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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 18 octobre 2017, n° 16-05105

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Ada (SA), Eda (SA)

Défendeur :

Jumel (ès qual.), S2 Location (SARL), Soudieux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Ingold, Istria, Grappotte-Benetreau, Camaro

T. com. Paris, du 10 févr. 2016

10 février 2016

Faits et procédure

Vu le jugement rendu le 10 février 2016 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :

- prononcé la nullité du contrat de franchise entre la société S2 Location et la société Ada,

- prononcé la caducité du contrat d'approvisionnement signé le 2 août 2013 entre la société S2 Location et la société Eda à compter de la cessation d'activité de la société S2 Location,

- prononcé l'annulation du contrat de cession de fonds de commerce signé le 30 août 2013 entre la société S2 Location et la société Ada,

- prononcé la nullité de l'acte de caution solidaire de Monsieur Soudieux en faveur de la société Eda en date du 19 janvier 2014,

- condamné la société Ada à payer à Me Jumel, ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société S2 Location, la somme de 28 824 euros,

- débouté Me Jumel, ès qualités, de sa demande en paiement de la somme de 68 079,49 euros formée contre la société Eda,

- débouté Me Jumel, ès qualités, et Monsieur Soudieux de leurs demandes de dommages-intérêts,

- condamné la société Ada aux dépens et à payer à Me Jumel, ès qualités, la somme de 7 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en rejetant la demande de ce chef présentée par Monsieur Soudieux ;

Vu l'appel relevé par les sociétés Ada et Eda qui demandent à la cour, dans leurs dernières conclusions notifiées le 12 septembre 2016, au visa des articles 1116 et 1134 du Code civil ainsi que de l'article L. 330-3 du Code de commerce, de :

- les déclarer recevables et bien fondées en leur appel,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le contrat de franchise n'était entaché d'aucune irrégularité formelle et en ce qu'il a débouté Me Jumel, ès qualités, de sa demande de remboursement des sommes versées au titre du contrat Eda ainsi que Monsieur Soudieux de sa demande de dommages-intérêts,

- l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau :

- dire valables le contrat de franchise du 2 août 2013, le contrat de location 2013, l'acte de cession de fonds de commerce des 30 août et 30 septembre 2013 ainsi que l'acte de caution du 19 janvier 2014,

- débouter Me Jumel, ès qualités, et Monsieur Soudieux de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner solidairement Me Jumel, ès qualités, et Monsieur Soudieux à payer la somme de 5 000 euros à chacune d'elles au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- les condamner aux dépens;

Vu les dernières conclusions notifiées le 3 novembre 2016 par la société S2 Location et Monsieur Soudieux qui demandent à la cour, au visa des articles L. 330-3, R. 330-1 et A. 441-1 du Code de commerce ainsi que des articles 1116, 1131, 1134, 1382 et 2289 du Code civil de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* prononcé la nullité du contrat de franchise signé le 2 août 2013 entre la société S2 Location et la société Ada,

* prononcé la caducité du contrat d'approvisionnement signé le 2 août 2013 entre la société S2 Location et la société Eda,

* prononcé la caducité du contrat de cession de fonds de commerce signé le 30 août 2013 entre la société S2 Location et la société Ada,

* prononcé la nullité de l'acte de caution solidaire de Monsieur Soudieux en date du 19 janvier 2014,

* condamné la société Ada à payer à Me Jumel, ès qualités, la somme de 23 561,64 euros au titre du contrat de franchise et celle de 5 262,46 euros au titre du prix de cession du fonds de commerce,

* condamné la société Ada aux dépens et à payer à Me Jumel, ès qualités, la somme de 7 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- infirmer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau :

- condamner la société Eda à payer à Me Jumel, ès qualités, la somme de 68 709,49 euros au titre du contrat d'approvisionnement,

- condamner la société Ada à payer à Me Jumel, ès qualités, la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- condamner la société Ada à payer à Monsieur Soudieux les sommes de 20 000 euros au titre du capital social et 50 500 euros au titre des apports en compte courant, la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts et celle de 7 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

ajoutant au jugement :

- condamner solidairement les sociétés Ada et Eda à payer Me Jumel, ès qualités, et à Monsieur Soudieux, chacun, la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- les condamner solidairement aux dépens;

Sur ce, LA COUR

Considérant que suivant contrat de franchise signé le 2 août 2013, à effet au 1er septembre 2013, la société Ada a concédé à la société S2 Location, représentée par son gérant Monsieur Soudieux, une franchise de services lui conférant le droit d'exploiter une agence spécialisée dans la location de véhicules de courte durée - implantée à Angers, 30 rue Denis Papin - sous la marque Ada, en utilisant le savoir-faire, les méthodes et le concept mis au point par le franchiseur ;

Qu'à la même date, la société S2 Location a conclu un contrat de location de véhicules avec la société Eda, filiale de la société Ada ;

Que par acte de cession signé les 30 août et 30 septembre 2013, la société Ada a cédé à la société S2 Location le fonds de commerce de location de véhicules situé 30 rue Denis Papin à Angers moyennant le prix de 55 000 euros payable à l'aide d'un crédit-vendeur ;

Que le 19 janvier 2014, Monsieur Soudieux s'est porté caution solidaire de la société S2 Location pour le paiement de toutes sommes que celle-ci pourrait devoir à la société Eda au titre du contrat de location, dans la limite de 25 000 euros ;

Que le 11 juin 2014, les sociétés Ada et Eda ont mis en demeure la société S2 Location de leur régler les factures impayées ;

Qu'ensuite, le 7 juillet 2014, la société S2 Location a effectué une déclaration de cessation des paiements; qu'une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à son égard le 9 juillet 2014 puis sa liquidation judiciaire prononcée le 3 septembre 2014, Me Jumel étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire; que les sociétés Ada et Eda ont déclaré leurs créances au passif de la société S2 Location; que le juge commissaire, par ordonnance du 15 septembre 2014, a autorisé la cession du droit au bail des locaux dans lesquels était exploitée l'agence, au profit de la société Citer, pour la somme de 55 000 euros ;

Que saisi le 16 octobre 2014 par Me Jumel, ès qualités, et par Monsieur Soudieux, le Tribunal de commerce de Paris a déclaré nuls le contrat de franchise, l'acte de cession de fonds de commerce et l'acte de caution, a déclaré caduc le contrat de location de véhicules, a condamné la société Ada à rembourser à la somme de 28 824 euros à la société S2 Location et a rejeté les autres demandes ;

Considérant que pour s'opposer à toutes les prétentions de Me Jumel, ès qualités, et de Monsieur Soudieux, les sociétés Ada et Eda exposent que :

- du fait de son expérience professionnelle, Monsieur Soudieux était un professionnel averti, parfaitement apte à gérer une agence de location de véhicules,

- le document d'information précontractuelle tel que prévu par l'article L. 330-3 du Code de commerce lui a été remis le 28 mai 2013 et il en a fait retour par lettre du 26 juin 2013, déclarant se réjouir d'intégrer le réseau Ada,

- Monsieur Soudieux a ensuite suivi les deux formations théoriques prévues en juillet 2013, mais n'a pas achevé la formation pratique en agence prévue du 22 juillet à fin août 2013, l'ayant interrompue le 9 août 2013,

- la société Ada lui a adressé des statistiques sur l'activité de l'agence d'Angers le 19 juillet 2013 et lui a également adressé un projet de reprise avec un prévisionnel, " ces chiffres laissant apparaître une bonne rentabilité dès lors que le chiffre d'affaires réalisé à la mi-juillet 2013 s'élevait à la somme de 14 000 euros ",

- la société Eda a mis à la disposition de la société S2 Location un parc automobile adapté à son activité;

Que les appelantes font valoir que :

- pendant les deux mois qui se sont écoulés depuis la remise du document d'information précontractuelle, Monsieur Soudieux a pu se faire une idée précise du réseau de franchise comme de l'agence dont la reprise lui était proposée et qu'il lui appartenait d'élaborer ses propres comptes en y intégrant ses informations et ses connaissances du milieu local,

- les chiffres prévisionnels présentés par la société Ada n'avaient rien d'irréalistes ni de trompeurs, la société S2 Location ayant pu les atteindre pour les trois premiers mois de l'année 2014,

- avant la cession du fonds de commerce, c'est la société Ada qui a fait exploiter provisoirement le fonds par ses salariés non intéressés aux résultats et donc moins motivés qu'un franchisé, ce qui explique que le prévisionnel prévoyait un chiffre d'affaires supérieur à celui réalisé pendant son exploitation,

- par comparaison avec les chiffres d'affaires réalisés par les agences de Rouen et du Mans, le prévisionnel établi pour l'agence d'Angers était cohérent au regard de l'agglomération et du marché concernés,

- en tout état de cause, les prévisionnels n'ont aucune valeur contractuelle et il incombait à Monsieur Soudieux, pour évaluer la rentabilité du réseau, de se renseigner auprès d'autres affiliés,

- lors de la remise de ce prévisionnel, il ne lui a pas été caché que l'agence était restée inexploitée quelques mois du fait de la procédure collective ouverte à l'encontre du précédent franchisé, lequel avait cessé son activité le 22 avril 2013,

- les chiffres du prévisionnel n'ont pas été déterminants du consentement de Monsieur Soudieux qui avait pris sa décision de rejoindre le réseau avant même sa communication,

- les difficultés rencontrées par la société S2 Location tiennent aux fautes de gestion commises par Monsieur Soudieux ;

Mais considérant que si le franchiseur n'est pas tenu de remettre au franchisé un compte d'exploitation prévisionnel, dès lors qu'il le fait ce document doit présenter un caractère sérieux et réaliste, ce qui n'est pas le cas en l'espèce; qu'en effet :

- les chiffres d'affaires de l'agence d'Angers n'avaient été que de 142 501 euros en 2010, 178 063 euros en 2011 et 144 704 euros en 2012, soit une moyenne de 155 000 euros,

- le chiffre d'affaires prévu pour les mois de juin à décembre 2013 était de 170 790 euros, dont 92 730 euros pour les seuls mois de septembre à décembre 2013 avec des charges fixes et de flotte de 81 424 euros, alors que le chiffre d'affaires effectivement réalisé par la société S2 Location pendant cette période de début de son exploitation n'a été que de 81 424 euros, les charges d'exploitation s'élevant à plus de 100 000 euros,

- qu'en 2014, pendant les huit mois précédant sa liquidation judiciaire, la société S2 Location n'a réalisé qu'un chiffre d'affaires de 143 308 euros pour un chiffre d'affaires prévu de 263 280 euros, soit une différence de 46 % comme souligné par le tribunal,

- les comparaisons faites avec les chiffres d'affaires des agences de Rouen et du Mans ne sont pas pertinentes en l'absence de pièces de nature à justifier d'un environnement économique semblable,

- la société Ada ne rapporte aucunement la preuve d'une faute de gestion imputable au franchisé ;

Que Monsieur Soudieux, qui avait précédemment exercé des fonctions de directeur commercial dans des entreprises d'édition et de téléphonie ne disposait d'aucune expérience dans le domaine de la location de véhicules, que la société Ada ne démontre pas l'avoir informé que le précédent franchisé exploitant l'agence avait fait l'objet d'une procédure collective, le mail du 25 juin 2013 qu'elle lui a adressé et auquel elle se réfère fait état d'un historique du chiffre d'affaires mais ne renferme pas cette indication ;

Que la société Ada, qui connaissait le potentiel de rentabilité de son concept et de son agence au plan local, ne démontre pas plus lui avoir communiqué un état du marché local et ne précise aucunement la teneur qu'aurait eu ce document; que c'est en vain qu'elle allègue que Monsieur Soudieux connaissait bien la ville d'Angers et son environnement, ayant été directeur marketing de son club de football ;

Qu'au vu des éléments d'information donnés par le franchiseur et du caractère irréaliste du prévisionnel établi par celui-ci, Monsieur Soudieux a commis une erreur sur la rentabilité de l'agence d'Angers; que cette erreur a été déterminante de son consentement dans la mesure où il n'aurait pas signé le contrat de franchise en qualité de gérant de la société S2 Location, s'il avait su que son exploitation ne pouvait aboutir qu'à la mise en liquidation judiciaire de sa société ;

Considérant en conséquence que le contrat de franchise doit être annulé; que si ce contrat n'avait pas été conclu, la société S2 Location n'aurait pas signé avec la société Eda le contrat de location de véhicules nécessaire à son activité de franchiseur et Monsieur Soudieux ne se serait pas porté caution solidaire des engagements de la société S2 Location envers le loueur; que ces trois conventions étant indivisibles, il convient de déclarer caduc le contrat de location de véhicules et d'annuler l'acte de cautionnement ;

Que l'acquisition du fonds de commerce, si elle s'inscrit dans la même opération économique, ne présente cependant pas un caractère d'indivisibilité ou d'interdépendance avec les autres conventions; que la demande tendant à son annulation sera donc rejetée de même que la demande de restitution de la partie du prix versé à la société Ada, soit la somme de 5 262,46 euros ;

Considérant qu'en raison de la nullité du contrat de franchise, la société S2 Location est bien fondée en sa demande de restitution de la somme de 23 561,64 euros versée à la société Ada au titre des redevances de ce contrat; que du fait de sa caducité, le contrat de location de véhicules, à exécution successive, ayant pris fin pour l'avenir, la demande en remboursement de la somme de 68 709,49 euros versée à la société Eda est mal fondée ;

Considérant, sur les autres demandes, que Monsieur Soudieux réclame la somme de 20 000 euros au titre de la perte du capital social de la société S2 Location et celle de 50 500 euros au titre de la perte de la somme qu'il a versée en compte courant ;

Que la société S2 Location fait valoir, au soutien de sa demande de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts, qu'elle a subi une perte d'exploitation la privant de bénéfice, en rapport avec les fautes commises par la société Ada; que Monsieur Soudieux demande la somme de 30 000 euros, à titre de dommages-intérêts, pour perte de chance d'une activité rémunératrice et pour l'ensemble de ses démarches et efforts consentis pour la réussite du projet ;

Mais considérant que le préjudice subi du fait du manquement de la société Ada à son obligation d'information est constitué par la perte d'une chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses et non par les pertes subies; qu'au regard des éléments du dossier, la société S2 Location et Monsieur Soudieux ont perdu une chance de ne pas contracter avec la société Ada; qu'en réparation, celle-ci devra payer la somme de 10 000 euros à Me Jumel, ès qualités, et celle de 5 000 euros à Monsieur Soudieux, ce dernier étant débouté de ses demandes de remboursement des sommes de 20 000 euros et 50 500 euros ;

Considérant que les sociétés Ada et Eda qui restent débitrices envers les intimés doivent supporter les dépens de première instance et d'appel :

Que vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme de 7 000 euros, chacun, à Me Jumel, ès qualités, et à Monsieur Soudieux pour leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel; que la demande de ce chef des sociétés Ada et Eda sera rejetée ;

Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement en ce qu'il a : - prononcé la nullité du contrat de franchise signé le 2 août 2013 entre la société Ada et la société S2 Location, - prononcé la caducité du contrat de location de véhicules signé le 2 août 2013 entre la société Eda et la société S2 Location, - annulé l'acte de cautionnement souscrit par Monsieur Soudieux le 19 janvier 2014, - débouté Me Jumel, ès qualités, de sa demande en paiement de la somme de 68 079,49 euros formée contre la société Eda, infirme le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau : condamne la société Ada à payer à Me Jumel, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société S2 Location : - la somme de 23 561,64 euros au titre de la restitution des redevances du contrat de franchise, - la somme de 10 000 euros, à titre de dommages-intérêts, condamne la société Ada à payer à Monsieur Soudieux la somme de 5 000 euros, à titre de dommages-intérêts, condamne solidairement la société Ada et la société Eda à payer, par application de l'article 700 du Code de procédure civile : - la somme de 7 000 euros à Me Jumel, ès qualités, pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, - la somme de 7 000 euros à Monsieur Soudieux pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, rejette les demandes des sociétés Ada et Eda au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboute Monsieur Soudieux et Me Jumel, ès qualités, de toutes leurs autres demandes formées contre la société Ada et contre la société Ada, condamne solidairement la société Ada et la société Eda aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.