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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 11 octobre 2017, n° 15-03995

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

MGA (SAS)

Défendeur :

Margottin (ès qual.), Jean-Louis Mouret (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Fromantin, Rougier, Lugosi, Beucher

T. com. Rennes, du 15 janv. 2015

15 janvier 2015

Faits et procédure

La société MGA est une société spécialisée dans le commerce de gros d'équipements automobiles.

La société Jean-Louis Mouret exerce sous l'enseigne " Comptoir de l'Ouest " et était distributeur auprès des garagistes des produits fournis par MGA.

La société MGA et la société Jean-Louis Mouret auraient été en relations d'affaires depuis 1979, selon la société MGA.

Par courrier du 1er février 2013, la société MGA a reçu la notification de la rupture des relations commerciales à l'initiative de la société Jean-Louis Mouret. Celle-ci faisait état du retour de pièces défectueuses pour qualifier de faute grave le motif de la rupture, justifiant l'absence de préavis, ce que conteste la société MGA.

Par acte introductif d'instance du 22 mai 2013, la société MGA a assigné la société Jean-Louis Mouret devant le Tribunal de commerce de Rennes.

Par jugement du Tribunal de commerce d'Angers du 22 juillet 2013, la société Jean-Louis Mouret a été placée en procédure de sauvegarde. Maître Margottin a été désigné en qualité de mandataire judiciaire. Par jugement du 23 juillet 2014, le Tribunal de commerce d'Angers a converti la sauvegarde de la société Jean-Louis Mouret en liquidation judiciaire.

Par jugement du 15 janvier 2015, le Tribunal de commerce de Rennes a :

- prononcé la jonction de l'affaire 2014F00452 avec l'affaire 2013F00275 et dit qu'un seul et même jugement sera rendu sous le numéro de rôle général : 2013F00275, condamné la société MGA à payer à Maître Eric Margottin, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Jean-Louis Mouret, la somme de 23 128,97 euros TTC, outre les intérêts au taux légal à compter de la date du prononcé du jugement et débouté Maitre Eric Margottin du surplus de sa demande sur les intérêts demandés,

- condamné la société MGA à payer à Maître Eric Margottin, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Jean-Louis Mouret, la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes, plus amples ou contraires,

- condamné la société MGA aux entiers dépens,

- liquidé les frais de greffe à la somme de 127,92 euros tels que prévu aux articles 695 et 701 du Code de procédure civile.

LA COUR

Vu l'appel interjeté par la société MGA et ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 24 mai 2017, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société MGA de ses demandes,

- constater que la société Jean-Louis Mouret, représentée par Maître Eric Margottin, ès qualités de liquidateur judiciaire, a brutalement rompu la relation commerciale avec la société MGA dès le mois de décembre 2012 sans respecter de préavis,

- fixer à vingt-quatre mois le délai de préavis que la société Jean-Louis Mouret aurait dû respecter,

- fixer la créance de la société MGA au passif de la liquidation de la société Jean-Louis Mouret à la somme de 165 696,28 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture abusive des relations commerciales établies,

- fixer la créance de la société MGA au passif de la liquidation de la société Jean-Louis Mouret à la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société MGA au paiement de la somme de 23 128,97 euros au titre de la facture n° 1142013 du 11 avril 2013,

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes complémentaires de Maître Margottin à hauteur de 697,74 euros au titre de la facture n° 1142013 du 11 avril 2013 et de 7 000,15 euros au titre de la facture n° 11461 du 28 janvier 2013,

- rejeter l'ensemble des demandes reconventionnelles de Maître Margottin au titre des factures n° 1142013 du 11 avril 2013 et n° 11461 du 28 janvier 2013, subsidiairement,

- ordonner la compensation des créances réciproques entre les sociétés MGA et Jean-Louis Mouret ;

Vu les dernières conclusions de M. Eric Margottin, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Jean-Louis Mouret, déposées et notifiées le 9 juillet 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- dire la société MGA irrecevable et mal fondée en son appel,

- confirmer le jugement en ce que la société MGA a été déboutée de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- confirmer le jugement en ce que la société MGA a été condamnée à payer la somme de 23 128,97 euros au titre de la facture n° 1142013 du 11 avril 2013,

- réformer le jugement en ce que les demandes complémentaires de Maître Margottin ont été rejetées, statuant de nouveau,

- condamner la société MGA au paiement de la somme complémentaire de 697,74 euros au titre de la facture n° 1142013 du 11 avril 2013, condamner la société MGA au paiement de la somme complémentaire de 7 000,15 euros au titre de la facture n° 11461 du 28 janvier 2013 au bénéfice de la liquidation judiciaire de la société Mouret,

outre les intérêts de retard en application des dispositions de l'article L. 441-6 du Code de commerce à compter de leur date d'échéance,

- condamner la société MGA à verser la somme de 7 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société MGA aux entiers dépens lesquels seront recouvrés en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

SUR CE

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

La société MGA soutient qu'elle entretenait avec la société Jean-Louis Mouret une relation commerciale établie depuis 1979, soit depuis plus de 30 ans. Elle prétend que la renégociation annuelle des conditions commerciales ne remet pas en cause la relation commerciale préexistante, et ne permet pas aux partenaires d'anticiper la rupture. De plus, le chiffre d'affaires réalisé entre les deux sociétés étant croissant, la société MGA estime que la rupture n'était pas prévisible et qu'un préavis aurait dû être respecté. Elle soutient que la société Jean-Louis Mouret a, par courrier du 1er février 2013, rompu sans préavis les relations contractuelles, conférant à la rupture un caractère brutal. En sus, l'appelante expose que le manquement qui lui est imputé n'est pas caractérisé : la société Jean-Louis Mouret ne l'a jamais avisée de la moindre difficulté quant à la défectuosité des pièces livrées par elle et ne l'a pas mise en demeure de pallier une potentielle mauvaise exécution de son obligation de délivrance.

Eric Margottin, ès qualités, soutient que l'appelante ne justifie de l'ancienneté des relations commerciales entre les parties que par un document manuscrit qu'elle a elle-même rédigé et prétend qu'elles ont débuté en 2008. Par ailleurs, il expose que les conditions commerciales étant modifiées chaque année, l'appelante n'avait aucune certitude que la société Jean-Louis Mouret les accepte, de sorte qu'elles ne peuvent être qualifiées d' " établies ". Il prétend par ailleurs que les manquements de la société MGA, à savoir des retours nombreux de pièces de la marque MGA pour défectuosité, sources de problèmes avec ses clients garagistes, autorisaient la société Jean-Louis Mouret à rompre immédiatement les relations commerciales, sans préavis. Il verse à l'appui de ses assertions des factures des coûts de garantie de ses clients de juillet à décembre 2012, des attestations de clients garagistes, et des expertises intervenues dans le cadre de sinistres subséquents.

Si, aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels", la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer. Par ailleurs, " les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

La renégociation annuelle des tarifs ne s'oppose pas à la qualification de relations commerciales établies, dès lors qu'elle s'inscrit dans une volonté de continuité de celles-ci, démontrée par la persistance d'un flux régulier d'affaires. Toutefois, si la société MGA démontre bien cette continuité, elle ne verse pas aux débats d'éléments démontrant l'antériorité de ces relations à 2008.

Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que, de juillet à décembre 2012, la société Jean-Louis Mouret a dû faire face à 27 retours de pièces défectueuses MGA, pour la plupart des systèmes de freinage impactant la sécurité des véhicules. Elle verse également aux débats des attestations de clients garagistes, qui lui ont fait savoir qu'ils cesseraient de s'approvisionner auprès d'elle si elle ne changeait pas de fournisseur et qu'ils refusaient de poser des pièces de marque MGA (pièces 24 à 29 de Maître Margottin). Dès lors, la société MGA ne peut exciper du faible nombre de retours concernés au regard du nombre de pièces vendues, ou du caractère tardif de la résiliation intervenue, pour prétendre que les fautes qui lui sont reprochées ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier la rupture sans préavis. Ces défectuosités touchant la sécurité et suscitant des réactions de retrait de ses clients constituaient, ainsi que l'ont justement estimé les premiers juges, une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'absence de préavis. La société Jean-Louis Mouret, qui rencontrait par ailleurs des difficultés financières importantes, ne pouvait encourir le risque de perdre des clients garagistes et a pu mettre un terme sans préavis aux relations commerciales entretenues avec la société MGA, sans encourir le reproche de rupture brutale. Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de la société MGA.

Sur les remises de fin d'années

Maître Margottin soutient que la société Jean-Louis Mouret avait mis en demeure la société MGA de lui régler la somme de 30 826,86 euros au titre des remises de fin d'années 2012 et bonifications de campagne promotionnelle prévues au contrat. Il soutient que ces factures n'ont jamais été contestées et ne sont pas contestables, les chiffres d'affaires fixés contractuellement ayant bien été atteints.

La société MGA affirme que les remises et ristournes facturées par la société Jean-Louis Mouret ne respectant pas les conditions légales de facturation, et notamment, l'obligation de précision, ne sont pas exigibles.

Mais les premiers juges ont justement relevé que la facture du 11 avril 2013 portant sur les RFA 2012 était justifiée par le contrat de partenariat 2012 versé aux débats. Il y a lieu toutefois, d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a exclu la remise de 1,5 % pour la campagne amortisseur, qui vient s'ajouter à celle de 10 %. Il y a donc lieu de condamner la société MGA à payer à Maitre Margottin, ès qualités, la somme de 23 826,71 euros, outre celle de 697,74 euros demandée au titre de la remise de 1,5 %.

Le jugement dont appel sera également confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de paiement de la facture du 28 janvier 2013, les mentions y figurant, à savoir " garantie ", " plaquettes à 1 euro ", " complément RFA 5 % ", " remise supp. 15 % " ne pouvant être rattachées à aucune obligation contractuelle.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société MGA succombant au principal sera condamnée à payer les dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à payer à Maître Margottin, ès qualités, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté Maître Margottin, ès qualités, de sa demande de remise de 1,5 %, l'infirme sur ce point, et, statuant à nouveau, condamne la société MGA à payer à Maître Margottin, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Jean-Louis Mouret, la somme complémentaire de 697,74 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 15 janvier 2015, condamne la société MGA aux dépens de l'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, condamne la société MGA à payer à Maître Margottin, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Jean-Louis Mouret, la somme de 5 000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.