Livv
Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 14 septembre 2017, n° 16-01109

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Alfran (SAS)

Défendeur :

Carrefour Hypermarchés (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Farina

Conseillers :

Mmes Bertoux, Mantion

T. com. Le Havre, du 29 janv. 2016

29 janvier 2016

Exposé du litige

Le 31 octobre 2013, le magasin Intermarché de Lillebonne, exploité par la SAS Alfran, concurrent direct de Carrefour a diffusé dans le journal "Le Courrier Cauchois" une publicité comparative entre ces deux magasins.

Par courrier recommandé du 31 octobre 2013, la SAS Carrefour a adressé à Intermarché un courrier recommandé pour lui demander les justificatifs de la véracité de sa publicité conformément aux dispositions de l'article L. 121-12 du Code de la consommation.

Le 8 novembre 2013, Intermarché a contesté le bien-fondé de la réclamation de la société Carrefour et a maintenu son affichage.

Considérant cette publicité critiquable, la SAS Carrefour a sollicité de Monsieur le Président du Tribunal de commerce du Havre l'autorisation de procéder à un constat d'huissier.

Suivant autorisation de Monsieur le Président du Tribunal de commerce en date du 22 novembre 2013, le constat a été réalisé le même jour.

Intermarché n'ayant pas retiré son affichage, la SAS Carrefour a été autorisée, par ordonnance du 28 novembre 2013, par Monsieur le Président du Tribunal de commerce du Havre, à assigner en référé d'heure à heure la SAS Alfran pour une audience fixée le 3 décembre 2013 afin d'obtenir le retrait des affichages incriminés.

Le 2 décembre 2013, la SAS Alfran s'étant engagée à retirer les affiches, l'affaire ne s'est pas plaidée.

Le 18 décembre 2013, la SAS Carrefour a assigné au fond la SAS Alfran devant le Tribunal de commerce du Havre.

Par jugement du 29 janvier 2016, le Tribunal de commerce a :

- Jugé que la société Alfran a commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la société Carrefour Hypermarchés en effectuant une publicité illicite, trompeuse et dénigrante;

- Condamné la société Alfran à payer à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice du fait de la diffusion de la publicité illicite;

- Autorisé la société Carrefour Hypermarchés à faire publier dans le Courrier Cauchois, et aux frais avancés par la société Alfran, le présent jugement;

- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement;

- Débouté les parties de leurs autres ou plus amples demandes;

- Condamné la société Alfran aux entiers dépens, ceux visés à l'article 701 du Code de procédure civile étant liquidés à la somme de 93 euros et à payer à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du Code procédure civile.

Par déclaration au greffe de la cour d'appel en date du 04 mars 2016, la société Alfran a interjeté appel du jugement du 29 décembre 2016.

Pour un exposé exhaustif des faits et moyens des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions du 5 avril 2016 pour l'appelante, et du 19 septembre 2016 de l'intimée.

La SAS Alfran conclut à la réformation de la décision et demande à la cour de:

- Dire n'y avoir lieu à condamnation de la société Alfran pour publicité dénigrante et mensongère, et à versement de dommages intérêts,

- A titre subsidiaire, ramener à de plus justes proportions le montant des dommages intérêts, qui ne saurait excéder 3 000 euros,

- Condamner la société Carrefour aux entiers dépens de la présente instance ainsi qu'au paiement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Carrefour Hypermarchés demande à la Cour au visa des articles 1382 du Code civil (art. 1240 au 1er octobre 2016), L. 121-1 et L. 121-8 du Code de la consommation (devenus L. 121-2 et L. 122-1) de:

- Confirmer le jugement rendu le 29 janvier 2016 par le Tribunal de commerce du Havre en ce qu'il a déclaré non fondée la demande reconventionnelle de la société Alfran,

- juger que la société Alfran a commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la société Carrefour Hypermarchés en effectuant une publicité illicite, trompeuse et dénigrante;

y ajoutant,

- Condamner la société Alfran à payer à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la diffusion de la publicité incriminée,

- Autoriser la société Carrefour Hypermarchés à faire publier dans " Le Courrier Cauchois " et aux frais avancés par la société Alfran l'arrêt à intervenir;

En tout état de cause,

- Débouter la société Alfran de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- Condamner la société Alfran à verser à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner la société Alfran aux entiers dépens de première instance et d'appel.

SUR CE,

Au soutien de son appel, la société Alfran expose, en résumé, que:

- son attitude n'induit aucun comportement fautif en ce que la publicité effectuée est conforme aux dispositions du Code de la consommation;

- les relevés de prix effectués tous les mois établissent que la société Alfran est 1,1 % moins chère que le Carrefour de Gruchet le Valasse;

- l'erreur de calcul du pourcentage ne peut justifier en soi les actuelles demandes de la société Carrefour;

- le slogan de la publicité comparative n'est pas généraliste puisqu'elle est limitée dans le temps et ne concerne qu'un secteur de biens vendus;

- la publicité porte sur des produits bien précis, ce qui démontre que la volonté de la société Alfran n'est justement pas de procéder à un dénigrement.

- la société Carrefour a déjà fait l'objet d'une condamnation pour publicité mensongère.

- la société Carrefour a eu recours à des procédés déloyaux en recourant à des publicités comparatives déloyales portant sur des articles différents et en procédant à des appositions sauvages de panneaux publicitaires.

- il convient, à titre subsidiaire, de ramener le montant des dommages et intérêts à une somme qui ne saurait excéder 3 000 euros.

La société Carrefour réplique, essentiellement, que :

La publicité est illicite et trompeuse :

- La comparaison objet de la publicité incriminée, n'est pas objective :

* Elle porte uniquement sur le prix de jouets dont a été déduit le montant des avantages obtenus pour les seuls porteurs de la carte de fidélité chez Intermarché, à deux exceptions près, le prix des jouets ne faisant l'objet d'aucun avantage carte ou remise chez Carrefour;

* La mention " avantage carte et remise immédiate déduit " est difficilement lisible et ne répond pas à la recommandation " mentions et renvois " de L'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité;- elle est incomplète puisqu'elle ne précise pas que lesdits avantages ne peuvent être utilisés que 48 heures après l'achat;

- la publicité est également trompeuse au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation :

* les slogans " Votre Intermarché Lillebonne moins cher sur les jouets " et " Intermarché moins cher aussi sur les consoles " sont trop généraux :

. le premier tend à faire croire au consommateur que l'ensemble des jouets vendus chez Intermarché sont moins chers que ceux vendus dans le magasin Carrefour alors que la comparaison ne porte que sur le prix de douze produits choisis arbitrairement (les jouets), et sur le prix de deux produits choisis arbitrairement (consoles); - ce procédé est trompeur et de nature à induire le consommateur en erreur; - la généralité du slogan est d'autant moins justifiée que le catalogue Intermarché sur lequel la publicité comparative s'appuie n'est valable que jusqu'au 8 décembre 2013;

. Plus grave encore, si l'on compare les prix effectivement payés en caisse pour les produits objets de la publicité, le magasin Carrefour est en réalité moins cher; - les relevés de prix GPS émanant de l'agence Iri produits par Intermarché ne correspondent pas à la période de diffusion de la publicité litigieuse et ne portent que sur des produits alimentaires ou dit de la catégorie générale petit bazar, et donc non en lien avec la publicité incriminée; - en tout état de cause, ces relevés mentionnent que " les données restituées dans le cadre des relevés de prix GPS sont destinées à un usage strictement interne au sein du groupement des Mousquetaires et ne peuvent faire l'objet d'aucune diffusion publique ", ils ne peuvent donc être communiqués dans le cadre de la présente instance et seront écartés des débats; - dans ces conditions les pourcentages allégués par la société Alfran ne sont pas justifiés et le slogan " Votre intermarché Lillebonne moins cher sur les jouets ", qui accompagne la publicité est donc trompeur pour le consommateur;

* Le slogan " Intermarché Lillebonne moins cher de 46, 2 % " est faux :

. Le calcul suivant : différence entre le prix Carrefour et le prix Intermarché/prix Carrefour x 100 a pour résultat 31,75 %, ce que reconnaît la société Intermarché; même involontaire, cette erreur constitue un acte de concurrence déloyale pouvant induire la clientèle du magasin en erreur;

* La mention " remise immédiate " dans la mention " *Avantage carte et remise immédiate déduits ", comme l'omission de la mention " * Avantage carte déduit ", pour les consoles, est mensongère et trompeuse :

. Elle est tout d'abord difficilement lisible;

. Elle est mensongère et trompeuse pour le consommateur, dans la mesure où ce dernier n'est pas informé des conditions d'utilisation de la carte de fidélité Intermarché, et où aucun des jouets et consoles objets de la publicité ne fait l'objet de remise immédiate;

. La lecture du catalogue Intermarché montre qu'aucun des jouets et consoles objets de la publicité ne fait l'objet d'une remise immédiate, mais seulement d' " avantages carte ";

. Selon les conditions générales d'utilisation figurant sur le site d'Intermarché, le bénéfice de l' " avantage carte " n'est pas immédiat, mais utilisable quarante-huit heures après l'achat considéré;

. Par ailleurs, la partie relative aux consoles ne comporte aucun astérisque, de sorte que le consommateur peut être amené à croire, à tort, que les prix des consoles objets de la publicité vendues chez Intermarché correspondent à des prix n'incluant pas l'avantage carte, ce qui est faux;

La publicité est dénigrante

- la comparaison effectuée par la société Alfran nuit gravement et de façon illégitime à l'image de la société Carrefour en terme de prix (cherté) auprès des consommateurs, ce qui constitue un acte de dénigrement particulièrement grave, compte tenu notamment de la période de fêtes de fin d'année;

- le caractère dénigrant est renforcé par les mentions contenues dans la publicité présentant de manière dénigrante l'enseigne Carrefour :

. la présence au sein de la même publicité des autres slogans " Intermarché Lillebonne moins cher de 46,52 % " et " Intermarché Lillebonne moins cher aussi sur les consoles ! ", ce dernier étant, comme le slogan " Votre Intermarché Lillebonne moins cher sur les jouets ", de couleur rouge,

. la mention en rouge des prix Carrefour sous le logo et la marque Carrefour, et le nom du magasin,

. Les relevés de prix communiqués en violation de leurs conditions d'utilisation ne sont pas de nature à écarter le grief de dénigrement, dans la mesure où ils sont insuffisants pour démontrer que le magasin intermarché de Lillebonne serait globalement moins cher que le magasin Carrefour de Gruchet Le Valasse, et ne portent pas sur les prix des jouets et des consoles ni sur la période visée par la publicité,

. L'existence d'une condamnation à l'encontre du magasin Carrefour de Gruchet est sans incidence sur le bien-fondé des demandes, compte tenu de l'ancienneté des faits et de leur nature qui ne relevaient pas de la publicité comparative.

Sur le préjudice et les mesures sollicitées,

- compte tenu de ce qui précède, mais également du fait que la publicité incriminée a été diffusée pendant la période précédant les fêtes de fins d'année, il convient d'augmenter le montant des dommages-intérêts alloués en première instance et de réparer le préjudice subi en allouant à la société Carrefour une somme de 50 000 euros.

- les faits de concurrence déloyale reprochés à la société Carrefour ne sont établis par aucun élément de preuve sérieux, et ne sauraient dont justifier une diminution du montant des dommages et intérêts alloués à la société Carrefour.

CECI EXPOSE

- Sur le caractère trompeur ou de nature à induire le consommateur en erreur allégué de la publicité

L'article L. 122-1 du Code de la consommation (applicable à compter du 1er juillet 2016, ancien art. L. 121-8) définit la publicité comparative comme celle " qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent ". Cette publicité " n'est licite que si : 1° Elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur;

2° Elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant les mêmes objectifs;

3° Elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie ".

Le caractère licite d'une publicité comparative doit être apprécié au regard de "la perception du consommateur moyen des produits ou services faisant l'objet de la publicité en cause, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé" (arrêt Lidl SNC/Vierzon Cour de justice de l'Union européenne du 18 novembre 2010 relatif aux directives 84/450/CEE et 97/55/CE et aux conditions de licéité de la publicité comparative).

En l'espèce, la publicité diffusée par la société Alfran dans le journal " Le Courrier Cauchois " du 31 octobre 2013 répond à la définition de l'article L. 122-1 du Code de la consommation en ce qu'elle met en comparaison des biens en identifiant explicitement un concurrent, le magasin Carrefour de Gruchet-Le-Valasse nommément désigné, qu'elle porte sur le prix de biens ayant les mêmes objectifs, à savoir des jouets et des consoles identiques.

La décision entreprise n'est pas critiquée en ce qu'elle indique que la publicité incriminée repose sur une approche comparative des prix figurant respectivement sur le catalogue Intermarché du 29 octobre 2013 et sur celui de Carrefour du 19 octobre 2013, que le catalogue Intermarché comporte plus de 30 pages comprenant chacune en moyenne 5 articles, soit environ 150 jouets, et que le catalogue Carrefour revendique la garantie Carrefour " Prix le plus bas " " sur 200 jouets de grande marque. "

La société Carrefour fait valoir que la comparaison objet de la publicité incriminée n'est pas objective en ce qu'elle porte sur le prix de jouets dont a été déduit le montant des avantages obtenus pour les seuls porteurs de la carte de fidélité chez Intermarché avec, à deux exceptions près, le prix de jouets ne faisant l'objet d'aucun avantage carte ou remise chez Carrefour.

Le fait de conditionner les prix annoncés par la publicité à la possession d'une carte de fidélité Intermarché n'est pas de nature à tromper le consommateur dès lors que celui-ci en est informé.

La publicité en cause renvoie au moyen d'un astérisque à l'indication " avantage carte et remise immédiate déduits ".

Le fait que la mention " avantage carte et remise immédiate déduits " soit affichée à la verticale et ne réponde pas ainsi aux recommandations de l'ARPP n'est pas de nature à établir le caractère non-objectif ou trompeur de la publicité incriminée, l'ARPP étant une association de droit privé dépourvue de pouvoir normatif.

Cette mention est suffisamment visible pour le consommateur moyen.

Il ressort clairement des conditions générales de souscription à la carte de fidélité et du catalogue Intermarché du 29 octobre 2013 que " le prix indicatif correspond au prix auquel vous reviendrait le produit après prise en compte du montant de l'avantage carte crédité sur votre carte de fidélité et utilisable 48 heures après l'achat pour les porteurs de la carte de fidélité Intermarché ", si bien que les possesseurs de carte de fidélité Intermarché étaient informés que les prix indiqués ne correspondaient pas aux prix effectivement payés au moment de l'achat, ce qui n'est toutefois pas forcément le cas du consommateur moyen auquel s'adresse la publicité.

Par ailleurs, l'astérisque qui renvoie à cette mention figure auprès du mot catalogue tant d'Intermarché que de Carrefour, et partant, se trouve relié tant aux prix Intermarché qu'à ceux de Carrefour relatifs aux douze jouets choisis par Intermarché pour effectuer la comparaison, comme l'a justement souligné le tribunal.

Or, si l'avantage carte s'applique bien aux prix Intermarché, il n'est pas établi que les prix Carrefour bénéficient du même avantage, de sorte que la publicité comparative manque d'objectivité.

Comme l'a justement observé le tribunal les termes, " Avantage carte et remise immédiate déduits " laissent à penser aux consommateurs qu'il existe d'une part un avantage lié à la carte Intermarché et d'autre part la possibilité d'une remise immédiate.

Or, il ressort de la lecture des pages du catalogue Intermarché qu'aucun remise immédiate n'est accordée s'agissant des jouets et consoles objets de la publicité, mais une réduction de leur prix après application de l'avantage carte, qui n'est pas immédiat, mais utilisable quarante-huit heures après l'achat considéré comme le souligne à juste titre la société Carrefour.

Il s'ensuit que le consommateur qui n'aurait pas consulter les catalogues peut être amené à penser que le prix indiqué est le prix réellement payé en caisse, ce qui est trompeur et de nature à induire le consommateur en erreur.

C'est donc à bon droit que le tribunal a retenu, d'une part, qu'en apposant l'astérique de renvoi à la liste de prix Carrefour, la société Alfran a créé une confusion de nature à induire les consommateurs en erreur, et à le tromper sur les termes de la comparaison, et d'autre part que l'ambiguïté de la formulation du renvoi et le fait que les consommateurs, lecteurs de la seule publicité, n'auraient pas eu connaissance des précisions portées sur le catalogue contribuent à induire en erreur et à tromper les mêmes consommateurs.

La société Alfran a ainsi enfreint les dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation et engagé sa responsabilité envers la société Carrefour.

La société Carrefour poursuit également la responsabilité de la société Alfran considérant qu'elle a violé les dispositions de l'article L. 121-2 du Code de la consommation qui prévoit que :

Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes :

[...] 2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants :

[...] c) Le prix.

La société Alfran a employé les slogans suivants : " Votre Intermarché Lillebonne moins cher sur les jouets " et " Intermarché Lillebonne moins cher aussi sur les consoles ".

Ils ont un périmètre clairement identifié en ce qu'ils se limitent aux jouets et consoles de jeux.

Pour autant, leur formulation, laisse à penser que d'une façon générale, pour l'ensemble des jouets et consoles offerts à la vente, Intermarché est moins cher que ses concurrents, et notamment Carrefour, alors que la comparaison ne porte que sur le prix de 12 jouets et 2 consoles de jeux, soit sur un échantillon de produits très restreint au regard du nombre de produits référencés en magasin ainsi qu'il résulte des catalogues des deux enseignes évoqués ci-avant, ce qui confirme le caractère trompeur de la publicité au sens des dispositions légales ci-dessus rappelées.

Les relevés de prix fournis par la société Alfran pour justifier qu'elle serait 1,1 % moins chère que la société Carrefour de Gruchet-Le-Valasse sont indifférents dès lors qu'ils ne portent pas sur les produits visés par la publicité, ou sur la même catégorie de produits, ni sur la période concernée par la publicité.

La société Carrefour reproche également à la société Alfran l'emploi d'un troisième slogan " Intermarché Lillebonne moins cher de 46,52 % " qui est faux.

Quand bien même s'agirait-il d'une erreur de calcul, comme le prétend la société Alfran, elle est de nature à renforcer le caractère trompeur de la publicité vis-à-vis du consommateur.

Pour l'ensemble de ces développements, la publicité comparative de la société Alfran qui est non objective, trompeuse ou de nature à induire en erreur le consommateur n'est pas licite.

C'est par conséquent, à bon droit, que le tribunal a retenu que la société Alfran a commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la société Carrefour Hypermarchés en effectuant une publicité illicite.

- Sur le caractère dénigrant de la publicité

L'article L. 122-2 du Code de la consommation dispose que " la publicité comparative ne peut (...) 2°) entraîner le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens ou services de l'annonceur et ceux d'un concurrent ".

Le caractère illicite d'une publicité comparative n'est pas à lui seul, suffisant afin de caractériser un dénigrement (Cass. du 5 juill. 2016, n° 14-26.095).

Quant à la mention en rouge des prix Carrefour sous son logo, sa marque et le nom du magasin, elle est insuffisante à caractériser un dénigrement de la part de la société Alfran.

Il convient, dans ces conditions, d'écarter le caractère dénigrant de la publicité en cause.

- Sur le préjudice de la société Carrefour

Un acte de concurrence déloyale génère à lui seul un trouble commercial constitutif de préjudice (Cass. com. du 27 mai 2008, n° 07-14.422).

La publicité illicite qui portait sur des jouets et des consoles et qui est restée affichée du 31 octobre au 2 décembre 2013 inclus, soit pendant plus d'un mois, juste avant les fêtes de Noël, a nécessairement généré un trouble commercial à la société Carrefour constitutif de préjudice.

Néanmoins, compte tenu du nombre limité de produits comparés, il convient d'évaluer le préjudice de la société Carrefour à la somme de 15 000 euros.

La société Alfran ne renouvelle pas sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts, pour des agissements antérieurs au catalogue d'octobre 2013 qui auraient été constitutifs d'un dénigrement et d'une volonté de nuire, mais sollicite, à titre subsidiaire, la réduction à de plus justes proportions du montant des dommages et intérêts qui ne saurait excéder la somme de 3 000 euros.

Toutefois, l'attitude dénigrante de la société Carrefour et sa volonté de nuire qui s'illustreraient, selon la société Alfran, par des attaques menées par la société Alfran (sic), par le fait que les relevés de prix des indépendants établissent que la société Alfran est bien moins chère que Carrefour, par les procédés relatifs aux relevés de prix émanant du Groupe Carrefour, antérieurement au catalogue du mois d'octobre, ne sauraient être prises en considération afin de réduire le montant des dommages et intérêts alloués à la société Carrefour qui doit recevoir réparation intégrale du préjudice résultant du comportement fautif de la société Alfran.

Il convient en conséquence de condamner la société Alfran à payer à la société Carrefour la somme de 15 000 à titre de dommages et intérêts et d'infirmer la décision entreprise sur ce point.

- Sur la mesure de publication du jugement et de l'arrêt

Le jugement entrepris a autorisé la société Carrefour Hypermarchés à faire publier dans " Le Courrier Cauchois ", et aux frais avancés par la société Alfran, le jugement au visa de l'article L. 121-4 du Code de la consommation.

Outre le fait que d'une part, l'article L. 121-4 du Code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 du Code de la consommation énumère les pratiques commerciales trompeuses au sens des articles L. 121-2 et L. 121-3 sans prévoir aucune mesure de publication en cas de condamnation, que d'autre part, ce type de mesure est prévue à l'article L. 132-4 du même code, dont les termes sont identiques à ceux de l'article L. 121-4 du Code de la consommation dans sa rédaction antérieure issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, comme peine complémentaire punissant le délit de pratique commerciale trompeuse, cette mesure ne peut être prononcée par le tribunal de commerce.

La mesure de publication ne peut davantage être prononcée par la cour, saisie d'un appel d'une décision du tribunal de commerce.

En conséquence, il convient de débouter la société Carrefour de cette demande formée en première instance et en appel, et d'infirmer la décision entreprise sur ce point.

- Sur l'indemnité de procédure

L'équité commande d'allouer à la société Carrefour Hypermarchés la somme indiquée au dispositif sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en sus de celle octroyée en première instance qui sera confirmée.

La société Alfran, qui succombe en cause d'appel, sera déboutée de sa demande d'indemnité de procédure.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement du Tribunal de commerce du Havre du 29 janvier 2016 , en ce qu'il a condamné la SAS Alfran au paiement d'une indemnité de procédure d'un montant de 3 000 euro et débouté les parties de leurs autres ou plus amples demandes, L'infirme pour le surplus, et statuant à nouveau sur les chefs infirmés, Dit que la SAS Alfran a commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la SAS Carrefour Hypermarchés en effectuant une publicité illicite et trompeuse; Condamne la SAS Alfran à payer à la SAS Carrefour Hypermaché la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts ; Déboute la SAS Carrefour Hypermarchés de sa demande de publication du jugement entrepris; Déboute la SAS Carrefour Hypermarchés de sa demande de publication du présent arrêt; Condamne la SAS Alfran aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.