CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 27 septembre 2017, n° 15-03296
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Floria Création (SAS)
Défendeur :
Blanchard (ès qual.), Gros (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mme Mouthon-Vidilles, M. Thomas
Avocats :
Mes Fisselier, Simon, Boccon-Gibod
Faits et procédure
La société Floria Création, créée en 1995, est à la tête du réseau de franchise de vente en libre-service de fleurs coupées et de plantes exploité sous l'enseigne Rapid'Flore.
Le 23 mars 2006, Monsieur Cédric Gros et son épouse, ancienne salariée au sein d'un point de vente Rapid'Flore à Aix-les-Bains, ont fait acte de candidature pour devenir franchisés du réseau Rapid'Flore. En janvier 2007, les époux Gros ont constitué la SARL Gros dont Monsieur Cédric Gros est le gérant. La société Gros exerce, depuis sa création, l'activité de vente en libre-service de fleurs et de plantes.
Préalablement à la signature du contrat de franchise, la société Floria Création a remis à la société Gros un document précontractuel d'information ainsi qu'un plan d'investissement conformément à l'article L. 330-3 du Code de commerce.
Le 7 mars 2007, un contrat de franchise a été signé entre la société Gros et la société Floria Création pour une durée de 7 ans et le 8 mars 2007, le point de vente exploité par la société Gros sous enseigne Rapid'Flore a été ouvert.
Durant l'exécution du contrat de franchise, la société Gros a rencontré des difficultés économiques et n'est pas parvenu à atteindre le seuil de rentabilité annoncé par son franchiseur.
À plusieurs reprises, la société Gros a sollicité l'aide de son franchiseur tout en l'alertant sur les difficultés économiques rencontrées, au regard des résultats annoncés.
Par assignation en date du 20 septembre 2013, la société Gros a assigné la société Floria Création en nullité du contrat de franchise pour dol et aux fins d'indemnisation pour une somme de 220 910 euros correspondant au prix d'acquisition du fonds de commerce ou, à titre subsidiaire, pour une somme de 90 000 euros à titre de dommage-intérêts.
Le 29 juillet 2014, la société Gros a été placée en liquidation judiciaire et Maître Jean Blanchard a été désigné ès qualités de liquidateur judiciaire. Le 11 septembre 2014, la société Floria Création a déclaré ses créances au passif de la société Gros.
Par jugement en date du 5 février 2015, le Tribunal de commerce d'Evry a :
- reçu Maître Jean Blanchard, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Gros en ses demandes, les a dit partiellement fondées, et y a fait partiellement droit,
- dit que la prescription extinctive était acquise et déclaré prescrite l'action en résolution initiée par la SARL Gros,
- condamné la SAS Floria Création à payer à Maître Jean Blanchard, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Gros, la somme de 78 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre intérêts de droit au taux légal à compter du 20/09/2013,
- fixé au passif de la liquidation judiciaire de la SARL Gros la créance de la SAS Floria Création pour la somme de 5 508,78 euros TTC au titre des factures impayées,
- débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires au présent jugement,
- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, nonobstant appel et sans constitution de garantie,
- condamné la SAS Floria Création et Maître Jean Blanchard, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Gros à partager par moitié chacun les entiers dépens,
- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 81,12 euros, dont TVA 13,52 euros.
LA COUR
Vu l'appel interjeté par la société Floria Création et ses dernières conclusions notifiées le 10 septembre 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- réformer le jugement dont appel en l'ensemble de son dispositif,
statuant à nouveau,
- déclarer l'action en nullité du contrat de franchise du 7 mars 2007 prescrite,
- déclarer l'action en dommages-intérêts prescrite,
- dire les demandes de la société Gros et de Maître Blanchard, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gros, irrecevables et mal fondées,
- rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société Gros et de Maître Blanchard ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gros,
- constater que la société Floria Création détient une créance contractuelle à l'encontre de la société Gros arrêtée au jour des présentes à 5 508,78 euros TTC et que cette créance a été déclarée auprès de Maître Jean Blanchard, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Gros et, en conséquence, fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Gros la créance de la société Floria Création pour la somme de 5 508,78 euros TTC au titre des factures impayées,
- condamner Maître Blanchard, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, au paiement de la somme de 20 000 euros au profit de la société Floria Création,
- condamner Maître Blanchard aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP AFG, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 12 mai 2016 par Maître Blanchard, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gros, intimé, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- déclarer mal fondé l'appel interjeté par la société Floria Création, l'en débouter,
- déclarer recevable et fondé l'appel incident formé par Maître Jean Blanchard ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gros,
en conséquence,
à titre principal,
- réformer la décision entreprise en ce qu'elle a :
* dit acquise la prescription extinctive et déclaré prescrite l'action en nullité initiée par la société Gros,
* fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Gros la créance de la société Floria Création pour la somme de 5 508,78 euros au titre
* des factures impayées,
et, statuant à nouveau,
- dire non prescrite l'action en nullité du contrat de franchise en date du 7 mars 2007 initiée par la société Gros, la dire bien fondée,
en conséquence,
- prononcer la nullité du contrat de franchise en date du 7 mars 2007,
- condamner la société Floria Création à payer à Maître Blanchard, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gros, la somme de 220 910 euros, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance, correspondant au prix d'acquisition du fonds de commerce,
- dire n'y avoir lieu à la fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société Gros de la somme de 5 508,78 euros au titre des factures à la société Floria Création,
à titre subsidiaire,
- dire recevable la demande de dommages et intérêts formée par Maître Blanchard ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gros, par conséquent,
- confirmer la décision déférée en ce qu'elle a condamné la société Floria Création à payer à Maître Blanchard, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gros, 78 000 euros de dommages et intérêts,
en tout état de cause,
- rejeter la société Floria Création de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Floria Création à porter et payer à Maître Blanchard, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gros, la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens,
- dire que les dépens d'appel pourront être recouvrés directement par la Selarl Lexavoué Paris-Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
SUR CE
Sur la nullité du contrat de franchise
Sur la prescription de l'action en nullité du contrat de franchise
La société Gros sollicite l'infirmation du jugement du Tribunal de commerce d'Evry en ce qu'il a considéré que l'action en nullité du contrat de franchise était prescrite " dès lors que plus de 5 années se sont écoulées entre le début des relations et l'action en nullité ". Elle rappelle en effet qu'en cas de dol, le délai de prescription de l'action en nullité ne court qu'à compter du jour où le vice a été découvert et qu'il convient, en conséquence, de retenir a minima comme point de départ du délai de prescription de l'action en nullité la date de la clôture du premier exercice complet, soit le 30 septembre 2008. La société Gros estime en conséquence que l'action en nullité, engagée le 20 septembre 2013, n'est pas prescrite.
Mais la société Floria Création relève à bon droit que la demande de la société Gros tendant à voir prononcer la nullité du contrat de franchise pour défaut de fourniture d'un état du marché local est prescrite dans la mesure où la découverte du vice allégué n'a pu avoir lieu qu'au jour de la remise du document d'information précontractuelle, ou au plus tard, au jour de la signature du contrat de franchise, soit à la mi-2006 ou, au plus tard, le 7 mars 2007.
Par ailleurs, la demande la société Gros tendant à voir prononcer la nullité du contrat de franchise pour transmission de comptes prévisionnels irréalistes est également prescrite, dans la mesure où le point de départ de cette action doit courir à partir de la date du rapport d'audit transmis au franchisé en juillet 2007 qui a signalé un écart entre les comptes prévisionnels et le résultat d'exploitation de la société Gros ou, à défaut, au plus tard à partir du 22 juillet 2007, date à laquelle la société Gros attirait elle-même l'attention de son franchiseur sur le différentiel entre ses résultats d'exploitation et le prévisionnel.
Sur le bien fondé de l'action en nullité du contrat de franchise
De manière surabondante, à supposer l'action non prescrite, si la société Gros prétend que les informations contenues dans le DIP étaient totalement erronées et qu'aucun état local du marché n'était contenu dans ces documents, elle ne démontre pas en quoi ces éléments ont trompé son consentement. A l'époque, aucun élément défavorable sur l'état du marché local de nature à l'influencer négativement ne lui a été caché. Il lui appartenait en outre de se renseigner elle-même, ce qu'elle avait largement le temps de faire entre la transmission du DIP et la signature du contrat. Il n'est par ailleurs pas démontré que les chiffres qui lui ont été transmis se soient révélés grossièrement erronés, la société Floria Création démontrant au contraire que des franchisés situés dans des villes de taille comparable à Bourgoin-Jallieu avaient eu une activité à la rentabilité conforme aux prévisions. Il revenait au franchisé d'établir son prévisionnel à partir des données transmises par le franchiseur.
Dès lors, sa demande en nullité sera rejetée et le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Sur la demande de dommages-intérêts
Sur la recevabilité de la demande de dommages-intérêts pour violation de l'obligation d'information
Si la société Gros estime que sa demande de dommages et intérêts au titre du manquement du franchiseur à son obligation d'information n'est pas prescrite, dans la mesure où l'impact du manquement reproché ne pouvait être anticipé par le franchisé, la société Floria Création réplique à juste titre que cette demande est prescrite, pour les mêmes raisons que celles vues supra.
Sur le bien-fondé de la demande de dommages-intérêts pour manquement du franchiseur à ses obligations d'assistance
La société Gros estime que la société Floria Création a manqué à son obligation d'assistance dès lors :
- qu'elle est restée sans réaction positive face aux multiples correspondances qui lui ont été adressées et qu'elle n'a jamais entrepris de remédier aux préoccupations de son franchisé, au mépris des principes de loyauté et de bonne foi,
- qu'elle a pratiqué, via sa centrale d'achat, des tarifs beaucoup moins avantageux vis-à-vis de la société Gros, dont elle connaissait la situation délicate,
- qu'elle a subitement et sans aucun préavis, supprimé l'aide ponctuelle de 500 euros par mois accordée par le groupe Rapid'Flore.
La société Floria Création estime que les diverses demandes d'assistance de la société Gros ne portaient que sur des aides financières qu'elle a légitimement refusées, dans la mesure où les obligations d'assistance à la charge du franchiseur ne concernent pas les aides financières.
Concernant l'arrêt de l'aide ponctuelle de 500 euros par mois accordée à la société Gros, la société Floria Création prétend qu'il ne saurait lui être fait grief d'avoir cessé au bout d'un certain laps de temps cette aide financière que le franchisé a eu le tort de croire pérenne, dans la mesure où ce concours financier ne relevait d'aucune obligation légale ou contractuelle du franchiseur. Enfin, la société Floria Création expose que les griefs allégués au titre des tarifs moins avantageux à l'égard de la société Gros sont incompréhensibles en l'état des pièces versées aux débats.
Pèse sur le franchiseur l'obligation de transmettre au franchisé des moyens susceptibles de reproduire la réussite éprouvée par lui : savoir-faire, assistance et signes distinctifs attractifs de clientèle.
S'agissant d'une fourniture de moyens, si le franchiseur a effectivement apporté cette aide, le franchisé est seul responsable de son éventuel échec.
Il appartient à la société Gros de démontrer que le franchiseur aurait manqué à son obligation d'aide et d'assistance à l'égard du franchisé rencontrant des difficultés.
En l'espèce, le franchisé verse aux débats plusieurs courriers dans lesquels il sollicite du franchiseur une aide financière (courriers des 6 octobre, 19 novembre et 18 décembre 2012, 6 janvier, 5 février, 21 février et 9 avril 2013 : pièces 8 à 23 de l'intimée), pour ouvrir un autre magasin, et, à compter de novembre 2012, pour résister à la concurrence d'une nouvelle implantation à 500 mètres.
Le franchiseur a refusé son aide financière, à part une aide ponctuelle de 500 euros, arrêtée sans préavis, courant 2012. S'il ne relève pas du franchiseur, dans l'hypothèse où le franchisé rencontre des difficultés financières, de s'immiscer dans la gestion du franchisé et s'il ne saurait être mis à la charge du franchiseur l'obligation d'indemniser le franchisé de son manque à gagner, ou de redresser l'entreprise, la mauvaise foi caractérisée du franchiseur, qui refuserait obstinément d'aider son cocontractant à sortir de difficultés que le franchiseur aurait lui-même contribué à créer est de nature à engager sa responsabilité.
Or, en l'espèce, il ressort des débats que si un audit a été réalisé les 4 et 5 juillet 2007 par la société Floria Création auprès de la société Gros, dans lequel il était préconisé un certain nombre de mesures de nature à redresser la situation du franchisé, la société Floria Création ne justifie plus d'aucune assistance. La plupart des demandes du franchisé sont restées sans réponse et si le franchiseur a répondu par quelques courriers les 25 et 4 août 2008, 29 juin 2009, 7 janvier et 26 avril 2013, versés aux débats, ceux-ci ne démontrent pas une assistance effective (pièces 9, 10, 12, 13, 14, 19 et 24 de l'intimée). De plus, les propos attribués à une salariée de la société Floria Création, en 2013, prévenant les salariés de la société Gros qu'ils allaient être licenciés, illustre la négligence et la mauvaise foi de la société Floria Création. Enfin, il ressort de tableaux versés aux débats retraçant les prix des fleurs consentis à la société Gros et à d'autres franchisés début 2013, que les prix destinés à la société Gros étaient plus élevés que ceux consentis à ces derniers. Si la société Gros évoque cet élément pour démontrer que, loin de l'assister, le franchiseur l'a désavantagée dans la concurrence, la société Floria Création feint de ne pas comprendre le grief qui lui est ainsi fait.
La société Gros s'est acquittée de redevances de franchise de 5 % du montant brut hors taxes de ses ventes mensuelles (article 14.2.1 du contrat).
Il y a donc lieu de condamner la société Floria Création à lui verser la somme de 49 000 , correspondant à ces redevances, calculées sur la base de ses comptes d'exploitation de 2007 à 2013.
Le jugement entrepris sera donc infirmé sur le quantum alloué à la société Gros.
Sur la créance de la société Floria Création sur la société Gros
La société Gros estime que le non-paiement des factures réclamées par la société Floria Création est justifié par l'exception d'inexécution dans la mesure où la société Floria Création a elle-même manqué à ses obligations contractuelles.
Il y a lieu d'approuver la société Floria Création, qui estime que la société Gros ne démontre pas que le défaut d'assistance de la part du franchiseur lui aurait permis de faire jouer l'exception d'inexécution, et que les factures seraient dépourvues de cause.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a fixé la créance de la société Floria Création à la somme de 5 508,78 euros au passif de la société Gros.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Succombant au principal, la société Floria Création sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel et à payer à Maître Blanchard, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gros, la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris, sauf sur le quantum de dommages-intérêts alloués à la Société Gros ; L'infirme sur ce point ; Condamne la société Floria Création à payer à Maître Blanchard, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gros, la somme de 49 000 euros ; y ajoutant, dit prescrite l'action en dommages-intérêts contre la société Floria Création au titre du manquement du franchiseur à son obligation d'information ; Condamne la société Floria Création aux dépens de l'instance d'appel ; Condamne la société Floria Création à payer à Maître Blanchard, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Gros, la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.