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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 8 septembre 2017, n° 15-23816

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Haulotte Group (SA)

Défendeur :

Soudacier (SAS), Mayon (ès qual.), Selarl Vincent Mequinion (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Lis Schaal, M. Thomas

Avocats :

Mes Meas, Lisimachio

T. com. Bourges, du 15 mars 2011

15 mars 2011

Faits et procédure

La société Haulotte Group (Haulotte), qui exerce une activité de fabrication et de commercialisation d'engins de manutention et de levage, confiait, depuis 1996, en sous-traitance à la société Soudacier la fabrication d'éléments de ces engins. Par lettre du 1er juin 2007, Haulotte a informé Soudacier qu'elle mettait un terme définitif à leurs relations commerciales ; en octobre 2007, la société Haulotte a définitivement mis fin à la relation entretenue avec la société Soudacier.

La société Soudacier l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Bourges en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie.

Par jugement rendu le 15 mars 2011, le Tribunal de commerce de Bourges a :

- dit que la société Soudacier aurait dû bénéficier d'un préavis de 18 mois avant l'arrêt définitif des commandes de Haulotte ;

- condamné la société Haulotte à payer à la société Soudacier, en réparation des préjudices résultant de la rupture abusive, les sommes suivantes :

· 1 794 480 euros au titre de la réparation liée aux gains manqués ;

· 150 000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à l'image ;

· 214 951,07 euros au titre du coût des licenciements pour motif économique ;

. 332 544,67 euros au titre des investissements effectués par Soudacier à la demande de Haulotte et non rentabilisés ;

· 154 000 euros au titre de la réparation liée à la poursuite du bail commercial du site du Creusot ;

· 110 000 euros au titre des frais de déménagement de ce site ;

· 147 048,61 euros au titre de la reprise des stocks ;

soit un total de 2 903 024,35 euros ;

- condamné la société Haulotte à payer à la société Soudacier la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La société Soudacier a été mise en redressement judiciaire le 11 mai 2011.

La Cour d'appel d'Orléans, par arrêt rendu le 23 février 2012, a :

- confirmé le jugement en ce qu'il avait retenu la responsabilité de la société Haulotte dans la rupture de ses relations contractuelles avec la société Soudacier ;

- l'a réformé pour le surplus dans ses dispositions relatives à l'indemnisation des différents préjudices subis par la société Soudacier ;

- retenu un préavis de rupture d'une durée de 12 mois ;

- condamné la société Haulotte au paiement d'une somme ramenée à 1 568 109 euros.

Un plan de redressement de la société Soudacier a été arrêté par jugement du 18 avril 2012, la Selarl Vincent Mequinion étant désigné en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

Sur pourvoi formé par la société Haulotte, la Cour de cassation, par arrêt du 15 janvier 2013 (pourvoi n° 12-17.553), a dit que la cour d'appel avait pu estimer que la rupture avait été brutale et a partiellement cassé l'arrêt, seulement " en ce qu'il a condamné la société Haulotte à payer à la société Soudacier la somme de 1 568 109 euros " et renvoyé les parties devant la Cour d'appel d'Orléans autrement composée.

La société Soudacier a été placée en liquidation judiciaire le 6 mai 2013 ; son liquidateur, la Selarl Laurent Mayon, est intervenue volontairement à l'instance.

La Cour d'appel d'Orléans, par arrêt rendu le 5 juin 2014, a :

- fixé à douze mois la durée du préavis qui aurait été raisonnable ;

- condamné la société Haulotte Group à payer à la Selarl Laurent Mayon ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Soudacier, les sommes suivantes :

· 2 508 861 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte de marge ;

· 52 383 euros pour le coût des licenciements économiques des salariés du site du Creusot ;

· 16 931,25 euros pour le remboursement du loyer du site du Creusot du 4e trimestre 2008 ;

· 64 175 euros pour la reprise des stocks ;

- débouté la Selarl Laurent Mayon ès qualités de ses demandes indemnitaires afférentes à l'atteinte à l'image de marque, aux investissements non amortis, et aux frais de déménagement du site du Creusot ;

- dit que les sommes allouées seront assorties des intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2011, avec capitalisation des intérêts, dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, à compter du 27 mars 2014 ;

- dit que les dépens exposés devant les juridictions du fond seront supportés par la société Haulotte Group.

Sur pourvoi de la société Haulotte, la Cour de cassation, par arrêt en date du 20 octobre 2015, a cassé et annulé l'arrêt de la Cour d'appel d'Orléans du 5 juin 2014, seulement en ce qu'il a condamné la société Haulotte Group à payer à la Selarl Laurent Mayon agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Soudacier, les sommes de 52 383 euros pour le coût des licenciements économiques des salariés du site du Creusot et 16 931,25 euros pour le remboursement du loyer du site du Creusot du quatrième trimestre 2008, et a renvoyé les parties devant la Cour d'appel de Paris.

Prétentions des parties

La société Haulotte Group, par conclusions signifiées le 4 novembre 2016, demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu le 15 mars 2011 par le Tribunal de commerce de Bourges en ce qu'il a condamné la société Haulotte Group à payer à la société Soudacier les sommes de 214 951,07 euros au titre du coût des licenciements pour motif économique, et de 154 000 euros au titre de la réparation liée à la poursuite du bail commercial du site du Creusot dont la fermeture a entraîné l'inexploitation ;

- ordonner à la Selarl Laurent Mayon ès qualités de restituer à la société Haulotte Group la somme de 172 724,31 euros ;

- débouter la société Soudacier, la Selarl Laurent Mayon ès qualités et la Selarl Vincent Mequinion ès qualités de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

- condamner solidairement les défendeurs à payer à Haulotte Group la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.

La Selarl Laurent Mayon ès qualités et la SAS Soudacier, par conclusions signifiées le 25 mars 2016, demande à la cour de :

A titre principal,

Vu l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Haulotte à verser à la société Soudacier la somme de 214 951,07 euros au titre du coût des licenciements de ses 28 salariés ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Haulotte à indemniser Soudacier du coût des loyers et charges versés entre octobre 2007 et décembre 2008 ;

Statuant à nouveau,

- condamner Haulotte à verser à ce titre à la Selarl Laurent Mayon ès qualités la somme de 92 409,21 euros ;

- condamner Haulotte à verser à la Selarl Laurent Mayon ès qualités le montant des intérêts légaux majorés, avec anatocisme, sur le montant total des préjudices alloués au titre des demandes ci-dessus entre le 21 mars 2008 (date de l'assignation devant le Tribunal de commerce de Bourges) et le jour de la décision à intervenir ;

A titre subsidiaire,

Vu l'article 1382 ancien du Code civil ;

- condamner Haulotte à verser à la Selarl Laurent Mayon ès qualités la somme de 214 950,07 euros en réparation de la perte de chance de ne pas avoir à procéder aux licenciements ;

- condamner Haulotte à verser à la Selarl Laurent Mayon ès qualités la somme de 92 408,21 euros en réparation de la perte de chance de pouvoir réaffecter les locaux du Creusot ;

- condamner Haulotte à verser à la Selarl Laurent Mayon ès qualités le montant des intérêts légaux majorés, avec anatocisme, sur le montant total des préjudices alloués au titre des demandes ci-dessus entre le 21 mars 2008 (date de l'assignation devant le Tribunal de commerce de Bourges) et le jour de la décision à intervenir ;

En tout état de cause,

- déclarer Haulotte irrecevable, en tous cas mal fondée, en toutes ses demandes, fins et conclusions, et l'en débouter ;

- condamner Haulotte à verser à la Selarl Laurent Mayon ès qualités la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La Selarl Vincent Méquinion n'a pas constitué avocat.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

Motifs

Considérant que l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce dispose qu' " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) 5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. " ;

Considérant que le débat devant la cour de renvoi se limite aux demandes de la Selarl Laurent Mayon, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Soudacier, aux titres du coût des licenciements économiques des salariés du site du Creusot et du remboursement du loyer du site du Creusot ;

Considérant qu'en application de l'article L. 442-6 I, 5°, seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture, et non de la rupture elle-même ;

Sur le coût des licenciements économiques des salariés du site du Creusot

Considérant que la Selarl Laurent Mayon fait valoir que l'arrêt brutal de l'activité avec Haulotte a contraint Soudacier à licencier le personnel qui était dédié à celle-ci, soit huit salariés travaillant sur le site du Creusot et 20 salariés travaillant sur le site de Vierzon ;

Mais considérant que les licenciements concernés sont intervenus en quasi-totalité au mois d'avril et mai 2008, soit plus de 11 mois après l'annonce, le 1er juin 2007, de la fin des relations commerciales, ou six mois après la cessation des commandes ; que ces licenciements ont été prononcés par suite du refus des intéressés d'accepter les postes qui leur ont été proposés (pièces Laurent Mayon n° 33-3 à 33-10) ; que la Selarl Laurent Mayon ne démontre pas que les salariés en cause étaient totalement dédiés à l'activité d'Haulotte, alors que les rapports d'activité de Soudacier montrent qu'à production constante, Soudacier travaillait à plus de 85 % pour d'autres clients que Haulotte au premier trimestre de l'année 2008 (pièces Haulotte n° 7-1 - 7-6) ; que, la preuve n'étant pas rapportée que les licenciements en cause ont été causés par la brutalité de la rupture, la cour déboutera la Selarl Laurent Mayon ès qualités de sa demande de ce chef et infirmera en ce sens le jugement entrepris ;

Sur le loyer du site du Creusot

Considérant que la Selarl Laurent Mayon réclame le remboursement des loyers et charges d'octobre 2007 à décembre 2008, en soutenant que l'absence de préavis a privé d'utilité les locaux loués sur ce site ;

Mais considérant qu'il n'est pas contesté que Soudacier a poursuivi son activité avec Haulotte au-delà d'octobre 2007 et que les dernières livraisons ont été effectuées et facturées en avril 2008 ; que la fermeture du site du Creusot n'est pas la conséquence de l'absence de préavis, mais de l'impossibilité d'y développer une nouvelle activité, ainsi que l'a confirmé l'ancien directeur de production de Soudacier, Monsieur Jacky Santi, au comité d'entreprise (" il aurait été nécessaire d'être équipé d'un atelier de mécanique, le site du Creusot étant uniquement un atelier de sciage. La mise en place d'un aurait atelier de mécanique nécessite des investissements trop lourds. La pénurie de main d'œuvre qualifiée en mécanique sur le bassin d'emploi du Creusot n'a pas été non plus de nature à nous encourager dans cette voie. " - pièce Laurent Mayon n° 34) ; que la cour déboutera la Selarl Laurent Mayon ès qualités de sa demande de ce chef et infirmera en ce sens le jugement entrepris ;

Considérant que l'équité commande de condamner la Selarl Laurent Mayon ès qualités à payer à la société Haulotte la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, statuant dans la limite de la cassation ; infirme le jugement entrepris sur les condamnations prononcées à l'encontre de la SA Haulotte Group aux titres du coût des licenciements économiques des salariés du site du Creusot et du remboursement du loyer du site du Creusot ; statuant à nouveau des chefs infirmés ; déboute la Selarl Laurent Mayon ès qualités et la SAS Soudacier de leurs demandes aux titres du coût des licenciements économiques des salariés du site du Creusot et du remboursement du loyer du site du Creusot ; condamne la Selarl Laurent Mayon ès qualités à payer à la SA Haulotte Group la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la Selarl Laurent Mayon ès qualités aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.