CA Colmar, 2e ch. civ. A, 28 septembre 2017, n° 15-04910
COLMAR
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pollet
Conseillers :
Mme Diepenbroek, M. Robin
Faits et procédure
Le 5 juillet 2007, M. Dominique K. a vendu à M. Jean-Claude M. une voiture de marque Renault Alpine, type A110 1300, mise en circulation le 19 septembre 1972, au prix de 30 000 euros. Le 6 juillet 2007, l'acquéreur a été victime d'un accident alors qu'il conduisait le véhicule acheté la veille, et a fait constater par expert que ce véhicule n'était pas dans son état d'origine.
Par acte d'huissier du 23 décembre 2011, M. Jean-Claude M. a fait assigner M. Dominique K. devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg afin d'obtenir sa condamnation à des dommages et intérêts, en invoquant un dol, ou au moins une erreur sur les qualités substantielles, et, subsidiairement, un manquement à l'obligation de délivrance.
Suivant jugement en date du 8 juillet 2015, le Tribunal de grande instance de Strasbourg, considérant que le véhicule de marque Renault Alpine avait été profondément modifié par le vendeur pour une utilisation en compétition, notamment par la pose d'un châssis artisanal et d'un moteur d'une cylindrée supérieure, qu'il n'était donc plus dans sa configuration d'origine et qu'il n'était pas utilisable sur route, mais que l'acquéreur, compétiteur automobile et mécanicien averti, avait acheté le véhicule en toute connaissance de cause, a débouté M. Jean-Claude M. de ses demandes et l'a condamné aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 2 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; M. Dominique K. a été débouté de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Le 11 septembre 2015, M. Jean-Claude M. a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions du 25 avril 2017, M. Jean-Claude M. demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de condamner M. Dominique K. à lui payer la somme de 17 000 euros à titre de dommages et intérêts, en raison d'un dol, d'une erreur ou d'un manquement à l'obligation de délivrance, ainsi qu'une indemnité de 3 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, sauf à ordonner au préalable une expertise judiciaire.
Pour caractériser le dol dont il prétend avoir été victime, M. Jean-Claude M. fait valoir que la mention dans l'acte de vente d'un renforcement du châssis n'informait pas suffisamment l'acquéreur sur les modifications effectuées et leur incidence sur la sécurité, alors que la préparation d'un véhicule pour la course n'implique pas nécessairement des défauts de conformité ayant pour conséquence d'affecter la sécurité du véhicule. M. Jean-Claude M. ajoute que, n'étant pas un professionnel de l'automobile, il n'a pu donner un consentement éclairé. M. Dominique K. lui aurait présenté un ancien certificat de contrôle technique afin de laisser entendre que le véhicule était utilisable sur la voie publique et aurait également fait essayer le véhicule sur la voie publique avant l'achat ; il aurait certifié faussement sur le certificat de cession que le véhicule n'avait pas subi de transformation notable susceptible de modifier les indications du certificat de conformité ou de la carte grise ; les mentions de l'annonce publiée par M. Dominique K. afin de vendre le véhicule auraient également été trompeuses.
M. Jean-Claude M. évoque en outre une erreur sur la sécurité du véhicule, ainsi que des anomalies graves qui seraient constitutives d'un manquement à l'obligation de délivrance.
Pour estimer son préjudice, M. Jean-Claude M. invoque la différence entre le prix payé et la valeur réelle du véhicule acquis, estimé à 15 000 euros, ainsi qu'un préjudice de jouissance évalué à 2 000 euros. Il précise que le coût du remplacement du châssis s'élève à 17 000 euros.
Par conclusions déposées le 31 mai 2017, M. Dominique K. demande à la cour de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a été débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, et de condamner M. Jean-Claude M. à lui payer la somme de 4 000 euros de ce chef outre une indemnité de 3 500 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
M. Dominique K. expose avoir vendu à M. Jean-Claude M., qui s'est présenté comme un connaisseur de ce modèle de véhicule et un compétiteur, une voiture qui n'était pas destinée à un usage routier mais à la compétition sur circuit, et que la vente a été conclue après un examen minutieux qui a permis à l'acquéreur de constater les modifications réalisées sur le châssis. Il conteste toute manœuvre dolosive, en soulignant que les transformations ont été expressément portées à la connaissance de l'acquéreur, comme le fait que le véhicule ne pouvait être utilisé sur la voie publique ; la voiture n'aurait présenté aucun problème de sécurité, et l'accident dont M. Jean-Claude M. a été victime serait sans lien avec les modifications effectuées sur le véhicule.
M. Jean-Claude M. n'aurait commis aucune erreur lors de l'achat de la voiture, et aucun manquement ne pourrait être reproché au vendeur ; notamment le véhicule aurait été exactement décrit par M. Dominique K..
L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance en date du 6 juin 2017, et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 29 juin 2017, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré jusqu'à ce jour.
Motifs
Sur le dol
Attendu que, selon l'ancien article 1116 du Code civil, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté, et il ne se présume pas et doit être prouvé ;
Attendu que, pour caractériser l'existence de manœuvres dolosives, M. Jean-Claude M. reproche à M. Dominique K. :
1) d'avoir rédigé une annonce trompeuse,
2) d'avoir gardé le silence sur des modifications affectant la sécurité du véhicule,
3) de lui avoir présenté un ancien certificat de contrôle technique,
4) de lui avoir fait essayer le véhicule sur la voie publique,
5) d'avoir certifié faussement sur le certificat de cession que le véhicule n'avait pas fait l'objet de transformation notable susceptible de modifier les indications de la carte grise ;
Attendu, cependant, que l'annonce publiée par M. Dominique K. pour proposer à la vente le véhicule litigieux ne contenait aucune mention trompeuse ou inexacte ; que la mention " CT OK " ne précise pas la date à laquelle le contrôle technique avait été effectué ; que le document fourni à M. Jean-Claude M. préalablement à la vente à permis à celui-ci de se convaincre qu'il datait de plus d'un an ; que cette mention de l'annonce n'a donc pas pu déterminer le consentement de l'acquéreur ;
Attendu que M. Dominique K. n'a nullement dissimulé à M. Jean-Claude M. le remplacement du châssis du véhicule ; que l'existence d'un renforcement du châssis " non conforme à l'origine " est au contraire expressément mentionnée sur les documents contractuels ; que, préalablement à la vente, M. Jean-Claude M., compétiteur automobile qui était assisté par un garagiste automobile, a examiné le véhicule placé sur une fosse et a pu constater la nature et l'état du châssis ; qu'aucune réticence dolosive ne peut donc être imputée à M. Dominique K. concernant le châssis de la voiture ;
Attendu que ni un essai du véhicule sur la voie publique, ni la présentation à l'acquéreur d'un certificat de contrôle technique établi plus d'un an avant la vente ne constituent en eux-mêmes des manœuvres dolosives ; qu'ils n'ont pu induire M. Jean-Claude M. en erreur sur l'usage du véhicule, alors que l'aspect extérieur de celui-ci, notamment les pneumatiques de marque Michelin P303 Course dont il était équipé à l'arrière, et la présence d'un moteur ne correspondant pas aux mentions de la carte grise, suffisaient à convaincre l'acquéreur que la voiture ne pouvait être utilisée en l'état sur la voie publique ;
Attendu, enfin, qu'une mention portée sur un certificat de cession établi après accord sur la chose et le prix ne peut être déterminante du consentement des parties à la vente ; qu'en outre, M. Jean-Claude M., qui avait parfaitement connaissance de ce que le moteur du véhicule vendu n'était pas celui mentionné sur la carte grise qui lui a été présentée, n'a nullement été trompé sur l'existence d'une transformation susceptible de modifier les indications de ce document ;
Attendu que M. Jean-Claude M. ne rapporte donc pas la preuve de la réalité des manœuvres dolosives qu'il allègue ;
Sur l'erreur
Attendu que, selon l'ancien article 1110, alinéa 1, du Code civil, l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet ;
Attendu que, pour caractériser l'erreur dont il affirme avoir été victime, M. Jean-Claude M. invoque des " problèmes affectant la structure et la solidité du véhicule, auxquels s'ajoute l'impossibilité subséquente de circuler sur la voie publique " et soutient que le " véhicule ne répond pas aux normes élémentaires de sécurité " ;
Attendu, cependant, que les éléments de l'espèce démontrent que M. Jean-Claude M. ne pouvait ignorer que le véhicule vendu ne pouvait en l'état circuler sur la voie publique ; qu'il s'agissait au contraire d'un véhicule transformé pour les besoins de la compétition automobile, et que M. Jean-Claude M., qui participe de manière habituelle à de telles compétitions, ne rapporte aucune preuve d'une impropriété à un tel usage ;
Attendu que M. Jean-Claude M., qui a pu constater la présence d'un châssis artisanal et d'un renfort placé dans l'habitacle, ne rapporte aucune preuve de l'existence de " problèmes affectant la solidité du véhicule " qu'il aurait pu ignorer ;
Attendu qu'il ne verse aux débats aucun élément permettant d'établir un lien entre les modifications faites sur le véhicule et l'accident dont il a été victime le lendemain de la vente ; qu'en effet, il ne produit aucun rapport d'expertise démontrant que ces modifications rendaient son usage dangereux, mais seulement une lettre adressée à M. Dominique K. mentionnant que ces modifications faites sur des éléments de structure, d'infrastructure et de sécurité, " auraient dû faire l'objet d'une réception à titre isolé par le service des mines " afin de permettre une utilisation " dans des conditions normales de sécurité et conformément à la législation en vigueur " ;
Attendu que M. Jean-Claude M. est dès lors mal fondé à invoquer une erreur sur les qualités substantielles du véhicule vendu ;
Sur l'obligation de délivrance
Attendu que, selon l'article 1604 du Code civil, la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur ;
Attendu en l'espèce que la vente portait sur une chose déterminée, et que M. Dominique K. a remis à M. Jean-Claude M. le véhicule vendu et ses accessoires dans l'état où ils étaient lorsque l'acquéreur les a examinés ;
Attendu que M. Jean-Claude M., qui n'avait pas sollicité la remise du véhicule avec un châssis ou un moteur conforme au modèle d'origine, ne rapporte aucune preuve d'un défaut de conformité aux stipulations contractuelles ;
Attendu que M. Jean-Claude M. est dès lors mal fondé à se prévaloir d'un manquement à l'obligation de délivrance ;
Sur l'abus de procédure
Attendu que M. Dominique K., qui ne démontre pas que l'action engagée par M. Jean-Claude M. ou l'appel interjeté par celui-ci étaient motivés par une intention de nuire, sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Sur les dépens et autres frais de procédure
Attendu que M. Jean-Claude M., qui succombe, a été condamné à bon droit aux dépens de première instance et sera condamné aux dépens d'appel, conformément à l'article 696 du Code de procédure civile ;
Attendu que, selon l'article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée ;
Attendu que les premiers juges ont fait une application équitable de ces dispositions ; que les circonstances de l'espèce justifient de condamner M. Jean-Claude M. à payer à M. Dominique K. une indemnité de 2 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés en cause d'appel ; qu'il sera lui-même débouté de sa demande à ce titre ;