CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 4 octobre 2017, n° 16-06208
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Rolex France (Sasu)
Défendeur :
Ors Diamant Blanc (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
President :
Mme Luc
Conseillers :
Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas
Avocats :
Mes Fajgenbaum, Lugosi, Barnaud-Campana
FAITS ET PROCÉDURE
Vu le jugement rendu le 29 février 2016 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :
- condamné la société Rolex France à payer à la société Ors Diamant Blanc la somme de 320 000 en réparation des préjudices subis du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie, outre l'intérêt légal à compter du 4 mars 2014 jusqu'à complet paiement et la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ainsi que la somme de 15 000 par application de l'article 1154 du Code de procédure civile,
- débouté la société Ors Diamant Blanc du surplus de ses demandes,
- débouté la société Rolex France de sa demande reconventionnelle,
- condamné la société Rolex France aux dépens ;
Vu l'appel relevé par la société Rolex France et ses dernières conclusions notifiées le 22 mai 2017 par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1382 du Code civil ainsi que des articles 7, 16 et 132, 64 et 70, 699 et 700 du Code de procédure civile, de :
- à titre liminaire, écarter des débats le CD-R communiqué par la société Ors Diamant Blanc et, par voie de conséquence, tous les fichiers qu'il contient,
- infirmer le jugement en ce qu'il :
* l'a condamnée à payer à la société Ors Diamant Blanc la somme de 220 000 en réparation du préjudice au titre de la rupture brutale de la relation commerciale outre l'intérêt légal à compter du 4 mars 2014 et la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil,
* l'a condamnée à payer à la société Ors Diamant Blanc la somme de 100 000 en réparation de son préjudice d'image et de réputation,
* l'a condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 15 000 par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Ors Diamant Blanc du surplus de ses demandes,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle tendant à la condamnation de la société Ors Diamant Blanc au titre de ses agissements parasitaires,
- statuant à nouveau :
* débouter la société Ors Diamant Blanc de l'ensemble de ses demandes en ce compris celles présentées au titre de son appel incident,
* dire que sa demande reconventionnelle présente un lien suffisant avec les prétentions originaires exposées devant le tribunal par la société Ors Diamant Blanc,
* condamner la société Ors Diamant Blanc à lui payer la somme de 42 213 au titre des agissements parasitaires et fautifs qu'elle a commis du fait de la revente hors réseau des produits de la marque Rolex, en contravention avec les dispositions de l'accord de distribution sélective régularisé les 26 octobre et 3 novembre 2005,
* condamner la société Ors Diamant Blanc à lui payer la somme de 20 000 par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
* la condamner aux dépens de première instance et d'appel ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 18 juillet 2016 par la société Ors Diamant Blanc qui demande à la cour, de :
- déclarer recevable et fondé son appel incident,
- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté la rupture brutale des relations commerciales entre les parties ainsi que l'existence d'une perte d'image et de réputation devant être indemnisées par la société Rolex France,
- débouter la société Rolex France de toutes ses demandes et faire droit aux siennes,
- condamner la société Rolex France à lui payer la somme de 1 950 000 en réparation de l'intégralité de son préjudice selon le décompte suivant :
* 990 000 correspondant à 5 ans de marge brute des produits Rolex, sur la base d'une marge brute de 220 000 par an, après déduction des 6 mois de préavis exécutés, par application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
* 500 000 , à titre de dommages-intérêts, en réparation de la perte d'image et de réputation subie du fait de la rupture brutale des relations commerciales en application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et du fait de la responsabilité contractuelle ou, à défaut, de la responsabilité quasi délictuelle sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,
* 220 000 , à titre de dommages-intérêts, sur le fondement des articles 1134, 1147 et suivants du Code civil ou subsidiairement de l'article 1382 du Code civil, en réparation du préjudice subi du fait du comportement déloyal et de l'abus de faiblesse commis par la société Rolex France,
* 220 000 sur le fondement de l'article L. 420-2, alinéa 2 du Code de commerce, du fait de sa dépendance économique,
* 20 000 en réparation de son préjudice moral,
- dire que les condamnations mises à la charge de la société Rolex France seront assorties des intérêts de droit à compter de l'assignation, lesdits intérêts se capitalisant dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil,
- dire que, dans l'hypothèse d'une exécution forcée des condamnations à intervenir, le montant des sommes retenues par l'huissier en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 n° 96.1080 devra être supporté par la société Rolex France en sus de l'application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- confirmer le jugement sur l'irrecevabilité de la demande reconventionnelle de la société Rolex France,
- débouter la société Rolex France de sa demande reconventionnelle comme "irrecevable", injustifiée, mal fondée en dans son principe et son montant,
- rejeter cette demande constituant un enrichissement sans cause de la société Rolex France,
- dire que les demandes de la société Rolex France se heurtent à la prescription de 5 ans de l'article L. 110-4 du Code de commerce,
- condamner la société Rolex France à lui payer la somme de 20 000 à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et celle de 20 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner à supporter les dépens ;
SUR CE
Considérant que par lettre recommandée du 4 juillet 2012, la société Rolex France a confirmé à la société Ors Diamant Blanc sa décision de mettre fin au contrat de distribution sélective Rolex signé les 26 octobre et 3 novembre 2005, portant sur son point de vente situé 50 rue Saint Ferréol à Marseille; qu'elle y rappelait l'article 10 du contrat à durée indéterminée aux termes duquel chacune des parties pouvait procéder à sa résiliation en observant un préavis de six mois et précisait, en conséquence, que la convention les liant prendrait fin dans le délai de six mois à compter de la présentation de cette lettre ;
Que dans sa réponse du 26 juillet 2012, la société Ors Diamant Blanc a réitéré sa demande d'un délai supplémentaire d'une année pour la commercialisation de la marque Rolex rue Saint Ferréol ;
Que par lettre recommandée du 5 septembre 2012, la société Rolex France a donné son accord à la société Ors Diamant Blanc pour un préavis de résiliation d'une durée totale d'une année commençant à courir à compter de la date de réception de sa lettre du 4 juillet 2012, ajoutant qu'elle avait pris bonne note de son souhait de créer ultérieurement une boutique mono-marque Rolex mais que ce type de projet était encore au stade d'une réflexion non aboutie au sein de Rolex France ;
Que le 5 mars 2013, la société Ors Diamant Blanc a sollicité un délai supplémentaire en indiquant, pour le projet de boutique mono-marque Rolex, que deux enseignes situées rue Grignan se libèreraient à la fin du premier semestre 2014 ; que le 14 mars 2013, la société Rolex France l'a informée qu'elle refusait de prolonger à nouveau le délai de préavis et que le contrat prendrait fin début juillet 2013, confirmant les termes de sa lettre du 5 septembre 2012 relatifs à son souhait de création d'une boutique mono-marque Rolex ;
Considérant que le 4 mars 2014, la société Ors Diamant Blanc a fait assigner la société Rolex France devant le Tribunal de commerce de Paris en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de la cessation brutale de leur relation commerciale ; que par le jugement déféré, le tribunal a retenu qu'un préavis de 2 ans aurait dû être respecté, a condamné la société Rolex France au paiement de la somme de 220 000 correspondant à une perte de marge brute d'une année outre celle de 100 000 pour préjudice d'image et de réputation ; qu'il a débouté la société Ors Diamant du surplus de ses demandes et a rejeté la demande reconventionnelle de la société Rolex France pour défaut de connexité avec la demande principale ;
Qu'il convient d'examiner successivement les demandes des parties devant la cour ;
1) Sur la demande de la société Rolex France tendant à voir écarter des débats le CD-R produit par la société Ors Diamant Blanc :
Considérant que la société Ors Diamant Blanc n'a pas répondu à cette demande ; qu'aucun CD-R n'est mentionné dans son bordereau des pièces communiquées annexé à ses dernières conclusions ; qu'en conséquence, cette pièce et les fichiers qu'il contient doivent être écartés des débats sur le fondement des articles 16 et 132 du Code de procédure civile et plus généralement du principe du contradictoire ;
2) Sur la demande de la société Ors diamant en paiement de la somme de 990 000 :
Considérant que la société Ors Diamant Blanc fonde sa demande sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce en soutenant qu'un préavis de 5 ans aurait dû être respecté alors qu'elle n'a bénéficié que d'un délai de 6 mois et qu'elle doit être indemnisée sur la base d'une perte de marge brute de 220 000 par an ; qu'elle invoque en ce sens :
- l'ancienneté de la relation commerciale établie qui a débuté en 1962, reprochant à la société Rolex France de n'avoir reconnu cette ancienneté qu'en cours de procédure et après communication par elle-même d'éléments justificatifs,
- le fait qu'un délai de 6 mois supplémentaire n'a été consenti par la société Rolex France que dans son intérêt propre pour lui permettre d'implanter un autre point de vente, tout en continuant à vendre des montres Rolex dans le sien,
- l'absence d'accord sur la durée du préavis et le fait qu'elle n'a renoncé à aucun de ses droits,
- la grande notoriété de la marque Rolex, les investissements qu'elle a dû réaliser et l'importance croissante que représentaient les ventes de produits de marque Rolex dans son chiffre d'affaires, passant de 50 % en 2008 à 60 % en 2012,
- son état de dépendance économique ;
Qu'elle fixe sa perte de marge brute annuelle à 220 000 en se référant, d'une part à l'attestation de son expert-comptable Monsieur Giraud qui retient un montant de 225 504 pour l'année 2011 et de 223 245 pour l'année 2012, d'autre part à l'avis de Monsieur Cardon, expert agréé auprès de la Cour de cassation et de la Cour d'appel de Paris, qui évalue à 209 000 la perte de marge brute annuelle moyenne au titre des années 2011 et 2012 ;
Considérant que la société Rolex France, qui ne conteste pas l'ancienneté de la relation commerciale, soutient pour l'essentiel :
- qu'un accord est intervenu entre les parties sur le délai de préavis de 12 mois et qu'en raison de cet accord qui les lie la demande de la société Ors Diamant blanc ne peut prospérer, étant irrecevable ou en tout cas mal fondée,
- que ce délai de 12 mois était suffisant pour permettre à la société Ors Diamant Blanc de démarcher d'autres fournisseurs de montres de luxe et/ou de prestige et de redéployer son activité,
- que la commercialisation de plusieurs marques de qualité comparable à la marque Rolex constitue une condition inhérente au système de distribution sélective - toute obligation de non-concurrence étant proscrite en ce domaine par l'article 5 du règlement d'exemption UE n° 330/2010 - et que la société Ors Diamant Blanc, commerçant indépendant et maître de sa stratégie commerciale, ne se trouvait nullement en situation de dépendance économique,
- que l'avis donné par Monsieur Cardon sur la marge annuelle brute que procurait la vente des montres Rolex ne constitue qu'une estimation, le montant du chiffre d'affaires des réparations de ces montres, non connu, étant basé sur l'hypothèse qu'il serait proportionnel au montant des ventes de montres Rolex par rapport aux ventes totales des montres, hors celles vendues à l'export alors que, du fait de leur qualité, celles-ci sont moins sujettes à réparation que les autres,
- que dans cet avis, la marge brute annuelle retenue est en moyenne de 209 000 pour les années 2011 et 2012 et la société Ors Diamant Blanc ne fournit aucune explication sur la marge annuelle brute de 220 000 réclamée,
- que la société Ors Diamant Blanc qui a procédé à des exportations importantes de montres Rolex, comme relevé dans cet avis, a agi en contravention aux stipulations du contrat qui prohibait toutes exportations sauf dans un pays appartenant à l'Union Européenne ou l'Association Européenne de libre échange ou dans un pays européen ayant conclu un accord de libre-échange avec la Communauté Européenne et que son chiffre d'affaires doit être diminué du montant des ventes à l'export non justifiées ;
Considérant que la société Ors Diamant Blanc qui n'a jamais renoncé à contester la durée du préavis consenti par la société Rolex France est recevable en sa demande ;
Qu'il convient de rappeler que seule la brutalité de la rupture, et non la rupture de la relation commerciale établie, peut ouvrir droit à réparation par application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
Que la société Ors Diamant Blanc ne bénéficiait d'aucune exclusivité et qu'il lui incombait au cours des relations contractuelles de proposer à la vente des marques haut de gamme concurrentes de la marque Rolex ; que même si la vente des montres de marque Rolex représentait 41 % des ventes de ses montres, elle ne se trouvait pas dans une situation de dépendance économique ;
Que cependant, eu égard à l'ancienneté de la relation, soit une cinquantaine d'années, au temps nécessaire à la société Ors Diamant Blanc pour réorganiser son activité et à la difficulté de retrouver d'autres fournisseurs répondant aux mêmes critères de luxe et de prestige que la société Rolex France, le préavis aurait dû être de 18 mois ; que celui de 12 mois déjà accordé a été effectif puisque la société Ors Diamant Blanc a pu continuer à vendre des montres Rolex pendant ce laps de temps ;
qu'en conséquence son indemnisation sera calculée sur sa perte de marge pendant une durée de 6 mois ; qu'au regard des éléments comptables résultant de l'avis de Monsieur Cardon et de l'absence de précision sur le chiffre d'affaires de réparation des montres Rolex, en prenant en considération l'intégralité des ventes de montres de marque Rolex, il y a lieu de fixer la perte de marge pour 6 mois à 100 000 ; que cette somme produira intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance par application de l'article 1153-1 du Code civil; que la capitalisation des intérêts doit être ordonnée dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil ;
3) Sur la demande de la société Ors Diamant Blanc en paiement de la somme de 500 000 :
Considérant que la société Ors Diamant Blanc prétend avoir subi un préjudice d'image et de réputation du fait de la rupture brutale des relations commerciales, dont elle demande réparation sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de la responsabilité contractuelle ou subsidiairement de la responsabilité quasi-délictuelle ;
Mais considérant qu'elle ne produit aucune pièce de nature à démontrer que la société Rolex France l'aurait dénigrée ou aurait porté atteinte de quelque façon que ce soit à son image et à sa réputation lors de la rupture de leurs relations ; que les quatre attestations qu'elle verse aux débats sont celles de clients qui déclarent seulement avoir acheté des montres Rolex dans son établissement ; qu'en conséquence sa demande sera rejetée ;
4) Sur la demande de la société Ors Diamant Blanc en paiement de la somme de 220 000 pour comportement déloyal et abus de faiblesse :
Considérant que la société Ors Diamant Blanc fonde ce chef de demande sur les articles 1134 et 1147 du Code civil et, subsidiairement sur les articles 1382 et suivants du Code civil ; qu'elle expose :
- que la rupture brutale, sans préavis suffisant et sans motif, de la relation commerciale établie depuis un demi-siècle a concouru à la réalisation de son entier dommage en ce inclus ses préjudices accessoires,
- qu'elle subit la concurrence d'un point de distribution exclusif de la marque Rolex implanté à proximité de son fonds de commerce ainsi qu'il ressort du constat d'huissier de justice dressé le 20 novembre 2014,
- que contrairement à ses propositions, la société Rolex France a toujours eu l'intention de confier à la société Frojo l'ouverture de sa boutique mono-marque ;
Mais considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats que dans sa lettre du 25 juin 2012, la société Ors Diamant Blanc a pris acte de l'intention de la société Rolex France de retirer la marque de son point de vente 50 rue Ferréol et de sa proposition de créer une boutique mono marque Rolex dans un environnement qui leur conviendrait à toutes les deux, précisant qu'elle cherchait activement un emplacement et joignant un plan de commercialisation de la galerie marchande "La Valentine" dont l'ouverture était prévue en 2014 ; que dans sa lettre du 5 mars 2013, elle s'est bornée à informer la société Rolex France que deux enseignes situées rue Grignan, dans le secteur l'intéressant, se libéreraient à la fin du premier semestre 2014 ; que pour sa part, dans ses lettres des 5 septembre 2012 et 14 mars 2013, la société Rolex France lui a indiqué que le projet de boutique mono-marque Rolex était toujours en cours de réflexion ;
Qu'en cet état, la société Ors Diamant Blanc ne démontre pas que la société Rolex France lui aurait donné des assurances concernant la création d'une boutique mono-marque, laquelle était subordonnée à la recherche et la découverte d'un emplacement correspondant aux critères de la marque Rolex, ni qu'elle l'aurait entretenue dans l'idée que ce projet, envisagé dans un premier temps, allait aboutir à son profit ; qu'elle ne rapporte la preuve d'aucune faute au soutien de sa demande qui sera donc rejetée ;
5) Sur la demande de la société Ors Diamant Blanc en paiement de la somme de 220 000 du fait de sa dépendance économique:
Considérant qu'au soutien de cette demande, la société Ors Diamant Blanc fait valoir que les conditions requises pour l'application de l'article L. 420-2 alinéa 2 du Code de commerce sont réunies, à savoir l'importance de la part du fournisseur Rolex dans son chiffre d'affaires, la notoriété de la marque, l'importance de la part de marché de la société Rolex France et l'impossibilité pour elle d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents ;
Mais considérant que l'article L. 420-2 alinéa 2 dispose, au titre des pratiques anticoncurrentielles : " Est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées au I de l'article L. 442-6 ou en accords de gamme " ;
Que la société Rolex France soutient à juste raison que la société Ors Diamant Blanc avait la possibilité de s'approvisionner en produits d'horlogerie équivalents aux siens, le marché des montres de luxe et de prestige comprenant un grand nombre de fabricants et de fournisseurs ;
Que la demande d'indemnisation pour exploitation abusive d'un état de dépendance économique est mal fondée ;
6) Sur les demandes de dommages-intérêts pour préjudice moral et résistance abusive :
Considérant que la société Ors Diamant Blanc ne démontre pas l'existence d'un préjudice moral dont elle aurait souffert ;
Que la résistance de la société Rolex France à ses prétentions ne présente aucun caractère abusif ; Qu'en conséquence, la société Ors Diamant Blanc sera déboutée de ces deux demandes;
7) Sur la demande de la société Rolex France en paiement de la somme de 42 213 pour agissements parasitaires :
Considérant que la société Rolex France reproche à la société Ors Diamant Blanc d'avoir vendu des montres hors réseau en contravention avec l'article 3 du contrat de distribution sélective ; qu'elle expose que les ventes à l'exportation sont interdites, hormis celles pour des clients de passage et établies par une détaxe ; qu'analysant le poste " ventes de montres à l'export " figurant dans l'avis de Monsieur Cardon pour la période 2008 à 2012 et les pièces justificatives fournies par la société Ors Diamant Blanc, elle allègue que cette dernière ne justifie pas d'une part importante de ces ventes ; qu'elle ajoute que ces ventes illicites constituent des manquements graves au contrat de distribution, qui auraient justifié sa rupture si elle en avait eu connaissance, en ce qu'elles rompent le principe de non-discrimination entre revendeurs et permettent la mise de produits sur le marché par des distributeurs non agréés ; qu'elle prétend que ces ventes hors réseau lui ont causé préjudice dans la mesure où elle a livré des quantités importantes à son distributeur alors que les montres Rolex sont produites en quantités limitées et que les distributeurs agréés peuvent ne pas être livrés de l'intégralité de leurs commandes ; qu'en réparation, elle demande la somme de 42 213 correspondant à la marge moyenne nette (24,20 %) réalisée par la société Ors Diamant Blanc du fait de la vente hors réseau ;
Considérant que la société Ors Diamant Blanc soulève en premier lieu l'irrecevabilité de la demande pour absence de lien de connexité, au motif qu'elle porte sur l'exécution du contrat auquel il a été mis fin ;
Mais considérant que la demande reconventionnelle de la société Rolex France qui se rattache par un lien suffisant aux prétentions originaires de la société Ors Diamant blanc portant sur la brutalité de la rupture des relations commerciales est recevable par application de l'article 70 du Code de procédure civile ;
Considérant que la société Ors Diamant Blanc oppose ensuite la prescription de l'action par application de l'article L. 110-4 du Code de commerce ;
Mais considérant qu'il apparaît que la société Rolex France a formé sa demande reconventionnelle par conclusions du 10 avril 2015 après communication des pièces de la société Ors Diamant Blanc le 2 décembre 2014 ; qu'il n'est pas établi qu'elle aurait eu connaissance avant cette date des modalités de vente de ses montres et de l'identité des acquéreurs ; que dès lors son action n'est pas prescrite ;
Considérant que la société Ors Diamant Blanc souligne que la charge de la preuve incombe à la société Rolex France ; qu'elle fait valoir que toutes les ventes HT à l'exportation l'ont été de façon régulière à des clients français qui résidaient à l'étranger ou à des étrangers de passage à Marseille, ce dont elle justifie par sa production de pièces ;
Mais considérant que l'article 3 du contrat de distribution sélective rappelle au distributeur agréé l'interdiction de vente des produits hors réseau ; que si la société Ors Diamant Blanc a versé aux débats des factures et des bordereaux visés par la douane confirmant des ventes de montres à des particuliers, ces pièces ne justifient pas de la régularité de l'intégralité des ventes à l'export figurant dans ses comptes ainsi qu'il ressort de l'analyse de la société Rolex France et du tableau de synthèse figurant en page 35 des conclusions de celle-ci ;
Considérant que pour contester le préjudice invoqué par la société Rolex France, la société Ors Diamant Blanc fait valoir :
- que le contrat ne stipule aucune indemnité en cas de vente hors réseau, l'article 4 prévoyant seulement que le distributeur agréé sera tenu, à la demande de Rolex, de procéder au rachat des produits concernés et, en cas d'inexécution de cette obligation, le rachat par Rolex aux frais du distributeur,
- que la société Rolex France n'a subi aucun préjudice puisqu'elle a vendu ses montres,
- que seuls les distributeurs agréés de l'état étranger peuvent subir un préjudice et ont qualité pour agir,
- qu'il n'existe aucun lien de causalité entre les ventes prétendument illicites et la perte de marge réclamée ;
Considérant que la société Rolex France ne démontre pas s'être trouvée en difficulté pour livrer d'autres distributeurs ; qu'elle ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un préjudice en relation directe de cause à effet avec les manquements contractuels imputés à la société Ors Diamant Blanc ; qu'en conséquence elle sera déboutée de sa demande reconventionnelle ;
8) Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile :
Considérant que la société Rolex France, qui reste débitrice à l'égard de la société Ors Diamant Blanc, doit supporter les dépens ;
Qu'en application de l'article 700 du Code de procédure civile, il y lieu d'allouer la somme de 10 000 à la société Ors Diamant Blanc et de rejeter la demande de la société Rolex France de ce chef ;
Par ces motifs : LA COUR, Écarte des débats le CD-R versé aux débats par la société Ors Diamant Blanc et tous les fichiers qu'il contient ; Infirme le jugement ; et statuant à nouveau, Condamne la société Rolex France, par application de l'article L. 442-6, I, 5°, à payer à la société Ors Diamant Blanc la somme de 100 000 avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance ; Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil; Dit qu'à défaut de règlement spontané des condamnations, le montant des sommes retenues par l'huissier de justice en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification du décret du 12 décembre 1996 n° 96/1080 sera supporté par la société Rolex France en sus de la somme allouée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute la société Ors Diamant Blanc de toutes ses autres demandes ; Déclare la société Rolex France recevable mais mal fondée en sa demande reconventionnelle, en conséquence, Déboute la société Rolex France de sa demande en paiement de la somme de 42 213 ; Condamne la société Rolex France aux dépens de première instance et d'appel ; Condamne la société Rolex France à payer la somme de 10 000 à la société Ors Diamant Blanc par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette la demande de la société Rolex France au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.