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Décisions

Cass. com., 27 septembre 2017, n° 16-12.907

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Spie Sud-Ouest (Sté)

Défendeur :

Autorité de la concurrence, Ineo réseaux Sud-Ouest (Sté), Ministre de l'Economie de l'Industrie et du Numérique

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, SCP Delvolvé, Trichet

Cass. com. n° 16-12.907

27 septembre 2017

LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 janvier 2016), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 21 octobre 2014, pourvois n° 13-16.602, 13-16.696, 13-16.905), qu'à l'issue d'une enquête portant sur des pratiques observées dans certaines régions lors d'appels d'offres passés entre 2003 et 2005 concernant des marchés publics ou privés relatifs à des travaux d'électrification, l'Autorité de la concurrence (l'Autorité), par décision n° 11-D-13 du 5 octobre 2011, a notamment dit établi que la société Spie Sud-Ouest (la société Spie) avait enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et lui a infligé des sanctions pécuniaires ; que cette société a formé un recours contre cette décision ;

Attendu que la société Spie fait grief à l'arrêt d'avoir fixé à la somme de 4 500 000 euros le montant de la sanction pécuniaire alors, selon le moyen : 1°) que les sanctions pécuniaires, prononcées par l'Autorité de la concurrence doivent être proportionnées à la gravité des faits reprochés ; que la gravité d'une entente s'apprécie in concreto en fonction des effets et de la durée de chaque pratique incriminée ; que toute pratique anticoncurrentielle porte nécessairement atteinte à l'intensité de la concurrence ; qu'en considérant que l'Autorité de la concurrence avait pu valablement déduire la "particulière gravité" des pratiques en cause de ce qu'elles limitent l'intensité de la pression concurrentielle à laquelle auraient été soumises les entreprises, si elles s'étaient déterminées de manière indépendante, la cour d'appel de renvoi, qui a statué par des motifs impropres à démontrer concrètement la gravité des infractions, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 2°) que les sanctions pécuniaires, prononcées par l'Autorité de la concurrence doivent être proportionnées à la gravité des faits reprochés ; que la gravité d'une entente s'apprécie in concreto en fonction des effets et de la durée de chaque pratique incriminée ; qu'en considérant au contraire que l'Autorité de la concurrence a pu valablement retenir que la brièveté des pratiques en cause ne pouvait être considérée comme un facteur d'atténuation de leur gravité, la cour d'appel de renvoi a violé l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 3°) que les sanctions pécuniaires, prononcées par l'Autorité de la concurrence doivent être proportionnées à la gravité des faits reprochés ; que la gravité d'une entente s'apprécie in concreto en fonction des effets et de la durée de chaque pratique incriminée ; qu'en affirmant que le rappel par la société Spie Sud-Ouest de la jurisprudence de la Cour de cassation non appliquée en l'espèce n'était pas de nature à remettre en cause l'appréciation portée par l'Autorité de la concurrence, la cour d'appel de renvoi a violé l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 4°) que les sanctions pécuniaires, prononcées par l'Autorité de la concurrence doivent être proportionnées à la gravité des faits reprochés ; que la gravité d'une entente s'apprécie in concreto en fonction des effets et de la durée de chaque pratique incriminée ; qu'il incombe à l'Autorité de la concurrence de démontrer la gravité des pratiques incriminées ; qu'en affirmant que le rappel par la société Spie Sud-Ouest de la jurisprudence de la Cour de cassation " qui n'est accompagné d'aucune précision qui permettrait d'établir la pertinence des comparaisons faites, n'est pas de nature à remettre en cause l'appréciation qu'a portée l'Autorité ", la cour d'appel de renvoi, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les articles 1315 du Code civil et L. 464-2 du Code de commerce ; 5°) que pour considérer que les pratiques reprochées à la société Spie Sud-Ouest sont particulièrement graves dans la mesure où elles limitent l'intensité de la pression concurrentielle à laquelle auraient été soumises les entreprises, si elles s'étaient déterminées de manière indépendante, l'Autorité de la concurrence s'est expressément référée à sa pratique décisionnelle relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics ; qu'en affirmant que " l'Autorité n'a pas considéré qu'une atteinte au libre jeu de la concurrence était plus grave lorsqu'elle affectait un marché public qu'un marché privé " et que l'Autorité n'a évoqué les marchés publics " qu'à titre illustratif, pour souligner que "le non-respect des règles de concurrence ne garantit plus à l'acheteur public la sincérité de l'appel d'offres et la bonne utilisation de l'argent public" " , la cour d'appel de renvoi, qui a dénaturé la décision déférée, a violé l'article 4 du Code de procédure civile ; 6°) que les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées et sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ; que seule la réitération est une circonstance aggravante de l'infraction ; qu'en affirmant au contraire que " l'absence de doutes raisonnables sur l'illicéité de ces pratiques doit, à l'évidence, être (...) considérée comme une circonstance aggravante ", la cour d'appel de renvoi, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 7°) que le dommage à l'économie ne peut plus être présumé ; que si l'Autorité de la concurrence n'est pas pour autant tenue de chiffrer précisément ce dommage, encore faut-il que l'appréciation de son existence et de son importance repose sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier ; qu'en considérant que l'Autorité de la concurrence avait suffisamment défini le dommage à l'économie en insérant un tableau au point 380 de sa décision indiquant expressément "pour chacune des pratiques retenues sur les marchés en cause", que l'importance du dommage à l'économie devait "être appréciée en tenant notamment compte des éléments figurant dans [ce] tableau", à savoir pour chacun des marchés en cause les attributaires, le montant global et les montants facturés par chaque entreprise attributaire, ce dont il résultait que l'Autorité de la concurrence s'était, en réalité, bornée à rappeler les caractéristiques principales de chaque marché en cause, la cour d'appel de renvoi, qui a statué par des motifs impropres à établir l'existence et l'importance du dommage à l'économie, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 8°) que le dommage à l'économie ne peut plus être présumé ; qu'en considérant qu'il ne peut pas être soutenu que " le libre jeu de la concurrence peut être faussé sans qu'il en résulte jamais aucun dommage à l'économie ", la cour d'appel de renvoi qui a estimé qu'un dommage à l'économie s'infère nécessairement de toute pratique anticoncurrentielle, a violé l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 9°) que les articles 6 et 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales imposent à l'Autorité de la concurrence de respecter le principe du contradictoire et des droits de la défense et lui interdit de prononcer des sanctions qui ne seraient pas prévisibles à la date de commission des faits litigieux ; qu'en décidant que dans la limite maximale fixée par l'article L. 464-2 du Code de commerce, il est " loisible à l'Autorité d'appliquer toute méthode qui lui paraîtrait appropriée aux faits de l'espèce" sans tenir compte de sa pratique décisionnelle antérieure, la cour d'appel de renvoi a méconnu les textes susvisés ; 10°) qu'en se bornant à affirmer, pour considérer que l'Autorité de la concurrence n'avait pas fait une application rétroactive et subreptice de son communiqué du 16 mai 2011 dont elle avait par ailleurs expressément exclu l'application que " l'Autorité, dès avant la décision déférée, avait "dans sa pratique décisionnelle récente" choisi de s'écarter de la méthode qu'elle suivait jusqu'alors et de retenir comme base du montant des sanctions prononcées le chiffre d'affaires total des entreprises sanctionnées, sans vérifier comme elle y avait été invitée, la portée de la décision sur laquelle l'Autorité entendait se fonder, la cour d'appel de renvoi a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'Homme et de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 11°) qu'en décidant que l'Autorité de la concurrence n'avait pas fait application de son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la détermination des sanctions, tout en constatant qu'elle avait retenu en l'espèce, pour déterminer les sanctions infligées aux sociétés requérantes, une "base" correspondant au chiffre d'affaires qu'elles avaient réalisé durant l'année au cours de laquelle les pratiques en cause avaient été commises et non comme dans d'autres affaires, la valeur des ventes réalisées en relation avec l'infraction, et que son communiqué du 16 mai 2011 indique que, dans les cas d'appels d'offres, le montant de base de la sanction consistera, non dans la valeur des ventes réalisées en relation avec l'infraction - cette valeur ne constituant pas alors pour l'Autorité un "indicateur approprié" -, mais dans le chiffre d'affaires total réalisé en France par l'entreprise, ce dont il résulte que l'Autorité a in fine appliqué la nouvelle méthode de calcul mentionnée dans son communiqué, après avoir pourtant explicitement indiqué qu'elle ne mettait pas en œuvre ce communiqué, la séance s'étant "tenue à une date trop rapprochée de sa publication pour avoir permis au contradictoire de s'être déroulé", la cour d'appel de renvoi qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé de plus fort les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'Homme, ensemble l'article L. 464-2 du Code de commerce; 12°) que méconnaît les termes du litige le juge qui prétend à tort qu'un fait sur lequel il se fonde n'était pas contesté ; que la société Spie Sud-Ouest a expressément fait valoir qu'elle n'avait jamais eu connaissance de la nouvelle méthode de calcul du montant de base retenue par l'Autorité de la concurrence pour déterminer le montant de la sanction ; qu'en affirmant qu'il n'est, par ailleurs, pas contesté que la société Spie Sud-Ouest a eu connaissance de tous les éléments utiles quant à la méthode suivie pour la détermination de la sanction qui lui a été infligée et qu'elle a été mise en mesure d'en débattre, la cour d'appel de renvoi a méconnu les termes du litige en violation des dispositions de l'article 4 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que la gravité des pratiques est appréciée, notamment, au regard de la nature de la restriction à la concurrence, de leur durée, de leur objet, du nombre et de la taille des entreprises impliquées, de la part de chacune d'elles sur le marché et de la situation du marché à l'intérieur duquel a été commise la violation des règles de concurrence et que, s'agissant d'un marché d'appel d'offres, par nature instantané, la durée à prendre en considération est celle du temps pendant lequel les prix et les parts de marché ont échappé, du fait de cet accord de volonté, au jeu normal qui serait résulté d'une compétition non faussée au départ ; que pour déterminer le montant de la sanction au regard de la gravité de la pratique, l'arrêt relève, d'abord, qu'elle consiste en un échange d'informations sur les prix avant le dépôt des offres et en la désignation par avance des attributaires des marchés ; qu'il relève, ensuite, que ceux-ci étant des marchés à bons de commande s'exécutant par des commandes successives, la durée à prendre en compte n'est pas celle de la pratique litigieuse, mais celle, d'une durée d'une année, de la relation contractuelle unissant le donneur d'ordre et les attributaires et qui a été faussée par les concertations et les échanges d'informations ; qu'il ajoute que l'absence de doute raisonnable sur la connaissance qu'avaient les auteurs de ces pratiques sur leur caractère illicite doit être considérée comme une circonstance aggravante ; qu'en cet état, c'est souverainement que la cour d'appel a, sans inverser la charge de la preuve ni dénaturer la décision invoquée, apprécié la gravité des pratiques par une analyse concrète au regard des faits de l'espèce ;

Attendu, en deuxième lieu, que l'article L. 464-2 du Code de commerce exige, non pas un chiffrage précis du dommage à l'économie, mais seulement une appréciation qualitative de son existence et de son importance reposant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier ; que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt relève que les ententes ont été suivies d'effet puisque les marchés visés par les griefs, lorsqu'ils ont été attribués, ont tous été dévolus aux entreprises mises en cause ; qu'il relève encore que pour chacune des pratiques retenues sur ces marchés, l'importance du dommage à l'économie doit être appréciée en tenant compte, notamment, pour chacun des marchés, des attributaires, du montant global et des montants facturés par chaque entreprise ; qu'il relève en outre que l'Autorité a précisé le chiffre d'affaires réalisé par les entreprises pour les années correspondant à la commission des pratiques ; qu'il ajoute qu'elle a expressément relevé, d'un côté, les facteurs d'atténuation du dommage à l'économie, soit la dimension locale des marchés et le pouvoir de négociation de la société EDF-GDF, dont l'existence ne peut écarter par principe ce dommage, de l'autre, le facteur d'aggravation, tenant au risque de banalisation et d'entraînement, qui peut résulter de telles pratiques ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Et attendu, en troisième lieu, qu'après avoir rappelé que l'article L. 464-2 du Code de commerce n'impose à l'Autorité aucune méthode particulière de détermination des sanctions et en fixe seulement le montant maximum de sorte que, dans cette limite, il lui est loisible d'appliquer toute méthode qui lui paraît appropriée aux faits de l'espèce, l'arrêt retient que l'Autorité pouvait se fonder, pour déterminer le montant des sanctions infligées aux sociétés, sur une base correspondant à leur chiffre d'affaires réalisé durant l'année au cours de laquelle les pratiques avaient été commises et que si, dans d'autres affaires, elle a retenu la valeur des ventes réalisées en relation avec l'infraction, ce choix ne la liait pas pour l'avenir ; qu'il ajoute que la circonstance que le communiqué du 16 mai 2011 ait retenu, dans les cas d'appel d'offres, ce même critère ne disqualifie pas la méthode employée ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la douzième branche, la cour d'appel a rejeté à bon droit la demande de la société Spie tirée de la violation des droits de la défense et du principe de la contradiction ; d'où il suit que le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.