CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 7 septembre 2017, n° 15-09714
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Atlis (SARL)
Défendeur :
FL Régie (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Schaller
Conseillers :
Mmes du Besset, Castermans
Avocats :
Mes Larrieu, Essafi, Veiga, Hugot, Bergez
Faits et procédure :
La société Atlis est une régie publicitaire de médias qui a entretenu depuis 2002 une relation commerciale avec la société SPDC devenue FL Régie éditrice de la publication " Points de vente ", revue spécialisée dans le commerce et la distribution.
Aux termes d'un contrat signé le 6 février 2002 entre la société Atlis et la société SPDC aux droits de laquelle est venue la société FL Régie la société Atlis s'est vue confier avec une clause d'exclusivité la prospection d'annonceurs publicitaires pour cette revue sur le sud de la France, dans des départements précis, et sur l'Espagne dans sa totalité. Le contrat était conclu pour une durée de trois ans renouvelable par tacite reconduction par périodes de douze mois. La durée de préavis prévue au contrat était de six mois.
Le 15 juin 2011, par lettre recommandée, la société FL Régie a mis fin à cette relation avec effet au 6 février 2012.
La société Atlis estimant être en situation de dépendance économique à l'égard de la société FL Régie et sollicitant un préavis de 24 mois, a fait assigner le 26 mars 2013 la société FL Régie pour rupture brutale des relations commerciales.
Par jugement rendu le 7 avril 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :
débouté la SARL Atlis de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
condamné la SARL Atlis à payer à la SAS FL Régie la somme de 25 000 euros au titre du préjudice dont elle est à l'origine en exécutant de manière déloyale son préavis;
débouté la SAS FL Régie de sa demande d'indemnisation fondée sur l'exercice d'une procédure abusive par la SARL Atlis ;
condamné la SARL Atlis à payer à la SAS FL Régie la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 CPC ;
débouté la SAS FL Régie de ses demandes autres plus amples ou contraires.
Vu l'appel interjeté le 13 mai 2015 par la société Atlis contre cette décision,
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Atlis le 1 février 2017 - celles signifiées le 9 février étant irrecevables comme déposées après la clôture - par lesquelles il est demandé à la cour de :
déclarer l'appel interjeté par la société Atlis recevable et le dire bien fondé au fond ;
infirmer la décision entreprise, sauf en ce qu'elle a rejeté les demandes indemnitaires de la société FL Régie fondées sur la prétendue absence de respect de la politique tarifaire d'une part et sur le prétendu exercice d'une procédure abusive d'autre part ;
constater la rupture brutale des relations commerciales par la société FL Régie vis-à-vis de la société Atlis ;
dire et juger que le préavis laissé à la société Atlis était insuffisant au regard de la dépendance économique de cette dernière à l'égard de la société FL Régie et de la durée de leurs relations commerciales ;
dire et juger qu'un préavis de 24 mois aurait dû être accordé à la société Atlis ;
En conséquence
condamner la société FL Régie au paiement de la somme de 82 767 euros en réparation de ce préjudice avec intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure du 25 mai 2012 ;
condamner la société FL Régie à payer à la société Atlis la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait de la désorganisation totale de ses moyens de production avec intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure du 25 mai 2012 ;
réformer la décision prise en ce qu'elle a condamné la société Atlis à payer la somme de 25 000 euros à la société FL Régie au titre du prétendu comportement déloyal de l'appelante durant l'exécution du préavis et subsidiairement en ramener le montant à de plus justes proportions ;
condamner la société FL Régie à payer à la société Atlis la somme de 5 000 euros et à régler les honoraires proportionnels résultant des dispositions de l'article 10 du décret n° 96-1060 du 12 décembre 1996 portant fixation du tarif des huissiers de justice en matière civile et commerciale en cas de recours à l'exécution forcée de la décision à intervenir sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
la condamner aux dépens dont distraction au profit de Maître Nancy Larrieu.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société FL Régie le 6 février 2017 par lesquelles il est demandé à la cour de :
recevoir la société FL Régie en son appel incident et le dire bien fondé ;
juger que la société Atlis ne formule aucune critique du jugement du 7 avril 2015;
confirmer le jugement du 7 avril 2015 en ce qu'il a constaté que la société FL Régie a notifié par écrit à la société Atlis la résiliation du contrat en respectant un préavis de sept mois et demi ;
juger que l'attestation de complaisance de Monsieur X du 27 décembre 2015 et communiquée le 25 janvier 2017 ne respecte pas l'article 202 du Code de procédure civile et en conséquence l'écarter des débats et, à défaut, juger que les allégations qu'elle contient sont sans portée ;
juger que la société Atlis ne démontre pas qu'elle était en situation de dépendance économique envers la société FL Régie ;
confirmer le jugement du 7 avril 2015 en ce qu'il a jugé que la société FL Régie n'a pas rompu brutalement la relation commerciale avec la société Atlis et n'a pas engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce ;
confirmer le jugement du 7 avril 2015 en ce qu'il a jugé que la société Atlis n'était pas en situation de dépendance économique vis-à-vis de la société FL Régie en l'absence de démonstration d'efforts pour réorganiser son activité ;
confirmer le jugement du 7 avril 2015 en ce qu'il a jugé que la société Atlis avait commis une faute durant l'exécution du préavis en cessant d'assurer la régie publicitaire de " Points de vente " à réception de la lettre notifiant la résiliation ;
Statuant à nouveau
infirmer le jugement du 7 avril 2015 en ce qu'il a écarté le manquement de la société Atlis à son obligation contractuelle de respecter la politique tarifaire décidée par la société FL Régie et condamner la société Atlis à payer à la société FL Régie la somme de 5 000 euros pour avoir refusé d'appliquer la politique tarifaire décidée par elle ;
infirmer le jugement du 7 avril 2015 en ce qu'il a écarté la demande au titre de la procédure abusive et condamner la société Atlis à payer à société FL Régie la somme de 5 000 euros à ce titre ;
infirmer le jugement du 7 avril 2015 en ce qu'il a réduit le montant des dommages et intérêts sollicités par la société FL Régie et condamner la société Atlis à payer à la société FL Régie la somme de 52 570 euros au titre du manque à gagner à la suite de l'arrêt de l'exécution du contrat pendant le préavis ;
En tout état de cause,
condamner la société Atlis à payer à la société FL Régie la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Atlis soutient que si la société FL Régie a respecté le délai de préavis contractuel de six mois pour un contrat initialement prévu pour trois ans, ce délai n'était pas suffisant au regard de la durée de la relation commerciale qui s'est établie sur plus de dix ans et durant laquelle elle était en situation de dépendance économique. Elle fait valoir que la relation contractuelle qui la liait à la société FL Régie était de nature exclusive, que son chiffre d'affaires était uniquement le fruit de sa relation commerciale avec la société FL Régie qu'elle était dans l'impossibilité de trouver de nouveaux partenaires commerciaux du fait de l'obligation de non-concurrence post-contractuelle à laquelle elle était soumise, que la société Atlis avait été créée pour les besoins du mandat de représentation du 6 février 2002, dans le seul but d'assurer la représentation commerciale de la société SPDC et ce à titre exclusif, que toute autre activité était interdite à Atlis, que le chiffre d'affaires réalisé avec FL Régie était de plus de 90 % de son chiffre d'affaires, ce qui caractérise l'état de dépendance économique dans laquelle elle se trouvait à l'égard de la société FL Régie
Elle soutient qu'elle ne pouvait, pendant le préavis, à la fois développer du chiffre d'affaires dans ces conditions et chercher à se restructurer en même temps, tout en totalisant un chiffre d'affaires de 50 000 euros pour la société FL Régie que lorsque le préavis contractuel a été fixé à 6 mois, c'était au regard de la durée initiale du mandat, à savoir 3 ans, que cette durée de préavis n'était pas suffisante pour réorienter son activité et qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 24 mois afin de prospecter une nouvelle clientèle.
S'agissant de l'évaluation du préjudice résultant de cette rupture brutale, elle sollicite une indemnisation qui correspond à la marge brute escomptée durant la période d'insuffisance de préavis, à savoir 24 mois, sur la base de la marge brute moyenne (chiffre d'affaires achats) appliquée aux trois derniers exercices. Selon ses calculs, le taux de marge brute doit être fixé à 80 %, appliqué au chiffre d'affaires sur les 18 mois restant dus au-delà du préavis de six mois accordé, soit la somme de 82 767 euros. Elle sollicite en outre une indemnisation de la désorganisation de ses moyens de production, à hauteur de 10 000 euros.
Sur les demandes reconventionnelles de la société FL Régie et ses demandes de dommages-intérêts, la société Atlis conteste le grief relatif au non-respect de la politique tarifaire basé sur un incident unique et les nouveaux griefs qui n'ont pas été mentionnés dans la lettre de résiliation de la société FL Régie. Elle conteste tout comportement déloyal de sa part pendant le préavis, la charge de la preuve pesant sur la société FL Régie et cette dernière ne démontrant aucune baisse de l'activité de la société Atlis pendant le préavis, ni que la diminution de son chiffre d'affaires résulte d'un comportement fautif d'Atlis.
En réponse, la société FL Régie conteste toute brutalité de la rupture. Elle soutient qu'elle a respecté les conditions contractuelles, que le préavis de six mois correspond à l'usage professionnel en matière de contrats de publicité, qu'en outre, comme les premiers juges ont pu le constater, la durée du préavis a été supérieure à celle contractuellement prévue, à savoir sept mois et demi. Elle conteste toute dépendance économique qui proviendrait de son fait. Elle indique que la société Atlis ne démontre pas qu'elle ait eu l'obligation de ne collaborer qu'avec elle, l'exclusivité n'engageant que la société FL Régie et constate que le chiffre d'affaire d'Atlis n'était pas exclusivement constitué des commissions perçues sur la vente d'espaces publicitaires de la société FL Régie que la rupture de la relation contractuelle n'est pas à l'origine des difficultés financières de la société Atlis et qu'il n'est pas démontré que celle-ci a été créée exclusivement pour les besoins du contrat. De plus Atlis ne démontrerait pas qu'elle a fait des démarches pour réorganiser son activité.
Elle soutient en outre que la société Atlis a manqué à ses obligations contractuelles en ne respectant pas la politique tarifaire décidée par la société FL Régie et en réalisant une mauvaise gestion de l'insertion de la publicité par une incompréhension volontaire de la stratégie commerciale, que la résiliation du contrat était dès lors justifiée par les fautes ainsi commises, que la durée de sept mois et demi de préavis accordée était parfaitement suffisante au regard de ces éléments et de la durée de la relation commerciale.
Sur l'exécution du préavis, la société FL Régie indique que la société Atlis n'a apporté qu'un chiffre d'affaires dérisoire lors des sept derniers mois d'exécution du contrat et qu'elle a cessé de travailler, qu'elle s'est mise en sommeil sans aucune explication, qu'elle n'a communiqué que très tardivement quelques pièces, que par son comportement déloyal, elle a causé un préjudice à la société FL Régie qu'il y a lieu d'indemniser. Enfin, elle sollicite l'indemnisation du préjudice subi du fait des manquements contractuels relevés contre Atlis.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce LA COUR,
Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure " ;
Considérant que l'article L. 442-6, I, 5° s'applique à toute relation commerciale suivie, stable et habituelle ;
Que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures ;
Considérant que l'existence d'une stipulation contractuelle de durée de préavis ne dispense pas la cour, qui en est requise, de vérifier si le délai de préavis contractuel ainsi fixé tient compte de la durée des relations commerciales ayant existé entre les parties et des autres critères liés au volume d'affaires et de la progression du chiffre d'affaires, aux investissements effectués, à l'objet de l'activité, à la dépendance économique et aux usages de la profession ;
Que la finalité du délai de préavis est de permettre au partenaire évincé de prendre ses dispositions pour réorienter ses activités en temps utile ou pour rechercher de nouveaux clients ;
Qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que les relations commerciales entre la société SPDC devenue FL Régie et Atlis ont duré dix ans et revêtaient le caractère établi justifiant l'application des dispositions susrappelées ;
Que les premiers juges ont relevé que le préavis fixé contractuellement à six mois était conforme aux usages de la profession et qu'en outre, la société FL Régie avait en réalité accordé un préavis de sept mois et demi, que cette durée permettait à Atlis de redéployer son activité, que l'exclusivité conclue entre les parties ne concernait que cinq journaux du seul secteur de la distribution et était limitée au sud de la France, que cette exclusivité ainsi cantonnée autorisait Atlis à prospecter une clientèle plus importante, qu'en ne le faisant pas et en limitant de sa seule initiative son périmètre d'intervention, Atlis ne peut prétendre avoir été placée en situation de dépendance économique du fait de FL Régie ; que dès lors, le pourcentage exact de la part du chiffre d'affaires dédié à FL Régie est sans incidence, la société Atlis étant seule responsable de son absence de diversification pendant dix ans ;
Qu'en outre, la durée de préavis accordée de sept mois et demi est adaptée à l'ancienneté de la relation qui a duré dix ans, et suffisante, au regard de l'activité exercée, pour rechercher de nouveaux clients ;
Considérant qu'il y a lieu par conséquent de confirmer la décision des premiers juges sur l'absence de brutalité de la rupture et l'absence de dépendance économique et dès lors, de débouter la société Atlis de ses demandes d'indemnisation au titre de la rupture brutale et des préjudices liés à la désorganisation alléguée et non établie ;
Considérant que c'est à juste titre, par des motifs que la cour adopte, que les premiers juges ont rejeté la demande reconventionnelle de la société FL Régie relative à l'indemnisation des préjudices liés aux fautes commises par Atlis dans l'exécution du contrat ;
Qu'en effet, ainsi qu'ils l'ont justement relevé, le non-respect de la politique tarifaire par Atlis n'est qu'un fait isolé, qui n'a donné lieu qu'à un courrier de rappel à l'ordre, du 14 janvier 2011, les autres manquements n'ayant jamais fait l'objet de la moindre critique et n'ayant été invoqués que tardivement, dans le cadre des échanges entre avocats, après la rupture ;
Considérant enfin, que s'il est établi que la société Atlis n'a réalisé qu'un chiffre d'affaires de 8 205 euros pour le dernier semestre 2011, auquel il y a toutefois lieu de rajouter le renouvellement des commandes à échéance à début 2012, soit un chiffre d'affaires de 24 613 euros pour la durée totale du préavis, il n'est pas établi que la baisse relative du chiffre d'affaires 2011 par rapport à 2010 résulte d'un comportement déloyal de la société Atlis déloyauté dont la charge de la preuve pèse sur la société FL Régie ;
Que c'est dès lors à tort que les premiers juges ont fait droit à la demande d'indemnisation de la société FL Régie ;
Que la société FL Régis sollicite, en cause d'appel, la condamnation de la société Atlis à lui payer l'équivalent du manque à gagner par rapport au chiffre d'affaires de l'année précédente sur la même période ;
Que cette demande, formulée autrement en première instance et fondée en appel sur la responsabilité contractuelle et non plus délictuelle, n'est toutefois justifiée par aucune élément, la seule baisse de chiffre d'affaires n'étant pas suffisante à établir un manquement contractuel ;
Qu'il y a lieu d'infirmer de plus fort la décision et de débouter la société FL Régie de sa demande d'indemnisation à ce titre ;
Considérant que ni les circonstances du litige, ni les éléments de la procédure ne permettent de caractériser à l'encontre de la société Atlis une faute de nature à faire dégénérer en abus le droit d'agir ou de se défendre en justice ;
Qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de dommages intérêts formée à ce titre ;
Qu'il y a lieu de faire droit à la demande additionnelle d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile formée par la société FL Régie ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société FL Régie à payer à la société Atlis la somme de 25 000 euros au titre du préjudice dont elle est à l'origine en exécutant de manière déloyale son préavis, l'infirme sur ce point, statuant à nouveau, déboute la société FL Régie de sa demande de dommages et intérêts au titre du manque à gagner à la suite de l'arrêt de l'exécution du contrat pendant le préavis, Y ajoutant, condamne la société Atlis à payer à la société FL Régie la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maitre Olivier Hugot, Avocat.