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Décisions

ADLC, 27 juillet 2017, n° 17-D-14

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation en Outre-mer

ADLC n° 17-D-14

27 juillet 2017

L'Autorité de la concurrence (section V)

Vu la décision n° 10-SO-01 du 29 janvier 2010, enregistrée sous le numéro 10/0005F, par laquelle l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits de grande consommation dans les départements d'outre-mer ; Vu la décision n° 14-SO-06 du 14 octobre 2014, enregistrée sous le numéro 14/0078F, par laquelle l'Autorité a étendu sa saisine d'office aux pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation dans l'ensemble des collectivités d'outre-mer pour lesquelles l'Autorité est compétente ; Vu la décision du 17 octobre 2014, par laquelle la rapporteure générale a joint l'instruction de ces deux dossiers ; Vu la décision du 31 mars 2015 par laquelle la rapporteure générale adjointe a procédé à la disjonction de l'instruction du volet des saisines n° 10/0005F et 14/0078F concernant les pratiques autres que celles mises en œuvre epar les sociétés Bolton Solitaire SA, Danone SA, Johnson & Johnson Santé et Beauté France et Pernod-Ricard et à l'ouverture d'un dossier distinct pour cette affaire sous le numéro 15/0029F ; Vu la décision du 23 novembre 2015 par laquelle la rapporteure générale adjointe de l'Autorité de la concurrence a procédé à la disjonction de l'instruction du dossier 15/0029F pour la partie relative aux pratiques concernant la société Henkel France et a procédé à l'ouverture d'un nouveau dossier enregistré sous le n° 15/0107F ; Vu la décision du 17 décembre 2015 par laquelle la rapporteure générale adjointe de l'Autorité de la concurrence a procédé à la disjonction de l'instruction du dossier 15/0029F pour la partie relative aux pratiques concernant la société Materne SAS et a procédé à l'ouverture d'un nouveau dossier enregistré sous le n° 15/0109F ; Vu la décision du rapporteur général en date du 16 mars 2017 prise en application de l'article L. 463-3 du Code du commerce, qui dispose que l'affaire fera l'objet d'une décision de l'Autorité de la concurrence sans établissement préalable d'un rapport ; Vu le procès-verbal de transaction en date du 3 mai 2017 signé par la rapporteure générale adjointe et les sociétés Materne SAS, MOM SAS, MBMA SAS et MBMA Holding SAS en application des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu le procès-verbal de transaction en date du 24 mai 2017 signé par la rapporteure générale adjointe, la société Sodibel et la société Établissements Frédéric Legros en application des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu la décision relative au secret des affaires n° 17-DSA-82 du 17 février 2017 ; Vu le livre IV du Code de commerce modifié et notamment l'article L. 420-2-1 ; Vu la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par les sociétés Materne SAS, MBMA SAS et MBMA Holding SAS et le commissaire du Gouvernement ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Materne SAS, MBMA SAS et MBMA Holding SAS, des sociétés Établissements Frédéric Legros et Sodibel entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 19 juillet 2017 ; Adopte la décision suivante :

I. Rappel de la procédure

1. À la suite de son avis n° 09-A-45 du 9 septembre 2009 relatif à l'importation et la distribution des produits de grande consommation dans les départements d'outre-mer, l'Autorité de la concurrence (ci-après l'"Autorité ") s'est saisie d'office, par décision du 29 janvier 2010 enregistrée sous le n° 10/0005 F, de pratiques dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation dans les départements d'outre-mer. Par décision du 14 octobre 2014 enregistrée sous le n° 14/0078 F, l'Autorité a étendu sa saisine d'office à l'ensemble des collectivités d'outre-mer.

2. Par une décision du 17 octobre 2014, il a été procédé à la jonction de l'instruction des deux affaires précitées.

3. Par une décision du 31 mars 2015, il a été procédé à la disjonction de l'instruction du volet des saisines 10/0005F et 14/0078F concernant les pratiques mises en œuvre par les sociétés Bolton Solitaire SA, Danone SA, Johnson & Johnson Santé et Beauté France et Pernod-Ricard dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation en outre-mer et à l'ouverture d'un dossier distinct pour cette affaire sous le n° 15/0029F, laquelle a donné lieu à la décision n° 15-D-14 du 10 septembre 2015.

4. Par une décision du 23 novembre 2015, la rapporteure générale adjointe de l'Autorité a procédé à la disjonction de l'instruction du dossier 15/0029F pour la partie relative aux pratiques concernant la société Henkel France et à l'ouverture d'un dossier distinct pour cette affaire sous le n° 15/0107F, laquelle a donné lieu à la décision n° 16-D-15 du 6 juillet 2016.

5. Par une décision du 17 décembre 2015, la rapporteure générale adjointe de l'Autorité a procédé à la disjonction de l'instruction du dossier 15/0029F pour la partie relative aux pratiques concernant la société Materne SAS et a procédé à l'ouverture d'un nouveau dossier enregistré sous le n° 15/0109F.

6. Le 16 mars 2017, le rapporteur général a décidé, en application de l'article L. 463-3 du Code du commerce, que l'affaire ferait l'objet d'une décision de l'Autorité sans établissement préalable d'un rapport et a adressé une notification de griefs simplifiée pour des pratiques prohibées par l'article L. 420-2-1 du Code de commerce aux sociétés suivantes :

- Materne SAS (en tant qu'auteur),

- MOM SAS (en tant que société mère),

- MBMA SAS (en tant que société mère),

- MBMA Holding SAS (en tant que société mère),

- Sodibel (en tant qu'auteur),

- Établissements Frédéric Legros (en tant que co-auteur et société mère).

II. Constatations

A. LE SECTEUR ET LES ENTREPRISES CONCERNÉS

1. LE SECTEUR CONCERNÉ

7. Le secteur concerné par la présente affaire est celui de la distribution des produits de grande consommation en outre-mer, tels que les produits d'alimentation frais ou non, les boissons, les produits d'hygiène corporelle et d'entretien domestique et les produits cosmétiques commercialisés sous marque de fabricant. Un très grand nombre de ces produits sont importés depuis l'Europe métropolitaine.

8. Dans son avis n° 09-A-45, précité, l'Autorité a distingué trois circuits d'approvisionnement des territoires ultramarins : le circuit intégré, le circuit court et le circuit long.

9. Le circuit intégré est celui par lequel l'industriel implante une structure logistique lourde sur le territoire concerné. Il assure ainsi le transport, la manutention des produits et l'approvisionnement des points de vente. Ce circuit, choisi par certains fournisseurs dans les territoires dans lesquels ils réalisent des chiffres d'affaires importants, est le moins fréquemment rencontré en pratique.

10. Dans le cas du circuit court (ou "circuit désintermédié "), le distributeur est livré sur ses propres plateformes de stockage situées en métropole, outre-mer ou dans les deux. Ce circuit d'approvisionnement est, par exemple, privilégié par les grands distributeurs pour l'approvisionnement en produits vendus sous leur marque.

11. Enfin, le circuit long (ou "circuit intermédié ") consiste à recourir à un intermédiaire, généralement désigné sous le terme "d'importateur-grossiste ", qui assure certaines opérations logistiques (stockage, livraison, etc.), revend aux distributeurs les produits achetés auprès des industriels et prend en charge certaines actions commerciales.

12. Le circuit long est le circuit d'approvisionnement historique dans les territoires ultramarins. Malgré le développement de l'approvisionnement direct au cours des deux dernières décennies, les industriels métropolitains ont recours au système intermédié de manière quasi systématique pour la vente de leurs produits de marque.

13. Les importateurs-grossistes sont indépendants des fournisseurs dont ils distribuent les produits. Malgré cette indépendance, le marché de l'intermédiation est caractérisé par une grande inertie des relations commerciales entre fournisseurs et grossistes-importateurs, établies pour certaines depuis plusieurs décennies, relations souvent renforcées par des pratiques d'exclusivités territoriales accordées par les fabricants et distributeurs aux grossistes-importateurs. Or, ces situations d'exclusivité sont susceptibles de limiter l'ampleur de la concurrence intramarque sur chaque territoire domien. Cette limitation peut, dans une certaine mesure, réduire la concurrence intermarque en raison d'un risque de nivellement des prix des produits de grande consommation importés de métropole, déjà très élevés par rapport aux prix de mêmes produits vendus en métropole.

14. C'est pour remédier à cette situation que la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer, dite loi "Lurel " (ci-après loi "Lurel "), a interdit les accords ou pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d'accorder des droits exclusifs d'importation dans les collectivités d'outre-mer dès lors qu'ils ne sont pas justifiés par l'intérêt des consommateurs. Les entreprises devaient s'être conformées à ces nouvelles dispositions législatives, codifiées à l'article L. 420-2-1 du Code de commerce, au plus tard le 22 mars 2013.

2. LES ENTREPRISES CONCERNÉES

a) Materne SAS

15. La société Materne SAS (RCS 528048 572) (ci-après "Materne "), est une entreprise agroalimentaire française créée en 1922 et spécialisée dans la transformation du fruit. En 1998, la marque a créé "Pom'Potes ", la première gourde de compote, aujourd'hui leader sur son marché.

16. A l'époque des pratiques, le capital de Materne ainsi que ceux des sociétés Mont Blanc SAS (RCS 448 954 362), Materne North America corp. et Materne Canada Inc. étaient détenus à 100 % par MOM SAS (RCS 492 247 978), elle-même détenue à 100 % par MBMA SAS (RCS 528 048 572), elle-même détenue à 99,48 % par MBMA Holding SAS (RCS 527 552 772), holding ultime au niveau de laquelle la consolidation du groupe MOM est établie. L'ensemble de ces entreprises forment le Groupe MOM.

17. Par acte du 23 mai 2017, MBMA SAS, associé unique de la société MOM SAS, a procédé à la dissolution anticipée sans liquidation de la société MOM SAS. Cette dissolution a entraîné la transmission universelle du patrimoine de la société MOM SAS à la société MBMA SAS.

18. Le Groupe MOM a réalisé un chiffre d'affaires mondial consolidé de 403 millions d'euros en 2014 puis de 420 millions d'euros en 2015.

19. Depuis le 5 décembre 2016, le Groupe MOM est détenu à hauteur de 65 % par les Fromageries Bel, leader mondial du fromage en portion, et à hauteur de 35 % par les investisseurs et principaux dirigeants et cadres du groupe.

20. Le Groupe Bel, actionnaire majoritaire du Groupe MOM, a réalisé en 2015 un chiffre d'affaires mondial consolidé de 2,9 milliards d'euros et un résultat net part du groupe de 184 millions d'euros.

21. Materne fabrique ou distribue quatre marques de desserts de fruits en France : "Materne ", marque de compotes en coupelles, "Pom'Potes ", marque de compotes en gourdes pour les enfants, "Ma Pause Fruit ", marque de gourdes de compotes pour adultes et barres de fruits, et "Confipote ", marque de confitures allégées.

22. Materne fabrique également des produits à marque de distributeurs.

23. Mont Blanc SAS est spécialisée dans la production de produits lactés qu'elle commercialise sous les marques "Mont Blanc ", "Mont Blanc Récré ", "O'LE" et "Gloria ". Depuis le 1er janvier 2013, Materne distribue les produits fabriqués par Mont Blanc SAS.

b) Sodibel

24. La société Sodibel (ci-après "Sodibel "), créée en 2007, est une société à responsabilité limitée située à La Réunion, filiale de la société Établissements Frédéric Legros (ci-après "Ets Frédéric Legros "). Elle est spécialisée dans l'importation et la distribution de produits d'hygiène beauté, de produits d'entretien, d'alcools et de produits alimentaires à LaRéunion.

25. Sodibel distribue les produits Materne aux différents magasins du Groupe Vindemia (Casino), tels Jumbo et Score, Carrefour, Leader Price, Géant Chatoire et Système U.

26. Au cours de l'instruction, Sodibel a déclaré couvrir 70 % du marché réunionnais en volume de produits Materne, les 30 % restant étant importés directement de métropole par les distributeurs intégrés (cote 67).

27. En 2014, Sodibel a réalisé un chiffre d'affaires hors taxes en France de 5,4 millions d'euros dont 4,9 millions d'euros au titre de la vente de marchandises. La même année, les achats de produits Materne ont représenté 546 581 euros, soit environ 15 % du montant total des achats de Sodibel qui s'élève à 3,2 millions d'euros.

28. En 2015, le chiffre d'affaires total hors taxes de Sodibel a été porté à 6,3 millions d'euros dont 17 % pour les produits Materne.

B. LES PRATIQUES CONSTATÉES

29. Le 25 janvier 2012, Materne a conclu avec Ets Frédéric Legros un contrat de distribution exclusive de ses produits sur les territoires de l'Ile de la Réunion, de l'Ile de Mayotte et de l'Ile Maurice.

30. L'article 7.1 du contrat stipule ainsi que "L'exclusivité accordée au Distributeur s'entend de l'engagement du Fournisseur de ne livrer les Produits, directement ou indirectement par tout intermédiaire, à aucun autre client que le Distributeur sur le Territoire, personne physique ou morale ".

31. En outre, selon l'article 18, " le Distributeur s'interdit pendant toute la durée du présent contrat et des périodes de reconduction éventuelles de celui-ci, de distribuer des produits concurrents des produits sur le Territoire. On entend par produits concurrents les confitures et les desserts à base de fruits tels que les compotes ou spécialités de fruits vendus au rayon épicerie, à l'exclusion des jus de fruits et des fruits au sirop ".

32. L'article 4 du contrat prévoit enfin une durée de trois ans renouvelable par tacite reconduction par périodes successives d'un an, sauf dénonciation par l'une des parties avec un préavis de six mois, adressée par lettre recommandée avec accusé de réception.

33. Il ressort des pièces du dossier et notamment des déclarations de Sodibel, que cette société, filiale d'Ets Frédéric Legros, distribue pour le compte de sa société mère les produits Materne sur les territoires de La Réunion et de Mayotte (cote 67).

34. Le 5 juillet 2016, Materne et Ets Frédéric Legros ont signé un avenant (cotes 686 à 689) aux conditions générales de vente 2016 de Materne (cotes 725 à 729), portant notamment sur les modalités de révision des tarifs, de livraison des produits, les conditions de règlement, les garanties et les pénalités contractuelles.

C. LES GRIEFS NOTIFIÉS

35. Par courrier en date du 21 mars 2017, le rapporteur général de l'Autorité a notifié les griefs suivants aux parties :

"Grief n° 1 : Il est fait grief à Materne SAS en tant que société auteur et aux sociétés MOM, MBMA SAS et MBMA Holding SAS en qualité de sociétés mères de l'auteur, d'avoir accordé des droits exclusifs d'importation des produits Materne à la société Sodibel sur le territoire de la Réunion et de Mayotte, pour la période de 22 mars 2013 au 5 juillet 2016.

Cette pratique est contraire à l'article L. 420-2-1 du Code de commerce.

Grief n° 2 : Il est fait grief à la société Sodibel en tant qu'auteur et aux Établissements Frédéric Legros en tant que co-auteur et société-mère, d'avoir, pour la période du 22 mars 2013 au 5 juillet 2016, bénéficié de droits exclusifs d'importation des produits Materne, sur le territoire de La Réunion et de Mayotte.

Cette pratique est contraire à l'article L. 420-2-1 du Code de commerce ".

III. Discussion

A. SUR LA MISE EN OEUVRE DE LA PROCÉDURE DE TRANSACTION

36. Le III de l'article L. 464-2 du Code du commerce dispose : "Lorsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut lui soumettre une proposition de transaction fixant le montant minimal et le montant maximal de la sanction pécuniaire envisagée. Lorsque l'entreprise ou l'organisme s'engage à modifier son comportement, le rapporteur général peut en tenir compte dans sa proposition de transaction. Si, dans un délai fixé par le rapporteur général, l'organisme ou l'entreprise donne son accord à la proposition de transaction, le rapporteur général propose à l'Autorité de la concurrence, qui entend l'entreprise ou l'organisme et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire (...) dans les limites fixées par la transaction ".

37. En l'espèce, les sociétés mises en cause, en qualités d'auteur, co-auteur et de société mère, n'ont pas contesté la réalité des griefs qui leur ont été notifiés et ont sollicité l'application des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce auprès du rapporteur général de l'Autorité qui leur a soumis à chacune une proposition de transaction.

38. La mise en œuvre du texte précité a donné lieu à l'établissement de procès-verbaux de transaction par lesquels les sociétés mises en cause et leurs sociétés mères ont donné leur accord à une proposition de transaction.

39. Lors de la séance du 19 juillet 2017, les sociétés mises en cause et leurs sociétés mères ont confirmé leur accord avec les termes de la transaction dont elles ont accepté, en toute connaissance de cause, les conséquences juridiques notamment en ce qui concerne le montant de la sanction pécuniaire.

B. SUR L'EXISTENCE DE DROITS EXCLUSIFS D'IMPORTATION

40. L'article L. 420-2-1 du Code de commerce prohibe les accords ou pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d'accorder des droits exclusifs d'importation à une entreprise ou à un groupe d'entreprises dans les collectivités d'outre-mer.

41. En application du II de l'article 5 de la loi "Lurel ", les parties à ces accords ou pratiques concertées devaient s'être conformées aux dispositions de l'article L. 420-2-1 du Code de commerce au plus tard le 22 mars 2013.

42. Or, il résulte de l'ensemble des éléments exposés ci-dessus que, postérieurement au 22 mars 2013, la distribution exclusive en circuit long d'un large ensemble de produits à un seul grossiste-importateur sur les territoires de La Réunion et de Mayotte était prévue au contrat conclu entre Materne et Ets Frédéric Legros.

43. Les parties au contrat n'ayant pas formellement renoncé à sa reconduction tacite dans les formes contractuellement prévues, le contrat doit être regardé comme ayant été reconduit tacitement à compter du 25 janvier 2015 et demeuré en vigueur jusqu'à la signature le 5 juillet 2016 de l'avenant aux conditions générales de vente 2016 de Materne, conformément aux griefs notifiés.

44. Dans ces conditions, Ets Frédéric Legros et Sodibel ont bénéficié illégalement de cette exclusivité de distribution du 22 mars 2013 au 5 juillet 2016, en violation de l'article L. 420-2-1 du Code de commerce.

C. SUR LES SANCTIONS

45. Le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code du commerce prévoit que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".

46. L'article L. 464-5 du Code du commerce dispose que l'Autorité peut, lorsqu'elle met en œuvre la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3 du Code du commerce, prononcer les sanctions prévues au I de l'article L. 464-2 de ce Code. Toutefois, la sanction ne peut excéder 750 000 euros pour l'entreprise mise en cause.

1. SUR LA GRAVITÉ DES PRATIQUES ET LE DOMMAGE À L'ÉCONOMIE

a) Sur la gravité des pratiques

47. L'infraction à l'article L. 420-2-1 du Code de commerce, qui consiste à accorder des droits exclusifs d'importation à une entreprise ou à un groupe d'entreprises en outre-mer, non justifiés par l'intérêt des consommateurs a, en elle-même, un impact négatif sur la concurrence intramarque et empêche l'animation de la concurrence sur les marchés intermédiaires.

48. Les débats parlementaires (notamment l'avis de la commission des lois du 3 octobre 2012, n° 243) ont explicité les raisons pour lesquelles il convenait de mettre fin à la pratique de droits exclusifs d'importation en outre-mer. L'Autorité rejoint ce raisonnement et estime cependant que cette pratique ne saurait revêtir le même caractère de gravité que les ententes et les abus de position dominante.

b) Sur l'importance du dommage à l'économie

49. Les pratiques relevées à la Réunion et à Mayotte ont conduit à limiter la mise en concurrence des grossistes par les détaillants pour leur approvisionnement en produits de marque Materne, leader sur le marché des compotes et des crèmes desserts, produits alimentaires de consommation courante difficilement substituables par des marques de distributeur, peu présentes dans les territoires ultra-marins. De plus, les exclusivités accordées par Materne ont pu ainsi atténuer la concurrence inter-marque en affaiblissant l'agressivité tarifaire des fabricants, ainsi que le soulignait l'avis 09-A-45 précité (point 102). Ces pratiques ont donc causé un dommage certain à l'économie.

2. SUR LE MONTANT FINAL DES SANCTIONS

50. Au vu de l'ensemble de ces éléments et dans le respect des termes de la transaction :

- le montant de la sanction infligée solidairement à Materne et aux sociétés MBMA SAS et MBMA Holding SAS est fixé à 70 000 euros.

- le montant de la sanction infligée solidairement à Ets Frédéric Legros et à Sodibel est fixé à 30 000 euros.

DÉCISION

Article 1er : Il est établi que les sociétés Materne SAS, Établissements Frédéric Legros et Sodibel ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2-1 du Code de commerce.

Article 2 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

- à la société Materne SAS en tant qu'auteur solidairement avec les sociétés MBMA SAS et MBMA Holding SAS en leur qualité de société mère, une sanction de 70 000 euros.

- à la société Sodibel en tant qu'auteur et solidairement avec la société Établissements Frédéric Legros, en tant que co-auteur et en sa qualité de société mère, une sanction de 30 000 euros.

Délibéré sur le rapport oral de Mme Audrey Sabourin, rapporteure et l'intervention de Mme Juliette Théry-Schultz, rapporteure générale adjointe, par M. Thierry Dahan, vice-président, président de séance, Mme Pierrette Pinot et M. Olivier d'Ormesson, membres.