CA Rouen, 1re ch. civ., 20 septembre 2017, n° 16-04955
ROUEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Créations Automobiles (SAS)
Défendeur :
Chrysler France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lottin
Conseillers :
M. Samuel, Mme Feydeau-Thieffry
Exposé du litige
Le 8 novembre 2010, M. X a commandé auprès de la société Créations Automobiles un véhicule Chrysler 300C neuf au prix de 42 462,24 financé pour partie avec un crédit de 32 500 . Le véhicule a été livré le 11 février 2011 (facture du 14 février mentionnant la livraison du véhicule avec mise en circulation le 11 février 2011) mais M. X en a pris possession seulement le 10 juin suivant.
Par lettre du 16 juillet 2011 faisant référence à des contacts antérieurs, M. X a signalé au vendeur divers défauts (rayures, intermittence du fonctionnement de leds, vibration de la boîte de vitesse en sous-régime, ...) qui n'ont pas été repris par la société Créations Automobiles, en dépit des engagements dont M. X soutient qu'elle les avait pris envers lui.
Une expertise amiable a constaté ces défauts et des problèmes de vibration de la boîte de vitesse (" léger broutement à la ré-accélération en sortie de rond-point, engendrant de légères vibrations dans l'habitacle ").
Un expert judiciaire nommé par ordonnance de référé du président du Tribunal de grande instance de Rouen du 23 décembre 2014 a déposé son rapport le 30 septembre 2015. Il a constaté divers désordres de présentation et finition qui n'empêchaient pas une utilisation normale du véhicule (rayures, grains de poussière, bord disgracieux d'une baguette du pare-chocs) et relevé que le dysfonctionnement de la boîte de vitesse pouvait " présenter un problème de sécurité " (la boîte de vitesse refuse de reprendre un ou des rapports inférieurs en sortie de rond-point ou en cas de fort ralentissement. Dans ce cas, le moteur peine et provoque les vibrations consignées (...) C'est un point qui pourrait présenter un problème de sécurité si le véhicule était amené à devoir se dégager rapidement).
Sur le fondement de la garantie des vices cachés, M. X a, par acte d'huissier du 21 avril 2016, fait assigner la société Créations Automobiles devant le Tribunal de grande instance de Rouen pour demander la résolution de la vente et la réparation des divers préjudices qu'il estimait avoir subis.
La société Créations Automobiles, assignée à personne morale, n'a pas comparu.
Par jugement réputé contradictoire du 28 septembre 2016, le Tribunal de grande instance de Rouen a adopté le dispositif suivant :
Prononce la résolution de la vente du véhicule automobile immatriculé BH 908 SA intervenue le 14 février 2011 entre la société Créations Automobiles et M. X pour vices cachés,
Condamne la société Créations Automobiles à payer à M. X :
- 42 462,24 au titre de la restitution du prix de vente,
- 8 973,60 et 625,22 de dommages et intérêts au titre du coût du crédit et des réparations,
- 5 000 de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- 3 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Ordonne à M. X de remettre le véhicule à la société Créations Automobiles ainsi que tous les papiers afférents à ce véhicule dès qu'il aura intégralement réglé le prix de 42 462,24 ,
Ordonne l'exécution provisoire sauf pour les sommes dues au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Rejette toute autre demande,
Condamne la société Créations Automobiles aux dépens.
La société Créations Automobiles a interjeté appel général par acte du 7 octobre 2016 et, dans ses dernières conclusions du 3 janvier 2017 auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet des moyens, demande à la cour de :
- à titre principal, réformer le jugement et la mettre hors de cause,
- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse d'une confirmation de la résolution de la vente, réduire à de plus justes proportions le montant des condamnations prononcées eu égard à l'usage du véhicule par M. X,
- en tout état de cause, dire qu'elle devra être garantie de toute condamnation par la société Chrysler France,
- condamner la société Chrysler France à lui régler la somme de 3 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
M. X, dans ses dernières conclusions du 26 mai 2017 auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet des moyens, demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente et en ce qu'il a condamné la société Créations Automobiles au paiement des sommes de 42 462,24 au titre de la restitution du prix de vente, 8 973,60 au titre du coût du crédit, 625,22 au titre des réparations, 5 000 à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, 3 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure de première instance,
- infirmer le jugement :
- en ce qu'il a rejeté la demande de Monsieur G. au titre des frais de carte grise et de taxes et condamner la société Créations Automobiles au paiement de la somme de 2 082,50 outre intérêts au taux légal,
- en ce qu'il a rejeté la demande de Monsieur G. au titre de son préjudice de jouissance et condamner la société Créations Automobiles au paiement de la somme de 7 655 au titre du préjudice de jouissance pour la période allant du 11 février 2011 au 22 avril 2015, de la somme de 18 000 au titre du préjudice de jouissance pour la période allant du 23 avril 2015 au jugement du 28 septembre 2016,
- en ce qu'il a rejeté la demande de Monsieur G. au titre des frais d'assurance et condamner la société Créations Automobiles au paiement de la somme de 3 760,98 en remboursement des 3/4 des frais d'assurance réglés pour la période allant du 11 février 2011 au 22 avril 2015,
- condamner la société Créations Automobiles au paiement des sommes de :
- 1 253,66 en remboursement des frais d'assurance réglés pour la période allant du 22 avril 2015 au 15 avril 2016,
- 578 en remboursement des frais de transport du véhicule pour sa restitution,
- 3 151,14 au titre des frais de recouvrement exposés du fait de sa défaillance,
- 2 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais engagés en appel.
- condamner la société Créations Automobiles aux entiers dépens de première instance et d'appel, comprenant notamment le coût de l'expertise de Monsieur Y et les frais d'huissier engagés.
La société Chrysler France, assignée en intervention forcée par la société Créations Automobiles, dans ses dernières conclusions du 7 avril 2017 auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet des moyens, demande à la cour de :
- dire qu'elle n'a jamais participé à la commercialisation de tout ou partie du véhicule en cause, qu'elle n'a pas qualité pour défendre dans la présente instance,
- en conséquence, dire irrecevable la demande d'intervention forcée de la société Créations Automobiles à l'encontre de la société Chrysler France et, en conséquence, mettre hors de cause la société Chrysler France,
- subsidiairement, dire qu'aucune évolution du litige ne justifie la mise en cause de la société Chrysler France devant la cour d'appel et dire irrecevable la demande d'intervention forcée de la société Créations Automobiles à son encontre,
- subsidiairement, constater que le véhicule litigieux a été mis en circulation pour la première fois le 11 février 2011, dire que toute action exercée par la société Créations Automobiles à l'encontre de la société Chrysler France est prescrite et débouter la société Créations Automobiles de sa demande d'intervention forcée de la société Chrysler France,
- encore plus subsidiairement, dire inopposable à la société Chrysler France le rapport d'expertise judiciaire de Monsieur François Y du 30 septembre 2015, dire que ni Monsieur G. ni la société Créations Automobiles ne démontrent l'existence d'un vice caché affectant le véhicule litigieux,
- en conséquence, débouter la société Créations Automobiles de ses demandes formées contre la société Chrysler France,
- à titre infiniment subsidiaire, dire que la société Chrysler France ne saurait être tenue de garantir la société Créations Automobiles d'une condamnation à restituer le prix de vente du véhicule litigieux et débouter la société Créations Automobiles de toute demande de garantie formulée à l'encontre de la société Chrysler France ayant pour objet la restitution du prix de vente du véhicule litigieux,
- débouter la société Créations Automobiles de sa demande tendant à voir la société Chrysler France condamnée à la garantir de la condamnation mise à sa charge au titre de sa résistance abusive,
- condamner la société Créations Automobiles à verser à la société Chrysler France la somme de 3 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Créations Automobiles aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Vincent Z, avocat au barreau de Rouen, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 juin 2017.
SUR CE
A titre liminaire, il convient d'indiquer que les dispositions du Code civil auxquelles le présent arrêt est susceptible de se référer sont celles antérieures à l'ordonnance du 10 février 2016, celle-ci n'étant applicable qu'aux seuls contrats conclus à compter du 1er octobre 2016.
Sur l'existence d'un vice caché
Pour contester le jugement, la société Créations Automobiles soutient en premier lieu que des défauts qualifiés de visibles par l'expert ont été qualifiés de vices cachés par le jugement.
Toutefois, le jugement n'a d'aucune façon motivé sa décision de la sorte, ne retenant comme vice caché que le défaut lié au fonctionnement de la boîte de vitesse dont l'expert judiciaire avait constaté, par les conclusions précitées de son rapport, tant l'existence que le problème de sécurité qu'il engendrait.
Par ailleurs, l'existence de ce vice au moment de la vente comme son caractère caché à l'égard de l'acquéreur non professionnel qu'était M. X ne sont pas contestés par la société Créations Automobiles, mais celle-ci fait valoir, en deuxième lieu, qu'à la date de l'expertise, M. X avait parcouru environ 16 200 km par an durant 4 ans, de telle sorte que l'impropriété du véhicule à sa destination n'est pas caractérisée.
Sur ce point, la cour observe que si l'usage qu'a pu faire M. X de son véhicule est de nature à avoir une incidence sur l'appréciation de son préjudice, il n'en demeure pas moins que le vice dont était affecté le véhicule et qui posait " un problème de sécurité si le véhicule était amené à devoir se dégager rapidement " selon les termes de l'expert, le rendait impropre à sa destination, peu important que le risque ainsi encouru ne se soit pas réalisé.
Enfin, c'est en vain, et non sans mauvaise foi, que l'appelante relève, en troisième lieu, que le dysfonctionnement de la boîte de vitesse aurait pu être aisément réparé si une demande en ce sens avait été formée tant par M. X que par le constructeur Chrysler. En effet, d'une part, cette circonstance est inopérante par rapport à la constatation même d'un vice caché et des conséquences juridiques qui s'y attachent ; d'autre part, M. X a, après contacts verbaux, signalé par lettre au vendeur, dès le 16 juillet 2011, le problème affectant la boîte de vitesse de même que l'Union fédérale des consommateurs par lettre du 17 décembre 2012, sans qu'aucune réponse y soit apportée. L'avocat de M. X a, par lettre du 26 septembre 2011, tout aussi vainement mis en demeure la société Chrysler France de procéder aux réparations nécessaires.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil.
Sur les conséquences du vice caché dans les relations entre la société Créations Automobiles et M. X
S'agissant des contestations de la société Créations Automobiles relatives aux condamnations prononcées contre elle, force est de constater que c'est à juste titre que le tribunal a prononcé la résolution de la vente et il n'a fait qu'en tirer les exactes conséquences en ordonnant les restitutions réciproques du prix de vente de 42 462,24 et du véhicule, peu important que l'expert judiciaire ait indiqué que la valeur résiduelle du véhicule était de 23 600 et peu important que M. X ait pu parcourir environ 64 000 km.
Aucune contestation motivée n'est par ailleurs articulée par l'appelante contre sa condamnation aux frais de réparation et au coût du crédit dont le tribunal a rappelé à juste titre qu'elle était fondée sur l'article 1645 du Code civil et qui sera par conséquent confirmée. Il en va de même en ce qui concerne la condamnation pour résistance abusive, retenue par le tribunal à raison de l'absence de toute réponse aux doléances de M. X y compris après que l'expert amiable avait relevé, en présence des parties, le bien fondé des dites doléances, obligeant M. X à agir par la voie judiciaire.
Dans le cadre de son appel incident, M. X sollicite, quant à lui, la réformation du jugement qui l'a débouté de certains chefs de préjudice invoqués.
S'agissant des frais de cartes et taxes, la décision du premier juge sera confirmée, faute de preuve suffisante que les coûts y afférents seraient demeurés à la charge de M. X, alors que le tribunal a exactement observé que des coûts correspondants figuraient sur la facture et qu'ils ne pouvaient être remboursés une seconde fois, en sus de la restitution du prix.
S'agissant du préjudice de jouissance, le jugement sera également confirmé pour ce qui concerne la période courant jusqu'à l'expertise, dès lors que le tribunal a relevé avec précision le nombre de kilomètres annuellement parcourus et en déduit à juste titre que le véhicule avait été utilisé normalement jusqu'au 22 avril 2015 (date de la réunion d'expertise), aucune pièce versée aux débats ne permettant de remettre en cause cette appréciation en cause d'appel.
Pour la période postérieure, le tribunal a estimé qu'aucune pièce ne permettait d'établir que le véhicule n'était plus utilisé, mais la comparaison entre le kilométrage relevé par l'expert judiciaire le 22 avril 2015 (64 829 km) et celui porté sur le bon d'enlèvement (67 381 km) établi par le garage AG-Mécano postérieurement au jugement et en exécution de celui-ci, le 22 mars 2017, soit une différence de seulement 2 552 km, démontre un usage bien moindre qu'auparavant puisque le véhicule avait parcouru en moyenne 16 207 km par an jusqu'à l'expertise.
Cette constatation objective permet de considérer que, comme le soutient M. X, ce dernier a utilisé le véhicule jusqu'au 30 septembre, date de réception des conclusions de l'expert, mais ne s'en est plus servi par la suite afin d'éviter le risque de situation dangereuse mis en évidence dans les dites conclusions. Deux attestations, qui font état de l'usage d'autres véhicules, corroborent cette déduction, tout comme la production de certificats d'immatriculation de ces véhicules au nom de M. X. Il convient donc de réparer le préjudice de jouissance pour la période d'un an courant entre la date de réception du rapport d'expertise et le jugement de première instance, comme sollicité par M. X
Celui-ci établit, par la production d'une documentation en ligne de location entre particuliers, que le prix de location d'un véhicule du même type que le véhicule litigieux peut être de 50 par jour et réclame donc la somme de 18 000 . Toutefois, une location sur une durée aussi longue qu'une année ne peut être évaluée sur la base du prix d'une unique journée et doit être évaluée à la moitié de cette somme, soit 9 000 .
S'agissant des frais de transport du véhicule jusque chez le vendeur, inhérents à l'exécution de la restitution, ils sont justifiés à hauteur de 578 et il sera fait droit à la demande en remboursement de M. X
S'agissant des frais d'assurance du véhicule litigieux, M. X est bien fondé à en solliciter le remboursement, mais seulement pour la période d'une année correspondant à la durée du préjudice de jouissance retenu par la cour, soit la somme de 1 253,66 . Le jugement sera infirmé en ce sens.
Sur l'intervention forcée de la société Chrysler France
Il ne résulte d'aucune pièce que la société Chrysler France, dont il n'est au surplus pas contesté qu'elle n'est plus importateur de véhicules neufs de marque Chrysler depuis mai 2010, aurait participé, de quelque manière que ce soit, à la production et la vente du véhicule litigieux. La qualité de constructeur qu'invoque sommairement la société Constructions Automobiles en se bornant à produire une facture de la société Fiat France, n'est établie d'aucune façon. La société Chrysler France doit donc être mise hors de cause.
La société Constructions Automobiles sera déboutée de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et sera condamnée à payer à ce titre tant à la société Chrysler France qu'à M. X les sommes mentionnées au dispositif.
Elle sera condamnée aux dépens comprenant les dépens d'appel et les frais d'huissier exposés par M. X pour l'exécution du jugement de première instance et justifiés à hauteur de 3 151,14 .
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris, sauf sur le préjudice de jouissance et les frais d'assurance ; Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, Condamne la société Constructions Automobiles à payer à M. X les sommes de : - 9 000 au titre du préjudice de jouissance, - 1 253,66 au titre des frais d'assurance durant la période du préjudice de jouissance ; Y ajoutant, Condamne la société Constructions Automobiles à payer à M. X les sommes de : - 578 au titre des frais de transport du véhicule, - 2 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel ; Condamne la société Constructions Automobiles à payer à la société Chrysler France la somme de 2 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute la société Constructions Automobiles de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Constructions Automobiles aux dépens comprenant les dépens d'appel et les frais d'huissier exposés par M. X à hauteur de 3 151,14 , avec droit de recouvrement direct au profit des avocats en ayant fait la demande, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.