CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 18 septembre 2017, n° 15-06977
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Le Mousquetaire (SNC)
Défendeur :
Locam (SAS), Afden (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
President :
M. Loos
Conseillers :
Mmes Simon-Rossenthal, Castermans
Avocats :
Mes Rimbert-Belot, Migaud, Aouizerate
Faits et procédure
La société Le Mousquetaire qui exploite une brasserie à Suresnes (92) a été démarchée le 5 février 2013, par la société agence française des énergies nouvelles " Afden " pour l'installation d'une batterie de condensateurs, appareillage destiné à stocker l'électricité.
Le 13 février 2013, la société Le Mousquetaire a signé un bon de commande auprès de la société Afden pour une durée de 60 mois, financée par un contrat de location de 60 loyers d'un montant unitaire de 166 euros souscrit auprès de la société Locam. Le matériel a été installé le 20 février 2013.
En juillet 2013, la société Le Mousquetaire estimant que sa consommation d'électricité n'avait pas diminué, a adressé une réclamation à la société Afden.
Sans réponse de la société Afden, le 7 octobre 2013 la société Le Mousquetaire s'estimant trompée a sollicité l'annulation du contrat.
Après mise en demeure restée infructueuse, la société Le Mousquetaire a assigné la société Afden le 22 mai 2014, et la société Locam le 19 mai 2014 pour obtenir l'annulation du contrat de location et la caducité du contrat de prêt.
Vu le jugement prononcé le 3 mars 2015 par le Tribunal de commerce de Créteil qui a :
- dit la société Le Mousquetaire mal fondée en toutes ses demandes et l'en a déboutée,
- dit la société Le Mousquetaire mal fondée en sa demande de dommages-intérêts et l'en a déboutée,
- rejeté la demande formée en application de l'article 32-1 du Code de procédure civile par la société Locam,
- rejeté les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Vu l'appel de la société Le Mousquetaire le 30 mars 2015,
Vu les conclusions signifiées le 23 mars 2017 par la société Le Mousquetaire,
Vu les conclusions signifiées le 13 mai 2017 par la société Local,
Vu la constitution le 29 juin 2005 de la société Aden,
La société Le Mousquetaire demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit :
- infirmer la décision entreprise,
En conséquence :
- annuler le contrat de location pour non-respect des dispositions du Code de la consommation, et ainsi voir prononcer la nullité du bon de commande,
- annuler le bon de commande conclu avec la société Afden pour dol, et ainsi voir constater la caducité du contrat de location,
- condamner la société Afden à verser à la SNC Le Mousquetaire la somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamner la SARL Afden à payer à la SNC Le Mousquetaire la somme de 2 500 euros par application de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens.
La société Le Mousquetaire invoque la nullité du contrat de prêt pour non-respect des dispositions L. 121-21 et L. 121-22 du Code de la consommation qui ont vocation à s'appliquer, puisqu'il n'existe aucun rapport direct entre l'activité exercée (bar-brasserie) par la structure commerciale et l'objet de l'opération juridique envisagée, la location de batterie de condensateur. Elle soutient, sur le fondement de l'article L. 121-3 du Code de la consommation, que le contrat ne fait pas état de la nature et des caractéristiques du bien proposé et que les conditions d'exécution du contrat ne sont pas non plus précisées.
Par ailleurs, elle invoque la nullité du contrat de prêt pour dol, sur le fondement des articles 1109 et 1116 anciens du Code civil au motif que le gérant de la société Le Mousquetaire a accepté de contracter avec la société Afden puisque le salarié de cette dernière s'était présenté avec une tenue de travail revêtant le sigle de GDF Suez ; qu'une brochure a été remise sur laquelle il était inscrit " Partenaire DolceVita de Gaz de France, Ma Maison Bleu Ciel, Etude de votre dossier par EDF Domofinance ou GDF Solfea (Maisons de financements d'EDF et de Gaz de France), Envoi d'un ingénieur + pour étude de votre habitation et valider la candidature Ma maison Bleu Ciel " ; que sur le bon de commande signé par les cocontractants, on peut lire n d'agrément GDF : 329 300, et partenaire EDF Suez DolceVita, ces manœuvres ayant été exécutées dans le but de faire contracter l'appelante.
Elle souligne que le 13 février 2017, à la demande de la brigade de répression de la délinquance économique, elle a formé un dépôt de plainte avec constitution de partie civile.
Qu'en l'espèce, s'agissant de contrats concomitants s'inscrivant dans une opération incluant une location financière, elle sollicite la caducité du bon de commande suite à la nullité prononcée du contrat de location financière.
La société Locam demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, et y ajoutant :
- condamner la SNC Le Mousquetaire au paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Locam relève que la société Le Mousquetaire ne formule aucune demande à son encontre stricto sensu.
Elle expose que la société Le Mousquetaire ne peut pas se prévaloir des dispositions du Code de la consommation.
Sur le dol, elle développe que la SNC Le Mousquetaire a volontairement laissé installer le matériel dans ses locaux et l'a dûment réceptionné suivant procès-verbal de livraison et de conformité du 20 février 2013 revêtu de sa signature et de son tampon ; que la SNC Le Mousquetaire reconnaît qu'elle s'est d'ores et déjà acquittée de la somme de 2 124,17 euros auprès de la société Locam (loyers d'avril 2014 inclus), ces éléments étant constitutifs d'un commencement d'exécution du contrat mais également d'une confirmation du contrat au sens de l'article 1338 du Code civil ; qu'elle relève que les manœuvres dolosives alléguées par l'appelante concernent la société Afden et qu'elle n'a pas à en supporter la responsabilité.
La société Afden n'a pas conclu.
SUR CE,
Considérant que, selon l'article L. 121-21 du Code de la consommation dans sa rédaction applicable à l'espèce,
" est soumis aux dispositions de la présente section quiconque pratique ou fait pratiquer le démarchage, au domicile d'une personne physique, à sa résidence ou à son lieu de travail, même à sa demande, afin de lui proposer l'achat, la vente, la location, la location-vente ou la location avec option d'achat de biens ou la fourniture de services ";
Considérant que la société Le Mousquetaire est mal fondée à invoquer le bénéfice de cet article puisque cette société commerciale a souscrit un contrat d'installation d'une batterie de condensateurs qui ne relève pas de son activité de base de brasserie mais qui s'inscrit dans le cadre de son exploitation professionnelle ; qu'elle n'est donc pas éligible aux dispositions protectrices du Code de la consommation relatives au démarchage au domicile d'une personne physique ;
Considérant ensuite que la société Le Mousquetaire verse aux débats le bon de commande du condensateur daté du 13 février 2013, la fiche de fin de travaux du 20 février 2013 et une brochure, documents sur lesquels la société Afden fait état de son partenariat avec GDF Suez Dolce Vita avec un numéro d'agrément 329 300 ainsi qu'avec EDF Bleu Ciel ; que la brochure porte mention d'une étude du dossier par EDF Domofinance ou GDF Solfea présentées comme des maisons de financement d'EDF et GDF ; que la société Le Mousquetaire qui a par ailleurs porté plainte le 13 février 2017 est bien fondée à soutenir que ces mentions en réalité erronées ont été déterminantes de son consentement et qu'elle n'aurait pas contracté si ces gages de sécurité n'avaient pas été mentionnés ;
Considérant que, sur le fondement des articles 1109 et suivants du Code civil dans leur rédaction applicable au présent litige il convient de prononcer la nullité du contrat de commande conclu le 13 février 2013 entre la société Le Mousquetaire et la société Afden ;
Considérant que la société Le Mousquetaire précise avoir réglé en exécution du contrat la somme de 8 652 euros HT incluant le loyer de juin 2017 ; qu'elle est fondée à réclamer à la société Afden des dommages et intérêts pour le préjudice résultant des manœuvres dolosives dont elle a été victime ; que la somme de 10 000 euros doit lui être allouée à ce titre ;
Considérant que la nullité du contrat de commande rend caduc le contrat de prêt conclu entre la société Le Mousquetaire et la société Locam, s'agissant de contrats interdépendants ;
Par ces motifs, infirme le jugement déféré et statuant à nouveau ; annule pour dol le contrat de commande conclu le 13 février 2013 entre la société Le Mousquetaire et la société Afden ; dit caduc le contrat de prêt conclu le 13 février 2013 entre la société Le Mousquetaire et la société Locam ; condamne la société Afden à verser à la société Le Mousquetaire la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ; condamne la société Afden à verser à la société Le Mousquetaire la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; rejette toutes autres demandes ; condamne la société Afden aux dépens.