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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 20 septembre 2017, n° 14-21611

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Besins Healthcare Benelux (SA)

Défendeur :

Laboratoire HRA Pharma (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Buret, Hery, Bernabe, Monod

T. com. Paris, du 8 juill. 2014

8 juillet 2014

FAITS ET PROCÉDURE

La société de droit français Laboratoire HRA Pharma (par abréviation Pharma) est un laboratoire pharmaceutique spécialisé dans le développement et l'exploitation de produits de santé de la femme. Elle a lancé deux produits de contraception d'urgence ou pilules du lendemain, le premier le 10 juillet 2000 commercialisé sous le nom "NorLevo" et le second le 15 mai 2009 appelé "EllaOne".

La société Besins Healthcare Benelux (par abréviation Besins) est un laboratoire pharmaceutique de droit belge, filiale de la société Besins Healthcare qui exploite plus d'une trentaine de produits dans le monde et fait partie d'un groupe international d'origine française Besins Healthcare, spécialisé dans la conception, la fabrication et la commercialisation en France et à l'étranger de produits du domaine de la santé de la femme.

Concomitamment à la résiliation d'un contrat conclu le 22 février 1999 entre la société Laboratoire Pharma et la société Laboratoires Besins International, aux termes duquel la première avait confié à la seconde la distribution exclusive du produit NorLevo pour une période de 10 ans à compter du 30 mai 1999 en France, en Belgique et au Luxembourg, les parties ont conclu une transaction les 3 et 5 septembre 2001 aux termes de laquelle la société Pharma s'est obligée à proposer à la société Besins un contrat de distribution sur les territoires belges et luxembourgeois, excluant la France, aux conditions de prix identiques. Ainsi, la société Pharma a, selon une convention du 19 juin 2002, confié à la société NV Besins International Belgique la distribution exclusive de la pilule NorLevo sur les territoires belges et luxembourgeois, pour une durée de 10 ans expirant le 31 décembre 2012, renouvelable par tacite reconduction par périodes fixes de 2 ans, sauf dénonciation par lettre recommandée avec avis de réception adressée 6 mois avant la fin de la période en cours. En 2008, à la suite d'une réorganisation du groupe Besins Healthcare, ce contrat a été transféré à la société Besins Healthcare Benelux.

Suivant contrat du 11 septembre 2008, la société Laboratoire Pharma a confié à cette dernière société la distribution exclusive du second produit "EllaOne" sur les territoires belges et luxembourgeois, pour une durée expirant à la fin de la neuvième année suivant l'obtention de l'autorisation de mise sur le marché de cette pilule et renouvelable par périodes de 2 ans.

Par lettre recommandée avec accusé réception du 30 mars 2012, la société Pharma a mis en demeure la société Besins de remédier à la violation de son obligation de commande minimum en commandant sous les 30 jours 21 689 produits (20 000 + 15 000 + 6 301) - (10 000 + 9 612), faute de quoi elle résilierait librement le contrat.

Selon deux correspondances des 21 juin et 24 septembre 2012 adressées respectivement aux sociétés NV Besins et Besins Benelux la société Pharma les a informées que les contrats prendraient fin à leur terme contractuel le 31 décembre 2012.

Reprochant à la société Pharma, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5 ° du Code de commerce d'avoir rompu brutalement leurs relations commerciales établies, la société de droit belge Besins Healthcare Benelux l'a assignée par exploit du 5 juin 2013 en indemnisation de ses préjudices devant le Tribunal de commerce de Paris, lequel par jugement du 8 juillet 2014 a :

- débouté cette dernière de ses demandes,

- débouté la société Laboratoire Pharma de sa demande reconventionnelle,

- condamné la société Besins à payer à la société Pharma la somme de 10 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.

Selon dernières conclusions notifiées et déposées le 18 mai 2017, la société Besins, appelante:

- sollicite la réformation du jugement querellé en ce qu'il a rejeté ses prétentions et en ce qu'il l'a condamnée à régler la somme de 10 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile,

- estime que la société Pharma a brutalement rompu le contrat NorLevo en lui accordant un préavis insuffisant qui aurait dû être au minimum de 18 mois,

- considère que la société Pharma a fautivement rompu le contrat EllaOne avant son terme,

- souhaite la condamnation de la société Pharma à lui payer la somme de 633 600 euros en réparation de son manque à gagner du fait de la rupture brutale du contrat Norlevo correspondant à 12 mois de marge brute, la somme de 452 646 euros au titre des frais de licenciement supportés par elle en raison de la résiliation brutale, la somme de 186 334 euros en indemnisation des investissements non reconvertibles,

- demande la condamnation de la société Pharma à lui verser la somme de 312 342 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la moitié de la perte de 5 années et demi de marge brute qu'elle aurait dû réaliser jusqu'au terme du contrat EllaOne, la somme de 474 000 euros de dommages et intérêts correspondant aux deux tiers des investissements réalisés par elle pour promouvoir ce produit, la somme de 97 778 euros représentant la partie du droit d'entrée payée par elle en 2008, la somme de 100 000 euros en réparation de l'atteinte à son image de marque du fait de cette rupture fautive et concomitante des contrats NorLevo et EllaOne,

- réclame, sur la demande reconventionnelle de la société Pharma, la confirmation du jugement querellé en ce qu'il a débouté cette dernière de ses prétentions,

- fait valoir qu'elle n'a commis aucune faute susceptible de donner lieu à une condamnation à des dommages et intérêts à hauteur de la somme de 165 384 euros,

- argue que la société Pharma ne rapporte pas la preuve de son préjudice et spécialement d'une perte de chance d'une marge nette éludée au titre de l'année 2011, ni celle d'un lien de causalité entre la faute alléguée et le prétendu préjudice,

- sollicite l'allocation d'une indemnité de 55 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Suivant dernières conclusions notifiées et déposées le 26 mai 2017 la société Pharma, intimée, sollicite:

- la confirmation du jugement entrepris, le rejet de toutes les prétentions de la société Besins,

- par voie d'infirmation partielle la condamnation de la société Besins à lui verser la somme de 165 384 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation minimum d'achats,

- la condamnation de la société Besins à lui régler la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la première instance et la somme de 20 000 euros du même chef pour l'instance en appel.

SUR CE

Sur les demandes de la société Besins

Sur le contrat en date du 19 juin 2002 portant sur la pilule NorLevo

La société Besins reproche à la société Pharma, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, d'avoir rompu brutalement leur relation commerciale établie depuis plus de 13 ans. Elle estime que les premiers juges n'ont pas cherché à caractériser l'existence d'une relation commerciale établie entre les deux sociétés, alors que le courant d'affaires, dans le contrat à durée déterminée qui les liait, était régulier, significatif et stable, que l'importance et la régularité de son chiffre d'affaires, la reconnaissance réciproque des droits et obligations telles que la clause de reconduction tacite, un engagement d'investissements minimums en publicité, une exclusivité territoriale en sa faveur et un engagement de non concurrence pesant sur elle, la conclusion d'un nouveau contrat le 5 septembre 2008, de même que les particularités des produits et du secteur, qui ne sont pas soumis à des effets de mode ou à une saisonnalité mais à de nombreuses obligations réglementaires en matière d'enregistrement ou de pharmacovigilance, étaient autant d'éléments caractérisant une relation commerciale établie. Elle fait également valoir que la société Pharma ne lui ait jamais laissé supposer qu'elle ne renouvellerait pas le contrat. Elle critique encore la décision des premiers juges en ce qu'ils n'ont pas déterminé si le préavis donné de 6 mois était suffisant ; elle considère qu'elle aurait dû bénéficier a minima d'un préavis de 18 mois, compte tenu de l'ancienneté de la relation, de la part non négligeable de son chiffre d'affaires de 15 % entre 2009 et 2011 réalisé avec la société Pharma. Elle réclame au titre des pertes subies du fait de cette rupture brutale la somme globale de 1 272 580 euros.

La société Pharma réplique que le contrat d'une durée de 10 années signé par les parties a d'emblée garanti à la société Besins, distributeur exclusif, un temps d'exercice très long et un renouvellement aléatoire et de courte durée, ainsi que la perception de 60 % de la marge brute ressortissant des ventes du produit. Elle objecte également que l'appréciation de la durée suffisante ou pas d'un préavis contractuel s'opère au regard de l'existence ou non d'un lien de dépendance de la partie subissant le refus de renouvellement et qu'au cas particulier, aucun lien de dépendance économique entre les sociétés ne saurait être évoqué, la société Besins appartenant à un groupe mondial prépondérant dans le domaine de la santé de la femme et se trouvant assurée de la pérennité de son activité. Elle rétorque encore que n'ayant pas abusé de la confiance de son partenaire en lui laissant croire à un renouvellement, le grief de rupture brutale ne peut lui être opposé. Elle considère que le refus de renouvellement d'un contrat à durée déterminée arrivant à son terme et qui respecte le préavis contractuel ne peut se confondre avec une rupture.

Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce :

"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au registre des métiers (...) de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels'.

En l'espèce, il était prévu à l'article 7 du contrat du 19 juin 2002 liant les parties une durée de 10 années avec possibilité d'un renouvellement "tacite de période fixe de deux années en période fixe de deux années, sauf dénonciation par lettre recommandée avec avis de réception adressée par une partie à l'autre, six mois avant la fin de la période en cours".

En application de cet article 7, le défaut de renouvellement de ce contrat a été notifié par la société Pharma aux sociétés NV Besins International Belgique et Besins Healthcare Benelux selon lettre recommandée du 21 juin 2012 à effet au 31 décembre 2012, soit six mois avant le terme de la convention.

A juste titre, les premiers juges n'ont observé que la relation commerciale de 10 ans entre les parties n'est pas constituée d'une suite de contrats ou de commandes successives, mais d'un seul contrat à durée déterminée, qui n'a pas été renouvelé antérieurement et n'est pas devenu un contrat à durée indéterminée. En effet, le contrat précédent du 22 février 1999 avait été conclu par la société Pharma et une société de droit français Laboratoire Besins International mais n'était pas allé au terme des 10 ans compte tenu d'un différend entre les parties ; celles-ci avaient alors signé une transaction aux termes de laquelle la société Pharma s'était obligée à proposer à une autre société de droit belge "NV Besins International Belgique" un contrat de distribution, excluant le territoire de la France, et aux conditions de prix identiques, de sorte que l'appelante ne saurait se prévaloir d'une relation commerciale d'une durée de 13 ans. En effet, les parties n'ont signé qu'un seul contrat d'une durée déterminée de 10 ans, non renouvelé et qui ne s'est pas prolongé au-delà du terme convenu du fait de la notification par l'intimée, dans le délai de prévenance contractuellement prévu, de la fin du contrat.

Ainsi, pendant une durée de 10 années, la société belge a été le distributeur exclusif du produit NorLevo fabriqué par la société Pharma, cette période lui permettant largement d'amortir ses investissements. En outre, selon l'article 4, le prix de vente hors taxe du produit par le fabricant au distributeur départ usine était égal à 40 % du prix public de vente hors taxe du produit, garantissant ainsi à ce dernier une marge brute de 60 %, avec en contrepartie un engagement pesant sur lui de consacrer à la promotion du produit une partie de son chiffre d'affaires et de commander un montant annuel minimum de boîtes de produits. Il ressort de l'économie de ce contrat qu'en raison de la contrainte pour le fabricant de conserver le même prestataire pendant une longue période de dix années, il était prévu une possible tacite reconduction d'une durée très courte et un préavis de 6 mois en cas de non-renouvellement. Le distributeur bénéficiant d'une exclusivité avait donc connaissance du terme du contrat depuis 10 ans, sans avoir un droit acquis au renouvellement, et de la durée du délai de prévenance.

Une telle relation, en l'absence de tout renouvellement ou prolongation du contrat, ne saurait en conséquence être considérée comme établie au sens de l'article susmentionné, de sorte que ce seul élément suffit à exclure du champ d'application dudit article la relation commerciale entre les parties.

De manière superfétatoire, il peut être rappelé que la rupture pour être brutale doit être imprévisible, soudaine et violente. Or, en l'espèce, l'intimée a notifié à l'appelante un préavis 6 mois avant le terme prévu du contrat non renouvelé d'une durée de 10 ans, dans la stricte application des dispositions contractuelles prévues depuis 10 ans.

Selon la société Besins en 2012 son chiffre d'affaires total en Belgique et au Luxembourg au titre de la vente des deux produits fabriqués par la société Pharma était de 17,75 %, de sorte qu'aucun lien de dépendance économique entre les parties n'est démontré.

La conclusion d'un second contrat pour un nouveau produit EllaOne le 11 septembre 2008 n'impliquait nullement un premier renouvellement du contrat relatif au produit NorLevo fin 2012, puis une deuxième fois fin 2014 et enfin une troisième fois fin 2016 pour parvenir à la même échéance que le contrat EllaOne en 2018, comme tente de le faire accroire l'appelante, alors qu'aucune clause particulière ne lie ces deux contrats bien distincts.

Enfin, la société Besins, qui soutient que la société Pharma lui a laissé croire que le contrat pouvait automatiquement se poursuivre dans le futur, ne justifie par aucune pièce que cette dernière lui aurait laissé supposer que le contrat NorLevo serait renouvelé. L'appelante n'apporte donc pas la preuve, qui pèse sur elle, que l'intimée l'aurait maintenue dans l'illusion de la poursuite des relations commerciales ou aurait pu abuser de la confiance de sa partenaire.

Dans ces conditions, en l'absence de preuve d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la décision des premiers juges sera confirmée.

Sur le contrat du 11 septembre 2008 portant sur la pilule EllaOne

La société Besins fait grief à la société Pharma d'avoir rompu fautivement ce contrat en invoquant le motif fallacieux du manquement à son obligation d'achat minimum. Elle oppose le caractère irréaliste des objectifs contractuels au regard de la réalité du marché, dont la société Pharma était pleinement consciente puisqu'elle ne lui a adressé aucune mise en demeure au cours de l'année 2011 pendant laquelle aucune commande n'avait été passée. Elle estime que la non-atteinte des objectifs ne saurait valablement lui être imputée, ainsi que le démontrent les chiffres de vente de cette pilule lorsqu'elle n'a plus été soumise à prescription médicale obligatoire en avril 2015. Elle excipe également de la renonciation tacite mais claire de la société Pharma à imposer des objectifs contractuels au moins temporairement pour les années 2010, 2011 et 2012 par la reprise de produits périmés invendus, la destruction à ses frais et le remplacement gracieux par une quantité moindre. Elle invoque encore, selon le principe de l'estoppel, l'interdiction pour la société Pharma de se contredire à son détriment, après avoir toléré pendant plus de 2 années que les quotas d'achat contractuels ne soient pas respectés. Enfin, elle se prévaut de la mise en œuvre de mauvaise foi de la clause résolutoire par la société Pharma à raison d'une part du quantum imposé, largement supérieur au volume cumulé des boîtes achetées en 3 ans et d'autre part, du délai très court laissé pour déférer à la mise en demeure du 30 mars 2012 d'acheter 21 689 boîtes d'EllaOne en 30 jours, et ce, alors qu'en décembre 2011 elle avait accepté d'aménager à la baisse en toute connaissance de cause ses stocks déjà très bas. Elle estime que le manquement invoqué par la société Pharma n'est pas d'une gravité suffisante pour justifier la résolution anticipée du contrat, ainsi que le démontre le préavis de trois mois qui lui a été accordé. Elle sollicite pour l'indemnisation de son préjudice l'allocation d'une somme globale de 984 120 euros.

La société Pharma réplique que dans les contrats de distribution garantissant l'exclusivité du distributeur, la clause d'acquisition minima est nécessaire, que libellée comme une obligation ferme de faire, elle est une obligation de résultat dont le débiteur ne peut se dégager sauf à démontrer une cause étrangère constitutive d'un cas de force majeure. Elle soutient que la société Besins a violé cette obligation, que la clause résolutoire sanctionnant le manquement d'une partie à ses obligations s'applique de plein droit à une obligation d'acquisition minima. Elle répond encore que la tentative de résiliation amiable du contrat ou le fait de consentir un préavis de 3 mois n'ont pas entaché la régularité de la procédure de résiliation. Elle prétend que les conditions de mise en œuvre de cette clause étant acquises, le contrôle judiciaire de l'opportunité de cette mise en œuvre par le juge est exclu. Elle estime que sa tolérance à l'égard du manquement de la société Besins ne l'empêchait pas de se prévaloir ultérieurement de ce manquement.

La clause d'achat minimum prévue à l'article VI.7 du contrat du 11 septembre 2008 était ainsi libellée:

"Le distributeur commandera chaque année consécutive à l'année d'enregistrement du produit, une quantité minimale du produit :

a) 10 000 produits l'année d'enregistrement, réduit prorata temporis si l'enregistrement du produit intervient au cours d'une année,

b) 15 000 produits, la deuxième année d'enregistrement,

c) 20 000 produits, la troisième année d'enregistrement,

d) 25 000 produits, la quatrième année d'enregistrement,

e) 30 000 produits, la cinquième année d'enregistrement".

L'article XI relatif à la résiliation anticipée stipule que :

"A/ le contrat peut être résilié avec effet immédiat par notification écrite:

à tout moment par l'une des parties, si l'autre partie demeure en situation de violation de l'une de ses obligations découlant du contrat passé un délai de 30 jours suivant une mise en demeure de se conformer au présent contrat adressée par la partie non défaillante, même si le distributeur étant la partie défaillante et cette situation de défaut ne concernant qu'un pays du territoire, le laboratoire peut alors choisir de résilier le présent contrat pour le seul pays concerné ou pour l'intégralité du territoire",

"B/ Le fait pour l'une des parties de tolérer la violation par l'autre partie de l'une des stipulations du contrat n'entraînera pas la renonciation au bénéfice de la stipulation considérée ni n'empêchera l'application de l'article XI paragraphe A ci-dessus relativement au manquement considéré".

Par lettre recommandée avec accusé réception du 30 mars 2012, la société Pharma a mis en demeure la société Besins de remédier à la violation de son obligation de commande minimum, en commandant sous les 30 jours 21 689 produits, faute de quoi elle résiliera librement le contrat.

Sans contester n'avoir pas respecté cette obligation d'achat minimum en acquérant 10 000 produits le 11 septembre 2009, 9 612 produits le 14 janvier 2010 et aucun par la suite, la société Besins oppose, en premier lieu, le fait que la société Pharma aurait renoncé à se prévaloir de cette clause.

Mais la renonciation à un droit ne peut se présumer et pour être utilement opposée par la partie qui s'en prévaut, elle doit être certaine, expresse et non équivoque. Au cas particulier, une clause contractuelle claire ne nécessitant aucune interprétation exclut expressément toute renonciation par interprétation d'un comportement de tolérance, elle ne peut en conséquence que recevoir application. Ainsi la tolérance de la société Pharma en 2011 à l'égard du manquement de la société Besins à son obligation d'achat minimum ne peut priver la première de se prévaloir ultérieurement de ce manquement. La circonstance que la première société n'a pas immédiatement sanctionné la seconde mais a cherché dans un premier temps à l'aider en lui fournissant des produits gratuits ou à trouver une solution amiable ne saurait s'analyser en une renonciation quelconque au bénéfice de la clause d'achat minimum, mais n'est que l'exécution de bonne foi d'un contrat.

De même le principe de l'estoppel ne peut légitimement être invoqué par la société Besins, la tolérance dont a pu faire preuve le fabricant ne valant pas renonciation puisque cette clause a été contractuellement prévue et ne peut donc traduire une contradiction de comportement.

La tentative de résiliation amiable du contrat à l'initiative de la société Pharma du 30 mars au 7 juin 2012 ne saurait entacher la régularité de la procédure de résiliation, rien n'interdisant aux deux parties de rechercher d'abord à mettre fin amiablement à leur différend et à éviter un litige judiciaire dans leur intérêt mutuel. Même si la société Besins n'a finalement pas signé le projet d'accord, elle a largement participé à son élaboration, ainsi que le montre le mail qu'elle a adressé le 3 mai 2012 à la société Pharma. Il ne peut être tiré aucun argument juridique de la proposition amiable de la société Pharma de consentir à sa partenaire un préavis de trois mois.

Enfin, il ressort des pièces produites que le contrat du 11 septembre 2008 a été signé par la société Besins, professionnel dans le domaine considéré, après qu'elle a proposé de nombreuses modifications, discuté de certaines clauses, inséré divers commentaires du 6 mars 2008 jusqu'à sa version définitive le 18 juillet 2008 ; à bon droit les premiers juges ont retenu que cette clause d'achat minimum a été librement consentie et était la contrepartie d'un contrat exclusif de longue durée. L'appelante n'a pas non plus souhaité établir un lien entre l'obligation de commande minima et une autorisation de vente de la pilule EllaOne sans prescription médicale, alors qu'elle n'ignorait pas l'attractivité de la pilule NorLevo en vente libre et moins coûteuse.

Il est également prévu contractuellement que la clause de résiliation peut avoir un effet immédiat suite à l'envoi d'une mise en demeure restée infructueuse dans le délai de 30 jours; au cas particulier l'obligation d'achat minimum, qui était une obligation essentielle dans l'économie du contrat, n'a pas été satisfaite par la société Besins dans le délai conventionnel, de sorte que le caractère de gravité de ce manquement justifiait en tout état de cause la rupture anticipée du contrat et pouvait avoir un effet immédiat.

Dès lors le contrat du 11 septembre 2008 n'a pas été fautivement rompu ; la décision des premiers juges sera également confirmée de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle de la société Pharma

Arguant du manquement de la société Besins à son obligation d'achat minimum, la société Pharma réclame le paiement d'une somme de 165 384 euros à titre de dommages et intérêts conformément aux dispositions des articles 1142, 1147 et 1149 du Code civil, représentant le gain perdu au 24 septembre 2012.

La société Besins réplique que cette demande n'est pas fondée en son principe dès lors que le non-respect des objectifs d'achats contractuels lui permettait seulement de solliciter la résiliation du contrat, que ce quota d'achat minimum s'est révélé irréaliste au regard des capacités d'absorption réelles du marché, de sorte que cette faute ne lui est pas imputable, qu'elle doit en tout état de cause être appréciée au regard des propres performances de la société Pharma en 2013 et 2014, que d'ailleurs au cours des exercices 2009, 2010 et 2011 l'intimée ne lui a adressé aucune critique ou mise en demeure, que l'obstacle majeur connu des deux parties tenait au fait que la pilule EllaOne était soumise à prescription médicale, ce qui lui enlevait toute attractivité par rapport à la pilule NorLevo. Elle estime également que cette réclamation est infondée en son quantum dès lors que l'intimée ne saurait exiger en guise d'indemnisation le versement du chiffre d'affaires qu'elle aurait réalisé mais seulement la perte de chance de réaliser la marge nette escomptée pour l'exercice 2011; pour l'année 2012, la prétention ne peut être que rejetée puisqu'aucune mise en demeure ne lui a été adressée. Elle dénonce encore le fait qu'aucun élément comptable permettant de connaître la marge nette n'est versé aux débats, ainsi que l'absence de lien de causalité entre la faute alléguée et le prétendu préjudice.

Comme il a été vu ci-dessus, le non-respect par la société Besins de son obligation d'achat minimum entraînait nécessairement la résiliation du contrat ainsi que les parties l'avaient expressément prévu. Toutefois, la société Pharma ne justifie d'aucune perte de gains pour la période considérée et ne produit d'ailleurs aucun document susceptible de corroborer sa demande financière. Par suite, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande formée à ce titre.

Sur les dépens et l'article 700

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Besins Healthcare Benelux qui succombe, aux dépens de première instance.

Elle sera également condamnée aux dépens d'appel et devra verser à la société Pharma une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 8 juillet 2014 par le tribunal de commerce de Paris ; y ajoutant, condamne la société Besins Healthcare Benelux aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ; condamne la société Besins Healthcare Benelux à payer à la société Laboratoire HRA Pharma la somme de 10 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.