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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 5 juillet 2017, n° 15-19988

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Frab Services (SAS)

Défendeur :

Interdas SpA (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Galland, Cohen, Azizi, Olivier, Pujol

T. com. Nanterre, du 31 oct. 2013

31 octobre 2013

Exposé des faits

La société Frab Services et la société Interdas sont spécialisées dans le domaine du commerce de gros d'appareils électroménagers.

La société Frab Services s'est substituée à la société Frab Export de même activité, leur gérant et président était M. X, un ancien salarié de la société Whirlpool Corporation

A la suite d'une fusion-absorption, la société Interdas vient aux droits de la société Interdata.

Par contrat du 9 février 1996, dénommé " export dealer agreement ", la société Whirlpool Europe a nommé la société Frab Export en qualité de concessionnaire, exportateur non exclusif des produits électroménagers offert à la vente par la société Whirlpool et portant la marque Whirlpool, pour une durée d'un an sur un territoire composé de 18 Etats africains francophones. L'exécution des relations contractuelles s'est poursuivie jusqu'en juillet 2005.

Par courrier du 11 juillet 2005, la société Whirlpool a informé la société Frab Services que, suite à une restructuration interne, elle avait décidé de confier à la société Interdata société italienne d'exportation indépendante, la responsabilité des produits de marque Whirlpool sur certains marchés d'exportation, dont ceux intéressant la société Frab Services. Cette dernière, conservant les mêmes responsabilités qu'auparavant était alors invitée à coopérer avec la société Interdata en lui achetant directement les appareils électroménagers de la marque Whirlpool.

Par courrier du 20 septembre 2005, la société Whirlpool a précisé à la société Frab Services l'accord intervenu avec cette dernière relatif au cadre des relations entre les trois sociétés Frab Services - Interdata - Whirlpool, notamment en ce qui concernait les modalités de paiement et les territoires concernés.

Par courrier du 5 octobre 2005, la société Interdata a confirmé à la société Frab Services qu'elle se conformerait aux termes du courrier de la société Whirlpool.

Le 13 juillet 2006, un " accord pour l'Algérie " d'une durée de deux ans a été signé entre les sociétés Interdata et Frab Services aux termes duquel cette dernière cessait son activité sur ce marché, moyennant le paiement d'une commission de 3 % sur la valeur " ex-factory " des fournitures vendues à la société AIT basée à Marseille (qui devait assurer la distribution sur le marché algérien), soit 2 % à la charge de la société Interdata et 1 % à celle de la société Whirlpool.

A compter du mois d'avril 2006, la société Interdata a invité à plusieurs reprises la société Frab Services à respecter les termes de paiement de l'accord du 20 septembre 2005.

Par courrier du 24 septembre 2009 adressé à la société Frab Service le conseil de la société Interdata lui a demandé de régler, avant le 16 octobre 2009, la somme de 276 831,30 euros correspondant au montant des arriérés comptabilisés dans ses livres.

Le 30 septembre 2009, la société Frab Services a réglé la somme de 55 770 euros, laissant un solde impayé de 221 061,30 euros.

Par courrier du 8 octobre 2009, la société Interdata a informé la société Frab Services que faute de règlement du solde impayé avant le 15 octobre 2009, elle engagerait une procédure judiciaire.

Par jugement du 1er décembre 2011, le Tribunal de commerce de Nanterre a désigné M. Y en qualité de médiateur lequel, par courrier du 19 juin 2012, a informé le juge chargé d'instruire l'affaire que les parties n'étaient pas parvenues à trouver une solution.

Par jugement du 31 octobre 2013, le Tribunal de commerce de Nanterre a :

- dit que le droit applicable à la présente affaire est le droit italien,

- condamné la société Frab Services à payer à la société Interdas venant aux droits de la société Interdata la somme de 221 061,30 euros, majorée des intérêts moratoires au taux de refinancement de la BCE majoré de 7 points à compter de l'échéance des factures impayées,

- dit que les intérêts dus au moins depuis six mois seront capitalisés dans les termes des dispositions de l'article 1283 du Code civil italien,

- débouté la société Frab Services de sa demande de délais de paiement,

- débouté la société Frab Services de sa demande relative au rétablissement du crédit fournisseur,

- condamné la société Interdas à payer à la société Frab Services la somme de 66 977 euros au titre du non-respect par Interdas du contrat relatif à l'Algérie,

- débouté la société Frab Services de sa demande formée au titre de la responsabilité de la société Interdas et de sa demande en dommages et intérêts pour le préjudice subi par la société Frab Services

- débouté la société Interdas de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- débouté la société Frab Services de sa demande relative à la compensation des sommes dues par chacune des parties,

- dit qu'il n'y a pas lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile français,

- reçu les parties en leurs demandes plus amples ou contraires, les dit mal fondées, les en a déboutées,

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,

- mis les dépens à la charge de chacune des parties, chacune pour la moitié.

Par arrêt du 10 novembre 2015, la Cour d'appel de Versailles, saisie par l'appel interjeté le 22 novembre 2013 par la société Frab Services a déclaré irrecevable l'appel interjeté par cette société, et l'a condamnée aux dépens d'appel.

Par déclaration reçue au greffe le 8 octobre 2015, la société Frab Services a fait appel devant la Cour d'appel de Paris, du jugement du Tribunal de commerce de Nanterre du 31 octobre 2013.

Par conclusions du 14 juin 2016, la société Frab Services demande à la cour de :

- déclarer la société Frab Services recevable et bien fondée en son appel,

y faisant droit,

vu les dispositions des articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce,

- dire que les litiges mettant en jeu l'application de l'article L. 442-6 III in fine et D. 442-3 du Code de commerce relèvent de la compétence exclusive des juridictions commerciales listées à l'annexe 4-2-1 du Code de commerce dont ne fait pas partie le Tribunal de commerce de Nanterre,

en conséquence,

- dire qu'en statuant nonobstant ces dispositions le Tribunal de commerce de Nanterre a violé des dispositions d'ordre public,

en conséquence,

- prononcer la nullité du jugement dont appel,

vu les dispositions des articles 561 et suivants du Code de procédure civile,

- dire que la cour d'appel de Paris n'étant pas la juridiction d'appel du Tribunal de commerce de Nanterre, l'effet dévolutif ne saurait recevoir application en l'espèce,

en conséquence

- renvoyer la société Interdas SpA à mieux se pourvoir,

subsidiairement, pour le cas où par impossible la Cour d'appel de Paris s'estimerait compétente pour connaître du fond de l'affaire,

- infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions lui faisant grief,

statuant à nouveau,

Vu les dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6 I 2e du Code de commerce,

vu en tout état de cause les dispositions de l'article 9-1er alinéa de la loi italienne n° 192 du 18 juin 1998,

vu les pièces versées aux débats et notamment le contrat de concession d'exportation signé le 9 février 1996 qui s'impose à la société Interdas

- débouter la société Interdas en sa demande en paiement de la somme de 221 061,30 euros,

- condamner la société Interdas au paiement de la somme de 250 000 euros à titre de dommages intérêts au titre de l'abus de position dominante,

- condamner la société Interdas au paiement de la somme de 1 978 846 euros à titre de dommages intérêts au titre de la perte d'exploitation pour la période de 2007 à 2009,

subsidiairement, si la cour s'estimait insuffisamment informée, voir nommer tel expert qu'il plaira à la cour de céans, avec pour mission de déterminer au regard du chiffre d'affaire enregistré en 2004 et 2005, avant l'accord de 2006, le préjudice subi du fait de la perte d'exploitation,

- condamner dans cette hypothèse la société Interdas à verser à Frab Services une provision d'un million d'euros en compte et à valoir sur le préjudice définitif de perte d'exploitation subi par la concluante dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise,

- condamner la société Interdas au paiement de la somme de 350 000 euros au titre de l'indemnisation de la rupture brutale des relations commerciales,

- ordonner la compensation entre les éventuelles condamnations prononcées à l'encontre de la société Frab Services et les dommages intérêts qui lui seront alloués,

subsidiairement, si la cour de céans croit devoir confirmer le jugement en ce qu'il entre en voie de condamnation pécuniaire à l'encontre de la société Frab Services sans faire droit aux demandes de dommages intérêts de cette dernière, lui accorder au regard de ses difficultés financières les plus larges délais de paiement

- débouter la société Interdas en son appel incident du chef de la commission au titre du marché algérien,

- condamner la société Interdas à régler à la société Frab Services la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en indemnisation des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en appel,

- condamner la société Interdas SPA aux entiers dépens de première instance et d'appel. Par conclusions du 4 mai 2016, la société Interdas demande à la cour de :

vu les articles 70, 538, 564, 954 du Code de procédure civile, D. 442-4 et L. 442-6 du Code de commerce français, 1372 du Code civil italien, l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'Homme,

in limine litis :

- constater l'irrecevabilité de l'appel formé par la société Frab Services

- se déclarer incompétente pour connaître de l'appel formé par la société Frab Services

- condamner la société Frab Services à verser à la société Interdas la somme de 5 000 euros au titre de la procédure abusive et dilatoire intentée devant la Cour d'appel de Paris,

- condamner la société Frab Services aux entiers dépens, subsidiairement sur le fond :

vu l'article 3-1.d) de la Directive européenne 2000/35/CE concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, et sa transposition en droit italien,

vu l'article 1372 du Code civil italien,

- rejeter l'intégralité des demandes de la société Frab Services

- confirmer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a condamné la société Frab Services à payer à la société Interdata la somme de 221 061,30 euros avec les intérêts au taux de 7 points au-dessus du taux de refinancement de la BCE à compter de l'échéance des factures impayées,

- dire que les intérêts dus depuis au moins six mois seront capitalisés, en application de l'article 1283 du Code civil italien,

- débouter la société Frab Services de sa demande de délais de paiement,

- débouter la société Frab Services de sa demande relative au rétablissement du crédit fournisseur,

- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il condamne la société Interdas au paiement de la somme de 66 977 euros pour non-respect des termes du contrat concernant l'Algérie,

- débouter la société Frab Services de ses demandes en responsabilité et dommages et intérêts,

- condamner la société Frab Services au paiement de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouter la société Frab Services de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Frab Services en tous les dépens de première instance et d'appel.

Motivation

Sur la recevabilité de l'appel

La société Interdata soutient que le délai de recours d'un mois était expiré, le jugement ayant été signifié à l'appelante le 6 novembre 2013 et la déclaration d'appel devant la Cour d'appel de Versailles datant du 22 novembre 2013. Elle en déduit que l'appel de l'appelante devant la présente cour serait irrecevable.

La société Frab Services soutient que son appel est recevable. En effet, elle estime que c'est à celui qui se prévaut d'une signification d'en justifier ; or la société Interdas n'en justifie pas. Ainsi, l'appelante sollicite que l'intimée soit déboutée de sa fin de non-recevoir.

En l'occurrence, la société Interdata ne justifie pas de la signification du jugement de 1re instance à la société Frab Services en ne versant pas l'acte de signification.

Par conséquent, elle ne démontre pas l'expiration du délai pour faire appel du jugement du Tribunal de commerce de Nanterre du 31 octobre 2013, tel que prévu par l'article 538 du Code de procédure civile.

La fin de non-recevoir soulevée par la société Interdata ne peut donc pas être retenue.

Sur l'applicabilité des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce

Selon la société Interdata les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce ne sont pas applicables car les parties ont décidé de soumettre leur litige au droit italien.

La société Frab Services soutient que l'article L. 442-6 est applicable car l'action en réparation consécutive à une rupture brutale, étant de nature délictuelle, la juridiction compétente est celle de l'Etat dans lequel le dommage a eu lieu, nonobstant toute clause contraire.

Si l'accord du 9 février 1996 conclu entre les sociétés Whirlpool Europe et Frab Export précisait qu'il devait être interprêté et jugé conformément aux lois de l'Italie, cet accord était conclu pour une durée d'une année, et précisait qu'il ne pouvait pas être renouvelé, la poursuite des relations commerciales justifiant un accord écrit distinct.

Pour autant les relations commerciales ont perduré sans conclusion d'un autre contrat, et depuis 2005 elles se poursuivent entre les sociétés Interdata et Frab Services lesquelles n'ont pas expressément choisi la loi italienne.

Dès lors, la clause d'élection de la loi italienne de 1996 ne s'applique pas.

Il convient de plus de relever que les dispositions de la convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles prévoient qu'elles ne porteront pas atteinte à l'application des règles de la loi du pays du juge qui régissent impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au contrat.

Par conséquent, l'article L. 442-6 du Code de commerce sera déclaré applicable.

Sur la compétence de la Cour d'appel de Paris

La société Interdata soutient que la Cour d'appel de Versailles s'est déclarée à tort incompétente, le dispositif des conclusions présentées devant elle ne visant pas l'article L. 442-6, de sorte qu'elle n'était pas saisie d'une demande présentée sur ce fondement. Elle ajoute que la société Interdata ayant renoncé à présenter dans ses conclusions d'appel des demandes sur l'article L. 442-6, ne pouvait présenter de demande nouvelle sur ce fondement. Elle estime que la Cour d'appel de Versailles aurait dû conserver sa compétence pour les demandes qui ne relèvent pas de l'article L. 442-6, sur lesquelles la Cour d'appel de Paris est incompétente.

La société Frab Services souligne que la société Interdata pouvait se pourvoir en cassation à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 10 novembre 2015, qui a déclaré irrecevable l'appel interjeté devant elle par la société Frab Services.

Cet arrêt a relevé qu'il appartenait au juge de qualifier les faits soumis à son appréciation et que la société Frab Services avait mentionné dans ses conclusions l'article L. 442-6 et se prévalait d'une rupture brutale des relations commerciales, soit une demande que la Cour d'appel de Versailles a estimé indissociable de l'action en paiement de l'intimée.

Par ailleurs, la décision de la Cour d'appel de Paris sur sa compétence n'entraîne pas nécessairement un allongement supplémentaire de la durée de la procédure, de sorte que la société Interdata apparaît mal fondée à invoquer l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme pour justifier une décision d'incompétence de la cour d'appel de céans.

Sur la nullité du jugement

La société Frab Services estime que le Tribunal de commerce de Nanterre, ne faisant pas partie de la liste des juridictions commerciales compétentes pour l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, son jugement devra être annulé et la société intimée devra être renvoyée à mieux se pourvoir.

Le Tribunal de commerce de Nanterre ne figure pas sur la liste des tribunaux spécialement désignés à l'annexe 4-2-1 de l'article D. 442-3 du Code de commerce auquel renvoie le dernier alinéa de l'article L. 446-2, III, pour connaître d'une demande d'indemnisation formée au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie de sorte qu'ayant manifestement excédé ses pouvoirs, le jugement entrepris sera annulé.

Pour autant, aux termes de l'article 562 du Code de procédure civile, la dévolution s'opère pour le tout lorsque l'appel n'est pas limité à certains chefs ou lorsqu'il tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

Il ressort clairement de ces dispositions que lorsque la cour annule le jugement, par l'effet dévolutif de l'appel, de surcroît général, comme tel est le cas en l'espèce, elle est investie du devoir de statuer à nouveau en fait et en droit sur la totalité du litige, sans pouvoir renvoyer l'examen de l'affaire aux premiers juges.

En conséquence, et les parties ayant conclu au fond, il y a lieu de statuer à nouveau.

Sur la demande principale

Sur la demande en paiement formée par la société Interdas

La société Frab Services indique qu'à la date de la mise en demeure, soit le 9 septembre 2009, la société Interdas ne disposait d'aucun titre lui permettant d'exiger le règlement, compte tenu de l'encours dont disposait l'appelante. En effet, la société Frab Services s'est substituée à la société Frab Export avec le plein accord de la société Whirlpool qui lui a accordé un crédit-fournisseur allant jusqu'à 2,7 millions d'euros le 13 juillet 2005. En conséquence, elle estime que la somme de 221 061,30 euros n'était pas exigible le 9 septembre 2009.

Elle soutient qu'elle serait fondée à solliciter le rétablissement de l'encours, car en reconnaissant la transmission de l'ensemble de ses droits et obligations, la société Whirlpool a nécessairement transmis le crédit documentaire, élément indispensable au développement du marché algérien.

La société Interdas estime que l'appelante a passé des commandes et lui est redevable de la somme de 221 061,30 euros au titre de factures impayées. Elle indique avoir mis en demeure à plusieurs reprises l'appelante, qui a reconnu l'existence de cette dette, et sollicite la confirmation de sa condamnation de la société Frab Services au paiement d'intérêts moratoires, ainsi qu'à la réparation de son préjudice et du fait de la résistance abusive de l'appelante. Elle soutient que la société Whirlpool a contracté à l'origine avec la société Frab Export et non la société Frab Services que le contrat ne comporte pas de clause prévoyant un " encours ", de sorte qu'elle était en droit de rompre les relations commerciales. Elle soutient que la société Whirlpool n'a jamais accordé en pratique un tel encours, lequel n'a donc pu lui être transféré, et qu'elle ne s'est jamais mise d'accord avec l'appelante sur un tel encours.

Sur ce

La cour observe que la société Frab Services ne sollicite pas dans le dispositif de ses conclusions le rétablissement de l'encours, précisant dans ses développements que cette demande n'est plus d'actualité.

Comme indiqué précédemment, le contrat du 9 février 1996 (pièces 1 et 26 appelante) a été signé entre les sociétés Whirlpool Europe et Frab Export, et non entre les sociétés Frab Services et Interdas.

Il était conclu pour une année, ne pouvait pas être renouvelé, et précisait que la poursuite des relations commerciales justifiait un accord écrit distinct.

Aucun autre contrat n'a été conclu jusqu'en 2009, les relations s'exerçant alors entre les sociétés Frab Services et Interdas.

Par ailleurs, ce contrat précise que le paiement des produits achetés doit être intégralement effectué à sa date d'exigibilité.

Il ne prévoit pas l'existence d'un encours ou d'un découvert autorisé chiffré, mais seulement l'éventualité que la société Whirlpool octroie un crédit au concessionnaire exportateur, dont les conditions devraient alors être " établies par le département crédit de Whirlpool ".

Il précise aussi la possibilité pour Whirlpool de différer les expéditions de marchandises en cas de retard de paiement, et que le non-respect des dispositions du contrat par le distributeur pourra justifier sa résiliation par Whirlpool.

Pour soutenir que la société Whirlpool lui avait reconnu un encours jusqu'à 2,7 millions d'euros, la société Frab Services verse un extrait non traduit d'un livre de compte faisant état d'un encours de plus de 2,7 millions d'euros (sa pièce 15) en juillet 2005.

Pour l'intimée, il s'agit d'un crédit involontairement accordé au concessionnaire, et elle justifie que la société Whirlpool a adressé le 7 septembre suivant une demande en paiement de l'intégralité de ce qui lui était dû avant la fin du mois.

La société Frab Services a adressé un fax le 20 septembre 2005 à la société Interdata (ayant entre-temps succédé à la société Whirlpool Europe) indiquant que " les accords de paiement sont... un découvert autorisé de 2,5 à 3 millions d'euros " (sa pièce 4).

Le même jour la société Whirlpool précisant à la société Frab Services la désignation de la société Interdata comme nouveau concessionnaire Whirlpool pour l'Afrique, l'a assurée que les conditions qui lui étaient reconnues précédemment seraient poursuivies ; ce courrier a précisé la reconduite du paiement à " 90 jours fins de mois pour toutes les activités, sauf les ventes pour l'Algérie pour lesquelles se sera 60 jours fins de mois ", mais n'a pas reconnu l'existence d'un encours autorisé de 2,5 millions d'euros.

De plus, par un courrier du 31 janvier 2006, la société Frab Services elle-même sollicitait la confirmation des conditions de vente convenues avec la société Interdata ; elle y demandait la confirmation des délais de paiement de 60 et 90 jours, mais pas la poursuite d'un quelconque encours autorisé.

Si la société Frab Services fait état d'un de ses courriers du 12 juin 2006 évoquant une " balance comme convenu de 2,5 M euros ", l'absence de réponse ne saurait valoir approbation, et les nombreux échanges intervenus à partir du mois de mars 2006 révèlent que la société Interdata sollicitait de la société Frab Services le paiement des sommes dues - dont le montant était largement inférieur à 2,5 millions d'euros - et la menaçait d'une suspension des expéditions.

Il ressort de l'analyse des pièces versées que la limite de crédit convenue entre les parties était d'un montant bien inférieur (700 000 euros, pièces 47 à 49 intimée), et la société Frab Services a pris à plusieurs reprises des engagements pour apurer les retards de paiement comme demandé par la société Interdata sans faire état d'un quelconque encours autorisé de 2,5 millions d'euros.

A la suite d'un courrier du 24 septembre 2009 du conseil de la société Interdata mettant en demeure la société Frab Services de régler la somme de 276 831 euros, ramenée à 221061,30 euros à la suite d'un paiement partiel, l'intimée a de nouveau été mise en demeure les 8 octobre et 12 novembre 2009, ces courriers précisant que cet impayé était la somme de huit factures s'échelonnant du 5 décembre 2008 au 29 avril 2009.

La société Frab Services n'a contesté alors ni les factures visées, ni le montant réclamé ou son exigibilité ; elle reconnaissait dans ses envois à la société Interdata l'existence de la créance, et a réglé partiellement le montant qui lui était réclamé (versement de 55 770 euros le 30 septembre 2009), sans évoquer alors le bénéfice d'un encours.

Au vu de ce qui précède, il apparaît que la société Interdas venant aux droits de la société Interdata bénéficie d'une créance exigible à hauteur de 221 061,30 euros à l'encontre de l'appelante, au titre des factures impayées dont le règlement lui a été demandé.

Par conséquent, il convient de condamner la société Frab Services au paiement de la somme de 221 061,30 euros, assortie d'une indexation comme prévue au dispositif.

Sur les demandes reconventionnelles

Après avoir appelé l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, la société Frab Services soutient qu'elle se trouvait en situation de dépendance économique, réalisant 80 % de son chiffre d'affaires avec la société Interdata laquelle en a abusé afin de s'approprier tout ou partie du fonds de commerce de l'appelante. Elle ajoute que la société Interdata n'ignorait pas que la suspension des livraisons l'empêchait d'honorer ses commandes, ce d'autant que cette société disposait d'une exclusivité pour le marché Whirlpool de l'Afrique francophone.

Elle ajoute que la société Interdata n'a cessé de diminuer ses encours, l'empêchant d'honorer ses commandes, ce qui la fonde à solliciter le versement de dommages et intérêts à hauteur de la perte d'exploitation qu'elle aurait subie.

Elle allègue que la société Interdata a brusquement rompu les relations commerciales en exigeant le paiement de la somme de 221 061,30 euros avant toute livraison, et qu'au vu de la durée des relations commerciales, elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 12 mois.

La société Interdas soutient que l'appelante ne démontre pas la dépendance économique dont elle souffrirait au vu de la législation italienne, et alors que les critères retenus par la jurisprudence européenne ne sont pas remplis puisque le niveau de chiffre d'affaires entre les parties est insuffisant pour caractériser un état de dépendance économique, au vu des spécificités des relations contractuelles en cause.

Elle s'oppose à la demande au titre d'une prétendue perte d'exploitation, non établie par les pièces versées, et que les faits de l'espèce démentent.

Enfin, elle rappelle que c'est la société Interdas qui est à l'origine de la rupture des relations commerciales, du fait du non-respect de ses engagements de règlement des factures impayées.

Sur ce

Il sera relevé que le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre, qui avait condamné la société Interdas au paiement de la somme de 66 977 euros au titre du non-respect du contrat relatif à l'Algérie, est annulé par le présent arrêt.

L'appelante, qui a sollicité l'annulation du jugement, demande que l'intimée soit déboutée de son appel incident du chef de la commission au titre du marché algérien, mais n'a pas présenté de demande de condamnation à ce titre, l'intimée sollicitant pour sa part l'infirmation du jugement l'ayant condamnée.

Il s'en suit que la cour d'appel n'est pas saisie, conformément à l'article 954 du Code de procédure civile, d'une demande tendant à la condamnation de la société Interdas à ce titre.

L'abus de dépendance économique peut se définir comme une entrave à la concurrence exercée par une entreprise placée en situation de force sur un marché à l'encontre de ses partenaires commerciaux qui ne peuvent se passer de cette coopération, car ils ne disposent pas de solution alternative dans des conditions économiques raisonnables.

Elle suppose ainsi d'établir, dans un 1er temps, l'état de dépendance économique d'une entreprise à l'égard d'une autre, dans un 2e temps, l'abus commis par cette dernière, et enfin la potentialité d'affectation du fonctionnement ou de la structure de la concurrence.

La seule circonstance qu'un distributeur réalise une part très importante voire exclusive de son approvisionnement auprès d'un seul fournisseur ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique. Celle-ci résulte de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de sa part de marché, de l'importance de la part du fournisseur dans le chiffre d'affaires du revendeur et, enfin, de la difficulté pour le distributeur d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents, ces conditions devant être simultanément remplies, sans que la circonstance que cette situation de dépendance économique résulte de clauses volontairement souscrites puisse être opposée à la victime.

Si la société Frab Services fait état de l'importance du chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec la société Interdata elle ne démontre pas que l'intimée lui aurait imposé une exclusivité de distribution, et il ressort des pièces versées que la société Frab Services avait d'autres fournisseurs (pièce 29 appelante).

Elle ne justifie pas non plus avoir cherché à trouver d'autres fournisseurs que la société Interdata.

Il est établi que la société Interdata a appelé la société Frab Services à régler les impayés de commandes à plusieurs reprises, et que c'est en réponse aux non-paiements de l'appelante qu'elle a indiqué refuser d'effectuer de nouvelles livraisons, de sorte ce refus ne saurait constituer un abus de la part de l'intimée.

Dans ces conditions, l'abus de dépendance économique qu'aurait commis la société Interdata n'apparaît pas caractérisé.

S'agissant de la demande du fait de la perte d'exploitation, la société Frab Services fait état de la baisse des achats de matériels qu'elle a réalisés auprès de la société Interdata et produit un relevé de ce compte fournisseur ainsi qu'une attestation de son expert-comptable pour les années 2006 à 2009.

Cependant, outre le fait que la société Frab Services n'établit pas le bien-fondé du calcul au vu duquel elle sollicite le paiement d'une somme de 1 978 846 euros au titre de la perte d'exploitation, il sera rappelé qu'elle n'était pas liée par un contrat d'exclusivité avec la société Interdata et pouvait rechercher d'autres fournisseurs, et que la fin de la relation commerciale a été provoquée par le non-paiement des factures qu'elle devait régler à la société Interdata

Par conséquent, la société Frab Services sera déboutée de sa demande au titre de l'indemnisation de la perte d'exploitation qu'elle aurait subie, et il ne sera pas fait droit à sa demande tendant à la désignation d'un expert.

Enfin, s'agissant de la rupture brutale des relations commerciales, la société Frab Services a manqué à ses obligations en ne réglant pas les factures qui lui avaient été présentées, ce alors qu'elle avait reconnu l'existence de sa dette et s'était engagée à s'acquitter de ce paiement.

Une telle inexécution des obligations reposant sur la société Frab Services était de nature à permettre à la société Interdata de résilier sans préavis les relations commerciales, de sorte que la société Frab Services ne peut lui reprocher une rupture brutale des relations commerciales établies, et sera déboutée de cette demande.

Sur la demande de délais de paiement

En l'absence de toute pièce récente justifiant de la demande de délais de paiement présentée par la société Frab Services et au vu de l'ancienneté de la créance, la demande de délais de paiement n'apparaît pas en l'état justifiée.

Sur les autres demandes

La société Frab Services sera condamnée au paiement des dépens.

La société Frab Services étant condamnée au paiement des dépens, il convient de la condamner au versement à la société Interdas d'une somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, déclare l'appel recevable ; se déclare compétente ; annule le jugement entrepris ; Statuant à nouveau, condamne la société Frab Services à payer à la société Interdata la somme de 221 061,30 euros majorée des intérêts au taux de 7 points au-dessus du taux de refinancement de la BCE à compter de l'échéance des factures impayées ; déboute la société Frab Services de l'ensemble de ses demandes ; condamne la société Frab Services au paiement à la société Interdas de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la société Frab Services en tous les dépens de première instance et d'appel.