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Décisions

ADLC, 25 juillet 2017, n° 17-D-11

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité télévisuelle

ADLC n° 17-D-11

25 juillet 2017

L'Autorité de la concurrence (section IV),

Vu la lettre, enregistrée le 12 juin 2013 sous le numéro 13/0039 F, par laquelle les sociétés Groupe Canal+, Canal+ Régie, D8 et D17 ont saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité télévisuelle ; Vu l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ; Vu le livre IV du Code de commerce modifié relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu l'avis adopté par le Conseil supérieur de l'audiovisuel le 28 avril 2014 sur le fondement des dispositions de l'article R. 463-9 du Code de commerce ; Vu les décisions de secret des affaires n° 17-DSA-187 du 4 mai 2017, n° 17-DSA-185 du 4 mai 2017 ; n° 16-DSA-365 du 27 octobre 2016, n° 16-DSA-305 du 27 septembre 2016, n° 16-DSA-108 du 11 mai 2016, n° 15-DSA-189 du 7 mai 2015, n° 14-DSA-207 du 22 juillet 2014, n° 13-DSA-263 du 20 septembre 2013 ; Vu les observations présentées par les sociétés Groupe Canal+, Canal+ Régie, D8, D17 et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces au dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, les représentants des sociétés Groupe Canal+, Canal+ Régie, D8 et D17, entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 21 juin 2017, le commissaire du Gouvernement ayant été régulièrement convoqué.

Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA PROCÉDURE

1. Par lettre enregistrée le 12 juin 2013 sous le numéro 13/0039F, les sociétés Groupe Canal+, Canal+ Régie, D8 et D17 ont saisi l'Autorité de la concurrence (ci-après, " l'Autorité ") de pratiques mises en œuvre par le groupe TF1 dans le secteur de la publicité télévisuelle qu'elles estiment contraires aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

2. Les saisissantes dénoncent la promotion croisée de la chaîne HD1 sur l'antenne de TF1, la commercialisation couplée d'espaces publicitaires de la chaîne TF1 et d'autres chaînes gratuites du groupe et le refus de vente d'espaces publicitaires de la chaîne TF1 opposé à D8.

3. En application des dispositions de l'article R. 463-9 du Code de commerce, par courrier du 21 novembre 2013, l'Autorité a communiqué pour observations la saisine de Canal+ au Conseil supérieur de l'audiovisuel (ci-après, "CSA"). Le CSA s'est prononcé sur cette saisine par un avis du 28 avril 2014.

4. La rapporteure générale de l'Autorité a adressé une proposition de non-lieu à poursuivre la procédure aux sociétés du groupe Canal+ et au commissaire du Gouvernement le 22 décembre 2016.

B. LES SECTEURS CONCERNÉS

1. LE SECTEUR AUDIOVISUEL

5. La chaîne de valeur du secteur audiovisuel comporte quatre activités principales.

6. En premier lieu, l'activité de production vise à concevoir et réaliser des œuvres audiovisuelles telles que les films et les émissions de télévision. Les chaînes de télévision constituent le principal mode d'exploitation et de financement des productions audiovisuelles.

7. En deuxième lieu, l'activité d'édition des contenus consiste en la réalisation de grilles de programmes. Les éditeurs de services de télévision définissent la thématique et la ligne éditoriale de leurs chaînes et, sur cette base, produisent en interne leurs propres programmes et acquièrent auprès de producteurs des droits de diffusion de contenus de diverses natures. Les éditeurs de services de télévision payante offrent ensuite aux différents distributeurs le droit de commercialiser leurs chaînes.

8. En troisième lieu, les distributeurs assurent la commercialisation des offres de télévision payante, sous forme de bouquets de chaînes accessibles par abonnement ou "à la carte ", auprès des consommateurs finals ainsi que la gestion de la relation avec ces derniers. Les activités d'édition et de distribution dans le secteur de la télévision payante tirent l'essentiel de leurs revenus des abonnements payés par les consommateurs finals, alors que l'édition de chaînes gratuites est presque entièrement rémunérée par les recettes générées par la publicité télévisuelle.

9. Enfin, l'activité de diffusion correspond à la prestation technique consistant à transporter des contenus de la régie des chaînes de télévision jusqu'aux récepteurs des téléspectateurs ou abonnés qu'accèdent aux contenus par l'intermédiaire de différentes plateformes : le câble, le satellite, l'ADSL, la fibre optique ou encore la plateforme hertzienne.

10. Il existe de fortes interdépendances entre les marchés de l'acquisition des droits de diffusion de contenus audiovisuels et celui de la publicité télévisuelle. En effet, plus les recettes publicitaires sont élevées, plus les éditeurs de services de télévision gratuite ont la capacité d'investir dans l'acquisition de contenus audiovisuels attractifs auprès des téléspectateurs. La diffusion de contenus plus attractifs permet, à son tour, d'augmenter l'audience des chaînes, une telle augmentation se traduisant, elle-même, par un accroissement des recettes publicitaires et, par conséquent, de la capacité à acquérir des contenus encore plus attractifs. La publicité télévisuelle est donc essentielle dans le fonctionnement du secteur de l'audiovisuel.

2. LA PUBLICITÉ TÉLÉVISUELLE

11. Dans le domaine de la publicité télévisuelle, les régies publicitaires servent d'intermédiaires entre deux catégories d'opérateurs. D'une part, les éditeurs de services de télévision font appel aux régies publicitaires pour commercialiser leurs espaces publicitaires. D'autre part, les régies publicitaires commercialisent les espaces publicitaires des éditeurs de services de télévision auprès des agences médias mandatées par les annonceurs, demandeurs de tels espaces. La présente affaire concerne uniquement la partie du marché qui met en relation les régies publicitaires avec les annonceurs, représentés par les agences médias.

a) L'élaboration de la stratégie "média " des annonceurs

12. Par contrat de mandat, chaque annonceur délègue aux agences médias les fonctions d'établir une "stratégie média " et de négocier ses conditions de mise en œuvre avec les régies publicitaires.

13. Pour ce faire, l'agence média formule des recommandations sur la répartition la plus pertinente de l'investissement publicitaire total de l'annonceur entre les différents supports médias (télévision, presse, radio, affichage, cinéma et médias digitaux) en fonction de la nature des messages publicitaires à diffuser, des marques concernées, des cibles visées et des coûts inhérents à chaque support (cotes 952 et 966). Puis, sur la base des recommandations validées par l'annonceur, l'agence média négocie les achats d'espaces publicitaires auprès des régies spécialisées dans chaque support média.

14. Selon le montant attribué au média télévision, l'agence média propose à l'annonceur une répartition de ce montant sur des combinaisons d'espaces publicitaires sur différentes chaînes (hertziennes gratuites historiques, nouvelles chaînes de la TNT gratuites apparues en 2005, puis en 2012, et payantes) et à différentes tranches horaires en fonction de la performance attendue du spot publicitaire et du prix des espaces publicitaires concernés.

15. La performance d'un spot publicitaire est fortement corrélée à la puissance de l'écran publicitaire dans lequel il est inséré, cette puissance se mesurant en nombre de "points de couverture brute " (" gross rating points ") ou GRP, que l'écran publicitaire permet d'atteindre sur une cible particulière. Le "coût GRP " d'un espace publicitaire télévisuel correspond à son prix divisé par le GRP qu'un spot inséré dans cet espace permet d'atteindre sur une cible donnée.

16. La puissance des écrans croît avec l'audience, les écrans puissants étant principalement ceux disponibles dans la tranche horaire de première partie de soirée ou ceux associés à des évènements particuliers diffusés dans les autres tranches horaires. Les écrans puissants sont ceux offerts par les chaînes hertziennes gratuites historiques. Ainsi, la chaîne TF1 concentre des écrans puissants sur un grand nombre de cibles. Les chaînes M6, France 2 et France 3 disposent également, en fonction de leur programmation, d'un certain nombre d'écrans puissants.

17. Le développement des nouvelles chaînes de la TNT gratuite (par opposition aux chaînes hertziennes gratuites historiques) a fortement augmenté le volume d'écrans publicitaires et, notamment, l'offre d'écrans de faible puissance (cote 819). Par ailleurs, la diversité des lignes éditoriales proposées par les nouvelles chaînes de la TNT gratuite leur permet d'attirer des audiences plus spécifiques et, en conséquence, des cibles publicitaires plus précises.

18. Chaque campagne publicitaire repose sur des espaces situés au sein d'écrans de différentes puissances, les écrans les plus puissants apparaissant comme complémentaires, plutôt que substituables, aux écrans moins puissants.

19. Les arbitrages complexes réalisés par une agence média pour répartir l'investissement publicitaire télévisuel d'un annonceur donné sur les différentes chaînes sont notamment guidés par le produit objet de la campagne publicitaire et son ciblage (cote 955), par les objectifs de couverture et de répétition, qui imposent le recours à des espaces situés au sein d'écrans plus ou moins puissants (cotes 954, 988 et 990) et par le prix des espaces publicitaires télévisuels, qui limite le recours à ceux situés au sein des écrans puissants, plus onéreux (cotes 954 et 968).

b) La commercialisation des espaces publicitaires télévisuels par les régies

20. Les régies spécialisées en média télévision commercialisent les espaces publicitaires télévisuels selon deux principaux modes. En mode "spot à spot ", l'agence média construit une campagne publicitaire sur mesure en sélectionnant précisément l'espace publicitaire dans lequel le spot sera inséré, ce qui est particulièrement pertinent lorsque l'annonceur est attaché à la valeur du programme dans lequel l'espace publicitaire est inséré (cote 958). Avec l'arrivée des nouvelles chaînes de la TNT gratuite, un second mode de commercialisation, dit en "coût GRP garanti ", s'est développé. Dans ce cas, la régie publicitaire sélectionne, en fonction des dates de la campagne, du budget de l'annonceur, du nombre de GRP et de leur répartition par tranches horaires souhaitée par l'agence média, l'espace publicitaire dans lequel le spot sera inséré. Pour une même campagne publicitaire, une agence média peut recourir à l'achat d'espaces publicitaires télévisuels selon ces deux modes de commercialisation.

21. En application du premier alinéa de l'article L. 441-6 du Code de commerce, les régies publicitaires membres du Syndicat national de la publicité télévisée (ci-après, "SNPTV") publient, au cours du mois d'octobre de l'année N-1 et pour l'année N, leurs conditions générales de vente (ci-après, "CGV") des espaces publicitaires télévisuels de l'ensemble des chaînes dont elles assurent la régie. Ces CGV décrivent les offres commerciales proposées par les régies aux annonceurs et comportent les grilles de prix bruts des espaces publicitaires ainsi que les avantages financiers ou d'autre nature qui peuvent être consentis et les majorations tarifaires qui peuvent être appliquées.

22. Après la publication des CGV, les agences médias approchent les régies, au plus tard courant décembre, afin de négocier, pour le compte de chacun de leurs clients annonceurs, les conditions d'achat d'espaces publicitaires télévisuels pour l'année N (cote 959).

Les conditions particulières de vente, qui ont été négociées, sont formalisées dans un contrat d'une durée inférieure ou égale à un an (cotes 959, 988 et 990) liant la régie, l'agence et, le cas échéant, l'annonceur.

c) Le cadre législatif et réglementaire applicable à la diffusion de messages publicitaires télévisés

23. Selon l'article 2 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 modifié, relatif à la publicité, au parrainage et au téléachat, constitue une publicité " toute forme de message télévisé diffusé contre rémunération ou autre contrepartie en vue soit de promouvoir la fourniture de biens ou services, y compris ceux qui sont présentés sous leur appellation générique, dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou de profession libérale, soit d'assurer la promotion commerciale d'une entreprise publique ou privée ".

24. Sous le contrôle du CSA, les éditeurs de services de télévision sont tenus de respecter des règles encadrant aussi bien l'interruption publicitaire des émissions télévisées que le temps d'antenne pouvant être consacré à la diffusion de messages publicitaires insérés dans les espaces situés au sein d'écrans publicitaires.

25. Conformément au paragraphe I de l'article 15 du décret précité n° 92-280 du 27 mars 1992 modifié précité, les messages publicitaires "peuvent être insérés dans les émissions, à condition de ne pas porter atteinte à l'intégrité et à la valeur de ces émissions, de tenir compte des interruptions naturelles du programme ainsi que de sa durée et de sa nature, et de ne pas porter atteinte aux droits des ayants droit ".

26. Le temps d'antenne pouvant être consacré à la diffusion de messages publicitaires télévisés est encadré par le décret n° 92-280 du 27 mars 1992 modifié précité, par les cahiers des missions et des charges des chaînes de télévision publiques et par les conventions conclues entre le CSA et les éditeurs de services privés de télévision.

d) Les opérations de parrainage

27. D'après l'article 17 du décret précité n° 92-280 du 27 mars 1992 modifié, constitue un parrainage " toute contribution d'une entreprise ou d'une personne morale publique ou privée ou d'une personne physique, n'exerçant pas d'activités d'édition de services de télévision ou de médias audiovisuels à la demande ou de production d'œuvres audiovisuelles, au financement de services de télévision ou de programmes dans le but de promouvoir son nom, sa marque, son image, ses activités, ses produits ou ses services ".

28. A la différence du message publicitaire télévisé inséré dans un écran publicitaire, l'opération de parrainage d'une émission télévisée doit être exempte de tout argument publicitaire, son objet étant de promouvoir le nom, la marque, l'image ou les activités d'un parrain en les associant à une émission télévisée (voir paragraphe II de l'article 18 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 modifié précité).

29. A la différence des messages publicitaires insérés dans des écrans publicitaires, le message de parrainage prend la forme d'une animation graphique, ou "billboard " qui apparaît au début ou à la fin de l'émission télévisée parrainée et permet d'identifier clairement le parrain, " cette identification p[ouvant] se faire par le nom, le logo ou autre symbole du parrain, notamment au moyen d'une référence à ses produits ou services ou d'un signe distinctif " (paragraphe III de l'article 18 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 modifié précité). Enfin, contrairement à la diffusion de messages publicitaires, le temps d'antenne pouvant être consacré aux opérations de parrainage d'émissions télévisées n'est pas encadré par des dispositions réglementaires.

30. Les textes autorisent également le parrainage des émissions des stations de radio publiques (voir notamment l'article 46 du décret du 13 novembre 1987 modifié portant approbation des cahiers des missions et des charges de la société Radio France et de l'Institut national de l'audiovisuel) et privées (voir notamment l'article 9 du décret nº 87-239 du 6 avril 1987 modifié pris pour l'application de l'article 27-I de la loi précitée nº 86-1067 du 30 septembre 1986modifiée).

e) La promotion croisée entre chaines de télévision appartenant à un même groupe

31. Les cahiers des missions et des charges des différentes sociétés éditrices de chaînes de télévision publique permettent à chacune des sociétés appartenant au groupe France Télévisions, d'avoir recours à la promotion croisée entre chaînes de télévision publique (cote 2833).

32. Réuni en assemblée plénière le 22 juillet 2008, le CSA a autorisé la promotion croisée entre chaînes de télévision privées, gratuites ou payantes, appartenant au même groupe audiovisuel, à condition qu'elle revête un caractère purement informatif (délibération du CSA en date du 22 juillet 2008).

33. Les groupes audiovisuels privés souhaitant y avoir recours doivent, à l'instar de la société nationale de programme France Télévisions (cotes 2834 et 2835), respecter deux conditions (cote 837). D'une part, la promotion croisée ne peut être effectuée qu'entre services de télévision contrôlés, au sens de l'article L. 233-3 du Code de commerce, par un même groupe audiovisuel. D'autre part, la promotion croisée ne doit pas revêtir un caractère laudatif. Par conséquent, la bande-annonce doit être purement informative. Selon le CSA, "[e]st considéré comme informative l'annonce, par une bande-annonce, d'un programme mentionnant son titre, le service de télévision sur lequel il sera diffusé, la date et l'heure de cette diffusion, sans mention du nom du distributeur " (délibération du CSA en date du 22 juillet 2008 précitée). A défaut, la bande-annonce sera soumise aux règles encadrant les messages publicitaires télévisés.

34. Dans son avis rendu au cours de l'instruction, le CSA a précisé que les bandes-annonces relevant de la promotion croisée ne doivent pas être insérées dans les espaces situés au sein d'écrans publicitaires dans la mesure où, selon l'article 14 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 modifié précité, seuls des messages publicitaires, au sens de l'article 2 du même décret, ou les messages d'intérêt général à caractère non publicitaire peuvent l'être. En outre, le CSA a indiqué que "dans la mesure où les bandes annonces relevant de la promotion croisée au sens de la délibération du 22 juillet 2008 sont considérées comme relevant de la catégorie " programmes ", il n'existe pas de mécanismes encadrant le temps d'antenne qui leur est consacré " (cote 2832).

f) La publicité sur les services de télévision de rattrapage

35. La télévision de rattrapage, dénommée en anglais " replay " ou "catch-up TV ", désigne l'ensemble des services permettant de voir ou revoir des programmes après leur diffusion sur une chaîne de télévision, pendant une période déterminée. Ils sont, à ce jour, gratuits en ce qui concerne les offres de rattrapage de l'ensemble des chaînes nationales gratuites, y compris Canal+ pour ses plages en clair, ou inclus dans l'abonnement (sans supplément) pour ce qui relève des offres de rattrapage des chaînes payantes.

36. Les services de télévision de rattrapage des chaînes gratuites et payantes sont disponibles via internet sur différents écrans (ordinateurs, tablettes et mobiles). Ils sont également repris par les fournisseurs d'accès à internet et intégrés dans leurs offres de télévision accessibles via ADSL ou fibre optique.

37. En mars 2016, plus de 100 chaînes, dont l'ensemble des chaînes nationales gratuites, proposaient un service de télévision de rattrapage. En novembre 2015, 60 % des programmes diffusés entre 17 heures et minuit sur l'ensemble des chaînes nationales gratuites étaient disponibles sur leurs services de télévision rattrapage.

38. La consommation de télévision de rattrapage, tous écrans confondus, enregistre une croissance importante, passant de 5,1 milliards à 6,5 milliards de vidéos visionnées en 2016, soit une progression de 27 % sur un an2.

39. Les recettes publicitaires constituent, pour les chaînes gratuites, la principale source de revenus liée à l'exploitation des programmes audiovisuels en télévision de rattrapage3.

40. En 2015, les recettes publicitaires du marché de la télévision de rattrapage, tous écrans confondus, étaient estimées à 90 millions d'euros, contre 80 millions d'euros en 20144. Rapportées aux recettes publicitaires nettes du marché de la publicité télévisuelle en 2015, elles représentent, cependant, moins de 3 % de ce marché5.

41. Les recettes publicitaires tirées par les chaînes gratuites de l'exploitation des programmes audiovisuels en télévision de rattrapage sont principalement issues de la vente de formats publicitaires vidéo insérés dans le flux (ci-après, " in-stream") et diffusés au début (ci-après, "pré-roll ") et/ou au milieu (ci-après, "mid-roll ") et/ou à la fin (ci-après, "post-roll ") des programmes disponibles sur leurs services de télévision de rattrapage. Mais les sites web des services de télévision de rattrapage des chaînes gratuites mettent également à disposition des annonceurs divers formats d'affichage publicitaire (pavés, bannières, interstitiels, etc.) ainsi que des formats publicitaires événementiels tels que l'habillage de la page d'accueil du site et l'affichage d'un message publicitaire en plein écran lors de la connexion au site, à partir de la page d'accueil ("pré-home ") ou indépendamment de la page d'entrée sur le site (ci-après, "pré-site ").

C. LES PARTIES CONCERNÉES

1. LE GROUPE CANAL+

42. La société Groupe Canal+ (ci-après, "GCP ") est une filiale à 100 % du groupe Vivendi. Elle est principalement active en France métropolitaine dans l'édition de chaînes payantes, premium et thématiques, et de chaînes gratuites, dans l'agrégation et la distribution d'offres de télévision payante, dans les nouveaux usages télévisuels et dans la production et la distribution d'œuvres cinématographiques.

43. Au titre de ses activités de télévision payante, GCP édite la chaîne premium Canal+, disposant de plages de programmes en clair, et cinq déclinaisons de cette chaîne, Canal+ Cinéma, Canal+ Sport, Canal+ Family, Canal+ Décalé et Canal+ Séries, ainsi qu'une vingtaine de chaînes thématiques. Ces chaînes, ainsi que d'autres provenant d'éditeurs tiers, sont associées et rassemblées par GCP au sein de bouquets ou de packs thématiques.

44. Au titre de ses activités de télévision gratuite, GCP édite les chaînes C8 et CSTAR, lancées le 7 octobre 2012 sous les noms D8, chaîne généraliste destinée au grand public qui privilégie les émissions inédites et en direct, et D17, chaîne musicale, et la chaîne i>Télé, devenue CNEWS. L'ensemble de ces chaînes sont disponibles sur la TNT, le câble, le satellite, l'ADSL et les supports digitaux mobiles.

45. Par ailleurs, GCP assure à ce jour, par sa régie publicitaire Canal+ Régie, la commercialisation des espaces publicitaires des chaînes C8, CSTAR, CNEWS, Canal+, Canal+ Décalé, Canal+ Sport et de plusieurs chaînes thématiques. Canal+ Régie est aussi la régie publicitaire des déclinaisons des chaînes C8, CSTAR, CNEWS et Canal+ sur Dailymotion et Youtube. Elle est enfin la régie publicitaire des sites Internet, des applications sur mobiles et tablettes et des services de télévision de rattrapage de GCP ainsi que du réseau de salles de cinéma UGC.

46. GCP propose également des offres de télévision payante non linéaire à travers son service de vidéo à la demande avec abonnement, Canalplay, et de son service de vidéo à la demande sans abonnement, CanalVOD. Enfin, GCP est active en matière de production, d'acquisition et de distribution de films et de séries télévisées à travers sa filiale Studiocanal, détenue à 100 %.

47. Le chiffre d'affaires consolidé de GCP s'élevait à 5 253 millions d'euros en 2016 et à 5 513millions d'euros en 2015.

2. LE GROUPE TF1

48. Le groupe TF1, dont Télévision Française 1 est la société faîtière, est un groupe de communication privé du secteur de l'audiovisuel français. La société Télévision Française 1 est détenue à 43,9 % par le groupe Bouygues qui est également actif dans les secteurs des télécoms et de la construction.

49. En amont, le groupe TF1 est actif en matière de production et d'acquisition de droits de diffusion de contenus audiovisuels à travers ses filiales TF1 Droits Audiovisuels, TF1 Production et TF1 Films Production. Il a récemment acquis 70 % du capital de la société Newen Studios, société mère du groupe de production indépendant Newen.

50. En aval, le groupe TF1 édite les chaînes gratuitesTF1, TMC, NT1, HD1 et LCI ainsi que les chaînes thématiques payantes Série Club, TV Breizh, Histoire et Ushuaïa. L'ensemble de ces chaînes sont diffusées sur le câble, le satellite, l'ADSL et les supports digitaux mobiles.

51. Le groupe TF1 est éditeur de DVD, de Blu-Ray ainsi que de la plateforme de vidéo à la demande MYTF1VOD.

52. Par ailleurs, la société e-TF1 est chargée de développer les activités du groupe sur les supports digitaux. Au travers de la marque digitale MYTF1, elle assure une offre de télévision de rattrapage qui regroupe, depuis le 25 mai 2015, les services de télévision de rattrapage des chaînes TF1, HD1, NT1 et TMC. Cette offre permet de voir ou revoir, via Internet et sur différents écrans (ordinateurs, smartphones et tablettes), tout ou partie des programmes récemment diffusés sur les chaînes TF1, HD1, NT1 et TMC. Elle est également intégrée dans les offres de télévision, des principaux fournisseurs d'accès à Internet, accessibles via ADSL ou fibre optique.

53. Le groupe TF1 concentre aujourd'hui l'ensemble de ses activités de régie publicitaire au sein de TF1 Publicité, société détenue à 100 % par Télévision Française 1.

54. Afin de remédier aux risques concurrentiels de l'opération de rachat par le groupe TF1 des chaînes TMC et NT1, identifiés par l'Autorité dans le cadre de la décision n° 10-DCC-11 du 26 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe TF1 des sociétés NT1 et Monte-Carlo Participations (groupe AB), le groupe TF1 s'était engagé à ne pratiquer aucune forme de couplage, de subordination, d'avantage ou de contrepartie entre les espaces publicitaires de la chaîne TF1 et ceux des chaînes TMC et NT1. Afin d'assurer l'effectivité d'un tel engagement, le groupe TF1 s'était également engagé à ce que la commercialisation des espaces publicitaires des chaînes TMC et NT1 soit assurée par TMC Régie, régie publicitaire jouissant d'une pleine autonomie vis-à-vis de TF1 Publicité.

55. De même, le groupe TF1 s'était engagé, pour une durée de cinq ans, à ne procéder à aucune promotion croisée des programmes des chaînes TMC et NT1 sur l'antenne de la chaîne TF1. Par ailleurs, dans le cadre de la modification des modalités de financement du service de télévision hertzienne terrestre LCI, le groupe TF1 s'est également engagé, auprès du CSA cette fois-ci, à ne procéder à aucune promotion croisée des programmes de la chaîne LCI sur l'antenne de la chaîne TF1 pendant une période de deux ans, à compter de la première diffusion effective de LCI sur la TNT gratuite, première diffusion intervenue le 5 avril 2016.

56. L'expiration en janvier 2015des engagements pris dans le cadre de l'opération de rachat par le groupe TF1 des chaînes TMC et NT1 a conduit au rapprochement de TF1 Publicité et de TMC Régie, cette dernière ayant assurée la commercialisation des espaces publicitaires des chaînes TMC et NT1 pour des messages publicitaires diffusés jusqu'au 31 décembre 2015 (cote 3745). La régie unique issue de ce rapprochement, TF1 Publicité, a commencé à commercialiser les espaces publicitaires des chaînes TMC et NT1 à compter du 13 octobre 2015, date de publication des conditions générales de vente pour l'année 2016, pour des messages publicitaires diffusés à compter du 1er janvier 2016 (cote 3737). Elle assure ainsi à ce jour la commercialisation des espaces publicitaires de toutes les chaînes appartenant au groupe TF1, à l'exception de SérieClub. Enfin, les espaces publicitaires des chaînes appartenant à des groupes audiovisuels autres que TF1, dont Numéro 23, ne sont plus commercialisés par TF1 Publicité depuis le 1er janvier 2017.

57. TF1 Publicité assure également à ce jour la régie publicitaire des Indés Radios, de MFM Radio et de dix radios d'outre-mer, supports radios non édités par le groupe TF1, ainsi que d'un certain nombre de supports digitaux, dont notamment les sites web MYTF1.fr et LCI.fr. 58. En 2016, le groupe TF1 a réalisé un chiffre d'affaires de 2 062,7 millions d'euros contre 2 004,3 millions d'euros en 2015. Ses activités publicitaires ont généré un chiffre d'affaires de 1530,1 millions d'euros en 2016 et de 1554,2 millions d'euros en 2015.

D. LES PRATIQUES DÉNONCÉES PAR LES SAISISSANTES

1. LA PROMOTION CROISÉE

59. Les saisissantes relèvent que, depuis le lancement de la chaîne HD1 en décembre 2012, "TF1 diffuse sur son antenne une à deux annonces par jour en faveur de HD1, dont systématiquement une annonce diffusée en "Peak-Time ", c'est-à-dire au moment de la diffusion du journal télévisé de 20 heures et du programme de première partie de soirée ".

60. Selon elles, cette promotion croisée comparable "à une publicité télévisuelle faite en faveur de n'importe quel produit ou service " serait discriminatoire à l'égard des autres chaînes gratuites de la TNT.

61. Les saisissantes ajoutent qu'en permettant à HD1 de bénéficier de la puissance des écrans de la chaîne TF1, les pratiques de promotion croisée du groupe TF1 contribueraient à développer l'audience de HD1 et à augmenter les recettes tirées de la commercialisation de ses espaces publicitaires, au détriment des autres chaînes gratuites de la TNT, lesquelles ne pourraient plus, de ce fait, investir dans des contenus attractifs. Dans la mesure où HD1 est prise en régie par TF1 Publicité, cette pratique conduirait "à pérenniser et aggraver la position dominante de TF1 Publicité sur le marché de la publicité télévisuelle " (cotes 621, 685, 660, 661, 665 et 666).

2. LE REFUS DE VENTE

62. Les saisissantes prétendent également que le refus de vente des espaces publicitaires de la chaîne TF1 opposé par TF1 Publicité à la chaîne D8 en 2012 constituerait une pratique prohibée par les articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE (cotes 622, 673 et 675).

63. Selon elles, " la diffusion de messages publicitaires en faveur de D8 sur les antennes de TF1 au moment de son lancement aurait notamment permis à GCP de s'assurer que le plus grand nombre de téléspectateurs auraient été informés de ce lancement ". Dans ce contexte, le refus de vente opposé par TF1 Publicité à la chaîne D8 aurait été de nature à limiter les possibilités de promotion de cette dernière (cote 674). Les saisissantes affirment, en particulier, que les autres médias auxquels il a dû recourir afin de créer l'évènement autour du lancement de D8 auraient "une puissance bien inférieure à celle d'une campagne télévisuelle qui aurait pu être lancée sur une chaîne historique telle que TF1, qui dispose d'écrans d'une puissance inégalable " (cote 674).

3. LA COMMERCIALISATION COUPLÉE

64. Selon les saisissantes, la prise en régie des chaînes HD1 et Numéro 23 aurait conféré à TF1 Publicité la faculté de faire jouer un effet de levier, reposant sur la puissance des écrans de la chaîne TF1 et visant à développer les ventes d'espaces publicitaires des chaînes HD1 et Numéro 23, au détriment des chaînes concurrentes de la TNT (cote 622).

65. TF1 Publicité aurait exploité cet effet de levier, d'une part, en commercialisant les espaces publicitaires des chaînes TF1, HD1 et Numéro 23 au sein d'un guichet unique (cotes 622, 668 et 670) et, d'autre part, en commercialisant de manière couplée les espaces publicitaires des chaînes TF1, HD1 et Numéro 23 par l'octroi aux annonceurs d'avantages de diverses natures en cas d'achats couplés (cotes 622, 667, 668 et 670).

66. Selon les saisissantes, TF1 Publicité aurait mis en place des offres couplant les espaces publicitaires de la chaîne TF1 à ceux de HD1 et Numéro 23, au travers, notamment, des offres "modules multi-supports ", décrits dans les conditions générales de vente "espaces classiques ", publiées par TF1 Publicité pour l'année 2013, et des offres "coûts de coeur ", publiées sur le site internet de la régie publicitaire (cotes 667 et 668), ces offres pouvant comporter divers avantages (tarifaires ou autres) (cotes 622 et 670).

67. Les saisissantes ajoutent que les conditions de commercialisation des espaces publicitaires sur les supports digitaux, publiées par TF1 Publicité pour l'année 2017, ne font aucune différenciation entre les services de télévision de rattrapage des différentes chaînes du groupe TF1, tous disponibles sur le site MYTF1.fr. Ainsi, " l'achat d'un espace publicitaire télévisuel en replay implique donc que celui-ci soit diffusé lorsque le consommateur visionne en ligne TF1 mais aussi TMC, NT1, HD1 " (cote 3138). Elles en concluent qu'il existe un couplage par défaut des publicités télévisuelles en replay pour l'ensemble des chaînes gratuites du groupe TF1, à l'exception de la chaîne LCI (cotes 3137, 3138 et 3139).

68. De même, elles soulignent le fait qu'à l'occasion de la diffusion sur TF1 de programmes, particulièrement attractifs pour les annonceurs, TF1 Publicité proposerait des offres commerciales couplant les espaces publicitaires de la chaîne TF1 avec ceux des supports radios pris en régie par TF1 Publicité. Les annonceurs ne pourraient pas, selon les saisissantes, acheter séparément chacune des composantes de ces offres (cote 3140). Les saisissantes donnent deux illustrations de ces offres couplées, relatives aux programmes "The Voice Kids " et "Koh-Lanta " diffusés sur la chaîneTF1 (cote 3140).

69. Enfin, elles font valoir que l'offre " Imp4ct Pré-Home " de 2017 proposerait un couplage publicitaire entre les programmes de LCI diffusés en replay et ceux des autres chaînes gratuites du groupe disponibles surMYTF1.fr (cotes 3140 et 3141).

E. LES FAITS CONSTATÉS PAR L'AUTORITÉ

1. LA DIFFUSION SUR LA CHAÎNE TF1 DE BANDES-ANNONCES À CARACTÈRE PUREMENT INFORMATIF PORTANT SUR LES PROGRAMMES D'AUTRES CHAÎNES DU GROUPE TF1

70. Depuis le 12 décembre 2012, date de lancement de la chaîne HD1, la chaîne TF1 diffuse des bandes-annonces à caractère purement informatif sur les programmes de HD1 (cotes 2837 et 3751).

71. De même, depuis le 25 janvier 2015, date de fin des engagements souscrits par le groupe TF1 dans le cadre de la décision précitée n° 10-DCC-11 du 26 janvier 2010, des bandes-annonces à caractère informatif relatives aux programmes des chaînes TMC et NT1 sont diffusées sur l'antenne de TF1 (cote 3752).

72. La régie TF1 Publicité ne joue aucun rôle dans la gestion des bandes-annonces à caractère informatif relatives aux programmes des chaînes du groupe. En effet, la promotion croisée entre chaînes de télévision appartenant au groupe TF1 relève de la Direction des antennes de TF1 Production et de la Direction des contenus, cette dernière agissant en partenariat avec la Direction de la programmation (cotes 875 et 2028).

73. Enfin, la promotion croisée est mise en œuvre sans rémunération ou autre contrepartie correspondant à sa valeur marchande, par la chaîne de télévision du groupe TF1 qui diffuse sur son antenne des bandes-annonces portant sur les programmes d'une autre chaîne appartenant à ce même groupe (cotes 875 et 2067).

2. LE REFUS DE VENTE DES ESPACES PUBLICITAIRESDE TF1OPPOSÉ PAR TF1PUBLICITÉ À D8

74. En octobre 2012, la société éditrice de la chaîne D8, par l'intermédiaire de l'agence Havas Media France, a fait connaître à TF1 Publicité sa volonté d'acheter des espaces publicitaires de la chaîne TF1 afin qu'un spot publicitaire de 30 secondes informant les téléspectateurs du lancement de D8 et de sa nouvelle ligne éditoriale soit diffusé sur cette chaîne (cotes 672 et 721).

75. TF1 Publicité n'ayant pas donné de suite favorable à sa demande, GCP a fait valoir auprès de TF1, par un courrier adressé 19 décembre 2012, que ce refus présentait un caractère discriminatoire dans la mesure où la chaîne TF1 n'avait, à l'inverse, pas hésité à diffuser des bandes-annonces portant sur des programmes de la chaîne HD1 lors de son lancement (cotes 606, 607 et 611).

76. Par lettre du 31 décembre 2012, le groupe TF1 a répondu à GCP en lui indiquant qu'" il n'est pas d'usage, dans le marché de la télévision en clair, qu'un opérateur vende à des chaînes concurrentes des espaces publicitaires pour promouvoir des programmes dont il aura à subir la concurrence "et que le refus de vente opposé par la régie publicitaire de TF1 était légitime.

77. Face à ce refus, GCP indique avoir investi les fonds de sa campagne de promotion du lancement de la chaîne D8 dans la presse (notamment dans les journaux "Le Monde ", "Le Parisien ", "20 minutes ", etc.) et la publicité extérieure (affichage) et sur internet (notamment sur les sites des journaux "Le Monde ", "Le Figaro ", etc.).

3. LA POLITIQUE COMMERCIALE DE TF1 PUBLICITÉ EN MATIÈRE DE VENTE D'ESPACES PUBLICITAIRES TÉLÉVISUELS

78. Les conditions générales de vente "espaces classiques " de TF1 Publicité distinguent les modes de commercialisation des espaces publicitaires de la chaîne TF1 de ceux des autres chaînes de la TNT et des chaînes payantes prises également en régie par TF1 Publicité (cotes 569 à 571, 1483 à 1484, 1668 à 1669 et 2724 à 2727).

79. En outre, à l'instar des conditions générales de vente publiées par les autres régies publicitaires audiovisuelles, elles prévoient, à tout le moins depuis 2012, que "TF1 Publicité se réserve le droit de refuser de diffuser tout Message Publicitaire qui conduirait, sous quelque forme que ce soit, à présenter sur un Support TV une publicité directe ou indirecte pour un concurrent du Support TV ou une publicité qui comporterait des rappels ou des éléments d'une émission, d'un programme, rubrique, article, [...] dont les droits sont détenus par un concurrent du Support TV, ou dans lequel figure un animateur, un collaborateur connu, un programme, [...] d'un concurrent du Support TV" (cotes 577, 1490, 1675, 2733 et 2994).

80. Les conditions commerciales, qui précisent, en fonction des modes de commercialisation des espaces publicitaires télévisuels, les offres commerciales, leur tarification ainsi que les rabais et autres avantages susceptibles d'être octroyés aux annonceurs, font l'objet de documents séparés du reste des conditions générales de vente.

81. Ainsi, la chaîne historique du groupe fait l'objet d'un document intitulé " les conditions commerciales de la chaîne TF1 ".

82. Les conditions commerciales des autres chaînes prises en régie par TF1 Publicité ont successivement fait l'objet d'un document intitulé "conditions commerciales applicables aux chaînes payantes " jusqu'en 2012 inclus, de deux documents intitulés "conditions commerciales applicables aux chaînes payantes " et "conditions commerciales des chaînes de la TNT" pour l'année 2013 et d'un unique document intitulé "conditions commerciales des chaînes TNT et thématiques " depuis 2014 (cotes 2071 et 2072). Les conditions commerciales des chaînes TNT et thématiques, publiées par TF1 Publicité pour l'année 2016, intègrent pour la première fois, depuis la date de fin des engagements souscrits par le groupe TF1 dans le cadre de la décision n° 10-DCC-11 du 26 janvier 2010 précitée, les conditions commerciales relatives à la vente des espaces publicitaires des chaînes TMC et NT1 (cote 3736).

83. Pour les besoins de l'espèce, les développements ci-dessous décrivent certaines des offres proposées par TF1 Publicité.

a) Les "modules multi-supports "

84. Les conditions générales de vente "espaces classiques "publiées par TF1 Publicité pour les années 2013 et 2014 prévoyaient, parmi les modes de commercialisation des espaces publicitaires des chaînes de la TNT autres que la chaîne TF1, le mode dit "Modules Multi Supports " (cotes 570, 571 et 2726).

85. Celui-ci associait les espaces publicitaires d'une ou plusieurs chaînes gratuites de la TNT (Numéro 23 et HD1) à ceux d'autres supports (chaînes payantes avec, le cas échéant, un relais sur le support digital MYTF1.fr) également gérés en régie chez TF1 Publicité (cotes 2478, 2526, 2582, 2583, 2628 et 2669). Il permettait ainsi aux annonceurs d'acheter, pour un prix donné, un ensemble d'espaces publicitaires. Toutefois, les espaces publicitaires proposés dans les modules multi-supports pouvaient également être achetés séparément (cotes 2072 et 2075).

86. D'après le groupe TF1, " ces offres permettent aux annonceurs d'acheter simplement un dispositif multi-chaînes cohérent, en forte affinité avec une cible de référence. (...)Une telle offre a pour avantage sa simplicité et sa lisibilité pour les annonceurs, et contribue également à commercialiser plus facilement les espaces des chaînes disposant d'une notoriété et/ou d'une audience limitées " (cote 2074).

b) Les offres " coûts de cœur "

87. De 2006 à 2008 inclus, TF1 Publicité a publié sur son site internet, tous les mardis de chaque semaine, des offres commerciales ponctuelles dites "coûts de cœur " qui proposaient aux annonceurs plusieurs combinaisons d'espaces publicitaires : soit un ensemble d'espaces publicitaires sur une même chaîne avec ou sans la déclinaison digitale de la chaîne concernée soit un ensemble d'espaces publicitaires sur plusieurs chaînes, à l'exception de la chaîne TF1, avec ou sans leurs déclinaisons digitales (cotes 2077 et 2078).

88. A partir de 2009, ces offres n'ont plus été publiées qu'occasionnellement (cotes 2076 et 2077). Aujourd'hui, ces offres ne sont plus proposées aux annonceurs.

c) Le "pack PME-PMI "

89. Comme cela a été précédemment exposé, TF1 Publicité a commercialisé les espaces publicitaires des chaînes HD1 et Numéro 23 dès leur lancement, le 12 décembre 2012.

90. Une offre unique associant les espaces publicitaires de la chaîne TF1 à ceux, notamment, des chaînes HD1 et Numéro 23 a été proposée par TF1 Publicité. Cette offre, dénommée "pack PME-PMI ", a été commercialisée en 2014 et 2015 (cotes 1225 et 1226). Figurant parmi les offres commerciales accessibles aux achats en coût GRP garanti, le "pack PME-PMI " s'adressait aux annonceurs réalisant annuellement un chiffre d'affaires consolidé inférieur à 50 millions d'euros (cotes 997 et 1225). Il proposait la réalisation d'un spot publicitaire de 15 ou 12 secondes.

91. Le tarif forfaitaire du "pack PME-PMI ", exprimé en net, a varié selon les périodes d'investissement entre 190 000 euros et 250 000 euros en 2015 et entre 220 000 euros et 280 000 euros en 2014.

92. Enfin, les conditions commerciales de la chaîne TF1 pour les années 2014et 2015 précisaient explicitement que les espaces publicitaires des chaînes proposées dans le "pack PME-PMI " pouvaient être achetés séparément (cotes 1226 et 1267).

93. Selon le groupe TF1, le "pack PME-PMI " n'a jamais été acheté par un client. Il constituait, selon ses dires, moins "une offre commerciale qu'un outil de communication permettant d'approcher les PME-PMI en leur expliquant le mécanisme d'achat en matière de publicité télévisuelle. Cette catégorie d'annonceurs recourt en effet très peu aux publicités télévisées " (cote 997). D'ailleurs, il ne figure pas dans les conditions commerciales de la chaîne TF1 pour les années 2016 et 2017.

d) L'offre "PME-PMI et nouvel annonceur "

94. Les conditions commerciales de la chaîne TF1, publiées par TF1 Publicité pour les années 2014, 2015 et 2016, prévoyaient, parmi les offres commerciales accessibles aux achats en spot à spot, une offre dite "PME-PMI et nouvel annonceur " qui permettait à toute PME-PMI ou tout nouvel annonceur de bénéficier d'un abattement de 45 % appliqué sur le chiffre d'affaires brut facturé pour sa campagne publicitaire sur la chaîne TF1, non cumulable avec d'autres primes ou remises présentes dans les conditions commerciales de la chaîne TF1 (cotes 1221, 1259 et 1636).

95. Aux termes de cette offre, seuls les annonceurs réalisant annuellement un chiffre d'affaires consolidé inférieur à 50 millions d'euros étaient considérés comme des PME-PMI. Par ailleurs, tout annonceur n'ayant pas réalisé des investissements publicitaires sur la chaîne TF1 l'année précédente était considéré comme "nouvel annonceur ".

4. LA POLITIQUE COMMERCIALE DE TF1 PUBLICITÉ EN MATIÈRE D'OPÉRATIONS DE PARRAINAGE

96. Les conditions générales de vente "parrainage " applicables sur l'ensemble des services de télévision dont TF1Publicité assure la régie publicitaire font l'objet d'un document distinct des conditions générales relatives à la vente des espaces publicitaire classiques (cote 2071).

97. En 2016, à l'occasion de la diffusion des programmes "The Voice Kids " et "Koh-Lanta " sur la chaîne TF1, TF1 Publicité a publié deux documents commerciaux spécifiques qui proposaient des opérations de parrainage sur différents supports, à savoir la chaîne TF1, le site web MYTF1.fr, l'affichage sur la face principale de la tour TF1 et certains supports radios non édités par le groupe TF1mais pris en régie par TF1 Publicité (Indés Radios et, uniquement pour le programme "Koh-Lanta ", MFM Radio). Ces opérations permettaient aux parrains d'associer leur nom, leur marque, leur image ou leur activité à ces deux programmes (cotes 3365 à 3404).

98. Les documents commerciaux de présentation de ces deux offres précisent toutefois que les parrains avaient la possibilité d'acheter séparément chacune de ses composantes. Il ressort également de ces pièces que le prix de l'offre en cas d'achat conjoint de toutes les composantes était strictement égal à la somme du prix de chacune de ses composantes (cotes 3371 et 3392). Le document relatif au programme "Koh-Lanta " indique, en outre, que " l'annonceur ne saurait se prévaloir des différentes composantes de l'offre pour prétendre à une remise et/ou avantage sur ses achats d'espaces classiques sur TF1 et inversement " (cote 3392).

5. LA POLITIQUE COMMERCIALE DE TF1 PUBLICITÉ EN MATIÈRE DE VENTE D'ESPACES PUBLICITAIRES SUR LES SERVICES DE TÉLÉVISION DE RATTRAPAGE DES CHAÎNES GRATUITES DU GROUPE

99. En ce qui concerne la vente d'espaces publicitaires sur l'ensemble des supports digitaux en régie chez TF1 Publicité, celle-ci publie, à la mi-décembre de chaque année, deux documents distincts applicables pendant l'année suivante : les conditions générales de vente "digital " et les conditions commerciales applicables à la commercialisation des espaces publicitaires sur les supports digitaux.

100. Parmi les supports digitaux en régie chez TF1 Publicité figurent, d'une part, le site web MYTF1.fr, qui regroupe depuis le 25 mai 2015 les services de télévision de rattrapage des chaînes TF1, HD1, NT1 et TMC, et, d'autre part, le site LCI.fr, sur lequel sont disponibles en rattrapage, depuis le 29 août 2016, certains programmes de la chaîne LCI (cotes 3725 et 3726).

101. Sur le site MYTF1.fr comme sur le site LCI.fr, TF1 Publicité commercialise, d'une part, des formats publicitaires vidéo insérés dans le flux et diffusés au début, au milieu ou à la fin des programmes disponibles en rattrapage sur ce site, d'autre part, divers formats d'affichage publicitaire (pavés, bannières, interstitiels, etc.) et, enfin, des formats publicitaires événementiels tels que l'habillage de la page d'accueil du site et l'affichage d'un message publicitaire en plein écran lors de la connexion au site, à partir de la page d'accueil ou indépendamment de la page d'entrée sur le site (cotes 3606, 3607 et 3608). S'agissant du site LCI.fr, TF1 Publicité commercialise, en outre, un format publicitaire natif qui permet d'insérer le message publicitaire directement dans le fil info de LCI en reprenant automatiquement la structure de ce site.

102. En ce qui concerne plus particulièrement le format publicitaire vidéo inséré dans le flux des programmes disponibles en rattrapage sur le site MYTF1.fr, l'annonceur peut soit choisir librement le programme au sein duquel le format publicitaire vidéo sera diffusé conformément aux conditions commerciales "digital " publiées par TF1 Publicité (cote 3726), soit déléguer ce choix à TF1 Publicité, auquel cas la diffusion du message publicitaire aura lieu en mode " rotation générale " (cotes 3726 et 3727). Toutefois, le périmètre global de diffusion du message publicitaire peut être défini à l'avance par l'annonceur selon plusieurs paramètres liés notamment à la cible visée et aux caractéristiques des chaînes et des programmes recherchés (cotes 3726 et 3727). Le groupe TF1 a, en outre, précisé que " la programmation des messages publicitaires en rotation générale se fait en fonction de la disponibilité de l'inventaire publicitaire, et donc pas nécessairement sur l'ensemble des services et supports "présents sur MYTF1.fr (cote 3727).

103. En 2017, les conditions générales de vente "digital " de TF1 Publicité comportent l'offre commerciale " Imp4ct Pré-Home ", qui associe, pour la première fois, le site MYTF1.fr au site LCI.fr. Selon le groupe TF1, l'offre " Imp4ct Pré-Home " ne concerne pas le format publicitaire vidéo inséré dans le flux des programmes disponibles en rattrapage sur le site MYTF1.fr ou sur le site LCI.fr, mais uniquement des formats publicitaires événementiels qui ne sont pas reliés à un programme disponible en rattrapage et qui s'affichent lors de la connexion à ces deux sites (cote 3728).

104. Les conditions générales de ventes "digital "de TF1 Publicité pour 2017mentionnent que l'annonceur a toutefois la possibilité d'acheter séparément chaque composante de l'offre, de sorte que son message publicitaire ne soit affiché que sur le site MYTF1.fr ou que sur le site LCI.fr. Le groupe TF1 a, de plus, précisé qu'" il n'y a pas d'avantage tarifaire [attaché] à l'achat conjoint des composantes de cette offre " (cote 3728).

II. Discussion

A. SUR LA PROCÉDURE

1. CONCERNANT LES ACTES PRIS DURANT L'INSTRUCTION

105. Les saisissantes contestent l'instruction réalisée par les services de l'Autorité. Elles critiquent le " peu d'actes d'instruction " auquel a donné lieu l'examen du dossier. Elles font valoir, en particulier, qu'elles n'ont été entendues par les services d'instruction qu'une seule fois.

106. Cependant, la pratique décisionnelle et la jurisprudence consacrent le pouvoir d'appréciation du rapporteur quant à la conduite des investigations de sorte que les critiques formulées par les saisissantes concernant le nombre et la nature des actes pris au cours de l'instruction sont, en tant que telles, inopérantes (arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 1999, société Lilly France, n° 97-15185). Ainsi, l'audition de personnes intéressées constitue une faculté laissée à l'appréciation du rapporteur ou de l'Autorité, eu égard au contenu du dossier (arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 janvier 2008, n° 2006/07820).

107. En l'espèce, les saisissantes ont été entendues par les rapporteurs et ont pu présenter leurs observations sur la proposition de non-lieu adressée par les services d'instruction. Les saisissantes ne peuvent utilement soutenir qu'elles auraient dû être auditionnées à plusieurs reprises par les rapporteurs.

2. CONCERNANT LA DURÉE DE LA PROCÉDURE

108. Les saisissantes critiquent également la durée de l'instruction de la saisine qu'elles estiment excessive.

109. Selon une jurisprudence constante, la sanction qui s'attache à la violation par l'Autorité de l'obligation de se prononcer dans un délai raisonnable n'est pas l'annulation de la procédure ou sa réformation, à moins qu'il ne soit démontré qu'une atteinte personnelle, effective et irrémédiable aux droits de la défense a été causée à une partie, qui s'en prévaut, par le dépassement d'un délai raisonnable entre la date des comportements reprochés et le jour où elle a su qu'elle devrait en répondre (arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2010, société Beauté prestige international, pourvoi n° 09-72031).

110. Or la partie saisissante "n'a pas de droits de la défense à préserver dans le cadre de la procédure ouverte par l'Autorité sur sa saisine, laquelle en outre n'a pas pour objet la défense de ses intérêts privés " (arrêt de la Cour de cassation du 4 octobre 2016, Société française du radiotéléphone, pourvoi n° 15-14158). 111. En l'espèce, les parties saisissantes ne sauraient donc se prévaloir d'une quelconque violation des droits de la défense résultant de la durée excessive de la procédure pour demander son annulation.

B. SUR L'APPLICATION DU DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE

112. Le droit européen de la concurrence doit être appliqué par l'Autorité dès lors que le commerce entre États membres est susceptible d'être affecté sensiblement par les pratiques en cause.

113. En l'espèce, d'une part, les services concernés par les pratiques alléguées donnent lieu à des échanges entre les États membres qui pourraient s'en trouver affectés. En effet, les pratiques dénoncées sont mises en œuvre par le groupe TF1, qui définit lui-même sa chaîne phare, TF1, comme " la 1ère chaîne privée d'Europe " et sa régie publicitaire, TF1 Publicité, comme la "première régie plurimédia d'Europe ". Cette dernière commercialise à ce jour les espaces publicitaires de huit chaînes nationales dont sept, y compris TF1 et HD1, sont aussi diffusées dans au moins un autre État membre. Par ailleurs, les principales agences médias auprès desquelles les régies commercialisent les espaces publicitaires opèrent aussi bien en France que dans d'autres États membres. Enfin, une part substantielle des annonceurs les plus importants dans le média télévisuel en France en 2015 appartiennent à des groupes ayant leurs sièges sociaux dans un autre État membre.

114. D'autre part, les éléments propres aux services concernés attestent du caractère sensible de l'affectation du commerce qui pourrait résulter des pratiques dénoncées. En effet, les recettes publicitaires brutes (hors parrainage) de TF1 Publicité lui ont permis d'atteindre une part de marché de 41,1 % en 2016 (dont 31,4 % pour la seule chaîne TF1, représentant des recettes publicitaires brutes de 3,6 milliards en 2016).

115. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que le caractère sensible de l'affectation du commerce entre États membres susceptible de résulter des pratiques dénoncées est établi. Celles-ci seront donc examinées au regard des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE.

C. SUR LA QUALIFICATIONDES PRATIQUES DÉNONCÉES

116. Dans la mesure où, comme il sera démontré ci-après, l'Autorité considère que les pratiques dénoncées en l'espèce ne sont pas susceptibles d'être qualifiées d'abusives, il n'y a pas lieu de développer l'analyse relative à la délimitation du marché pertinent et à la position de TF1 Publicité sur ce marché.

1. SUR LA PROMOTION CROISÉE DES PROGRAMMES DE HD1SUR L'ANTENNE DE TF1

117. Les saisissantes soutiennent, d'une part, que la promotion croisée des programmes de HD1 sur l'antenne de TF1 présenterait un caractère discriminatoire à l'égard des autres chaînes qui n'ont pas la possibilité de faire la promotion de leur programme sur l'antenne de TF1 et, d'autre part, qu'elle constituerait l'exploitation abusive de la position dominante de TF1 Publicité sur le marché de la publicité télévisuelle par le jeu d'un effet de levier entre les écrans plus puissants de TF1 et ceux de la chaîne HD1.

118. En ce qui concerne, en premier lieu, la discrimination alléguée par les saisissantes, il a été précédemment exposé que la promotion croisée définie par les textes en vigueur consiste à annoncer la diffusion prochaine d'un programme télévisuel et doit donc présenter un caractère purement informatif, à la différence des messages publicitaires qui visent à promouvoir une marque ou un produit. De ce fait, les messages de promotion croisée ne sont pas insérés dans des espaces publicitaires et ne sont pas soumis aux contraintes réglementaires des messages publicitaires. Ils ne peuvent donc être inclus dans le marché de la publicité télévisuelle.

119. En outre, la promotion croisée dont a bénéficié HD1 sur l'antenne de TF1 n'est possible qu'entre des chaînes contrôlées par un même groupe audiovisuel, ce qui exclut les chaînes des autres groupes d'une telle opération. Le cadre réglementaire applicable à la promotion croisée crée donc une différence entre les chaînes selon qu'elles appartiennent ou non à un même groupe audiovisuel de sorte qu'il ne peut être reproché à TF1 Publicité d'avoir traité différemment des chaînes qui se trouvaient dans des situations différentes.

120. En ce qui concerne, en second lieu, les allégations des saisissantes liées à l'utilisation de la puissance des écrans de TF1 pour faire la promotion de HD1, il y a lieu de rappeler que l'analyse prospective des risques liés à la création ou au renforcement de la position dominante d'une entreprise qui pourraient résulter d'une opération de concentration ne saurait préjuger de l'appréciation que l'Autorité peut porter, à l'issue d'une analyse ex post au titre du contrôle des pratiques anticoncurrentielles, des comportements mis en œuvre par cette entreprise postérieurement à la concentration.

121. Ainsi, si le groupe TF1 s'est engagé, à l'occasion de la décision précitée n° 10-DCC-11 du 26 janvier 2011, à ne procéder à aucune promotion croisée des programmes des chaînes TMC et NT1 sur l'antenne de TF1, afin de prévenir la mise en œuvre d'un effet de levier s'appuyant sur les fortes audiences de la chaîne historique, les mesures prises, pour une durée de cinq ans non reconductible, au titre du contrôle d'une opération de concentration ne sauraient préjuger de la qualification de la pratique de promotion croisée des programmes de HD1 sur l'antenne de TF1 au regard des dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE.

122. En l'espèce, il ne ressort pas des éléments du dossier que la promotion des programmes de HD1 sur la chaîne TF1, par des annonces à caractère purement informatif, aurait été un facteur déterminant de la progression de son audience conférant à cette chaîne un avantage sur le marché de la publicité télévisuelle au détriment des chaînes concurrentes. Comme le souligne le CSA dans son avis, "d'autres déterminants de l'audience ont une influence plus significative que la promotion croisée sur le développement de la chaîne. A cet égard, le coût de grille de HD1 en 2013, d'un montant de [...] M€, était près de deux fois supérieur à celui de la chaîne D17, qui est entrée sur le marché en 2005 et acquise par le groupe Canal Plus en 2012. Ces investissements importants ont également contribué aux performances de la chaîne " (cote 843).

123. Ainsi que le constate le CSA, " l'absence de promotion des programmes de TMC sur la chaîne TF1 ne l'a pas empêché d'avoir, en 2013, la meilleure audience des chaînes qui ont été lancées en 2005 " (cote 844). De même, la chaîne NT1, dont les programmes n'ont pas fait non plus l'objet d'une promotion croisée sur l'antenne de la chaîne TF1, a atteint, en 2013 et 2014 des parts d'audience annuelle notablement supérieures à celles de la chaîne HD1 dont les programmes a fait l'objet d'une promotion croisée sur l'antenne TF1 dès son lancement en décembre 2012 (cote 1813).

124. En sens inverse, alors même que les programmes de TMC font l'objet d'une promotion croisée sur la chaîne TF1 depuis le 25 janvier 2015, date de fin des engagements souscrits par le groupe TF1 dans le cadre de la décision précitée n° 10-DCC-11 du 26 janvier 2010, la part d'audience annuelle de cette chaîne s'est maintenue stable en 2015, à 3,1 %, et a diminué en 2016, à 3,0 % (document de référence 2016 du groupe TF1, page 29).

125. Au vu de ce qui précède, il n'est pas établi que la pratique de promotion croisée de la chaîne HD1 sur l'antenne de TF1, mise en œuvre par le groupe TF1, aurait été de nature à restreindre ou à évincer la concurrence sur le marché de la publicité télévisuelle.

2. SUR LE REFUS DE VENTE DES ESPACES PUBLICITAIRES DE LA CHAÎNE TF1 OPPOSÉ PAR TF1PUBLICITÉ A LA CHAÎNED8

Principes applicables

126. Selon une pratique et une jurisprudence constantes, le refus de vente opposé par une entreprise en position dominante ne constitue pas, en tant que tel, une pratique prohibée. Il n'en va différemment que dans la situation où l'entreprise dominante refuse de fournir à un concurrent un bien ou un service indispensable ou nécessaire à l'exercice de ses activités et à la condition que ce refus soit de nature à éliminer toute concurrence et qu'il ne puisse être objectivement justifié (décisions n° 05-D-72 du 20 décembre 2005 relative à des pratiques mises en œuvre e par divers laboratoires dans le secteur des exportations parallèles de médicaments et n° 04-D-77 du 22 décembre 2004 relative à une saisine de la société Productiv à l'encontre du laboratoire GlaxoSmithKline ; également, arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 6 mars 1974, Commercial Solvents, affaires jointes 6/73 et 7/73 et du 26 novembre 1998, Oscar Bronner, C-7/97).

Application au cas d'espèce

127. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à l'époque où la chaîne D8 s'est vue opposer le refus de vente d'espaces publicitaires par TF1 Publicité, le groupe Canal+ disposait de plusieurs alternatives à la chaîne TF1 pour faire la promotion de sa chaîne D8, lancée en 2012. D'une part, M6 disposait d'espaces publicitaires situés au sein d'écrans puissants représentant une solution alternative pour D8 (cote 464). Le recours à l'achat d'espaces publicitaires de M6 aurait, au demeurant, constitué une solution économiquement plus avantageuse dans la mesure où, comme l'indique le CSA dans son avis, " la valeur de l'espace publicitaire sur la chaîne TF1 demeure nettement supérieure à celle de ses concurrents " (cote 826). D'autre part, il apparaît qu'à la suite du refus opposé par TF1 Publicité à la demande du groupe Canal +, ce dernier a réparti ses investissements publicitaires sur différents médias tels que la presse, l'affichage et internet (cotes 2759 à 2762). L'ensemble de ces supports ont permis d'assurer la promotion de la chaîne D8, laquelle s'est classée, en 2013, au premier rang, en termes d'audience annuelle, et au deuxième rang, en termes de recettes publicitaires, des nouvelles chaînes de la TNT. Enfin, le groupe Canal + disposait également des plages en clair de sa propre chaîne Canal + pour promouvoir sa nouvelle chaîne.

128. Il en résulte que le refus opposé par le groupe TF1 n'a pas privé le groupe Canal + d'un service indispensable ou nécessaire à l'exercice de son activité.

129. En second lieu, en dépit du refus de vente des espaces publicitaires de TF1 opposé par TF1 Publicité, la chaîne D8 a connu, en 2013, une progression importante aussi bien de sa part d'audience annuelle que de ses recettes publicitaires nettes, ainsi que le souligne le CSA dans son avis. La part d'audience annuelle de D8 est passée de 2,3 % en 2012 à 3,2 % en 2013 (cote 808 et 1813). Les recettes publicitaires nettes de D8 ont cru de 80 % entre 2012 et 2013 (cote 1749), plaçant ce service de télévision au deuxième rang des chaînes de la TNT lancées en 2005.

130. Le refus de vente des espaces publicitaires de TF1 opposé par TF1 Publicité àD8 n'a donc pas été pas de nature à éliminer la concurrence entre les éditeurs de chaînes de télévision.

131. Au vu de ce qui précède, le refus de vente critiqué ne revêt pas un caractère abusif et correspond à la protection légitime des intérêts propres des chaînes du groupe TF1 (arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 octobre 2001, RG n° 2000/08069 et 2000/12353 et arrêt de la Cour de justice du 14 février 1978, United Brands/Commission, C-27/76).

3. SUR LA COMMERCIALISATION COUPLÉE PAR UNE RÉGIE PUBLICITAIRE UNIQUE DES ESPACES PUBLICITAIRES DES CHAÎNES TF1, HD1 ET NUMÉRO 23

a) Sur la régie publicitaire unique

132. Selon les saisissantes, la commercialisation des espaces publicitaires des chaînes TF1, HD1 et Numéro 23 par une régie unique, TF1 Publicité, constituerait une pratique prohibée par les articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE.

133. Cependant, la simple détention d'un portefeuille diversifié de chaînes ne peut constituer en soi une pratique d'éviction abusive de la part de TF1 Publicité. Ce n'est que si cette régie publicitaire s'appuyait sur la puissance des écrans de TF1 pour développer, grâce à toute forme de couplage, de subordination, d'avantage ou de contrepartie, la vente des espaces publicitaires des autres chaînes prises en régie par TF1 Publicité que le comportement de la régie publicitaire du groupe TF1 pourrait être sanctionné sur le fondement des dispositions précitées.

134. Or, comme il sera démontré ci-après, il n'est pas établi que TF1 Publicité aurait mis en œuvre e de telles pratiques, contrairement à ce que prétendent également les saisissantes.

b) Sur les offres de couplage

Principes applicables

135. La pratique de couplage consiste à lier la fourniture de deux produits ou services distincts. Ce lien peut être réalisé de manière contractuelle, technique ou résulter d'une incitation, comme par exemple d'un avantage tarifaire octroyé en cas d'achat conjoint de deux produits distincts. De telles pratiques peuvent revêtir un effet anticoncurrentiel lorsque, notamment, elles permettent à une entreprise de transférer son pouvoir de marché sur un segment de produits ou services vers un autre segment afin d'y obtenir un avantage dans la concurrence à un moindre coût et sans rapport direct avec ses mérites (décision n° 05-D-44 du 21 juillet 2005 relative à des pratiques mises en œuvre par le groupe La Provence dans le secteur de la publicité dans la presse quotidienne régionale).

Application au cas d'espèce

Sur le couplage entre les chaînes TF1, HD1 et Numéro 23

136. Contrairement à ce que soutiennent les saisissantes, TF1 Publicité n'a jamais combiné, dans le cadre des Modules Multi Supports et des offres " coûts de coeur ", les espaces publicitaires des chaînes HD1 et Numéro 23 avec ceux de TF1. Depuis la prise en régie par TF1 Publicité, en décembre 2012, des chaînes HD1 et Numéro 23, une seule offre, le "pack PME-PMI ", a associé les espaces publicitaires de TF1 à ceux, notamment, de ces deux autres chaînes.

137. Cependant, il ressort des conditions commerciales de la chaîne TF1 pour 2014 et 2015, que les espaces publicitaires des chaînes proposées dans le "pack PME-PMI " pouvaient être achetés séparément (cotes 1226, 1267 et 3033). En outre, les incitations à l'achat du "pack PME-PMI " étaient neutres dans la mesure où aucun avantage tarifaire n'était associé à l'achat d'un tel pack par comparaison aux tarifs attachés à l'achat séparé des espaces publicitaires des différentes chaînes (cote 997). Au surplus, selon les déclarations du groupe TF1, le "pack PME-PMI " n'a jamais été acheté par un client de TF1 Publicité, ce qui témoigne de l'absence d'incitations réelles à l'achat dudit pack.

Sur le couplage entre les chaînes TF1, TMC et NT1

138. Il ressort des conditions commerciales de la chaîne TF1 pour l'année 2016, première année de commercialisation des espaces publicitaires des chaînes TMC et NT1 par la régie unique, qu'aucune offre commerciale n'a associé les espaces publicitaires de la chaîne TF1 à ceux d'autres chaînes. Il y est explicitement précisé que ces conditions commerciales excluent toute forme de couplage conférant une remise ou un avantage quelconque à l'annonceur.

139. Au vu des éléments du dossier, il n'est pas établi que TF1 aurait mis en œuvre des pratiques visant, par l'octroi d'un avantage quelconque, à inciter les annonceurs à grouper leurs achats entre les espaces publicitaires de ces différentes chaînes.

Sur le couplage entre la chaîne TF1 et les radios pris en régie par TF1 Publicité

140. Les deux offres commerciales, mentionnées par les saisissantes couplant, en particulier à l'occasion de la diffusion des programmes "The Voice Kids " et " Koh-Lanta ", la chaîne TF1 à certains supports radios pris en régie par TF1 Publicité (cote 3140), correspondent à des opérations de parrainage, précédemment décrites, qui permettent aux parrains de promouvoir leur marque ou leur image en l'associant à un programme.

141. D'une part, il ressort du document commercial prévoyant l'offre que les parrains avaient la possibilité d'acheter séparément chacune de ses composantes (cotes 3371 et 3392). D'autre part, les incitations des parrains à l'achat conjoint des composantes de l'offre étaient neutres dans la mesure où aucun avantage tarifaire spécifique n'était associé à un tel achat (cotes 3371, 3392 et 3625).

Sur le couplage entre les services de télévision de rattrapage des chaînes LCI, TF1, HD1, NT1 et TMC

142. Les services de télévision de rattrapage des chaînes TF1, HD1, NT1 et TMC sont regroupés sur le site MYTF1.fr tandis que le site LCI.fr diffuse la chaîne LCI, en flux et en rattrapage.

143. D'une part, ainsi que le prévoient les conditions commerciales "digital " publiées par TF1 Publicité, l'annonceur peut librement choisir, parmi les chaînes et les programmes proposés sur les services de télévision de rattrapage du groupe TF1, les espaces au sein desquels le message publicitaire sera diffusé.

144. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que la commercialisation couplée de ces différents espaces publicitaires se serait accompagnée d'un avantage financier ou d'une autre nature visant à inciter les annonceurs à recourir à de tels achats groupés.

Conclusion

145. Il résulte de ce qui précède que l'existence de pratiques de couplage abusives n'est pas établie.

4. CONCLUSION GÉNÉRALE

146. Au vu de ce qui précède, les conditions d'une interdiction au titre des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du Code de commerce ne sont pas réunies en l'espèce, sur la base des informations dont dispose l'Autorité. Il n'y a, par conséquent, pas lieu de poursuivre la procédure, en application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce.

DÉCISION

Article unique : Sur la base des informations dont l'Autorité de la concurrence dispose, il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.

Délibéré sur le rapport oral de M. Pablo Gonzalez Perez et l'intervention orale de Mme Juliette Théry-Schultz, rapporteure générale adjointe, par Mme Élisabeth Flüry-Hérard, vice-présidente, présidente de séance, Mme Sandra Lagumina, Mme Séverine Larere et M. Noël Diricq, membres.

NOTES

2 Etude du CSA intitulée "La télévision de rattrapage : une pratique installée, une économie en devenir ", publiée en février 2015.

3 Etude précitée du CSA.

4 Etude du Centre national du cinéma et de l'image animée intitulée "L'économie de la télévision de rattrapage en 2015 ", publiée en mars 2016.

5 Etude du CSA intitulée " Les nouveaux territoires publicitaires : quels enjeux pour la télévision ? ", publiée en novembre 2016.