Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 13 octobre 2017, n° 15-03694

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Parfip France (SAS)

Défendeur :

Hennette Frères (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Lis Schaal, M. Thomas

Avocats :

Mes Moret, Beaufils

T. com. Paris, du 22 janv. 2015

22 janvier 2015

Faits et procédure

La société Hennette Frères (Hennette), exerçant sous l'enseigne Hennette Pneus, a conclu, les 21 février et 23 mai 2008, deux contrats de location de matériel de vidéosurveillance et de prestation de maintenance avec la société Innovatys, pour un loyer de 130 euros HT par mois au titre du premier contrat et de 120 euros HT par mois au titre du second.

La société Innovatys a cédé les contrats à la société Parfip France, laquelle a financé le matériel et adressé, à la société Hennette, deux échéanciers de paiement.

La société Safetic, venant aux droits de la société Innovatys, a été placée en liquidation judiciaire le 13 février 2012.

Par courrier du 15 février 2012, la société Hennette a notifié à la société Parfip qu'elle résiliait les deux contrats.

Par assignation délivrée le 28 novembre 2013, la société Parfip a assigné la société Hennette devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de voir prononcer la résiliation des contrats à effet du 27 octobre 2013 aux torts de la société Hennette et condamner cette dernière à lui verser la somme de 4 162,08 euros au titre des loyers impayés, outre les majorations contractuellement prévues de 332,96 euros.

Par jugement rendu le 22 janvier 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit la société Parfip recevable en ses demandes ;

- prononcé la résiliation des contrats, à effet du 15 février 2012 ;

- condamné la société Hennette à verser à la société Parfip la somme de 299 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 27 octobre 2013 ;

- débouté la société Parfip de sa demande de restitution du matériel ;

- dit la société Hennette être le gardien du matériel, désormais sous sa responsabilité civile;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- condamné la société Parfip au paiement à la société Hennette de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

- condamné la société Parfip aux dépens.

La société Parfip a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

Prétentions des parties

La société Parfip France, par dernières conclusions signifiées le 29 avril 2015, demande à la cour de :

- recevoir la société Parfip en son appel et la déclarer bien fondée ;

- prononcer la résiliation du contrat signé entre les parties à effet du 27 octobre 2013, soit huit jours après la mise en demeure ;

- condamner la société Hennette à verser à la société Parfip la somme de 4 162,08 euros, montant des loyers impayés, outre les majorations contractuellement prévues de 332,96 euros et les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure ;

- ordonner à la société Hennette de procéder à la restitution du matériel au siège social de la société Parfip, et ce, à ses frais exclusifs et sous astreinte de 50 euros par jour de retard, dans les dix jours de la signification de la décision à intervenir ;

- condamner la société Hennette à verser à la société Parfip la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Sur son intérêt à agir, Parfip soutient qu'elle intervient en qualité de cessionnaire des deux contrats, conformément à l'article 14 des conditions générales, qu'elle a réglé le matériel de vidéosurveillance et qu'elle a donc intérêt à agir ; elle indique que la société Hennette ne peut raisonnablement nier le transfert de propriété des contrats alors qu'elle lui a versé, pendant quatre ans, des mensualités et qu'elle lui a remis des autorisations de prélèvement et des relevés d'identité bancaire.

Elle fait également valoir que les contrats de location ont été conclus pour une durée de 60 mois, et non de 48 mois, que les échéanciers transmis à la société Hennette mentionnait une durée de 60 mois et que cette dernière n'a jamais remis en cause une telle durée avant le présent litige. Elle précise que la société Hennette n'a pas justifié l'interruption du paiement des loyers par la durée excessive des contrats mais en prétextant un dysfonctionnement du matériel.

Sur la résiliation des contrats, Parfip soutient que la liquidation judiciaire de la société Innovatys n'a pas entraîné la caducité du contrat de maintenance du matériel de vidéosurveillance, si bien que la société Hennette ne peut invoquer ladite procédure collective pour justifier de l'inexécution des prestations par la société Innovatys. Elle prétend également que la société Hennette ne rapporte pas plus la preuve de l'impossibilité d'utiliser le matériel de vidéosurveillance. Elle rappelle que l'article 3 des conditions générales du contrat de maintenance permet en outre à la société Hennette de s'adresser à tout autre prestataire en cas de défaillance de la société Innovatys et dédouane le loueur de toute responsabilité quant à l'exécution des prestations. Elle ajoute qu'elle a fait intervenir, à titre de geste commercial, une autre société de maintenance afin de tester le matériel de vidéosurveillance de la société Hennette et que le diagnostic a conclu à un parfait fonctionnement dudit matériel. Elle en déduit que la société Hennette ne pouvait résilier le contrat de location.

La société Hennette, par conclusions signifiées le 23 juin 2015, demande à la cour de :

- déclarer la société Parfip irrecevable et mal fondée en son appel ;

- juger que la société Hennette est recevable et bien fondée en ses demandes ;

- en conséquence, confirmer purement et simplement le jugement entrepris ;

- fixer la durée initiale des contrats des 21 février 2008 et 23 mai 2008 à 48 mois ;

- constater que la résiliation des contrats est régulièrement intervenue le 15 février 2012, aux torts exclusifs de l'appelante ;

- subsidiairement, ramener la demande de paiement de la société Parfip à la somme de 2 583,36 euros ;

- débouter la société Parfip du surplus de ses demandes ;

- en tout état de cause, condamner la société Parfip à payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Hennette explique que la durée initiale de 48 mois du contrat figure sur la première page des conditions particulières et sur la première page des conditions générales du contrat d'abonnement, qu'il n'a donc jamais été convenu que les contrats conclus les 21 février et 23 mai 2008 soient prolongés d'une durée de 12 mois. Elle prétend que la société Parfip a simplement modifié la durée indiquée par une surcharge manuscrite au stylo alors qu'aucune modification ne pouvait être décidée unilatéralement. Elle rappelle que cette mention rajoutée n'a pas été paraphée par les deux parties au contrat. Elle ajoute que la société Parfip a envoyé les échéanciers de loyers par lettre simple et que ces documents ne permettent donc pas de prouver l'accord des parties sur l'allongement de la durée des contrats.

Sur la résiliation des contrats, Hennette rappelle qu'elle n'a pas conclu un contrat de location de matériel de vidéosurveillance le 21 février 2008 puis un contrat de maintenance le 23 mai 2008, mais deux contrats comportant chacun une partie " location " et une partie " prestations de maintenance ". Elle prétend donc que les loyers versés à la société Parfip correspondent donc tant à la mise à disposition du matériel de vidéosurveillance qu'à l'entretien de celui-ci. Elle en déduit que la société Parfip était responsable de la bonne exécution des prestations et qu'elle ne peut invoquer la clause exonératoire de responsabilité figurant à l'article 3 des conditions générales des contrats, cette clause devant être déclarée nulle et inopposable en raison de l'invalidation, par la cour de cassation, des clauses d'indépendance des contrats.

Elle soutient que la société Parfip ne démontre pas que les prestations de maintenance mise à sa charge se sont poursuivies après la mise en liquidation judiciaire de la société Innovatys. Elle affirme que la société Parfip est certes intervenue pour résoudre le dysfonctionnement du matériel, mais plus de deux mois après le courrier annonçant à cette dernière la résiliation des contrats, et que la société Parfip a manqué à ses obligations et que cette carence justifiait l'arrêt du paiement des loyers et la résiliation des contrats.

Subsidiairement, Hennette soutient que le contrat du 21 février 2008, d'une durée de 48 mois, reconduit pour un an, doit voir son terme fixé le 21 février 2013. Elle explique que le contrat du 23 mai 2008, à effet au 10 juin 2008, doit, quant à lui, voir son terme fixé le 10 juin 2012.

Elle en déduit que la société Parfip peut, au maximum, réclamer la somme de 1 865,76 euros au titre des loyers impayés pour le contrat du 21 février 2008 (12 échéances de 155,48 euros de février 2012 à février 2013) et celle de 717,60 euros au titre des loyers impayés pour le contrat du 23 mai 2008 (5 échéances de 143,52 euros de février à juin 2012).

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

MOTIFS

Considérant que la société Hennette a conclu avec la société Innovatys, les 21 février et 23 mai 2008, deux contrats de mise à disposition d'installation de vidéosurveillance, comportant chacun une partie location et une partie prestations de maintenance ;

Sur la recevabilité des demandes de la société Parfip

Considérant que la société Hennette prétend que la société Parfip est dépourvue de qualité à agir dès lors qu'à défaut de lui avoir été signifiée ou simplement notifiée, la cession des contrats de location et de maintenance au profit de la société Parfip lui est inopposable ;

Mais considérant que l'article 14 des conditions générales des contrats des 21 février et 23 mai 2008 prévoient que " le locataire reconnaît au loueur le droit de transférer la propriété des matériels, objet des présentes et de céder les droits résultant des présentes au profit notamment de l'une des sociétés désignées à l'article 13.4. Le locataire reconnaît expressément que par l'effet de cette cession, le cessionnaire est subrogé dans le bénéfice de l'autorisation de prélèvement signée à l'origine [...]. De telles cessions sont d'ores et déjà acceptées sans réserve par le locataire et seront portées à sa connaissance par tout moyen, à l'initiative soit du loueur, soit de toute cessionnaire. Cette cession sera connue du locataire par la réception de l'échéancier valant facturation, le prélèvement qui sera ou l'inscription au greffe du tribunal du siège du locataire " ; que Hennette a été informée de la cession par l'envoi, par Parfip, des échéanciers de paiement des loyers que Hennette ne conteste pas avoir reçus ; qu'il en résulte que la cession des contrats est opposable à Hennette; que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a reconnu la qualité à agir de Parfip et a dit cette dernière recevable ;

Sur la résiliation des contrats de maintenance et de location

Considérant que la société Hennette invoque, au soutien de la résiliation des contrats de location aux torts de Parfip, les manquements de cette dernière dans l'exécution des prestations de maintenance du matériel ;

Mais considérant que, si un loyer unique est payé à Parfip au titre à la fois de la location et de la maintenance du matériel, il résulte des contrats que l'exécution des prestations de maintenance incombaient non à Parfip, mais à Innovatys ;

Considérant que le seul prononcé de la liquidation judiciaire n'a pas entraîné la résiliation du contrat de maintenance en cours ;

Qu'en application de la notion d'interdépendance des contrats, l'anéantissement du contrat de location ne peut être prononcé que par suite de la résiliation du contrat de maintenance ; que la résiliation de ce dernier contrat ne peut être prononcée en l'absence, dans la cause, de la société Innovatys ; que la société Hennette doit, en conséquence, être déboutée de sa demande de résiliation du contrat de maintenance, et par suite, de sa demande de résiliation du contrat de location ; que le jugement entrepris sera infirmé en ce sens ;

Sur la demande de la société Parfip de condamnation de la société Hennette

Considérant qu'il est constant que les loyers n'ont pas été payés par la locataire à compter de février 2012 ; qu'il convient en conséquence de constater, à la date d'effet de la mise en demeure du 19 octobre 2013 (pièce Parfip 13), soit le 27 octobre 2013, l'acquisition de la clause résolutoire de l'article 10 des contrats de location et de prononcer la résiliation de ces contrats aux torts de la société Hennette;

Considérant que Parfip est, en application de l'article 10 des conditions générales des contrats, fondée à obtenir le paiement des loyers impayés ; que, contrairement à ce qu'affirme la société Hennette, la clause résolutoire de l'article 10 n'est pas de nature à créer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce, en défaveur du locataire, dès lors que :

- elle répond à la situation spécifique des manquements contractuels imputables au locataire puisqu'elle vise d'une part à contraindre ce dernier à l'exécution du contrat, d'autre part à réparer forfaitairement le préjudice effectivement subi par le bailleur en cas de résiliation de la convention ;

- ne concernant que ces manquements, elle n'a pas, par définition, vocation à s'appliquer dans l'hypothèse où le loueur n'exécuterait pas lui-même ses propres obligations et où le contrat serait résilié à ses torts ;

Considérant que, si le contrat conclu le 23 mai 2008, à effet du 10 juin 2008 a été initialement conclu pour une durée de 48 mois, il a été porté à 60 mois ainsi que l'atteste l'exemplaire produit par Parfip ainsi que l'échéancier des paiements que Hennette ne discute pas avoir reçu et qu'il ne prétend pas avoir contesté ; que la société Hennette ne peut donc prétendre que le contrat à effet du 10 juin 2008 a pris fin le 10 juin 2012 ; que Parfip est fondée à obtenir le paiement des échéances du 10 février 2012 au 10 mai 2013, soit la somme de 4 162,08 euros ; que la cour condamnera la société Hennette au paiement de ce montant, avec intérêts au taux légal à compter du 27 octobre 2013 ;

Considérant que l'indemnité contractuelle de 8 %, constituant une pénalité sur une pénalité, est d'un montant manifestement excessif ; que la cour fera application de l'article 1152 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et ramènera cette indemnité à la somme d'un euro;

Considérant, sur la demande de restitution des matériels, que l'article 10.3 des conditions générales des contrats de location prévoit qu'en cas de résiliation du contrat (...), le locataire s'oblige à restituer immédiatement à ses frais exclusifs le produit, ainsi que la documentation y afférent au lieu que lui indiquera le loueur ; qu'il convient d'ordonner à la société Hennette de procéder à la restitution du matériel au siège social de Parfip, à ses frais exclusifs et sous astreinte ;

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, infirme le jugement entrepris ; statuant à nouveau ; prononce la résiliation des contrats aux torts de la SARL Hennette Frères ; condamne la SARL Hennette Frères à payer à la SAS Parfip France la somme de 4 162,08 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 27 octobre 2013, outre la somme d'un euro au titre de l'indemnité contractuelle ; ordonne à la SARL Hennette Frères de procéder à la restitution du matériel au siège social de la SAS Parfip France, à ses frais exclusifs et sous astreinte de 50 euros par jour de retard, dans les dix jours de la signification du présent arrêt ; déboute la SAS Parfip France du surplus de ses demandes ; dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; condamne la SARL Hennette Frères aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.