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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. B, 19 septembre 2017, n° 15-01259

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Le Syndicat Des Chirurgiens-Dentistes du Rhône, L'Union des Jeunes Chirurgiens Dentistes , La Fédération des Syndicats Dentaires Libéraux Rhône Alpes

Défendeur :

Le Conseil National de l'Ordre des Chirurgiens- Dentistes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carrier

Conseillers :

Mme Guigue, M. Ficagna

TGI Lyon, du 21 janv. 2015

21 janvier 2015

Exposé de l'affaire

L'association Dentexia est un centre de santé créé en application de la loi HPST du 21 juillet 2009 autorisant ces organismes à exercer des activités médicales réglementées, dont la profession de chirurgien-dentiste, selon les modalités des articles D. 6323-1 et suivants du Code de la santé publique.

Déclarée à la sous-préfecture d'Aix-en-Provence en juillet 2011, elle a pour objet de favoriser l'accès aux soins dentaires à toute les catégories sociales en créant des centres de santé dentaire accessibles à tous et pratiquant des tarifs modérés.

Cette association exploite notamment un centre dentaire sis [...].

Faisant valoir que les enseignes et inscriptions apposés sur les façades des locaux de ce centre constituaient une publicité violant les règles déontologiques des chirurgiens-dentistes, le syndicat des chirurgiens-dentistes du Rhône, l'Union des jeunes chirurgiens-dentistes et la Fédération des syndicats dentaires libéraux Rhône-Alpes ont, par acte du 25 janvier 2013, fait assigner l'association Dentexia afin de la voir condamner à déposer les enseignes, le dispositif d'éclairage et le panneau du cabinet situé à Vaulx-en-Velin et à leur payer la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts.

Par jugement du 21 janvier 2015, le Tribunal de grande instance de Lyon a :

- déclaré l'action recevable,

- débouté les demandeurs de leur demande en dommages et intérêts,

- condamné ces derniers à payer à l'association Dentexia la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.

Par acte du 10 février 2015, le syndicat des chirurgiens-dentistes du Rhône, l'Union des jeunes chirurgiens-dentistes et la Fédération des syndicats dentaires libéraux Rhône-Alpes ont interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions notifiées le 29 septembre 2015, le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes est intervenu volontairement à l'instance.

Par actes du 23 février 2016, le syndicat des chirurgiens-dentistes du Rhône, l'Union des jeunes chirurgiens-dentistes et la Fédération des syndicats dentaires libéraux Rhône-Alpes ont assigner en intervention forcée Me Vincent DE C. et la SELARL DE S. R. ET B., respectivement mandataire judiciaire et administrateur judiciaire au redressement judiciaire de l'associété Dentexia, ouverte par jugement du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence du 24 novembre 2015.

Par jugement du 4 mars 2016, le tribunal de grande instance D'Aix-en-Provence a converti cette procédure en liquidation judiciaire.

Par acte d'huissier du 20 septembre 2016, le syndicat des chirurgiens-dentistes du Rhône, l'Union des jeunes chirurgiens-dentistes et la Fédération des syndicats dentaires libéraux Rhône-Alpes ont fait appeler en cause Me Vincent DE C. en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Dentexia.

Au terme de cette assignation, ils demandent à la cour de réformer partiellement le jugement et de fixer leurs créances au passif de l'association Dentexia à 5 000 euro chacun à titre de dommages et intérêts, à 4 000 euro d'indemnité chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel avec faculté de distraction au profit de Me G..

Ils font valoir :

- que leur action est recevable puisqu'ils ont intérêt à agir, les faits d'espèce étant de nature à porter atteinte à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent,

- que conformément l'article D. 6323-6 du Code de la santé publique, les centres de soins sont soumis aux règles déontologiques de la profession de chirurgien-dentiste prévues par les articles R. 4127-201 et suivants du Code de la santé publique,

- que l'association Dentexia ne peut pratiquer la profession dentaire comme un commerce, ce qui proscrit toute signalisation donnant une apparence commerciale au local ainsi que tout procédé direct ou indirect de publicité et qui limite les indications figurant sur la plaque professionnelle aux nom, prénoms, qualité, spécialité, diplômes, titre ou fonctions reconnus par le conseil national de l'ordre, présentés avec discrétion conformément aux usages de la profession,

- que l'association Dentexia ne respecte pas ces règles puisque les enseignes présentes sur la façade du centre de soins mentionnant en grandes lettres bleues sur fond blanc " Dentexia " et éclairées par des néons donnent une apparence commerciale au local et que les mentions présentes sur le panneau d'information excèdent celles du code de la santé publique ainsi que cela ressort du procès-verbal de constat de Me B. en date du 14 novembre 2012,

- que la méconnaissance des règles déontologiques suffit à caractériser la concurrence déloyale,

- que les mentions figurant sur les panneaux sont de nature à établir une comparaison péjorative avec les chirurgiens-dentistes libéraux.

Au terme de conclusions notifiées le 29 septembre 2015, le Conseil National de l'ordre des chirurgiens-dentistes demande à la cour de :

- réformer le jugement déféré en ce qu'il a débouté les demandeurs initiaux de leurs demandes,

- le déclarer recevable et bien fondé en sa demande d'intervention volontaire,

- dire que Dentexia s'est rendue fautive d'actes de publicité interdite et d'affichages interdits constitutifs de concurrence déloyale à l'encontre de la profession des chirurgiens-dentistes,

- lui enjoindre de cesser tout acte publicitaire et tout acte de concurrence déloyale sur tous supports tant matériels que virtuels, sous astreinte de 1 500 euro par manquement constaté par jour et support,

- ordonner sous la même astreinte la dépose :

* du panneau apposé sur la façade donnant sur la [...] ;

* du panneau sur la façade donnant sur l'[...] ;

* des 2 enseignes Dentexia et leurs logos ;

* l'adhésif figurant sur la porte d'entrée du centre dentaire,

- ordonner sous la même astreinte le retrait du panneau figurant à gauche de la porte d'entrée, du logo de Dentexia et de la mention " la santé dentaire pour tous ",

- condamner l'association Dentexia à lui verser la somme de 15 000 euro de dommages et intérêts pour le préjudice subi,

- en tout état de cause, condamner Dentexia à lui payer la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens comprenant ceux de constat et d'éventuelle exécution.

Il fait valoir :

- que son intervention est recevable aux motifs qu'il a un intérêt à agir autonome de celui des syndicats, afin de défendre les intérêts de la profession, mission qui lui a été confiée par le législateur, et que l'association Dentexia l'a mis en cause en première instance en invoquant une connivence avec les syndicats dentaires,

- que Dentexia emploie des praticiens, soumis aux règles déontologiques qui dès lors s'appliquent à elle, ce que confirment les contrats conclus entre Dentexia et ses salariés,

- que Dentexia est soumise aux dispositions des articles R. 4127-215 et suivants du Code de la santé publique interdisant l'exercice de la profession dentaire comme un commerce et précisant que les indications doivent être présentées avec discrétion, conformément aux usages de la profession,

- qu'il ressort du nouveau constat d'huissier établi par Me B. le 26 mai 2015 que les panneaux litigieux atteignent une longueur cumulée de 21 mètres, rendant ce dispositif d'affichage excessif par rapport à une plaque professionnelle d'une dimension de 25 x 30 cm et constitutif d'une publicité interdite,

- que le panneau situé à proximité de la porte d'entrée n'est pas contesté en raison de son emplacement et de ses dimensions raisonnables mais de la mention " la santé dentaire pour tous " qui est de nature publicitaire, de même que la présence d'adhésif portant le nom Dentexia sur la porte d'accès,

- qu'il s'emploie à veiller au respect des dispositions légales par tout centre dentaire, quel qu'il soit et que Dentexia n'est victime d'aucune discrimination,

- que la concurrence déloyale résulte du recours à la publicité interdite à la profession dentaire par le biais de panneaux publicitaires, ce qui constitue une faute délictuelle causant un préjudice direct et certain à la profession dentaire.

Me DE C., régulièrement assigné es qualité, n'a pas constitué avocat.

La clôture a été prononcée le 13 juin 2017.

La cour a invité le Conseil National de l'ordre des chirurgiens-dentistes à lui faire part de ses observations sur la recevabilité de ses demandes en l'absence de signification de ses conclusions à l'association Dentexia, partie défaillante en l'absence de constitution de Me DE C..

Par courrier du 8 septembre 2017, celui-ci a sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture au motif que Me DE C. avait régularisé sa constitution le 31 août 2017 et que la procédure était régularisée à son égard.

Motifs de la décision

Sur la recevabilité des demandes du Conseil National de l'ordre des chirurgiens-dentistes

Selon l'article 784 du Code de procédure civile, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue. La constitution d'avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation.

En l'espèce, la liquidation judiciaire de l'association Dentexia a été ouverte au mois de mars 2016. Le Conseil National de l'ordre des chirurgiens-dentistes en a eu connaissance en temps utile ainsi que cela ressort du courrier de son conseil en date du 5 septembre 2016 ayant justifié la révocation de l'ordonnance de clôture et le renvoi de l'affaire à la mise en état de sorte qu'elle ne saurait constituer une cause de révocation de la clôture.

Il en va de même de la constitution de Me V. pour Me DE C. intervenue postérieurement à la clôture.

L'association Dentexia doit être considérée comme défaillante, son mandataire liquidateur, seul habilité à la représenter par l'effet de la liquidation judiciaire en application de l'article L. 641-9 I du Code de commerce, n'ayant pas constitué avocat.

Selon l'article 68 du Code de procédure civile, les demandes incidentes sont faites à l'encontre des parties défaillantes dans les formes prévues pour l'introduction de l'instance. En appel, elles le sont par voie d'assignation.

En l'espèce, le Conseil National de l'ordre des chirurgiens-dentistes ne justifie pas avoir signifié ses demandes à l'encontre de Me DE C. par voie d'assignation de sorte que celles-ci doivent être déclarées irrecevables.

Sur les demandes du syndicat des chirurgiens-dentistes du Rhône, de l'Union des jeunes chirurgiens-dentistes et de la Fédération des syndicats dentaires libéraux Rhône-Alpes

Selon l'article 472 du Code de procédure civile, lorsque le défendeur ne comparaît pas, le juge ne fait droit à la demande que si elle est régulière, recevable et fondée.

Selon l'article L. 622-22 du Code de commerce, les instances suspendues par l'ouverture de la procédure collective sont reprises de plein droit après déclaration de sa créance par le poursuivant et mise en cause du mandataire liquidateur.

En l'espèce, les appelants justifient avoir déclaré leur créance par acte du 10 février 2016. Ils ont d'autre part régulièrement appelé en cause le mandataire liquidateur.

C'est par de justes motifs, que la cour adopte, que le premier juge a déclaré le syndicat des chirurgiens-dentistes du Rhône, l'Union des jeunes chirurgiens-dentistes et la Fédération des syndicats dentaires libéraux Rhône-Alpes recevables en leur action comme ayant qualité à agir pour la défense des intérêts collectifs de la profession.

Selon l'article 1382 (devenu 1240) du Code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Selon l'article R. 4127-201 du Code de la santé publique, les dispositions du code de déontologie des chirurgiens-dentistes s'imposent à tout chirurgien-dentiste inscrit au tableau de l'ordre et à tout chirurgien-dentiste exécutant un acte professionnel dans les conditions prévues à l'article L. 4112-7 ou par une convention internationale, quelle que soit la forme d'exercice de la profession, et s'appliquent également aux étudiants en chirurgie dentaire.

Ces dispositions ne régissent que ces professionnels et ne peuvent être opposées aux personnes morales qui les emploient de sorte qu'elles ne sont pas applicables à un centre de soins.

Toutefois, celui-ci ne peut, sans exercer de concurrence déloyale, recourir à des procédés publicitaires concernant ses prestations, de nature à favoriser le développement de l'activité des chirurgiens-dentistes qu'il emploie, dès lors que ces derniers sont soumis, en vertu de l'article R. 4127-215 du Code de la santé publique, à l'interdiction de tout procédés directs ou indirects de publicité.

Les appelants versent aux débats un procès-verbal dressé par Me B., huissier de justice, le 14 novembre 2012, qui a constaté :

- des inscriptions en enseigne de taille importante, en lettres bleues sur fond blanc, faisant le tour de la façade du centre et mentionnant " Dentexia ", " centre dentaire " et " centre de santé dentaire ",

- des rampes de néons installées au-dessus des inscriptions,

- un panneau d'information près de la porte d'accès mentionnant :

" Dentexia,

La santé dentaire pour tous,

Centre Dentaire voie lactée

Ouvert du lundi au samedi

9h00 - 13h00 14h00 - 18h00

Adultes -enfants

Tiers payant - mutuelles - CMU

Bilans,

couronnes,

implants,

esthétique,

urgences,

détartrage. "

Cette signalisation particulièrement voyante tant par la dimension des panneaux que par la couleur et l'éclairage des inscriptions donne une apparence commerciale au local. Les indications figurant sur le panneau situé à proximité de la porte d'accès dépassent la simple information objective sur les prestations offertes. La mention " la santé pour tous " figurant sur ce même panneau constitue un slogan publicitaire.

Ainsi sont caractérisés de la part de Dentexia des procédés publicitaires de nature à favoriser le développement de l'activité des chirurgiens-dentistes employés par elle, constitutifs comme tels d'acte de concurrence déloyale au préjudice des praticiens exerçant la même activité hors du centre de santé.

Le préjudice subi par chacun des appelants sera justement réparé par une indemnité de 3 000 euro qui sera fixée au passif de la liquidation judiciaire.

Par ces motifs, LA COUR, Déclare le Conseil National de l'ordre des chirurgiens-dentistes irrecevable en ses demandes ; Dit qu'il conservera la charge de ses dépens ; Fixe la créance de dommages et intérêts du syndicat des chirurgiens-dentistes du Rhône, de l'Union des jeunes chirurgiens-dentistes et de la Fédération des syndicats dentaires libéraux Rhône-Alpes au passif de la liquidation judiciaire de l'association Dentexia à la somme de 3 000 euro chacun ; Fixe la créance d'indemnité article 700 du syndicat des chirurgiens-dentistes du Rhône, de l'Union des jeunes chirurgiens-dentistes et de la Fédération des syndicats dentaires libéraux Rhône-Alpes au passif de la liquidation judiciaire de l'association Dentexia à la somme de 2 000 euro chacun ; Condamne Me Vincent DE C. en qualité de mandataire liquidateur de l'association Dentexia aux dépens des appelants ; Autorise Me G. (Selarl LGVA), avocat, à recouvrer directement à son encontre les dépens dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.