CA Amiens, ch. économique, 5 octobre 2017, n° 15-05373
AMIENS
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Poclain Hydraulics Industrie (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gilibert
Conseillers :
Mme Pelissero, Paulmier-Cayol
Décision
La commune de Saumur a acheté une balayeuse de trottoirs de type Azura 2 à la SA M. en application d'un marché notifié le 9 août 2002. Le véhicule a été réceptionné le 12 novembre 2002.
Le 19 mai 2003, un employé municipal a été victime d'un accident alors qu'il utilisait la balayeuse, laquelle a été endommagée.
Statuant sur la demande formée par la commune de Saumur, le Tribunal administratif de Nantes a, par décision du 31 janvier 2005, ordonné une expertise rendue dès le mois de mai 2005 opposable à la SAS Poclain Hydraulics Industrie, fournisseur du système de freinage en cause de la machine.
Le rapport d'expertise, déposé le 26 janvier 2006, révèle que l'accident à l'origine du préjudice subi par la commune de Saumur a été provoqué par la défaillance du système de freinage fourni par la SAS Poclain Hydraulics Industrie. La commune de Saumur a saisi le tribunal administratif de Nantes sur la base de ce rapport, aux fins de voir retenue la responsabilité du vendeur, la SA M., ainsi que sa condamnation à réparer le dommage causé, outre le remboursement des frais d'expertise.
Le juge administratif, a retenu la responsabilité de la SA M. et l'a condamnée à verser à la commune de Saumur la somme de 118 601,26 euro en réparation du préjudice subi, outre les frais d'expertise à hauteur de 5 843,84 euro.
La SA M. a interjeté appel et a sollicité la garantie de son fournisseur, la SAS Poclain Hydraulics Industrie.
Par arrêt du 30 novembre 2012, la cour administrative d'appel de Nantes a débouté la SA M. de son appel en garantie, au motif que les relations contractuelles entre la SA M. et la SAS Poclain Hydraulics Industrie étaient de pur droit privé et ne relevaient pas de sa compétence. La cour a également confirmé le montant de l'indemnité allouée à la commune de Saumur au titre de son préjudice.
C'est dans ces circonstances que la SA M., par acte du 7 juin 2013, a assigné la SAS Poclain Hydraulics devant le Tribunal de commerce de Compiègne affirmant que cette dernière a manqué à ses obligations de délivrance conforme et de sécurité et demandant qu'elle soit condamnée à lui verser la somme de 124 445,10 euro outre intérêts au taux légal à compter du 25 mars 2011.
Par jugement du 13 octobre 2015, le Tribunal de commerce de Compiègne a déclaré l'action de la SA M. prescrite, et l'a déboutée pour le surplus de ses demandes.
La SA M. a interjeté appel de cette décision par déclaration du 3 novembre 2015.
L'appelante, selon ses dernières conclusions enregistrées au greffe par voie électronique le 28 janvier 2016, demande à la cour, de :
- au visa des articles 1604, 1147 et 2141 du Code Civil,
- réformer en toutes ses dispositions le jugement prononcé par le Tribunal de commerce de Compiègne le 13 octobre 2015,
- dire que la SAS Poclain Hydraulics Industrie a manqué à ses obligations de délivrance conforme et de sécurité de la SA M.,
- condamner la SAS Poclain Hydraulics Industrie à lui verser la somme de 124 445,10 euro, outre intérêts au taux légal à compter du 25 mars 2011 au titre des préjudices subis ;
- condamner la SAS Poclain Hydraulics Industrie à lui verser la somme de 7 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers dépens tant d'instance que d'appel, ces derniers étant distraits au profit de maître Le R., avocat sur confirmation de droit.
La SAS Poclain Hydraulics Industrie, selon ses dernières conclusions enregistrées au greffe par voie électronique le 24 mars 2016, demande à la cour, de :
- dire et juger l'action de la SA M. irrecevable ou en tout cas prescrite.
- l'en débouter.
Subsidiairement, de :
- dire que le montant d'une condamnation ne pourrait excéder la somme de 8 865,85 euro ;
- débouter la SA M. de ses demandes plus amples ou contraires ;
- condamner en outre la SA M. au paiement d'une indemnité de 5 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamner aux dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 février 2017.
Pour l'exposé des moyens des parties, examinés dans les motifs de l'arrêt, il est expressément renvoyé aux conclusions susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
SUR CE,
L'action en justice opposant les parties ayant été introduite avant le 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-31 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, celle-ci n'est pas applicable au présent litige ; il sera donc fait référence aux articles du Code civil selon leur numérotation antérieure à cette entrée en vigueur.
Sur la demande fondée sur le défaut de conformité et l'obligation de sécurité:
La SA M. demande que la SAS Poclain Hydraulics Industrie soit condamnée à lui verser la somme de 124 445,10 euro outre les intérêts de droit à compter du 25 mars 2011, au titre des préjudices subis du fait du manquement de cette dernière à ses obligations de délivrance conforme au sens de l'article 1604 du Code civil et de sécurité selon l'article 1147 du même code. Elle affirme ainsi que sa demande est recevable, se prescrivant par dix ans en application de l'article L. 110-4 du Code de commerce. Elle rappelle en effet que le dommage est survenu le 19 mai 2003 et qu'elle a appelé la société intimée en cause par le dépôt d'un mémoire devant la cour administrative de Nantes le 20 mai 2011 et fait valoir que cet appel en cause a interrompu la prescription en application de l'article 2241 du Code civil.
L'appelante ajoute qu'il résulte du rapport d'expertise établi par M. D. que l'accident à l'origine du préjudice subi par la commune de Saumur a été provoqué par la défaillance du système de freinage fourni par la SAS Poclain Hydraulics Industrie. L'expert a en effet relevé un vice de fabrication concluant que la défaillance du système de freinage de la balayeuse a pour origine des garnitures de frein trop dures qui se sont glacées à l'usage altérant leur coefficient de frottement, ce choix étant imputable au fournisseur des freins.
Concernant l'obligation de délivrance, l'appelante affirme que le dispositif de freinage livré par l'intimée n'est pas conforme à celui qui avait été commandé. Elle fait en effet valoir que le dispositif livré suppose un entretien courant, ce qui ne correspondait pas à son souhait, son objectif devant être de supprimer les entretiens curatifs intermédiaires. Elle rappelle qu'elle avait, avant l'accident, demandé que le système de frein des balayeuses soit amélioré. Elle reproche à la SAS Poclain Hydraulics Industrie de ne pas avoir remédié au problème malgré ses sollicitations avant l'accident.
Concernant l'obligation de sécurité, la SA M. fait valoir qu'en matière de vente, il existe une obligation de sécurité autonome de la garantie des vices cachés à la charge des vendeurs professionnels, s'appliquant au fabricant mais également à tous fournisseurs. Elle précise qu'en l'espèce, la SAS Poclain Hydraulics Industrie a manqué à son obligation de sécurité en fournissant un système de freinage inefficace. Elle vise à l'appui de sa thèse le rapport d'expertise de M. D..
La SA M. ajoute que l'intimée ne saurait se prévaloir de la clause de limitation de garantie figurant aux conditions générales de vente. Cette dernière doit en effet être écartée dès lors qu'une faute lourde du débiteur de l'obligation est relevée. Ce qui est le cas en l'espèce puisque la défaillance de la SAS Poclain Hydraulics Industrie dans la fourniture d'un élément d'équipement indispensable à la sécurité constitue non seulement un manquement à l'obligation essentielle du contrat, mais également une faute lourde de nature à exclure toute clause limitative de responsabilité.
La SAS Poclain Hydraulics Industrie soulève l'irrecevabilité de l'action de la SA M.. Elle affirme que les seuls fondements juridiques possibles pour l'action de son adversaire est la garantie des vices cachés ou encore la garantie des produits défectueux. En ce qui concerne le premier fondement, l'action s'avérerait hors délai puisqu'elle date de plus de sept ans suivant le dépôt du rapport d'expertise du mois de janvier 2006. En ce qui concerne le second fondement, l'action serait également irrecevable car non dirigée à l'encontre du fabricant au sens des dispositions applicables, soit les articles 1386 ancien et suivants du Code civil.
La SAS Poclain Hydraulics Industrie affirme avoir livré un système de freinage conforme à ce qui était demandé. Elle ajoute que la difficulté vient d'une défectuosité et non d'une non-conformité du système. Elle fait alors valoir qu'en cas de défectuosité du produit, l'acheteur doit rechercher la responsabilité du fabricant, en l'occurrence la société K., à l'exclusion de tout fournisseur ou vendeur intermédiaire.
La SAS Poclain Hydraulics Industrie ajoute que les fondements choisis par la SA M. ne l'ont été que dans le but d'échapper au bref délai de la garantie des vices cachés au sens de l'article 1648 du Code civil. L'intimée rappelle que les juridictions administratives de Nantes se sont basées sur le vice affectant le produit vendu et qu'un fondement juridique différent ne saurait être retenu devant la cour de céans en ce qui concerne l'action récursoire.
A titre subsidiaire et pour le cas où la cour déciderait d'examiner la demande sur les fondements des articles 1604 et 1147 du Code civil, la SAS Poclain Hydraulics Industrie demande le rejet des prétentions de la SA M.. L'intimée fait valoir qu'elle a bien satisfait à son obligation de délivrance conforme puisqu'il résulte du rapport d'expertise que c'est bien un vice caché qui est à l'origine du dommage. Elle conteste par ailleurs avoir été sollicitée par la SA M. en vue de l'amélioration du système de freinage avant l'accident, le seul document attestant d'une telle demande est celui établi par la société K. en date du 7 octobre 2003 alors que l'accident remonte au mois de mai 2003.
La SAS Poclain Hydraulics Industrie conteste ensuite sur le fond le fondement du manquement à l'obligation de sécurité, cette dernière n'ayant ni pour objet ni pour effet de garantir le produit en lui-même mais uniquement les dommages occasionnés par le produit défectueux. Elle fait valoir qu'alors que les vices cachés visent l'indemnisation des dommages causés à la chose, l'obligation de sécurité permet la réparation des préjudices causés par la chose à la personne ou aux biens de l'acquéreur voire d'un tiers.
A titre encore subsidiaire, la SAS Poclain Hydraulics Industrie demande que les conditions générales de vente et de garantie soient appliquées (article 13), prévoyant que seule la stricte réparation du dommage matériel pourrait être éventuellement prise en charge, la réparation ayant été chiffrée dans le cadre de l'expertise à une somme de 8 865,85 euro.
L'intimée ajoute enfin que la SA M. aurait dû prendre l'initiative d'offrir une solution de réparation plutôt que de s'opposer aux demandes de la ville de Saumur. Elle rappelle que la SA M. est débitrice d'une obligation contractuelle à l'égard de cette ville contrairement à elle et que, pour cette raison, le montant de la condamnation ne saurait excéder le coût de la remise en état et de la réparation.
En application des articles 1604 et suivants de Code civil, le vendeur a une obligation de délivrance conforme de la chose. Le défaut de conformité se distingue de la garantie des vices cachés au sens des articles 1641 et suivants du Code civil en ce qu'il est une méconnaissance des stipulations contractuelles alors que la seconde est un défaut rendant la chose impropre à son usage. Dans ce dernier cas, le vice présente un aspect pathologique. Peuvent ainsi constituer des inexécutions de l'obligation de délivrance, toutes les promesses formelles du vendeur qui se révèleront insatisfaites au vu des caractéristiques du véhicule commandé. En revanche, tous les amoindrissements des possibilités d'utilisation ou les mauvais fonctionnements graves relèveront du régime des vices cachés.
En l'espèce, il ressort du rapport d'expertise déposé le 26 janvier 2006 que l'accident en cause a été provoqué par la défaillance du système de freinage destiné à permettre l'immobilisation du véhicule lorsque le moteur de celui-ci ne fonctionne pas. L'expert a procédé à des essais sur banc de freinage avec moteur en fonctionnement et à l'arrêt, puis sur route et a constaté que le dispositif de rattrapage automatique du jeu des segments ne fonctionne pas sur la roue droite (page 14). Poursuivant son analyse et après essais (p.18, 26 et 29), l'expert a précisé que " l'inefficacité du freinage présenté par la balayeuse Mathieu Y. a pour origine des garnitures de freins trop dures qui se sont glacées à l'usage, altérant ainsi leur coefficient de frottement " ajouté que le dispositif automatique de rattrapage automatique ne fonctionnait pas toujours en raison du glaçage des garnitures et en raison l'absence de résistance de point fixe(p. 34) et indiqué " qu'il n'existe aucune prescription d'entretien de ce dispositif, ce qui serait d'ailleurs un comble puisque sa raison d'être est de supprimer les entretiens curatifs (...)". L'expert a conclu son analyse en indiquant que " le glaçage des garnitures est la conséquence directe de leur dureté inadaptée au système de freinage et non au dispositif de rattrapage automatique ", qu'il s'agissait d'un vice de fabrication et que le matériel ne pouvait être utilisé en l'état du fait de son caractère dangereux, proposant un remplacement intégral des freins avant de la balayeuse (page 27et 35).
Il résulte de ce qui précède que le caractère pathologique du système de freinage dû à des garnitures de freins trop dures ne relève pas de la délivrance conforme mais bien du vice caché au sens des articles 1641 et suivants du Code civil.
En conséquence, la demande de la SA M. fondée sur les dispositions des articles 1604 et suivants du Code civil à l'encontre de son fournisseur du système de freinage défaillant s'avère mal fondée et sera rejetée.
A titre surabondant, il sera relevé que l'action fondée sur la garantie des vices cachés s'avère en l'espèce prescrite, l'appel en garantie de la SAS Poclain Hydraulics Industrie datant du 20 mai 2011 devant la cour administrative d'appel de Nantes, alors que l'assignation de la SA M. par son propre acquéreur, la ville de Saumur, date quant à elle du 23 décembre 2008, soit au-delà du délai prévu à l'article 1648 du Code civil.
En outre, concernant le demande de la SA M. sur le fondement de l'obligation de sécurité au sens de l'article 1147 ancien du Code civil, il s'avère que l'acquéreur ne peut, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 sur la responsabilité du fait des produits défectueux, fonder son action sur le défaut du produit que sur les seuls articles 1386-1 anciens du Code civil, dispositions visant principalement les producteurs (il s'agit en l'espèce de la société de droit étranger K.) et limitant la responsabilité des vendeurs intermédiaires.
En conséquence, la demande de la SA M. fondée sur le droit commun de la responsabilité contractuelle au sens de l'ancien article 1147 du Code civil s'avère mal fondée et sera rejetée.
Le jugement dont appel sera infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de la SA M..
Sur le fond, l'ensemble des demandes de l'appelante seront rejetées par la cour.
Sur les dépens et les sommes demandées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
Compte tenu de la solution apportée au litige, la SA M. sera condamnée aux dépens et à verser à la SAS Poclain Hydraulics Industrie la somme de 1500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.