CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 11 octobre 2017, n° 15-07353
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Club Parfum (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Autier, Moquin, Buret
Faits et procédure
La société Club Parfum produit et commercialise un ensemble de produits pour le corps et la maison exclusivement en vente à domicile et sous sa propre marque " Club Parfum ".
Les 19 septembre et 24 novembre 2003, la société Club Parfum a consenti à Madame Marie-Louise X et à Madame Malika Z un contrat d'agrément de distribution de ses produits. Ces contrats leur permettaient d'acheter directement auprès de la société Club Parfum divers produits dont elles assuraient la distribution directement auprès de leur clientèle respective en qualité de vendeur à domicile indépendant. Ces dernières ont également développé un réseau de distribution par l'intermédiaire de vendeurs et vendeuses recrutés par elles-même et intégrés dans leur réseau respectif de distribution.
Les revenus de Mesdames Z et X étaient constitués de commissions calculées sur leurs propres ventes, sur les ventes des vendeurs recrutés par leurs soins ainsi que sur celles des vendeurs recrutés par les vendeurs recrutés. Elles bénéficiaient également d'une prime supplémentaire dite "prime manager".
Les 25 octobre et 4 novembre 2011, par lettres recommandées avec accusé de réception, la société Club Parfum leur a notifié à chacune la fin de leurs relations commerciales.
Le 13 janvier 2012, Madame X a assigné la société Club Parfum, en référé, devant le Tribunal de commerce de Perpignan afin d'obtenir la condamnation de la société Club Parfum à lui verser à titre provisionnel, la somme de 2 089,11 euros au titre de commissions lui restant dues.
Le 23 avril 2012, le Président du Tribunal de commerce de Perpignan s'est déclaré incompétent et a renvoyé Madame X devant le tribunal de commerce statuant au fond.
Parallèlement, par exploit du 30 janvier 2012, Madame Z a assigné la société Club Parfum devant le Tribunal de commerce de Perpignan afin d'obtenir réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale et injustifiée de leurs relations commerciales, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Le 1er juin 2012, les deux affaires ont été jointes. La société Club Parfum a formé une demande reconventionnelle en paiement solidaire de la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de fautes commises par dénigrement et actes de concurrence déloyale.
Par jugement du 9 septembre 2013, le Tribunal de commerce de Perpignan a :
- dit que la société Club Parfum a brutalement et de manière injustifiée rompu les relations commerciales la liant à Madame Z en violation des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
- dit que la société Club Parfum n'a pas respecté un préavis adapté à la nature et à l'ancienneté des relations commerciales des parties,
- condamné la société Club Parfum à payer à Madame X, la somme de 2 089,11 euros au titre des commissions et primes manager,
- condamné la société Club Parfum à payer à Madame Z la somme de 17 408 euros en indemnisation de son préjudice,
- débouté la société Club Parfum de l'ensemble de ses demandes,
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la décision,
- alloué à Madame X la somme de 1 000 euros et à Madame Z celle de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Club Parfum aux dépens de l'instance, dans lesquels seront compris les frais et taxes y afférent et notamment ceux de greffe liquidés selon tarif en vigueur.
Par arrêt du 17 février 2015, la Cour d'appel de Montpellier a confirmé le jugement du 9 septembre 2013, exception faite de la condamnation au profit de Madame Z au titre de la rupture abusive de leurs relations commerciales pour laquelle elle a déclaré l'appel irrecevable.
Par déclaration du 2 avril 2015, la société Club Parfum a fait appel du jugement du Tribunal de commerce de Perpignan devant la présente cour. L'affaire a été distribuée à la chambre 4 du Pôle 5.
Par ordonnance du 29 septembre 2015, le conseiller de la mise en état a déclaré recevable l'appel interjeté par la société Club Parfum.
Statuant sur le pourvoi formé par la société Club Parfum à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier, la Cour de cassation a, par arrêt du 1er juin 2017, cassé et annulé l'arrêt, sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable l'appel par la société Club Parfum du jugement entrepris relatif à sa condamnation au paiement envers Madame Z de dommages et intérêts au titre de la rupture abusive de leurs relations commerciales, et a remis la cause et les parties, sauf sur ce point, en l'état où elles se trouvaient avant le dit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la Cour d'appel de Nîmes.
La présente cour est saisie de l'appel interjeté par la société Club Parfum du jugement du Tribunal de commerce de Perpignan du 9 septembre 2013.
LA COUR,
Vu les dernières conclusions de la société Club Parfum, appelante, déposées et notifiées le 20 juin 2017 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- dire la société Club Parfum recevable en son appel,
in limine litis,
- constater la nullité du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Perpignan et en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, statuer au fond,
- prendre acte de l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er juin 2017, ayant cassé l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier en ce qu'il avait déclaré la société Club Parfum irrecevable,
- prendre acte également de la démarche entreprise par la société Club Parfum aux fins de voir modifier la désignation de la juridiction de renvoi résultant de cet arrêt,
- reporter la date de clôture de la présente procédure dans l'attente de ce que la Cour de cassation se prononce sur cette demande,
- donner acte à la société Club Parfum de ce qu'elle entend maintenir l'ensemble de ses autres moyens présentés à la cour et, en conséquence, voir constater que la rupture des relations contractuelles est justifiée par le comportement déloyal et fautif de Madame Z et qu'il ne peut en conséquence exister de rupture brutale des relations commerciales,
- constater, en tout état de cause, que le préavis d'un mois respecté par Club Parfum était suffisant eu égard au contexte d'opposition et de dénigrement dans lequel s'était inscrite Madame Z rendant particulièrement prévisible, depuis de nombreux mois, la rupture des relations et au regard du comportement déloyal de Madame Z,
en conséquence,
- débouter Madame Z de toutes ses demandes,
subsidiairement et si par extraordinaire la cour venait à constater l'existence d'une rupture brutale au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce,
- constater que Madame Z ne justifie par aucun élément sérieux et probant l'existence d'un préjudice et a fortiori son quantum, alors qu'elle a repris immédiatement une activité identique auprès de la même clientèle et en détournant les distributrices du réseau Club Parfum et alors que de son propre aveu, elle entendait arrêter l'activité pour Club Parfum dès le mois de janvier suivant, soit seulement 45 jours après la notification de rupture par Club Parfum,
en conséquence,
- débouter Madame Z de l'intégralité de ses demandes au titre de la rupture de ses relations commerciales sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce,
- constater que du fait de l'absence de toute activité au titre de la période considérée, Madame X n'a fourni aucune prestations et en conséquence, qu'elle ne pouvait prétendre à quelque commission que ce soit,
- débouter Madame X de toutes ses demandes,
à titre reconventionnel,
- constater que Mesdames X et Z ont commis des fautes par dénigrement et actes de concurrence déloyale à l'égard de Club Parfum et lui ont causé un préjudice commercial et d'image, notamment auprès du réseau des distributrices,
en conséquence,
condamner solidairement Madame X et Madame Z chacune à payer au profit de Club Parfum la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts,
à titre subsidiaire, pour le cas où la cour ne prononcerait pas la nullité du jugement,
- constater l'absence de rupture brutale de relation commerciale imputable à Club Parfum,
- constater en tout état de cause l'absence de preuve fournie par Madame Z d'un préjudice subi,
- constater l'absence de toute activité au titre de la période considérée par Madame X,
en conséquence,
- infirmer le jugement entrepris et débouter Madame Z et Madame X de toutes leurs demandes,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Club Parfum de sa demande reconventionnelle,
- condamner solidairement Madame Z et Madame osta à payer à Club Parfum la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner Madame X et Madame Z aux entiers dépens, et autoriser leur recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions de Madame Z et de Madame X, intimées, déposées et notifiées le 4 mars 2016 par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles 122, 480, 561 et 954 du Code de procédure civile, 1134 et 1382 du Code civil, L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, des pièces versées aux débats et de la lettre de Madame la Présidente Cocchiello du 24 février 2016 de :
- statuer ce que de droit sur la nullité du jugement rendu le 9 septembre 2013 par le Tribunal de commerce de Perpignan,
à titre principal, si le jugement n'est point annulé,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 septembre 2013 par le Tribunal de commerce de Perpignan,
à titre subsidiaire, si le jugement déféré est annulé,
- dire que la société Club Parfum a brutalement et de manière injustifiée rompu les relations commerciales la liant à Madame Z en violation des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
- dire que la société Club Parfum n'a pas respecté un préavis adapté à la nature et à l'ancienneté des relations commerciales des parties,
- condamner la société Club Parfum à payer à Madame X la somme de 2 089,11 euros au titre des commissions et prime manager,
- condamner la société Club Parfum à payer à Madame Z la somme de 17 408 euros en indemnisation de son préjudice,
- débouter la société Club Parfum de l'ensemble de ses demandes plus amples ou contraires,
dans tous les cas,
- condamner la société Club Parfum à porter et payer à chacune des concluantes la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Club Parfum en tous les dépens,
- dire que ceux d'appel pourront être recouvrés directement par Me Frédéric Buret, avocat à la cour, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
SUR CE
Sur l'étendue de la saisine de la présente cour
Il est constant que suivant arrêt de la Cour de cassation du 1er juin 2017, l'affaire a été renvoyée devant la Cour d'appel de Nîmes sauf en ce qui concerne les demandes formées par Madame Z fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce qui ont été définitivement déclarées irrecevables devant la cour d'appel de Montpellier.
Saisie de l'appel formé par la société Club Parfum, la présente cour ne peut connaître que des dispositions du jugement du Tribunal de commerce de Perpignan relatives à la condamnation de la société Club Parfum à payer à Madame Z la somme de 17 408 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, celles relatives au paiement de commissions et de la prime manager formées par Madame X et la demande reconventionnelle en paiement solidaire de dommages et intérêts pour des faits de dénigrement et de concurrence déloyale, formée par la société Club Parfum à l'encontre de Madame X et de Madame Z, ayant été renvoyées, du fait de la cassation, devant la Cour d'appel de Nîmes.
Sur la demande de sursis à statuer dans l'attente de la réponse de la Cour de cassation sur la désignation de la Cour d'appel de Paris comme cour de renvoi
La société Club Parfum indique qu'elle entend intervenir auprès de la Cour de cassation afin de solliciter que la Cour d'appel de renvoi soit modifiée pour que la cour d'appel de Paris soit désignée comme cour de renvoi aux lieu et place de celle de Nîmes.
Mais, la société Club Parfum ne justifie nullement avoir entrepris des démarches tendant à obtenir la désignation de la présente cour aux lieu et place de la cour d'appel de Nîmes. Par suite, la demande de sursis formée à ce titre n'est pas justifiée et sera rejetée.
Sur la nullité du jugement du 9 septembre 2013
La société Club Parfum sollicite l'annulation du jugement 9 septembre 2013 en ce que le Tribunal de commerce de Perpignan était dépourvu du pouvoir juridictionnel de statuer dans un litige relatif à l'article L. 442-6 du Code de commerce. Elle demande à la cour, en application de l'effet dévolutif de l'appel, de statuer au fond.
Les intimées indiquent s'en remettre à l'appréciation de la cour quant à l'annulation du jugement et demandent, si la nullité du jugement devait être prononcée, que la cour statue sur le fond du litige.
En statuant sur une demande d'indemnisation formée au titre d'une rupture brutale d'une relation commerciale établie, le Tribunal de commerce de Perpignan a manifestement excédé ses pouvoirs. En effet, ce tribunal ne figure pas sur la liste des tribunaux spécialement désignés à l'annexe 4-2-1 de l'article D. 442-3 du Code de commerce auquel renvoie le dernier alinéa de l'article L. 446-2, III de sorte que le jugement entrepris sera annulé en ses dispositions statuant sur la demande d'indemnisation de Madame Z formée à l'encontre de la société Club Parfum pour rupture brutale des relations commerciales établies.
Sur les conséquences de l'annulation du jugement
Aux termes de l'article 562 du Code de procédure civile, la dévolution s'opère pour le tout lorsque l'appel n'est pas limité à certains chefs ou lorsqu'il tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
Il ressort clairement de ces dispositions que lorsque la cour annule le jugement, par l'effet dévolutif de l'appel, elle est investie du devoir de statuer à nouveau en fait et en droit sur la chose jugée par la décision rendue en première instance, sans pouvoir renvoyer l'examen de l'affaire aux premiers juges.
Par suite, les parties ayant conclu au fond, il y a lieu d'examiner la demande d'indemnisation formée par Madame Z au titre de la rupture brutale des relations commerciales.
Toutefois, la cour constate que rappelant aux termes de ses dernières écritures les dispositions in fine de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la société Club Parfum invoque des manquements par Madame Z à ses obligations de loyauté et de bonne foi et plus particulièrement un comportement déloyal du fait d'un dénigrement qui justifierait, selon elle, l'absence d'octroi de préavis et en conséquence, exclurait le caractère brutal de la rupture. Or, la Cour d'appel de Nîmes est saisie d'une demande reconventionnelle de la société Club Parfum en indemnisation formée à l'encontre de Madame Z, solidairement avec Madame X, pour avoir orchestré une véritable campagne de dénigrement de la société Club Parfum et de ses dirigeants. Par suite, la décision à intervenir devant la Cour d'appel de Nîmes est susceptible d'avoir une influence directe sur la solution du litige dont est saisie la présente cour. Il y a donc lieu, dans un souci d'une bonne administration de la justice, de surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt à intervenir, les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile étant réservés.
Par ces motifs, LA COUR, constate que le litige dont elle est saisie est circonscrit aux seules dispositions du jugement du Tribunal de commerce de Perpignan du 9 septembre 2013 relatives à la condamnation de la société Club Parfum à payer à Madame Z la somme de 17 408 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; rejette la demande de sursis à statuer dans l'attente de la réponse de la Cour de cassation à la demande de désignation de la Cour d'appel de Paris comme cour de renvoi aux lieu et place de la Cour d'appel de Nîmes ; prononce l'annulation des dispositions du jugement du Tribunal de commerce de Perpignan en date du 9 septembre 2013 statuant sur la demande d'indemnisation de Madame Z formée à l'encontre de la société Club Parfum pour rupture brutale des relations commerciales établies; sursoit à statuer sur la demande d'indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales formée par Madame Z à l'encontre de la société Club Parfum dans l'attente de l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Nîmes, cour de renvoi désignée par arrêt de la Cour de cassation du 1er juin 2017 pour statuer sur l'appel du jugement du Tribunal de commerce de Perpignan du 9 septembre 2013 sauf en ce qui concerne la demande d'indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales ; réserve les dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.