CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 25 octobre 2017, n° 14-15714
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Speed Rabbit Pizza (SA)
Défendeur :
Domino's Pizza France (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Lallement, Parleani, Boccon Gibod, Saint Esteben
Faits et procédure
La société Speed Rabbit Pizza SA, (ci-après " SRP "), intervient sur le marché de la vente à emporter et de la livraison à domicile de pizzas. La société exerce cette activité à travers des points de vente gérés en exploitation directe, ou, pour la majorité, exploités en franchise par des sociétés indépendantes. La société compte 98 points de ventes exerçant sous l'enseigne Speed Rabbit Pizza.
La société Domino's Pizza France SAS, (ci-après " DPF "), est spécialisée dans la livraison de pizzas à domicile ou à emporter et exerce cette activité à travers un réseau de franchise comptant à la fin 2013, 227 points de vente.
Entre 2003 et 2012, le réseau SRP a perdu 26 points de vente et son chiffre d'affaires en a été affecté. La société SRP estime que cette situation est le fait d'une politique commerciale agressive de la part de son concurrent DPF et de pratiques illicites et délictueuses.
Par acte du 20 mars 2012, la société SRP a assigné la société DPF en concurrence déloyale et cessation des pratiques illicites de son concurrent ayant consisté à accorder à ses franchisés des délais de paiement anormalement longs, des abandons de créance injustifiés, des prêts au mépris des règles concernant le monopole bancaire et à racheter leurs fonds de commerce à vil prix.
Par jugement du 7 juillet 2014, le Tribunal de commerce de Paris a :
- déclaré irrecevables les pièces de la demanderesse n° 1, 2, 3, 4, 5, 6, 8, 12, 14, 15, 16, 20, 23, 27, 42, 56, 57, 62, 63, 69, 74 et 79 et les annexes n° 22, 23, 24 et 46 de la consultation Sorgem du 3 septembre 2013 correspondant à la pièce n° 60,
- débouté la société Speed Rabbit Pizza de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société Speed Rabbit Pizza à payer à la société Domino's Pizza France la somme de 2 300 000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale par faits de dénigrement, pour procédure abusive et désorganisation de réseau,
- ordonné l'exécution provisoire sans garantie du présent jugement,
- ordonné la publication du dispositif du présent jugement dans un délai de 2 mois à compter de sa signification dans les revues Franchise Magazine et Le Nouvel Economiste, ainsi que sur le site internet L'Observatoire de la Franchise et sur celui de la société Speed Rabbit Pizza où il demeurera affiché pendant une durée de 7 jours, le tout aux frais avancés de la société Domino's Pizza France qui lui seront remboursés par la société Speed Rabbit Pizza sur la seule présentation des factures correspondantes acquittées,
- condamné la société Speed Rabbit Pizza à payer à la société Domino's Pizza France la somme de 487 852 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- condamné la société Speed Rabbit Pizza aux entiers dépens de la présente instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 121,44 euros dont 20,02 euros de TVA.
LA COUR
Vu l'appel interjeté le 22 juillet 2014 par la société Speed Rabbit Pizza et ses dernières conclusions signifiées le 10 août 2017, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- recevoir la société Speed Rabbit Pizza en son appel, et l'y dire bien fondée,
- annuler, et le cas échéant réformer, le jugement prononcé par le Tribunal de commerce de Paris dont appel, pour avoir rejeté certaines pièces produites par la société Speed Rabbit Pizza sur une motivation erronée en droit et en fait, en violation de l'office du juge, du principe du contradictoire, de la liberté de preuve, et du droit à un procès équitable,
- infirmer en son entier le jugement dont appel,
statuant à nouveau,
- dire :
que la société Domino's Pizza France a commis des actes de concurrence déloyale et illicite :
en accordant à ses franchisés des délais de paiement illicites, en violation des articles L. 441-6 et L. 443-1 du Code de commerce,
en leur accordant des prêts en violation des articles L. 511-5 et L. 511-7 du Code Monétaire et Financier,
en mettant volontairement en place une stratégie d'édification de barrières à l'entrée sur le marché et d'élimination de la concurrence, par entente entre elle et ses franchisés, et en exploitant abusivement sa position dominante,
que cette même société s'est rendue coupable de pratiques anticoncurrentielles, visées tant par l'article L. 420-1 que par l'article L. 420-2 du Code de commerce,
dire que ces faits et cette stratégie illicites sont fautifs, qu'ils engagent la responsabilité de la société Domino's Pizza France, et l'obligent à réparation,
en conséquence,
- condamner la société Domino's Pizza France à verser à la société Speed Rabbit Pizza la somme globale de 75,8 millions d'euros, se décomposant comme suit :
fermeture de points de vente : 19 500 000 euros,
perte de chiffre d'affaires : 8 400 000 euros,
entrave au développement du réseau : 30 200 000 euros,
préjudice d'image : 17 700 000 euros.
- débouter la société Domino's Pizza France de toutes ses demandes, fins, et conclusions,
- la condamner au paiement de la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 1er septembre 2017 par la société Domino's Pizza France, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- constater que SRP produit au soutien de ses écritures un certain nombre de pièces en violation du principe de loyauté et licéité de la preuve,
en conséquence,
- dire et juger irrecevables les pièces adverses n° 109-1, 109-4, 111-2, 111-3, 120-3, 128-1, 131, 133 et 135.
- dire et juger que devant le Tribunal de commerce la procédure est orale et que par conséquent, les parties sont libres de développer à l'audience des moyens et prétentions non repris dans leurs écritures,
- dire et juger que les prétentions et moyens formulés au cours de l'audience sont présumés avoir été débattus contradictoirement,
- constater que SRP a été mise en mesure de fournir des explications sur la pertinence des pièces versées aux débats,
- constater que SRP produit de nombreuses pièces n'apportant aucun éclairage sur les pratiques reprochées,
en conséquence,
- dire et juger qu'en écartant ces pièces des débats, le Tribunal de commerce de Paris n'a pas violé le principe du contradictoire,
- rejeter la demande d'annulation par SRP du jugement du 7 juillet 2014,
- dire et juger irrecevables les pièces adverses n° 1, 2, 3, 4, 5, 6, 8, 12, 14, 15, 16, 20, 23, 27, 42, 56, 57, 62, 63, 69, 74 à 79 et les annexes n° 22, 23, 24 et 46 du rapport complémentaire Sorgem correspondant à la pièce adverse n° 60,
- constater que SRP ne démontre pas de violation des délais de paiement dont serait à l'origine DPF,
- constater que SRP ne démontre pas de violation du monopole bancaire dont serait à l'origine DPF,
- constater que SRP ne démontre pas l'existence de pratiques anticoncurrentielles dont serait à l'origine DPF,
- constater que SRP ne démontre pas l'existence de pratiques illicites de DPF qui seraient caractérisées par des rachats de points de vente et des abandons de créances,
- constater que SRP ne démontre pas l'existence d'une politique d'éviction de DPF,
en conséquence,
- dire et juger qu'aucune faute dont serait à l'origine DPF n'est démontrée,
- constater que SRP n'identifie pas les zones géographiques dans lesquelles il existerait une concurrence frontale entre un point de vente DPF et un point de vente SRP,
- constater que SRP n'apporte pas la preuve que sur les zones ainsi définies les franchisés DPF ont bénéficié de délais de paiement et/ou prêts illicites,
- constater que SRP ne démontre pas que les franchisés auraient utilisé ces prétendus avantages illicites pour pratiquer une politique commerciale et tarifaire agressive,
- constater que SRP ne caractérise pas l'effet d'éviction qui aurait résulté de ces pratiques,
en conséquence,
- dire et juger qu'aucun lien de causalité n'est démontré entre les fautes alléguées et le préjudice invoqué par SRP,
- constater que la méthode d'appréciation du préjudice allégué repose sur des postulats erronés,
en conséquence,
- dire et juger qu'aucun préjudice n'est caractérisé,
pour toutes ces raisons,
- dire et juger que les conditions d'application de l'article 1382 du code civil ne sont pas remplies,
en conséquence,
- débouter SRP de l'ensemble de ses demandes fondées sur l'article 1382 du code civil,
- constater que l'action initiée par SRP est constitutive d'un abus du droit d'ester en justice et s'inscrit
dans une démarche plus large d'acharnement judiciaire,
- constater que SRP a commis plusieurs actes de dénigrement à l'encontre de DPF,
- constater que dans son jugement du 7 juillet 2014, le tribunal a caractérisé l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité, pour toutes ces raisons,
- dire et juger que c'est à bon droit que le Tribunal de commerce a condamné SRP à verser à DPF la somme de 2,3 millions d'euros au titre de dommages et intérêts,
- dire et juger que le Tribunal de commerce n'a pas statué ultra petita en condamnant SRP à verser à DPF la somme de 1,3 million d'euros au titre de la procédure abusive et de la désorganisation du réseau et la somme de 1 million d'euros au titre des pratiques de dénigrement,
- dire et juger que le juge dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour fixer le montant des frais irrépétibles,
- constater que DPF a justifié de l'ensemble des dépenses exposées pour assurer la défense légitime de ses intérêts et a produit l'ensemble des justificatifs afférents,
- dire et juger que le Tribunal de commerce de Paris a statué en équité,
en conséquence,
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a condamné SRP au paiement de la somme de 487 852 euros à DPF au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- constater que SRP a commis un acte de concurrence déloyale en produisant des pièces en violation du principe de loyauté et licéité de la preuve,
- constater que SRP a commis des actes de concurrence déloyale en dénigrant DPF,
en conséquence,
- condamner SRP à verser à DPF la somme totale de 350 000 euros au titre de dommages et intérêts,
en tout état de cause :
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans un délai de 2 mois à compter de la date de son prononcé dans les revues suivantes : Franchise Magazine et Le Nouvel Economiste et sur les sites Internet suivants : L'Observatoire de la franchise, Le Nouvel Observateur et celui de SRP, aux frais avancés de DPF, sans que le coût de chaque publication ne soit inférieur à 5 000 euros,
- condamner SRP à verser à DPF la somme de 150 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner SRP aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué Paris-Versailles ;
SUR CE
Sur les moyens d'irrecevabilité des pièces produites par l'appelante
Sur les documents relevant du secret des affaires : pièces 133 et 131
La société DPF sollicite le retrait de la pièce 133 (présentation powerpoint élaborée par DPF et présentée aux franchisés Pizza Sprint en décembre 2015) au motif que ces documents sont purement internes à la société DPF et comportent des secrets d'affaires. Elle demande aussi le retrait du rapport Sorgem (pièce 131) qui est annexé à cette pièce. Elle soutient que le document n'était nullement destiné à être diffusé en dehors des réseaux DPF et Pizza Sprint et que le caractère daté de cette présentation ne saurait lui faire perdre tout caractère confidentiel.
Mais la société SRP soutient à juste titre que le secret des affaires ne bénéfice pas du même régime que celui attaché au secret professionnel, et qu'il ne constitue donc pas un obstacle absolu à la preuve.
La société Domino's Pizza ne démontre pas que la divulgation des informations contenues dans cette présentation powerpoint dans le cadre de la présente instance pourrait gravement léser ses intérêts.
Sur les correspondances privées : pièces 109-1 et 135
La société DPF soutient que l'inviolabilité de la correspondance est un aspect de la liberté individuelle et que leur caractère confidentiel empêchait l'utilisation de lettres contre le gré de l'auteur. La société DPF souligne que la production de correspondances portant atteinte à la vie privée ne pouvait être autorisée que si la production de ces correspondances était indispensable à l'exercice du droit de la preuve et si l'atteinte caractérisée était proportionnée au but poursuivi. Or, la société DPF estime ne jamais avoir consenti à la communication par la société SRP des pièces 109-1 et 135 (échanges de mails entre DPF et certains de ses franchisés) et que leur production n'est manifestement ni indispensable, ni proportionnée au but poursuivi.
Mais la société SRP souligne à juste titre que l'accord de l'auteur d'une correspondance n'est pas nécessaire pour que celle-ci soit produite en justice. En l'espèce, ces pièces sont versées aux débats par la société SRP pour démontrer les pratiques illicites imputées à la société DPF, sans que cette dernière ne démontre qu'elles auraient été obtenues par des manœuvres déloyales.
Sur les protocoles transactionnels
La société DPF soutient qu'un protocole transactionnel est confidentiel par nature et qu'il a déjà été jugé que la violation de l'obligation de confidentialité des parties était avérée du seul fait de la diffusion du protocole transactionnel à un tiers, qui au surplus, comme en l'espèce, l'a produit dans le cadre d'une procédure judiciaire.
Mais elle échoue à démontrer que ces pièces auraient été obtenues par fraude ou manœuvres déloyales.
Sur les actes juridiques auxquels la société SRP n'est pas partie
La société DPF estime que la société SRP ne peut pas prétendre avoir obtenu de manière loyale ces actes, auxquels elle n'est pas partie et qui ne sont pas publics. Ainsi, la société intimée soutient que la société SRP a violé le principe de licéité et de loyauté de la preuve en produisant lesdites pièces.
Mais la société SRP soutient à juste titre que la société DPF ne démontre pas en quoi les contrats versés aux débats auraient été obtenus de manière déloyale (pièce 109-4, 120-3 et 128-1). Elle démontre au surplus que la pièce 120-3 (Convention de blocage de compte courant du 15.12.04) était annexée à la cession de parts sociales de la société LLP appartenant à la société DPF (cédante), au profit de la société Holding LP le 13 juin 2012 et que cette cession de parts ainsi que la convention de blocage de compte courant ont été déposées au greffe du Tribunal de commerce de Poitiers le 31 juillet 2012 et étaient dès lors accessibles à tous, sur simple demande.
Sur la demande d'annulation du jugement pour rejet des pièces (pièces n° 1 à 6, 8, 12, 14, 15, 16, 20, 23, 27, 42, 56, 57, 62, 63, 69, 74 à 79)
La société SRP soutient que seule l'absence de respect du contradictoire ou la déloyauté des éléments de preuve communiqués peuvent conduire une juridiction à les écarter des débats. Or, la société SRP estime qu'en l'espèce, c'est en raison de leur généralité qu'ont été écartées les pièces litigieuses et qu'aucun autre motif n'a été retenu. Le tribunal a soulevé d'office ce moyen, sans rouvrir les débats ; le jugement doit donc être annulé pour violation du contradictoire.
Mais la société DPF prétend, sans être sérieusement démentie, que le tribunal avait demandé à l'appelante dans quelle mesure les pièces qu'elle produisait étaient utiles et nécessaires à la solution du litige et permettaient d'apporter la preuve que la société DPF aurait commis des actes de concurrence déloyale, de telle sorte que leur utilité a été débattue. Aucune nullité du jugement ne saurait donc résulter de la mise à l'écart de ces pièces.
Sur l'action en concurrence déloyale initiée par l'appelante
Le bien-fondé d'une action en concurrence déloyale est subordonné à l'existence d'un fait fautif générateur d'un préjudice. Peut ainsi constituer une faute la méconnaissance, par un commerçant, de la réglementation qui lui est applicable car, en se dispensant des contraintes imposées par les textes, il s'octroie un avantage par rapport à ses concurrents.
La société SRP, en se fondant sur la violation de la réglementation sur les délais de paiement et sur les prêts bancaires, grâce à laquelle la société DPF aurait maintenu artificiellement en activité des franchisés non rentables, estime que la société DPF s'est rendue responsable à son égard d'une pratique de concurrence déloyale. Cette pratique aurait eu pour effet de contraindre ses franchisés SRP à abandonner leur activité ou encore aurait provoqué une baisse de leur chiffre d'affaires, ce qui l'aurait elle-même privée des redevances que ceux-ci lui versent. Cette pratique aurait également eu pour effet d'entraver le développement du réseau SRP, en érigeant des barrières à l'entrée et provoqué un préjudice d'image.
Les pratiques illégales dont il est fait état se déroulent sur les marchés géographiques locaux sur lesquels les franchisés des deux réseaux vendent leurs prestations aux consommateurs et sur lesquels ils sont en concurrence. " Les zones de chalandise couvertes par les magasins de livraison de pizza sont restreintes ", ainsi que l'Autorité de la concurrence l'a souligné dans une décision 02-D-64 du 23 octobre 2002.
Or, la société SRP n'apporte pas la preuve que, sur une zone géographique identifiée, dans laquelle il existerait une concurrence frontale entre un point de vente DPF et un point de vente SRP :
- les franchisés DPF auraient effectivement bénéficié de délais de paiement plus souples ou d'octroi de prêts ;
- ces franchisés en auraient alors profité pour pratiquer une politique commerciale et tarifaire agressive ;
- ce qui aurait conduit à l'éviction effective ou potentielle des franchisés SRP.
Sur le premier point, l'étude MAPP versée aux débats par la société DPF souligne à juste titre, en amont, l' " absence de démonstration d'un lien entre la présence d'un point de vente SRP et la mise en œuvre de pratiques anormales de DPF ". Il ressort en effet de cette étude (page 75) que les délais de paiement des franchisés DPF sont déconnectés de la présence ou non d'un point de vente SRP dans la zone de concurrence, ce qui démontre que leur objet n'est pas de financer une politique d'éviction des franchisés SRP. En effet, si ces pratiques avaient visé à l'éviction des franchisés SRP, elles auraient été ciblées sur les zones de chalandise où un franchisé DPF est en concurrence avec un franchisé SRP. Aucun lien n'est donc établi entre, d'une part, l'octroi allégué de délais de paiement et d'autre part, la présence ou l'absence de la société SRP dans la zone de chalandise considérée.
Sur le deuxième point, si la société SRP prétend que les aides diverses de la société DPF auraient permis à ses franchisés de pratiquer des prix agressifs, elle ne rapporte pas non plus la démonstration d'une corrélation entre ces aides (délais de paiement et prêts) alléguées et la politique commerciale et promotionnelle des franchisés DPF, la façon dont les pratiques illégales influaient sur les prix des franchisés DPF n'étant pas analysée. Au surplus, les franchisés étant supposés fixer librement leurs prix, il n'est pas évident qu'ils profitent d'une aide du franchiseur pour pratiquer des prix bas. En définitive, la société Domino's Pizza souligne à juste titre " l'absence de démonstration (par la société SRP) d'un lien entre les pratiques prétendument anormales de DPF et la mise en œuvre par les franchisés DPF d'une politique commerciale et tarifaire prétendument agressive ".
Sur le troisième point, le lien de causalité n'est pas démontré entre les pratiques et les dommages prétendument subis par les franchisés SRP et, indirectement par SRP elle-même, au travers d'une baisse des redevances. Si la société SRP verse aux débats une étude établie par le cabinet Sorgem, mettant en évidence (page 24 de la pièce 131) que, sur un échantillon de 65 fermetures de points de vente SRP en concurrence avec les franchisés de DPF sur leur zone de chalandise, de 2003 et 2015, 59 fermetures sont consécutives à une pratique " anormale " du point de vente de DPF, cette " consécutivité " ne démontre pas un lien de causalité mais le présume alors que les difficultés que subissent les magasins SRP peuvent provenir de causes externes (événements conjoncturels, erreurs de management ou de stratégie, crise économique, structure des coûts mal maîtrisée : cf rapport MAPP, page 32, pièce 33 de DPF). Il en est de même de l'étude de l'échantillon de 103 points de vente de la société SRP, concurrents des points de vente de DPF, sur la période 2003 et 2015. Si ces études établissent que 103 points de vente de SRP ont connu une baisse de chiffre d'affaires et que 66 sur ces 103 ont connu cette baisse à la suite d'une pratique anormale de DPF (page 26), là encore, le lien de causalité est présumé. Il n'est pas tenu compte de la concurrence exercée par d'autres points de vente que ceux de DPF. Aucun lien de causalité entre les prétendues fautes et le préjudice invoqué n'est établi, les dommages allégués pouvant s'expliquer par des motifs autres que les pratiques de concurrence déloyale.
Au demeurant, les rapports MAPP produits par la société DPF démontrent clairement que toute stratégie d'exclusion telle que celle soutenue par la société SRP, était vouée à l'échec sur un marché aussi concurrentiel que celui de la vente de pizzas.
Sans qu'il soit besoin d'évaluer les pratiques prétendument illégales alléguées par la société SRP, il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société SRP de ses demandes au titre de la concurrence déloyale.
Sur les pratiques anticoncurrentielles
Sur l'existence d'ententes anticoncurrentielles
La société SRP estime que les accords verticaux de nature financière entre une tête de réseau et ses franchisés, en termes de délais de paiement, prêts, comptes d'associés, rachats de fonds, sont constitutifs d'une entente au sens des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 du TFUE s'ils ont pour objet ou pour effet d'évincer des concurrents ou d'édifier des barrières à l'entrée.
Mais la société DPF rappelle à juste titre que c'est dans le cadre du Règlement par catégorie n° 330/2010 de la Commission européenne que doit être appréciée la relation verticale entre le franchiseur DPF et ses franchisés pour déterminer l'existence d'une entente. Au titre de ce Règlement, les accords verticaux sont considérés comme licites dès lors que la part de marché de toutes les parties à ces accords ne dépasse pas 30 % et hormis les cas de clauses dites " noires " ; au-delà de ce seuil, les accords verticaux peuvent bénéficier d'une exemption individuelle au cas par cas selon l'article 101 § 3 du TFUE.
Or, la société SRP ne démontre pas que la société DPF dépasse le seuil de 30 % d'un quelconque marché pertinent. Par ailleurs, l'entente alléguée ne constitue pas un accord sur les prix, les quantités ou répartissant les zones territoriales de vente des franchisés, non exemptable.
Cette demande sera donc également rejetée.
Sur l'existence d'une pratique constitutive d'un abus de position dominante
La société SRP soutient que la stratégie de la société DPF est précisément de créer des barrières à l'entrée sur le marché, en utilisant ses relations avec les membres de son réseau. La société SRP soutient que la société DPF est parvenue à limiter, à son profit et à celui de ses franchisés, l'expansion des réseaux concurrents, puis à réduire leur importance tandis que le réseau DPF croissait, que son réseau repose sur une marque notoire, et que la société DPF a construit une position dominante parvenant à 65 % de part de marché parmi les enseignes nationales de franchise.
La société DPF réplique que la société SRP ne démontre à aucun moment qu'elle détiendrait une position dominante et que l'existence d'une multitude de concurrents et les spécificités du marché caractérisé notamment par l'absence de barrières à l'entrée, excluent que la société DPF puisse détenir un pouvoir de marché significatif et pérenne sur ses zones de chalandise.
En l'absence de définition du marché pertinent et de la caractérisation d'une position dominante de la société DPF, ce moyen sera également rejeté.
Sur les demandes reconventionnelles de l'intimée
Sur l'abus du droit d'ester en justice de SRP
La société DPF estime que la procédure initiée par la société SRP participe d'une stratégie de déstabilisation du réseau DPF qui a été entreprise depuis plusieurs années par son dirigeant. Elle soutient que cette stratégie s'est illustrée par l'accumulation de procédures judiciaires devant les autorités administratives indépendantes et les services du ministère de l'Economie, ayant pour objectif officiel de condamner la société DPF pour non-respect des règles de concurrence, non couronné de succès à ce jour, et pour objectif officieux de maintenir le réseau DPF sous une épée de Damoclès par un acharnement procédurier. La société DPF rappelle que cette déstabilisation a été d'autant plus sensible que la société SRP a communiqué des pièces confidentielles provenant du réseau DPF et a initié une action sans pièces justificatives pour une demande exorbitante. À ce titre, elle sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société SRP au versement d'une somme de 1 300 000 euros au titre de la procédure abusive.
La société SRP estime que chaque partie est libre d'apporter les éléments de preuve au soutien de ses prétentions et qu'il appartient au juge de trancher le litige en examinant les éléments de preuve qui lui sont soumis. Elle soutient que le nombre de pièces communiquées ne présente, au vu du litige, aucun caractère abusif. Quant à l'accusation d'acharnement procédurier, la société SRP expose que la société DPF vise des faits anciens et prescrits, qui ne peuvent en rien servir de fondement à une demande indemnitaire. Enfin, elle affirme que la société DPF n'apporte aucune justification relative au préjudice dont elle se prévaut.
Le droit d'agir en justice, droit fondamental, ne dégénère en abus de droit que lorsque l'action en justice, manifestement vouée à l'échec, est intentée dans l'intention de nuire.
Or, le nombre de pièces versées au dossier et les saisines des autorités administratives, de la DGCCRF, ainsi que des DDCCRF, ne traduisent pas en soi un acharnement procédural particulier devant la justice. Les multiples saisines de tribunaux de commerce afin de contraindre les franchisés DPF à publier leurs comptes ou les saisines de tribunaux administratifs pour obtenir communication des procès-verbaux d'enquête dressés par les DIRECCTE au niveau local s'expliquent par l'existence de nombreux marchés locaux et ne traduisent pas en soi la volonté de nuire, mais d'avoir une vue exhaustive du réseau de DPF. Enfin, les assignations de franchisés SRP sur des fondements identiques à ceux de la présente procédure peuvent s'expliquer par un changement de tactique procédurale. Le caractère exorbitant des demandes de dommages et intérêts ne lie pas les juridictions et ne saurait donc en soi faire grief. En outre la société DPF qui allègue une désorganisation de son réseau, la dégradation des relations avec ses franchisés et une image ternie dans la presse ainsi qu'auprès des investisseurs n'en apporte aucun commencement de preuves. Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la société SRP à payer à la société DPF la somme de 1 300 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et désorganisation.
Sur les pratiques de dénigrement
La société DPF estime que la diffusion, par la société SRP, d'un quizz SRP, lors d'un salon déterminant pour le développement du réseau DPF en mars 2010, a eu des conséquences dommageables significatives pour le réseau DPF, qui se sont traduites par un préjudice moral consistant en l'atteinte à son image de marque auprès des professionnels du secteur et des candidats potentiels à l'entrée dans le réseau. Ainsi, la société DPF sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a estimé que cette pratique constituait un dénigrement, qui a nécessairement et directement causé un préjudice à la société DPF.
La société DPF soutient également que la diffusion sur Twitter et sur la page " commentaire client " d'Amazon, par le président de SRP, de propos constitutifs de dénigrement a dépassé le champ de la libre critique. Elle affirme qu'en matière de dénigrement, le préjudice commercial et moral subi par une entreprise s'infère nécessairement des pratiques et que dès lors, l'étendue de la diffusion du message est inopérante. L'intimée expose que le site d'Amazon sur lequel le président de SRP a tenu les propos litigieux est le premier site marchand en France et comptabilise pas moins de 15 millions de visiteurs par jour. Par conséquent, de tels propos ont nécessairement causé un préjudice commercial et d'image au réseau DPF. Elle soutient également que les propos tenus par Daniel Sommer sur son blog Mediapart dépassent les limites de la liberté d'expression. A ce titre, la société DPF sollicite la condamnation de la société SRP au versement de la somme de 1 000 000 euros.
Enfin, la société DPF estime que le tribunal n'a pas statué ultra petita, l'article 4 du Code de procédure civile ne lui imposant pas de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, et celui-ci disposant d'un pouvoir discrétionnaire, y compris quant au quantum des dommages et intérêts alloués. Par conséquent, la société DPF sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société SRP à verser au total la somme de 2,3 millions d'euros à titre de dommages-intérêts à la société DPF pour procédure abusive et dénigrement, ensemble.
La société SRP réplique que la diffusion du quizz, lors du salon de la franchise en mars 2010, ne dépasse pas les limites de la liberté d'expression, puisque celui-ci comportait des cases à cocher renvoyant fictivement à la société SRP et à trois de ses concurrents. Ainsi, la société SRP estime s'être visée elle-même et n'avoir jeté aucun discrédit sur ses concurrents. De plus, la société SRP souligne que la société DPF ne s'est pas sentie dénigrée puisque ce n'est que trois ans après, à l'appui d'une demande reconventionnelle, que celle-ci dénonce la diffusion du quizz.
La société SRP estime que Monsieur Sommer a tenu des propos sur son compte Twitter et son blog à titre personnel, n'a pas été identifié en sa qualité de dirigeant de la société SRP, et qu'ainsi, aucun lien n'est établi entre eux aux yeux du public. Elle soutient que les propos tenus à titre personnel par Monsieur Sommer, n'étant pas partie à l'instance, ne peuvent qualifier un dénigrement de la part de la société SRP et ne sauraient engager sa responsabilité. Enfin, elle rappelle que les limites à la liberté d'expression sont l'injure et la diffamation et sollicite donc l'infirmation du jugement du 7 juillet 2014 en ce qu'il a condamné les propos et articles en cause sur le fondement de l'article 1382 du code civil alors qu'ils sont diffusés par "voie de presse". Selon l'appelante, la seule qualification qui aurait été possible pour condamner ces articles et propos, à supposer qu'ils excèdent la liberté d'expression, aurait été celle de la diffamation, poursuivie dans le strict régime de la loi du 29 juillet 1881, et notamment avant que ne soit acquise la brève prescription de trois mois à compter de la diffusion des propos litigieux (article 65 de la loi du 29 juillet 1881).
Enfin, la société SRP expose qu'alors que la société DPF demandait au tribunal de première instance la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice lié au quizz, 100 000 euros en réparation des tweets de Monsieur Sommer et 300 000 euros en réparation des propos de Monsieur Sommer sur son blog Mediapart, le tribunal lui a accordé la somme globale d'un million d'euros en réparation de ces trois fautes prétendues, seules visées par le tribunal. Par conséquent, la société SRP soutient que la condamnation va au-delà des demandes de réparation pour les préjudices concernés, ce dépassement s'élevant à 500 000 euros et qu'il s'ensuit que le jugement dont appel a statué ultra petita.
La loyauté des affaires doit être conciliée avec le principe constitutionnel de la liberté d'expression et seuls les abus de ce droit peuvent être sanctionnés.
Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié et se distingue de la critique dans la mesure où il émane d'un acteur économique qui cherche à bénéficier d'un avantage concurrentiel en jetant le discrédit sur son concurrent ou sur les produits de ce dernier.
Le quizz
La société SRP a diffusé lors du salon de la franchise, qui s'est tenu du 14 au 17 mars 2010, un questionnaire concernant quatre fabricants de pizzas, destiné aux visiteurs du salon, et exposé pendant trois jours, présenté sous la forme de quizz et comportant plusieurs questions, au regard desquelles il fallait cocher une case correspondante à un des quatre fabricants de pizza : Domino's Pizza, Speed Rabbit Pizza, Pizza Hut et Boîte à pizza. Chaque réponse visait une des trois concurrentes de SRP. C'est ainsi par exemple que la question " qui octroie des délais de paiement très largement supérieurs à la Loi, preuve de la faible rentabilité du concept " visait Domino's Pizza. La teneur même de l'ensemble des questions figurant sur le-dit quizz, conduisait à des réponses nécessairement péjoratives pour la ou les sociétés désignées par les candidats incités à répondre. Les franchisés pouvaient aisément reconnaître derrière chacune des questions le concurrent visé et notamment Domino's Pizza. Un tel procédé excède les limites de la communication à laquelle tout opérateur économique peut avoir légalement recours dès lors qu'il entraîne une dévalorisation obligée des produits, enseignes ou marque désignés par la personne répondant au-dit quizz. Cette pratique, largement diffusée à tous les franchisés du salon, constitue une pratique dénigrante.
La diffusion de propos sur Twitter et sur la page " commentaires clients " d'Amazon par le président de SRP
Il résulte des pièces versées au dossier qu'en réaction à un ouvrage de David Jones de la société Havas, le président de SRP a écrit le 9 décembre 2012, deux tweet ainsi rédigés : " David Jones (Havas) + Domino's at Le Web 2012 = Soviet propaganda " et " Havas et Domino's presents sur le Web 2012, dès lors l'exemple tronqué que David Jones assène matin midi et soir, c propagande soviétique ". Par ailleurs, sur la page " commentaires clients " de l'ouvrage de David Jones, sur Amazon, le président de SRP a écrit le 19 décembre 2012 : " la photo que vous décrivez dans votre livre comme authentique ne l'est pas dès lors qu'elle est couplée à un message qui annonce des produits frais qui ne le sont pas dans les faits : certains des produits sont en phase de décongélation (décongelés donc (...). Si vous indiquez lors de vos shows une corrélation entre la hausse du cours en bourse (...) et l'authenticité des produits, c'est également une pure invention de votre part (...) Domino's Pizza est mon concurrent, je ne respecte pas leurs méthodes qui consistent à marketer la fraude, dont finalement vous vous faites complices et dont vous faites l'apologie ".
Ces propos, accessibles à un large public et donnant une image très dévalorisante de la société Domino's Pizza constituent des pratiques de dénigrement.
Les propos tenus par le président de SRP sur son blog médiapart
Se faisant l'écho d'un article paru dans Médiapart le 14 décembre 2013 intitulé " les curieuses recettes de Domino's Pizza ", le président de SRP a créé un blog dans lequel il prétend que l'inertie des autorités face aux agissements répréhensibles de la société DPF s'expliquerait par le pouvoir de l'argent, de la politique, des médias et les conflits d'intérêts, prétendant par ailleurs avoir sauvé du suicide des franchisés Domino's Pizza. Il y expose clairement que, selon lui, si les agissements répréhensibles de DPF ne sont pas sanctionnés, c'est à cause d'une collusion générale de la presse, de la justice et des avocats. Ces propos, émanant du président d'une société connue, ont une portée notable, sont de nature dénigrante et sont accessibles à une large audience.
La diffusion sur le site Internet de SRP et dans les pages du nouvel économiste d'un article intitulé " l'ultime razzia : the killing "
Sous le nom de " Qubiq ", qui vise de façon assez évidente la société Domino's Pizza, la société SRP reprend l'intégralité de ses griefs à son encontre. À travers ce nom d'emprunt, la société Domino's Pizza est aisément reconnaissable, puisqu'il est précisé qu'il s'agit du marché de la pizza. Les propos contenus dans cet article constituent également des pratiques de dénigrement puisque le système Qubiq est décrit comme ayant pour objectif de " berner les actionnaires non dirigeants avec la complicité de banquiers (...), berner le candidat franchisé, futur soldat chargé de constituer au seul profit du franchiseur Qubiq le monopole absolu du marché de la pizza (...), berner la DGCCRF sur les conditions d'une concurrence loyale, (...) pervertir les relations fournisseurs-clients en fraudant ouvertement et continuellement, (...) minimiser (...) le montant de son imposition au titre de l'impôt sur les sociétés en France ".
Les nouveaux actes de concurrence déloyale allégués par la société Domino's Pizza
La société Domino's Pizza expose que SRP a commis un acte de concurrence déloyale en produisant des pièces en violation du principe de loyauté et de licéité de la preuve. Ces arguments ayant été rejetés, il y a lieu de la débouter de cette demande.
Elle expose également que le président de SRP a posté une vidéo relatant les déclarations du procureur de l'État de New York le 24 mai 2016, sur Youtube, avec des commentaires à caractère dénigrant.
Le président de SRP y manifeste sa joie à l'annonce d'une enquête réalisée par le procureur de l'État de New York, mettant en cause le respect du droit social par le franchiseur américain de l'enseigne Dominos' Pizza. Il remet en cause également l'impartialité des juges du Tribunal de commerce en France qui ont rendu le jugement dont il est fait appel. Par ailleurs, il a adressé des mails à plusieurs destinataires, dont un responsable d'un groupe de presse australien, des responsables de Morgan Stanley et des autorités gouvernementales australiennes, stigmatisant " Domino's qui n'avance sur le territoire français que grâce à des fraudes ", " Dominos' fraudeur ", " Domino's Pizza France a fraudé et fraude pour se développer rapidement et créer une barrière à l'entrée ", " je n'aurai de cesse de dénoncer Domino's Pizza comme étant une machine à frauder ". Dans un autre mail du 7 novembre 2016, il écrit " suite au mail du 1er novembre, nous continuerons à vous fournir les preuves des " actes de piraterie " commis par Domino's Pizza en France, en toute impunité " ; " la mise en lumière de ces 'actes de piraterie' sera permanente, rien ne nous arrêtera - ni les trois points de Domino's-, ni ses influences, ni même les menaces physiques des complices de Domino's ".
Tous ces propos, qui dépassent la simple liberté d'expression, sont de caractère dénigrant.
La société Speed Rabbit Pizza ne saurait s'en exonérer en soutenant que les propos imputés à son président étaient tenus à titre personnel et ne sauraient en tout état de cause engager sa responsabilité et que les pratiques relèveraient, à les supposer constituées, tout au plus de l'infraction de diffamation et non de dénigrement.
En effet, le président s'exprime, en qualité de professionnel, sur l'exercice de la concurrence sur le marché des pizzas et, ce faisant, il engage la responsabilité de sa société. La diffusion de ces propos, par tweet, articles, blog et sur le site Amazon, ou encore par mails adressés à des personnes influentes dans le secteur, témoigne de sa volonté de répandre largement son appréciation sur le comportement commercial de la société Domino's, qu'il estime constitutif de nombreuses illégalités.
L'infraction de diffamation suppose l'imputation de faits précis caractérisant une atteinte à l'honneur ou à la réputation d'une personne physique ou morale, conformément à l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881. Or, les propos litigieux sont bien relatifs aux services de la société Domino's, à la façon dont ils sont rendus, à leur qualité, aux pratiques prétendûment illicites qu'elle met en œuvre et aux diverses collusions que la société SRP lui impute.
Si la société Domino's Pizza demande l'allocation d'une somme complémentaire de 350 000 euros pour les nouvelles pratiques signalées, venant s'ajouter au 1, 3 million alloués par les premiers juges, et si un préjudice s'infère nécessairement de pratiques de concurrence déloyale, il y a lieu, en l'absence de toute étude de l'impact économique, sur la société Domino's, des propos dénigrants, de réduire à 500 000 euros le montant des dommages-intérêts à allouer à cette société pour toutes les pratiques de dénigrement, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception d'ultra petita du jugement.
Sur la demande de publication de l'arrêt à intervenir
Si la société Domino's demande à la cour d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans des revues spécialisées dans un délai de 2 mois à compter de la date de son prononcé, la cour estime que le dommage de la société Domino's est suffisamment réparé par l'allocation de dommages-intérêts et que la mesure de publication excèderait cette réparation, compte tenu, au surplus, de l'ancienneté des pratiques. Cette demande sera donc rejetée.
Sur les dépens et frais irrépétibles
La société Speed Rabbit Pizza succombant au principal, elle sera condamnée à supporter les dépens et à payer à la société Domino's la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a déclaré irrecevables certaines pièces de la société SRP, en ce qu'il a condamné la société Speed Rabbit Pizza à payer à la société Domino's la somme de 2 300 000 euros pour concurrence déloyale par faits de dénigrement, procédure abusive et désorganisation de réseau, l'infirme sur ces points, et, statuant à nouveau, Déclare recevables les pièces de la société Speed Rabbit Pizza, rejette la demande de la société Domino's Pizza France pour procédure abusive, condamne la société Speed Rabbit Pizza à payer à la société Domino's Pizza France la somme de 500 000 euros en réparation des pratiques de dénigrement.