Vu l'appel interjeté le 10 décembre 2015 par la société SOS Courses à l'encontre de cette décision ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 22 novembre 2016 par la société SOS Courses, par lesquelles il est demandé à la cour de :

déclarer la société SOS Courses recevable et bien fondée en son appel, et infirmer en tous points le jugement dont appel,

Statuant à nouveau,

Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce et l'article 1382 du Code civil,

- condamner la société Seine Express à payer à la société SOS Courses la somme de 330 800 euros au titre de son préjudice commercial avec intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la demande ;

- condamner la société Seine Express à payer à la société SOS Courses la somme de 105 000 euros au titre de son préjudice commercial, suite à l'arrêt total des relations commerciales, avec intérêts au taux légal ;

A titre subsidiaire,

- dire que le taux de marge brute ne saurait être inférieur à 73% ;

- condamner la société Seine Express à verser à la société SOS Courses la somme de 261 467 euros au titre du préjudice total lié à la diminution du courant d'affaires et à la rupture totale des relations commerciales ;

- condamner la société Seine Express à payer à la société SOS Courses la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions signifiées le 18 avril 2017 par la société Seine Express, par lesquelles il est demandé à la cour :

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

Vu le contrat-type applicable en matière de sous-traitance dans les transports routiers figurant en annexe I du décret 2003-1295 du 26 décembre 2003,

Vu le décret n° 2014-644 du 19 juin 2014 portant approbation du contrat-type de location d'un véhicule industriel avec conducteur pour le transport routier de marchandises,

- dire et juger que la société SOS Courses est mal fondée en son appel et l'en débouter ;

- confirmer le jugement entrepris ;

- condamner la société SOS Courses à verser la somme de 20 000 euros à la société Seine

Express au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 avril 2017.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs

L'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. (...)

En l'espèce, les parties sont en désaccord sur la nature de leur relation non écrite, SOS Courses arguant d'une mise à disposition de véhicule avec chauffeur, Seine Express d'une sous-traitance de transport excluant selon elle l'application du texte précité.

Or, il est démontré par SOS Courses, au vu des pièces du dossier, qu'il s'agissait bien de mise à disposition, dans la mesure où celle-ci n'était pas autonome dans l'organisation des tournées pour le compte de Seine Express, ainsi qu'en attestent de façon convergente ses anciens chauffeurs (faisant état en substance de ce qu'ils devaient se présenter chez Seine Express chaque matin pour savoir s'il y avait des tournées à assurer et, dans la négative, repartaient pour revenir dans l'après-midi), ce qui est corroboré par son mode de facturation, celle-ci facturant ses prestations à Seine Express en se référant à des numéros de tournées, des numéros de chauffeurs (ce qui permettait nécessairement d'identifier ces derniers) et à un nombre de jours travaillés. En outre, la mise à disposition est également confirmée par les deux seules références écrites qui y sont faites que sont le contrat assorti de la lettre du 25 mars 2005 (pour le seul véhicule 378 PKG 75) et le courrier du 3 décembre 2013 portant résiliation d'une mise à disposition en raison de l'invalidation du permis d'un chauffeur nommément désigné et de son défaut de remplacement.

A cet égard, SOS Courses excipe d'une rupture brutale de relation commerciale établie : partielle, fin 2013, suite à une baisse drastique de recours à ses véhicules et chauffeurs, puis totale, en cours d'instance (après le jugement), le 20 mai 2016.

Or, l'existence d'une relation commerciale établie au sens du texte précité n'est pas contestée subsidiairement par Seine Express.

Par ailleurs, la rupture partielle de cette relation est démontrée au vu de la baisse subite du chiffre d'affaires procuré par Seine Express à SOS Courses à l'automne 2013 (plus précisément autour des mois de septembre-octobre 2013), dont celle-ci fait état dans ses dernières conclusions (en pages 4 et 5). La brutalité de cette rupture se déduit en outre de son absence de notification écrite, étant observé que l'envoi et la réception du courrier - contesté - de rupture du 31 décembre 2012 pour le 31 décembre 2013 ne sont pas démontrés par Seine Express et que ceci est en toutes hypothèses sans incidence dès lors que les relations des parties ont perduré au-delà de cette dernière date.

En outre, s'il n'est pas contesté que France Express a proposé fin 2013 un projet de contrat de sous-traitance daté du 2 novembre 2013 à SOS Courses qui l'a refusé, ce refus ne dispensait pas la première de notifier à la seconde la baisse de recours à ses services. De même, la crise économique qui a affecté le secteur du transport de 2007 à 2012 d'après l'article de presse produit, outre que son incidence exacte sur l'activité de l'intimée n'est pas démontrée, ne saurait davantage libérer celle-ci de son obligation d'informer son partenaire de la diminution envisagée de leur relation d'affaires.

Concernant le préavis qui aurait été nécessaire, SOS Courses revendique l'application d'un préavis de 18 mois en raison de l'ancienneté de la relation et de son état de dépendance économique à l'égard de Seine Express ; pour sa part, cette dernière conclut au débouté, mais observe en page 13 de ses conclusions que dans l'hypothèse d'une relation commerciale ancienne de 9 ans (tel étant le cas), " les juges du fond accordent généralement un préavis d'environ 6 mois ", et cite des exemples de jurisprudence qui concernent toutefois des ruptures totales.

Or, s'agissant de l'état de dépendance économique, SOS Courses n'est pas fondée à l'invoquer comme critère de majoration de la durée du préavis, dès lors qu'elle ne justifie nullement que c'est Seine Express qui l'aurait contrainte à cette dépendance et qu'elle n'était donc pas en capacité de diversifier sa clientèle.

S'agissant des usages régissant la matière, SOS Courses observe en revanche à bon droit que le décret n° 2002-566 du 17 avril 2002 portant approbation du contrat type de location d'un véhicule industriel avec conducteur pour le transport routier de marchandises ne comporte pas de disposition relative au préavis et que le décret qui lui a succédé (le décret n° 2014-644 du 19 juin 2014), en vigueur à compter du 1er juillet 2014, n'est pas applicable ; toutefois, la cour observe que même si ce décret n'est effectivement pas applicable, le fait qu'il fixe, pour sa part (en son article 18.1), le préavis à 3 mois en cas de relation supérieure à un an constitue un indice intéressant.

Par suite, compte tenu de l'ensemble de ces éléments et notamment de la durée de la relation commerciale et des circonstances de l'affaire, et s'agissant d'une rupture partielle, le préavis sera fixé à 4 mois.

S'agissant du préjudice consécutif à la brutalité de la rupture, il est admis que celui-ci peut être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période d'insuffisance du préavis.

En effet, l'appelante ne démontre pas en quoi son préjudice serait égal au chiffre d'affaires perdu, alors qu'elle aurait supporté des charges variables durant le préavis si elle avait pu en bénéficier. Celle-ci admet à titre subsidiaire l'application d'un taux de marge brute que son expert-comptable chiffre à 73,24%, arrondi par elle à 73%, taux qui n'est pas critiqué par l'intimée.

Le chiffre d'affaires mensuel moyen fourni par Seine Express étant de 17 125 euros en 2011 et 2012, le préjudice au titre la marge manquée estimée s'élève donc à 17 125 euros x 4 mois x 73% = 50 005 euros. La demande sera donc accueillie à cette hauteur, le jugement étant infirmé sur ce point, outre intérêts au taux légal à compter du 24 janvier 2014, date de l'assignation qui vaut mise en demeure.

SOS Courses demande en outre les sommes indemnitaires suivantes :

- 28 800 euros, au titre de la perte en 2012 du marché de transports de téléphones,

- 50 000 euros, au titre des investissements spécifiques et des licenciements,

- 10 000 euros au titre du préjudice moral.

Or, elle ne justifie pas de préjudices distincts de ceux déjà réparés par l'allocation allouée au titre de la rupture partielle. En effet, la perte alléguée de chiffre d'affaires concernant les téléphones, dont il n'est pas démontré en quoi elle devrait être isolée de la demande au titre de la rupture partielle, outre qu'elle est vague quant à sa date de prise d'effets, ne tient pas compte des charges variables et n'est pas justifiée dans son quantum.

De même, si des investissements (achats de camions) sont justifiés, leur caractère spécifique à Seine Express et donc non réutilisables pour d'autres clients ne l'est pas. Les licenciements, quant à eux, ne sont établis par aucune pièce. Il en va de même du préjudice d'image, étant rappelé en outre que le texte sanctionne non la rupture, mais sa brutalité.

Enfin, s'agissant de la rupture totale et définitive de la relation, il s'avère que cette rupture a été expressément notifiée à l'appelante par Seine Express par courrier RAR du 20 mai 2016 avec application d'un préavis de trois mois courant du 1er juin au 31 août 2016, dont le caractère effectif n'est pas contesté ; par suite, ce préavis apparaissant suffisant au vu de la relation restante, SOS Courses sera déboutée de sa demande d'indemnisation de ce chef.

Les dépens de première instance et d'appel seront supportés par Seine Express, laquelle devra par équité payer la somme globale de 6.000 euros à l'appelante, en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, infirme le jugement entrepris seulement en ce qu'il a débouté la société SOS Courses de ses demandes relatives à la rupture partielle de relation et au titre de ses frais irrépétibles, et concernant les dépens ; Statuant de nouveau sur les points réformés, condamne la société Seine Express à payer à la société SOS Courses la somme de 50 005 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 24 janvier 2014, à titre de dommages intérêts, au titre de la rupture partielle de relation commerciale établie ; condamne la société Seine Express à payer à la société SOS Courses la somme de 6 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; rejette toutes autres demandes ; condamne la société Seine Express aux dépens.