CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 3 juillet 2017, n° 15-17981
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Veolog (SAS)
Défendeur :
Paule Ka (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Loos
Conseillers :
Mmes Simon-Rossenthal, Castermans
Avocats :
Mes Seizova, Marfaing-Didier, Buret, Naït Kaci
Faits et procédure
Le 10 juin 2005, un contrat a été conclu entre la société Paule Ka, ayant pour activité la commercialisation de vêtements et accessoires de prêt-à-porter, et la société Fret Cargo Organisation (FCO), filiale de la société Mediaco Vrac, portant sur des prestations logistiques.
A la suite d'une cession le 10 août 2010 par Medico Vrac des titres de sa filiale FCO à la société Veolog Fashion, la société Paule Ka en étant informée le 9 septembre 2010, la relation contractuelle s'est poursuivie avec la filiale Veolog Fashion (dite ci-après Veolog) le 24 juin 2011.
Par courrier recommandé en date du 2 janvier 2013, la société Paule Ka a notifié à la société Veolog Fashion la résiliation du contrat, assortie d'un préavis de 3 mois, en sollicitant le déménagement de son stock dans un autre entrepôt. Le 17 janvier 2013, les modalités de cette résiliation ont été contestées par la société Veolog Fashion
Par acte du 31 octobre 2013, la société Veolog a fait assigner la société Paule Ka en rupture brutale de relations commerciales établies.
Vu le jugement prononcé le 30 juillet 2015 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :
- dit qu'une relation commerciale a été établie à compter du 2003 pour cesser en avril 2013 soit une durée de 10 ans,
- dit que la rupture brutale des relations commerciales a été effective dès le 1er avril 2013 par la notification par courrier recommandé avec accusé de réception de la sas Paule Ka en date du 2 janvier 2013 portant arrêt des relations commerciales à la sarl Veolog Fashion,
- dit que le préavis dû par la sas Paule Ka à la sarl Veolog Fashion et non effectué est de 6 mois,
- condamné la sas Paule Ka à payer à la sarl Veolog Fashion la somme de 97 169 euros à titre d'indemnité de préavis,
- débouté la sarl Veolog Fashion de ses demandes au titre du préjudice économique allégé,
- dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande subsidiaire de la sarl Veolog Fashion au titre de la violation des stipulations contractuelles du contrat conclu le 10 janvier 2005,
- débouté la sarl Veolog Fashion de sa demande d'indemnisation au titre de son préjudice moral et de l'atteinte à son image,
- condamné la sas Paule Ka à payer à la sarl Veolog Fashion la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires,
- ordonné l'exécution provisoire sans caution,
- condamné la sas Paule Ka aux dépens de la présente instance.
Vu l'appel de la société Veolog le 1er septembre 2015,
Vu les conclusions signifiées le 11 avril 2017 par la société Veolog,
Vu les conclusions signifiées le 20 mars 2017 par la société Paule Ka,
La société Veolog demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit:
- dire que la société Veolog intervient aux droits de la société Veolog Fashion suite à une opération
de fusion-absorption,
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en date du 30/07/2015 en ce qu'il a jugé qu'une relation commerciale a été établie à compter de 2003 pour cesser en avril 2013 soit une durée de 10 ans,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a d'une part, fixé la durée du préavis à 9 mois, et, d'autre part, retenu une marge brute de 30%,
Statuant à nouveau :
A titre principal :
- juger que la société Paule Ka a brutalement rompu les relations commerciales établies avec la société Veolog Fashion, aux droits de laquelle vient la société Veolog, en raison d'un préavis insuffisant au regard de l'ancienneté et de la stabilité de ces relations d'affaires,
- juger que le chiffre d'affaires réalisé grâce aux relations commerciales avec Paule Ka représente près de 40% du chiffre d'affaires global de la société veolog fashion, aux droits de laquelle vient la société veolog,
- fixer, en conséquence, le préavis qui aurait dû être respecté à 18 mois,
- condamner en conséquence la société Paule Ka au paiement de la somme de 798 522,91 euros ht à parfaire au titre de la perte sur marge brute pendant la durée de préavis non respecté, majorée des intérêts au taux légal depuis la résiliation du contrat de logistique le 2 janvier 2013,
- condamner la société Paule Ka au paiement de la somme de 547 578,89 euros à parfaire au titre du préjudice économique causé par cette rupture brutale des relations commerciales,
Subsidiairement, si la cour décidait de retenir le calcul opéré par le cabinet PWC :
- condamner la société Paule Ka au paiement de la somme de 534 434,64 euros HT à parfaire au titre de la perte sur marge brute pendant la durée de préavis non respecté, majorée des intérêts au taux légal depuis la résiliation du contrat de logistique le 2 janvier 2013,
- condamner la société Paule Ka au paiement de la somme de 547 578,89 euros à parfaire au titre du préjudice économique causé par cette rupture brutale des relations commerciales,
A titre subsidiaire :
- juger que la société Paule Ka a violé ses obligations contractuelles relatives aux modalités de résiliation de la convention signée avec la société Mediaco Vrac, aux droits de laquelle vient la société Veolog Fashion, aux droits de laquelle vient la société Veolog,
- condamner la société Paule Ka au paiement de la somme de 203 991,79 euros au titre de dommages et intérêts dus en raison de l'inexécution de ses obligations contractuelles majorée des intérêts au taux légal depuis la date d'émission des factures correspondantes,
En tout état de cause :
- condamner la société Paule Ka au paiement de la somme de 30 000 euros au titre du préjudice moral et de la perte d'image causés par cette rupture brutale,
- condamner la société Paule Ka à verser la somme de 20 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Paule Ka aux entiers dépens.
La société Veolog indique que la société Veolog Fashion était en relation d'affaires avec la société Paule Ka depuis 2003 sans interruption (société fret cargo organisation, à l'époque, puis Veolog depuis 2010), que la relation a ainsi duré plus de dix ans; que rien ne laissait présager une rupture des relations commerciales, à défaut de mise en demeure et les parties s'étant rencontrées fin 2012 pour la mise en place d'un process logistique et informatique spécifique pour 2013.
La société Veolog conteste les motifs de résiliation du contrat invoqués par la société Paule Ka, c'est à dire des dysfonctionnements répétés dès 2010, dus au mauvais état des infrastructures et aux prestations logistiques elles-mêmes, ainsi que la nouvelle offre proposée par Veolog Fashion à sa demande au motif qu'elle n'aurait pas correspondu aux standards du marché; qu'elle soutient que les échanges de mail produits par la société Paule Ka se rapportent aux inventaires et ne font que retracer la relation normale entre un prestataire logistique et son client, les erreurs évoquées par la société Paule Ka ne représentant que 0,127% au mois de novembre 2012.
La société Veolog indique que le préavis de trois mois laissé par la société Paule Ka après la résiliation du contrat est insuffisant au regard de la durée des relations, des investissements réalisés pour satisfaire à ses exigences et au vu de la part de son chiffre d'affaires concernant la société Paule Ka, s'élevant à 40% en 2011-2012 ; qu'elle ajoute que la cellule de l'entrepôt n'a pas trouvé preneur après le départ de la société Paule Ka malgré le recrutement d'un agent commercial en mars 2013 affecté à ce service.
L'appelante considère que le délai de six mois retenu par le tribunal de commerce est également insuffisant, compte tenu des éléments susvisés et notamment de la particularité des installations et de la renommée de la société Paule Kaqui avait confié la gestion de son stock entier à Veolog fashion.
La société Veolog indique que son résultat d'exploitation s'est considérablement dégradé après la rupture du contrat par la société Paule Ka entraînant notamment une perte réelle d'exploitation de 377 898 euros en 2013 ; qu'entre 2014 et 2015, des abandons de créance et une réduction de capital (coup d'accordéon) d'un montant total de 1 158 000 euros ont été réalisés par la société mère du groupe Veolog pour absorber les pertes subies par la société Veolog Fashion.
Elle chiffre son préjudice lié à la rupture au niveau de la marge brute mensuelle correspondant à la part de l'activité Paule Kasur la durée du préavis non exécuté, soit 798 522,91 euros HT, retenant un taux de marge lié à son activité de prestataire de services de l'ordre de 66% en s'appuyant sur un rapport établi par le cabinet PWC .
La société Veolog invoque également un préjudice distinct lié à la rupture de la relation par la société Paule Ka, ayant réalisé de lourds investissements pour les besoins de celle-ci, à hauteur de 396 510,74 euros et indique qu'elle a conclu un nouveau bail commercial pour un nouveau client alors que l'espace occupé pour la société Paule Ka devait être libéré après la rupture, la cellule n'ayant pu ensuite être relouée, ce qui a généré une perte incompressible.
Elle sollicite encore l'indemnisation de la dépréciation anormale de son fonds de commerce, estimée à 253 703,52 euros, ainsi qu'une indemnité de 95 800 euros pour le licenciement économique de cinq salariés consécutif à la rupture du contrat, soit un montant total pour le préjudice économique de 547 578,89 euros
La société Veolog fait également valoir que la rupture de sa relation avec la société Paule Ka lui a causé de nombreux coûts entraînant une dépréciation de son image.
La société Paule Ka demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 30 juillet 2015 entre les parties par le Tribunal de commerce de Paris,
Statuant à nouveau :
- juger que la société Paule Ka n'a commis aucune rupture brutale des relations commerciales établies,
- juger que la société Veolog Fashion n'apporte pas la preuve du préjudice qu'elle allègue,
- débouter la société Veolog Fashion de l'ensemble de ses demandes,
En tout état de cause :
- condamner la société Veolog Fashion à payer à la société Paule Ka la somme de 22 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Selon la société Paule Ka, ses relations avec la société Veolog remontent seulement à septembre 2010, le contrat étant révisable annuellement et stipulant un préavis de trois mois. Elle soutient que, dès l'été 2012, la société Veolog Fashion avait conscience que le contrat pouvait arriver à son terme, dans le cadre de la reprise complète de ses besoins logistiques et qu'ainsi la rupture ne saurait être considérée comme brutale.
La société Paule Ka fait valoir qu'elle n'a commis aucune faute en respectant le préavis contractuel de trois mois et en ayant informé dès 2012 la société Veolog Fashion de sa volonté de remettre à plat ses besoins logistiques.
Selon la société Paule Ka, l'indemnisation du préjudice financier réclamé par la société Veolog correspond à 110 fois le résultat d'exploitation de la société Veolog Fashion en 2011, et l'attestation de l'expert-comptable de la société Veolog Fashion fait référence à un chiffre d'affaires diminué de la seule sous-traitance du transport et majoré à l'aide d'un coefficient ; qu'elle expose produire pour sa part une note technique réalisée par un expert judiciaire, sur la base de laquelle elle conclut que les demandes indemnitaires de la société Veolog sont infondées, les pertes d'exploitation invoquées étant afférentes à la gestion de la société et ayant commencé avant la rupture du contrat en 2013 ; qu'elle ajoute que le taux de marge à prendre en compte pour l'activité de la société Veolog Fashion devrait être de 30%, comme l'a retenu le tribunal.
La société intimée réplique qu'il n'est pas établi que les coûts du licenciement du personnel ont été causés par la brutalité de la rupture, et que les investissements réalisés étaient de toute façon nécessaires pour la prestation logistique de la société Veolog Fashion; qu'elle indique à nouveau que l'activité de cette dernière était structurellement déficitaire avant la rupture en ce qui concerne la dépréciation de son fonds de commerce.
La société Paule Ka soutient que le préjudice ne pourrait dans tous les cas être supérieur à la marge brute qui aurait été dégagée par Veolog Fashion sur cette période, et qu'elle a respecté ses obligations contractuelles au regard du préavis de trois mois, arguant de la nécessité pour elle de procéder à un changement de prestataire logistique au moment de l'année où son activité est réduite pour limiter le risque de perte d'activité.
La société intimée conteste la demande au titre du préjudice d'image en relevant que le préjudice allégué n'est pas documenté.
Sur ce, la cour
Considérant que le premier contrat écrit a été conclu entre la société Mediaco Vrac et la société Paule Ka le 10 juin 2005; que des factures permettent de considérer que, antérieurement au contrat écrit, des relations contractuelles préexistaient depuis mars 2003; que la cession des parts sociales intervenue le 3 août 2010 entre la société Medico Vrac Développement et la société Véolog a eu pour effet de subroger le cessionnaire " dans les droits et obligations attachés aux parts cédées " de telle sorte que le contrat conclu avec la société Paule Ka s'est poursuivi avec la société Veolog Fashion jusqu'en 1er avril 2013, date de prise d'effet de la résiliation du contrat par la société Paule Ka ; que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a jugé que les parties avaient entretenu des relations commerciales établies depuis 10 années au jour de la résiliation; que le contrat a prévu une faculté de résiliation annuelle, à sa date anniversaire, avec un préavis de trois mois ;
Considérant que, par courrier recommandé du 2 janvier 2013, la société Paule Ka a avisé la société Veolog Fashion de sa décision de résilier le contrat " à l'issue d'un délai de préavis de trois mois, soit au 1 avril 2013 " ;
Considérant que la société Paule Ka est mal fondée à soutenir que les relations entre les parties n'étaient pas pérennes au motif qu'une offre logistiques avait été adressée le 28 octobre 2012 à une société Veolog ayant son siège à Trappes ; que si le destinataire est une société tierce cette offre est insusceptible de fragiliser les relations avec la société appelante; que, si l'offre a bien été adressée à la société Véolog Fashion, elle tend au contraire à prolonger sous d'autres formes les relations existantes ;
Considérant que la société Veolog est bien fondée à soutenir avoir été victime d'une rupture brutale de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6- I- 5° du Code de commerce ;
Considérant que, compte tenu de la durée des relations contractuelles pendant un délai de 10 ans, les premiers juge ont été fondés à considérer que la société Veolog aurait dû bénéficier d'un délai de préavis supérieur de 6 mois à celui qui lui a été accordé pour trois mois soit au total 9 mois; que le préjudice de la société Véolog Fashion ne résulte pas de la rupture elle-même mais de sa brutalité ; que son montant doit correspondre à sa perte de marge brute pendant 6 mois et non pas à la marge de production de services ;
Considérant que la société Véolog Fashion n'a pas déposé ses comptes annuels pour l'exercice clos le 31 décembre 2013 ainsi qu'il résulte de document délivré par le tribunal de commerce de Bobigny daté du 30 octobre 2014;
Considérant que la société Veolog a fait procéder à une expertise par le cabinet PWC (pièces 38 et 39 de l'appelante) qui fixe à 53 989,30 euros le chiffre d'affaires moyen mensuel de la société Véolog en lien avec le contrat conclu avec la société Paule Ka ; que ce montant qui correspond à celui retenu par le tribunal résulte des pièces comptables versées aux débats ;
Considérant que la société Paule Ka a fait procéder à une étude par M. Legoux, expert-comptable (pièce n° 22 de l'intimée) qui conteste principalement le taux de marge sur coûts variables moyen réalisé par la société Veolog dans le cadre de son contrat avec son client Paule Ka qui a été retenu à hauteur de 66% dans le rapport PWC; qu'en effet ce pourcentage procède d'un calcul qui intègre des loyers, des charges locatives, des salaires, des charges sociales et des frais d'amortissement qui ne résultent pas de la seule activité entretenue avec la société Paule Ka ; qu'en réalité s'agissant d'une activité principale d'entreposage non frigorifique les premiers juges ont justement appliqué un taux de 30% sur le chiffre d'affaires pour parvenir au montant de la perte de marge brute; que le jugement déféré doit ainsi être confirmé en ce qu'il a chiffré à 97 169 euros la somme due à la société Véolog au titre de l'insuffisance du préavis pendant 6 mois (30% x 53 983 x 6 ) ;
Considérant que le jugement doit également être confirmé en ce qu'il a débouté la société Véolog de sa demande au titre d'un préjudice économique distinct puisque seule est indemnisable l'insuffisance du préavis et non les conséquences de la rupture ; que les réclamations au titre de la dépréciation du fonds de commerce, au coût des licenciements et en indemnisation du préjudice moral et d'image doivent être nécessairement rejetées;
Considérant qu'il se déduit de ce qui précède que le jugement déféré doit être confirmé en toutes ses dispositions ;
Par ces motifs, confirme le jugement déféré; condamne la société Véolog à verser à la société Paule Ka la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; rejette toutes autres demandes; condamne la société Véolog aux dépens de la procédure d'appel et accorde à Maître Buret, avocat, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.