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Décisions

Cass. com., 18 octobre 2017, n° 16-15.138

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Berktas, Voinot (ès qual.)

Défendeur :

Fives Cryo (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Avocats :

SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, SCP Piwnica, Molinié

Paris, pôle 5 ch. 11, du 14 juin 2013

14 juin 2013

LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 janvier 2016), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 4 novembre 2014, pourvoi n° 13-22.726), que la société Fives Cryogénie, devenue Fives Cryo, qui fabrique des échangeurs thermiques et des pompes cryogéniques, a confié pendant plusieurs années des travaux de soudure à M. Berktas, entrepreneur individuel exerçant sous l'enseigne "HB Soudure", avant de cesser toutes commandes à compter du mois d'août 2009 ; que M. Berktas ayant été mis en liquidation judiciaire le 15 septembre 2009, son liquidateur, M. Voinot, a assigné la société Fives Cryo en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie ;

Attendu que M. Voinot, ès qualités, fait grief à l'arrêt du rejet de ses demandes alors, selon le moyen : 1°) que toute relation suivie et stable dont le cocontractant peut légitimement s'attendre à ce qu'elle se poursuive est une relation commerciale établie, indépendamment de sa nature juridique ; qu'en jugeant que les commandes passées à la société HB Soudure " étaient systématiquement précédées d'une consultation " et que ce " mécanisme d'attribution d'une commande [était] exclusif de toute relation stable " dès lors " qu'au lieu de stabiliser les relations commerciales en instituait au contraire la précarité " cependant qu'une procédure de mise en concurrence n'est pas, par elle-même, exclusive d'une relation commerciale établie, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 I du Code de commerce ; 2°) que toute relation suivie et stable dont le cocontractant peut légitimement s'attendre à ce qu'elle se poursuive est une relation commerciale établie ; qu'en se bornant à retenir, pour exclure toute relation commerciale établie entre HB Soudure et la société Fives Cryo, que " la circonstance que la société HB Soudure ait été choisie durant plusieurs années n'[était] pas de nature à elle seule à démontrer la stabilité de la relation commerciale " sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si HB Soudure n'avait pas été systématiquement choisie au terme des prétendues mises en concurrence, si la société Fives Cryo ne lui avait pas donné l'assurance que la relation commerciale se poursuivrait en l'accueillant dans ses locaux, en la faisant travailler sous ses propres licences et en l'invitant, en contrepartie d'une relation commerciale stable, à réaliser des investissements spécifiques importants de sorte que la mise en concurrence était, en réalité, " parfaitement artificielle ", la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 442-6 du Code de commerce ; 3°) que dans ses conclusions M. Voinot, ès qualités, faisait valoir qu' " à aucun moment, la société Fives Cryo n'a[vait] évincé la société HB Soudure suite aux devis émis en réponse aux consultations et "appels d'offre" et que " la société Fives Cryo ne revendiqu[ait] pas avoir rompu cette relation commerciale dans le but de confier les prestations réalisées par HB Soudure à un concurrent plus compétitif " ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen déterminant de nature à établir que la prétendue mise en concurrence était artificielle et parfaitement étrangère à la rupture brutale de la relation commerciale établie, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 4°) qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée ; qu'en excluant la brutalité de la rupture aux motifs que " compte tenu de la baisse progressive des commandes de ses clients, [la société Fives Cryo] ne pouvait pas prévoir une date de rupture avec la société HB Soudure " ce dont il résultait que la relation commerciale avait été rompue sans préavis, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé l'article L. 442-6 I du Code de commerce ; 5°) que sauf inexécution contractuelle, un partenaire commercial ne peut mettre brutalement fin à une relation commerciale établie qu'en cas de force majeure ; qu'en excluant la responsabilité de la société Fives Cryo aux motifs qu'elle n' " avait commis aucune faute en ne passant plus de commandes à la société HB Soudure " mais " qu'elle a[vait] seulement été contrainte de répercuter sur ses sous-traitants la baisse du volume des commandes qu'elle subissait elle-même " et qu'ainsi " l'absence de commande n'[était] pas imputable à faute à la société Fives Cryo " sans caractériser en quoi cette baisse du volume des commandes aurait été imprévisible et irrésistible pour la société Fives Cryo imposant une cessation brutale de la relation en cause et aurait ainsi revêtu les caractères de la force majeure, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 I du Code de commerce ; 6°) qu'est réparable le préjudice subi par la victime de la rupture brutale d'une relation commerciale établie consistant dans la perte des gains manqués pendant la durée du préavis dont elle aurait dû bénéficier ; qu'en excluant l'existence d'un préjudice subi par HB Soudure au motifs que " les difficultés financières de la société HB Soudure n'[étaient] pas consécutives à la rupture des relations commerciale avec la société Fives Cryo ", sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Fives Cryo ne pouvait pas en toute hypothèse prétendre à la réparation des gains manqués pendant la durée du préavis dont elle avait été privée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 I du Code de commerce ; 7°) qu'est réparable le préjudice subi par la victime de la rupture brutale d'une relation commerciale établie consistant dans de la perte des investissements non amortis réalisés dans le seul intérêt du partenaire commercial ; qu'en jugeant que " les investissement engagés par la société HB Soudure ne sauraient être imputés à la société HB Soudure [en réalité Fives Cryo] dès lors que les dépenses afférentes a[vaient] été exposées sur plusieurs années et poursuivis jusqu'en 2008 " sans rechercher, comme elle y était expressément invitée si ces investissements non amortis n'avaient été réalisés par la société HB Soudure en considération de la pérennité de sa relation avec la société Fives Cryo et dans le seul intérêt de cette dernière de sorte que la partie non amortie desdits investissement constituait un préjudice réparable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 I du Code de commerce ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté que la société Fives Cryo confiait des travaux de sous-traitance à M. Berktas depuis 2003, de sorte que la relation commerciale avait duré environ six ans, l'arrêt relève que, si ce dernier a reçu, durant cette période, des commandes régulières, celles-ci étaient systématiquement précédées d'une consultation, la société Fives Cryo demandant à M. Berktas de lui remettre ses meilleures conditions de prix et de délai pour la fourniture de sa prestation ; qu'il retient que ce mécanisme d'attribution d'une commande est exclusif de toute relation stable, dès lors qu'un concurrent soumis à la même demande pouvait être choisi et, qu'au lieu de stabiliser les relations commerciales, un tel mécanisme en consacrait au contraire la précarité ; qu'il ajoute que la circonstance que M. Berktas ait été choisi durant plusieurs années n'est pas de nature à elle seule à démontrer la stabilité de la relation commerciale ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer les recherches invoquées par la deuxième branche ni de répondre aux conclusions inopérantes mentionnées à la troisième branche, a pu déduire que la relation commerciale, bien qu'ayant duré plusieurs années, ne revêtait pas le caractère de stabilité exigé par l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et, en conséquence, rejeter la demande ;

Et attendu, en second lieu, que la décision étant justifiée par les motifs vainement critiqués par les trois premières branches, le moyen, en ses quatre dernières branches, vise des motifs surabondants ; d'où il suit que le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.