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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 19 septembre 2017, n° 15-02932

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Distribution Sanitaire Chauffage (SAS)

Défendeur :

Tertre (SAS), La Sommelière Int (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

Mmes André, Emily

CA Rennes n° 15-02932

19 septembre 2017

EXPOSÉ DU LITIGE

Après avoir acheté un premier réfrigérateur du même modèle, la SAS Tertre, grossiste en produits électroménagers, a, le 2 juillet 2009, acquis de la société La Sommelière Int, 196 réfrigérateurs de marque Frigelux Top 122 pour un prix de 21 102,13 euro TTC, soit un prix unitaire de 85 euro HT. Le 10 juillet suivant, elle a revendu ces réfrigérateurs à la société Distribution Sanitaire Chauffage exerçant sous l'enseigne Cédéo (la société DSC) au prix de 25 825,61 euro TTC, soit un prix unitaire de 99,30 euro HT. Celle-ci a, à son tour, revendu les réfrigérateurs à la société Techni-Chauffage au prix de 136,87 euro pour un appareil et de 26 830,02 euro HT pour les 196 autres, soit un prix unitaire de 126 euro HT. Cette dernière société les a installés dans les chambres d'une résidence universitaire appartenant au Crous de Brest qui a, par lettre recommandée avec avis de réception du 18 décembre 2009, signalé leur mauvais fonctionnement. Le 22 février 2010, la société Techni-chauffage a mis en demeure la société DSC d'avoir à remplacer les 197 réfrigérateurs, puis a effectué ce remplacement par des réfrigérateurs de marque Bosch, émettant à l'adresse de la société DSC, les factures suivantes :

- le 17 mars 2010, modification des niches des réfrigérateurs, pour 4 636,84 euro ;

- le 30 juin 2010, dépose et repose du matériel, 3 959,96 euro.

La société Cédéo a repris les réfrigérateurs litigieux et édité un avoir de 32 252,40 euro au profit de la société Techni-chauffage.

Le 13 mai 2011, la société Cédéo a assigné la société Tertre devant le Tribunal de commerce de Saint-Brieuc en paiement de la somme de 40 849,20 euro en remplacement des réfrigérateurs, outre celle de 3 744,92 euro au titre des frais de constat d'huissier et d'embauche de deux intérimaires, et celle de 2 000 euro à titre de dommages-intérêts. Le 2 septembre 2011, la société Tertre a assigné en garantie la société La Sommelière Int. Ces deux procédures ont été jointes.

Le 23 avril 2012, le Tribunal de commerce de Saint-Brieuc a, avant-dire droit, ordonné une expertise confiée à M G. qui a déposé son rapport le 14 août 2013.

Le 16 février 2015, le tribunal de commerce a :

- prononcé la nullité du rapport d'expertise du 14 août 2013,

- débouté la société La Sommelière Int de sa demande de contre-expertise,

- dit que la société Distribution Sanitaire Chauffage exerçant sous l'enseigne Cédéo ne rapporte pas la preuve que les réfrigérateurs étaient affectés d'un vice caché,

- dit que les réfrigérateurs ont été posés dans des conditions de non-conformité,

- débouté la société Distribution Sanitaire Chauffage de ses demandes,

- dit mal fondées les sociétés Tertre et Distribution Sanitaire Chauffage en leurs prétentions dirigées contre la société La Sommelière Int et les en a déboutées ;

- condamné la société Tertre à payer à la société La Sommelière Int la somme de 3 000 euro pour procédure abusive et celle de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit des autres parties ;

- débouté les parties de leurs autres demandes ;

- condamné in solidum la société Tertre et la société Distribution Sanitaire Chauffage aux entiers dépens à l'exception du coût de l'expertise judiciaire annulée qui devra rester à la charge de l'expert.

La société DSC a relevé appel de ce jugement, demandant à la cour, sur le fondement de l'article 1641 du Code civil, de condamner in solidum la société Tertre et la société La Sommelière Int à lui payer la somme de 40 849,20 euro outre intérêts au taux légal à compter du 5 mars 2010 au titre du remplacement des réfrigérateurs, celle de 3 744,92 euro au titre de ses frais, celle de 2 000 euro à titre de dommages-intérêts et celle de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Tertre conclut à l'irrecevabilité de l'appel dirigé à son encontre et en tout cas à son mal fondé. Elle forme appel incident demandant à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer des dommages-intérêts pour procédure abusive et une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Elle demande la confirmation du jugement en ce qu'il a :

- prononcé la nullité du rapport d'expertise de M. G.,

- dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une contre-expertise judiciaire,

- dit que la société DSC ne rapportait pas la preuve que les réfrigérateurs livrés étaient affectés d'un vice caché,

- dit que les réfrigérateurs ont été posés dans des conditions de non-conformité,

- débouté la société DSC de l'intégralité de ses demandes.

A titre subsidiaire, elle sollicite la garantie de la société La Sommelière Int. Elle réclame la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société La Sommelière Int conclut à la confirmation du jugement et sollicite une indemnité de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par la société DSC le 16 juin 2016, la société Tertre le 29 octobre 2015 et la société La Sommelière Int le 19 janvier 2016.

EXPOSÉ DES MOTIFS

A titre liminaire, il sera relevé que la société Tertre conclut à l'irrecevabilité de l'appel de la société DSC sans motiver cette prétention de surcroît incompatible avec son appel incident.

Sur le rapport d'expertise

L'expert judiciaire avait reçu la mission suivante :

- convoquer les parties,

- se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission,

- se rendre sur place et visiter les lieux,

- exécuter sa mission à l'aide des pièces et documents remis par les parties,

- vérifier la réalité des désordres allégués, en particulier dire si les caractéristiques techniques des réfrigérateurs commandés sont compatibles avec leur destination,

- indiquer si ces désordres proviendraient d'une non-conformité aux documents contractuels, d'un défaut de conception, d'un non-respect des règles de l'art, d'une exécution défectueuse, ou d'une utilisation incorrecte,

- entendre tout spécialiste, dans la mesure où il estimera utile,

- fournir au tribunal tous éléments, techniques, factuels ou comptables, de nature à lui permettre de déterminer les responsabilités encourues et d'évaluer d'éventuels préjudices.

Comme l'ont pertinemment relevé les premiers juges, l'expert n'a pas réalisé la mission qui lui était confiée. Il ne s'est pas rendu sur les lieux pour constater les conditions d'installation et d'utilisation du matériel. Il n'a pas recherché si les caractéristiques techniques des réfrigérateurs vendus étaient compatibles avec leur destination, se bornant à émettre la pétition de principe selon laquelle tous les réfrigérateurs table top sont encastrables, sans argumenter techniquement ses assertions. Il n'a pas recherché si les réfrigérateurs en cause étaient tous affectés d'un vice de conception, se bornant à examiner les six exemplaires sélectionnés sans aucun contrôle par la société demanderesse, ce qui privait le prétendu sondage de toute valeur statistique. Enfin, il lui appartenait de se faire remettre par le fournisseur un appareil neuf identique pour vérifier si comme il en émet l'hypothèse non étayée techniquement, ce matériel ne répondait pas même dans les conditions d'installation fixées par le fabricant à son usage alors que ceci était contraire à l'argumentation de la société La Sommelière Int selon laquelle le modèle était distribué depuis deux ans sans difficulté. Il en résulte que les énonciations du rapport d'expertise ne permettent pas de dire si la déficience de quelques thermostats relevée par le sapiteur dans des conditions d'ailleurs contestées procédait de l'utilisation inadéquate préalable ou d'un vice de conception antérieur à la vente. De manière générale, l'expert n'a procédé à aucune investigation personnelle, se bornant à émettre des hypothèses non étayées techniquement sans effectuer les recherches et vérifications qui lui étaient demandées.

C'est dès lors à juste titre que les premiers juges ont annulé son rapport d'expertise.

Sur le fond

Conformément à l'article 1641 du Code civil dans sa version applicable à l'espèce, "le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus".

Il incombe à l'acheteur qui s'en prévaut de rapporter la preuve de l'existence, au jour de la vente, d'un vice caché affectant le matériel vendu de nature à le rendre impropre à son usage.

Le fait que les appareils litigieux n'ont pas fourni le rendement attendu en terme de production de froid n'est pas contesté, au moins pour une partie d'entre eux. Cependant la cause de ce mauvais fonctionnement peut résider soit dans l'existence d'un vice caché les affectant uniformément, soit dans les mauvaises conditions d'installation susceptibles d'avoir affecté le thermostat présenté comme défectueux sur les six exemplaires examinés sans que la cause de cette défectuosité ne soit précisée, les appareils fonctionnant par ailleurs.

Or les réfrigérateurs Frigelux Top 122 sont des réfrigérateurs tables top posables, de conception très simple, avec un compartiment 0°, un condenseur intégré dans les faces latérales, non intégrables et non encastrables car non munis de la ventilation adéquate. Le constat d'huissier établi le 6 avril 2010 révèle que ces appareils ont pourtant été encastrés dans des niches laissant en hauteur un intervalle de 6 cm et latéralement un espace total d'au mieux 5 cm réparti, selon les cas, à raison d'un espace de 3 ou 4 cm d'un côté et de 0,5 à 2 cm de l'autre. Aucune précision n'a été apportée quant à l'espace laissé à l'arrière de l'appareil pour sa ventilation.

Ainsi que l'on exactement relevé les premiers juges, ces conditions d'installation n'étaient pas conformes aux instructions d'installation données par le fabricant dans la notice d'utilisation des appareils qui, nonobstant le conditionnel utilisé, proscrivait de manière non équivoque pour les professionnels concernés, l'encastrement des appareils et exigeait en outre de laisser un espace de 12 cm à l'arrière et sur chaque côté du réfrigérateur pour permettre la circulation d'air nécessaire au refroidissement du compresseur.

L'utilisation des réfrigérateurs, de septembre à décembre, dans des conditions non conformes à leur conception, expliquait à elle seule leur mauvais fonctionnement et pouvait provoquer le dérèglement du thermostat constaté sur quelques appareils.

Rien ne permet dans ces conditions d'attribuer le mauvais rendement des appareils litigieux à un vice caché affectant uniformément tous les appareils antérieurement à la vente plutôt qu'à leurs conditions d'installation non conformes à leur conception, étant rappelé que la société appelante s'étant procuré préalablement un premier appareil ne pouvait ignorer ces prescriptions. Il n'est au demeurant pas sérieusement contesté que ces appareils ont été remplacés, non pas à l'identique, mais par des matériels d'une conception plus élaborée, seule adaptée à leur destination.

En sa qualité de professionnel, la société appelante devait s'assurer de l'adéquation de sa commande aux besoins qu'elle devait satisfaire. N'ayant pas procédé à cette recherche et ne soutenant pas avoir sollicité les conseils de son fournisseur, il lui incombe de supporter les conséquences des choix inadaptés dont elle est seule responsable.

Le jugement critiqué sera en conséquence confirmé de ce chef.

En revanche, la société Tertre n'étant pas à l'origine de la demande initiale et n'ayant fait qu'exercer l'action en garantie que lui ouvre la loi sans que soit démontré l'existence d'un abus de sa part, sa condamnation à dommages-intérêts pour procédure abusive ne se justifie pas.

Par ces motifs, LA COUR : Déclare l'appel recevable ; Confirme le jugement rendu le 16 février 2015 par le Tribunal de commerce de Saint-Brieuc sauf en ce qu'il a condamné la société Tertre à payer à la société La Sommelière Int la somme de 3 000 euro pour procédure abusive ; Le réformant de ce chef et statuant à nouveau, Déboute la société La Sommelière Int de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ; Dit n'y avoir lieu à nouvelle application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société La Sommelière Int, ni à application de l'article 700 au profit de la société Tertre ; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ; Condamne la société DSC aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.