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Décisions

TUE, 2e ch., 26 octobre 2017, n° T-431/16

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Vienna International Medical Clinic GmbH

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Prek

Juges :

M. Schalin, Mme Costeira (rapporteur)

Avocats :

Mes Bramerdorfer, Grubmüller

TUE n° T-431/16

26 octobre 2017

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

Antécédents du litige

1 La requérante, VIMC - Vienna International Medical Clinic GmbH, est une société de droit allemand active sur le marché des soins privés en Autriche.

2 Par lettre du 16 septembre 2014, la requérante a introduit une plainte auprès de la Commission européenne sur le fondement de l'article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), et de l'article 5 du règlement (CE) n° 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 2004, L 123, p. 18). Dans cette plainte, elle soutenait que, en lui refusant la conclusion d'un contrat supplémentaire ayant pour objet son admission au sein du Privatkrankenanstalten-Finanzierungsfonds (fonds autrichien de financement des établissements de soins privés), la Wirtschaftskammer Österreich (WKO, Chambre économique d'Autriche) ou le Fachverband der Gesundheitsbetriebe (association professionnelle des entreprises du secteur de la santé, Autriche) avaient enfreint l'article 102 TFUE.

3 À la suite de plusieurs échanges entre les services de la Commission et la requérante, cette dernière a été informée, le 8 mars 2016, par un courrier du chef d'unité compétent qu'il serait proposé à la Commission de ne pas donner suite à sa plainte étant donné que la Bundeswettbewerbsbehörde (autorité fédérale de la concurrence, Autriche, ci-après la " BWB ") avait également été saisie des mêmes faits.

4 Après avoir reçu d'autres observations de la requérante, la Commission a adopté, le 27 mai 2016, une décision de rejet de la plainte sur le fondement de l'article 13 du règlement n° 1/2003 (ci-après la " décision attaquée "). Cette décision s'appuie sur le constat de la Commission que la BWB, en sa qualité d'autorité de concurrence d'un État membre, traite de la même pratique que celle faisant l'objet de la plainte.

5 Le 1er juin 2016, la décision attaquée a été signifiée au représentant de la requérante.

Procédure et conclusions des parties

6 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er août 2016, la requérante a introduit le présent recours.

7 Le mémoire en défense de la Commission a été déposé au greffe du Tribunal le 13 septembre 2016.

8 La réplique a été déposée au greffe du Tribunal le 30 novembre 2016.

9 La duplique a été déposée au greffe du Tribunal le 23 janvier 2017.

10 Le Tribunal (deuxième chambre) a décidé, en application de l'article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure.

11 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision attaquée ;

- condamner la Commission aux dépens.

12 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours ;

- condamner la requérante aux dépens.

En droit

13 À l'appui du recours, la requérante invoque un moyen unique, tiré d'un détournement de pouvoir de la Commission.

14 La requérante soutient, en substance, que le refus de la Commission de traiter sa plainte constitue une violation de l'article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003. En particulier, elle reproche à la Commission d'avoir adopté la décision attaquée en se fondant sur des raisons formelles et sans avoir tenu compte des circonstances particulières du cas d'espèce. Elle fait valoir que cette disposition prévoit une faculté pour la Commission. En outre, l'application de ladite disposition ne relèverait pas de la totale liberté d'appréciation de cette institution, cette dernière devant exercer son pouvoir d'appréciation de manière raisonnable et responsable. Selon la requérante, la Commission aurait dû tenir compte du fait que, dans le cas concret, l'infraction à l'article 102 TFUE invoquée comportait une dimension internationale, parce que la plaignante était une société allemande et que, notamment, des patients étrangers avaient recours à ses services.

15 Par ailleurs, tout en précisant qu'une procédure comportant des investigations supplémentaires est en cours devant la BWB, mais que cette dernière a tout d'abord refusé d'examiner l'affaire en raison de l'insuffisance de ses ressources, la requérante considère que le " traitement " par une autorité de concurrence d'un État membre au sens de l'article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 peut seulement signifier que cette autorité examine l'affaire au fond. Il ne s'agirait pas d'un " traitement " au sens de cette disposition lorsque ladite autorité ne commence pas le traitement de l'affaire en raison d'un manque de ressources. Il ne s'agirait pas non plus d'un " traitement " au sens de ladite disposition lorsque cette même autorité reste inactive, parce qu'elle ne voit pas de possibilités de régler l'affaire au niveau du droit national. La requérante s'estime ainsi privée, depuis environ quatre ans, de la protection juridictionnelle qui en aurait découlé.

16 La Commission conteste ces arguments et conclut au rejet du moyen unique.

17 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu'un acte n'est entaché de détournement de pouvoir que s'il apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d'atteindre des fins autres que celles excipées ou d'éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l'espèce (voir arrêt du 13 novembre 2014, Espagne/Commission, T 481/11, EU:T:2014:945, point 95 et jurisprudence citée). Or, en l'espèce, la requérante n'a pas apporté d'éléments tendant à démontrer que la décision attaquée avait été adoptée à des fins autres que celles excipées ou afin d'éluder une procédure spécialement prévue par le traité. En tout état de cause, rien ne permet de conclure que la Commission a, en l'espèce, commis un détournement de pouvoir.

18 Il ressort, toutefois, des développements de la requête que, sous le couvert d'un moyen tiré d'un détournement de pouvoir, la requérante reproche, en réalité, à la Commission d'avoir commis une violation de l'article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003.

19 À cet égard, il convient de relever que le considérant 18 du règlement n° 1/2003 souligne que, " [a]fin d'assurer une attribution optimale des affaires au sein du réseau, il convient de prévoir une disposition générale permettant à une autorité de concurrence de suspendre ou de clôturer une affaire au motif qu'une autre autorité traite ou a traité la même affaire, l'objectif étant que chaque affaire ne soit traitée que par une seule autorité " et que " [c]ette disposition ne doit pas faire obstacle à la possibilité, reconnue à la Commission par la jurisprudence de la [Cour], de rejeter une plainte pour défaut d'intérêt communautaire, même lorsqu'aucune autre autorité de concurrence n'a indiqué son intention de traiter l'affaire ".

20 En outre, l'article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 dispose que, " [l]orsque les autorités de concurrence de plusieurs États membres sont saisies d'une plainte ou agissent d'office au titre des articles [101 TFUE] et [102 TFUE] à l'encontre d'un même accord, d'une même décision d'association ou d'une même pratique, le fait qu'une autorité traite l'affaire constitue pour les autres autorités un motif suffisant pour suspendre leur procédure ou rejeter la plainte " et que " [l]a Commission peut également rejeter une plainte au motif qu'une autorité de concurrence d'un État membre la traite ".

21 Il ressort du libellé clair de l'article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 que la Commission est fondée à rejeter une plainte sur le fondement de cette disposition si elle constate, d'une part, qu'une autorité de concurrence d'un État membre " traite " l'affaire dont elle est saisie et, d'autre part, que cette affaire porte sur le " même accord ", la " même décision d'association " ou la " même pratique ". Autrement dit, la réunion de ces deux conditions constitue, pour la Commission, un " motif suffisant " pour rejeter la plainte dont elle est saisie. Ainsi, l'application de ladite disposition ne saurait être subordonnée à d'autres conditions que celles mentionnées ci-avant (arrêt du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T 201/11, EU:T:2014:1096, points 33 et 34).

22 En ce qui concerne plus précisément le sens à donner au terme " traiter " visé à l'article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003, il a été jugé que ce terme ne saurait signifier simplement qu'une autre autorité a été saisie d'une plainte ou bien qu'elle s'est saisie d'office d'une affaire, mais qu'elle enquête ou a enquêté sur l'affaire pour son compte, comme il ressort des dispositions du paragraphe 20 de la communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence (JO 2004, C 101, p. 43), qui vise à mettre en œuvre les dispositions dudit règlement. Ainsi, lorsque la Commission rejette une plainte en application de l'article 13, paragraphe 1, de ce règlement, elle doit, sur la base des informations dont elle dispose à la date à laquelle elle rend sa décision, s'assurer, notamment, que l'autorité de concurrence d'un État membre enquête sur l'affaire (voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T 201/11, EU:T:2014:1096, points 48 et 50, et du 21 janvier 2015, easyJet Airline/Commission, T 355/13, EU:T:2015:36, point 29).

23 La Cour a également rappelé que l'article 13 et le considérant 18 du règlement n° 1/2003 traduisaient le large pouvoir d'appréciation dont jouissaient les autorités nationales réunies dans le réseau des autorités de concurrence afin d'assurer une attribution optimale des affaires au sein de ce dernier (arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C 17/10, EU:C:2012:72, point 90). Compte tenu du rôle attribué à la Commission par le traité FUE pour définir et mettre en œuvre la politique de la concurrence, la Commission dispose, a fortiori, également d'un large pouvoir d'appréciation lorsqu'elle applique ledit article (arrêts du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T 201/11, EU:T:2014:1096, point 43, et du 21 janvier 2015, easyJet Airline/Commission, T 355/13, EU:T:2015:36, point 17).

24 À cet égard, il ressort d'une jurisprudence constante que, lorsque les institutions disposent d'un large pouvoir d'appréciation, le respect des garanties conférées par l'ordre juridique de l'Union européenne dans les procédures administratives revêt une importance d'autant plus fondamentale et que, parmi ces garanties, figure notamment l'obligation, pour l'institution compétente, d'examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d'espèce (voir arrêt du 21 janvier 2015, easyJet Airline/Commission, T 355/13, EU:T:2015:36, point 19 et jurisprudence citée). Il s'ensuit que, dans le cadre de l'article 13 du règlement n° 1/2003, la Commission doit prendre en considération tous les éléments de droit et de fait pertinents afin de décider de la suite à donner à une plainte.

25 Toutefois, dans la mesure où la Commission dispose d'un large pouvoir d'appréciation aux fins de la mise en œuvre de l'article 13 du règlement n° 1/2003, le contrôle du juge de l'Union doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi que de l'exactitude matérielle des faits, de l'absence d'erreur de droit, d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T 201/11, EU:T:2014:1096, point 44 et jurisprudence citée, et du 21 janvier 2015, easyJet Airline/Commission, T 355/13, EU:T:2015:36, points 19 et 20).

26 C'est à la lumière de ces principes qu'il convient d'apprécier si, comme le soutient, en substance, la requérante, la Commission a commis une violation de l'article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 en adoptant la décision attaquée.

27 En l'espèce, la Commission a adopté la décision attaquée, portant rejet de la plainte de la requérante, sur le fondement de l'article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003, en s'appuyant sur le constat que la BWB, en sa qualité d'autorité de concurrence d'un État membre, traitait d'une plainte contre la même pratique que celle faisant l'objet de la plainte dont elle était saisie.

28 La Commission a précisé, au considérant 27 de la décision attaquée, qu'elle était parvenue à la conclusion que la BWB traitait une plainte contre la même pratique. Elle a souligné que, les 30 juillet et 2 novembre 2015, la BWB l'avait informée qu'elle traitait cette plainte et avait commencé des investigations. Elle a ajouté que, les 1er mars et 6 mai 2016, la BWB lui avait confirmé le fait que la procédure était toujours ouverte et que, dans cette dernière lettre, celle-ci lui avait précisé que plusieurs contacts avaient eu lieu avec la requérante.

29 Le traitement par la BWB de la plainte contre la même pratique est d'ailleurs confirmé par d'autres pièces du dossier et, notamment, par un courrier figurant à l'annexe D.1 de la duplique, mentionné au considérant 28 de la décision attaquée, qui a été adressé à la requérante le 16 mars 2016 par la BWB, dans lequel cette dernière l'informe que la procédure en cours n'est pas encore terminée et que des examens au regard du droit de la concurrence seront réalisés en ce qui concerne le fonds en cause. En outre, dans ce courrier, la BWB a invité la requérante à une réunion. Il ressort ainsi du contenu dudit courrier qu'une enquête était ouverte auprès de la BWB et que cette dernière traitait activement ladite plainte. Par ailleurs, la requérante reconnaît, au point 10 de la requête et au point 4 de la réplique, qu'une procédure comportant des investigations supplémentaires était en cours devant la BWB.

30 Il s'ensuit que c'est en tenant compte de tous les éléments pertinents du cas d'espèce que la Commission a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, considérer que la BWB traitait la plainte contre une même pratique au sens de l'article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 et, partant, décider de rejeter la plainte de la requérante.

31 Au demeurant, dès lors qu'il est établi que la BWB traitait activement la plainte contre une même pratique, il y a lieu d'écarter l'allégation de la requérante prétendant que la BWB était restée inactive, parce que celle-ci ne voyait pas de possibilités de régler l'affaire au niveau du droit national.

32 S'agissant du grief adressé par la requérante à la Commission de ne pas avoir tenu compte du fait que, dans le cas concret, l'infraction à l'article 102 TFUE invoquée comportait une dimension internationale contraignant cette institution à examiner la plainte, il convient de rappeler que, en vertu des articles 4 et 5 du règlement n° 1/2003, la Commission et les autorités de concurrence des États membres disposent de compétences parallèles pour l'application des articles 101 et 102 TFUE et que l'économie de ce règlement repose sur une étroite coopération entre celles-ci. En revanche, ni ledit règlement ni aucune autre disposition du droit de l'Union ne prévoit une règle de répartition des compétences entre la Commission et les autorités de concurrence des États membres (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T 201/11, EU:T:2014:1096, points 36 et 37 et jurisprudence citée).

33 Ainsi, ni le règlement n° 1/2003 ni aucune autre disposition du droit de l'Union ne crée de droits ni d'attentes pour une entreprise pour ce qui concerne le traitement de son affaire par une autorité de concurrence donnée (voir arrêt du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T 201/11, EU:T:2014:1096, point 39 et jurisprudence citée).

34 Dès lors, même à supposer que la Commission ait été particulièrement bien placée pour traiter l'affaire et que la BWB n'ait pas été bien placée pour le faire, la requérante ne disposait d'aucun droit à voir l'affaire traitée par la Commission. De plus, il convient de rappeler que c'est la requérante qui a décidé elle-même de déposer une plainte au niveau national auprès de la BWB, alors qu'elle n'était pas tenue de le faire.

35 En conséquence, le grief tiré de la prétendue méconnaissance de la dimension internationale de l'affaire ne saurait valablement prospérer.

36 En ce qui concerne le grief tiré de l'absence de protection juridictionnelle, il suffit de rappeler que, conformément à l'article 6 du règlement n° 1/2003, les juridictions nationales sont compétentes pour appliquer l'article 102 TFUE, lequel produit des effets directs et engendre des droits à l'égard des justiciables. Il incombe ainsi aux juridictions nationales de sauvegarder ces droits. La requérante ne saurait dès lors soutenir qu'elle a été privée de cette protection juridictionnelle, qu'elle aurait pu obtenir à tout moment devant les juridictions nationales.

37 Au vu de l'ensemble des développements qui précèdent, il y a lieu de considérer que la Commission n'a commis aucune violation de l'article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 en adoptant la décision attaquée.

38 Dès lors, il convient de rejeter le moyen unique soulevé par la requérante et, partant, le recours dans son intégralité.

Sur les dépens

39 Aux termes de l'article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) VIMC - Vienna International Medical Clinic GmbH est condamnée aux dépens.

Prek Schalin Costeira