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Décisions

Cass. com., 25 octobre 2017, n° 15-24.060

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Blanchard (ès qual.) , Jonction 3B (SARL)

Défendeur :

Alinéa (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Bélaval

Avocat général :

Mme Guinamant

Avocats :

SCP Bénabent, Jéhannin, SCP Monod, Colin, Stoclet

T. com. Marseille, du 12 févr. 2013

12 février 2013

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Jonction 3B, spécialisée dans la confection d'articles textiles de décoration et d'ameublement, et la société Alinéa France (la société Alinéa), distributeur de meubles, ont signé un contrat-cadre, le 29 juillet 1999, régissant leurs relations commerciales et précisant les conditions de validité des contrats successifs qui lui seraient subordonnés ; que la société Alinéa a refusé, le 12 mai 2011, une augmentation des tarifs demandée par la société Jonction 3B en raison de l'augmentation du cours du coton ; que les parties ont signé un nouvel accord-cadre le 1er septembre 2011 ; que la société Alinéa a accepté la hausse des tarifs à compter du 1er janvier 2012, mais a informé la société Jonction 3B, par un courriel du 12 mars 2012, qu'elle refusait d'appliquer la hausse complémentaire demandée par la société Jonction 3B à compter de cette date ; que la société Jonction 3B a été mise en redressement judiciaire le 29 février 2012, la date de cessation des paiements étant fixée au 24 février 2012, puis en liquidation judiciaire, le 11 avril 2012, la société MJ-Lex, en la personne de Mme Roche, étant désignée liquidateur, avant son remplacement par M. Blanchard ; qu'estimant que la société Alinéa avait rompu de façon brutale la relation commerciale et lui avait imposé des conditions tarifaires abusives durant les quatre dernières années de leur collaboration, la société Jonction 3B et son liquidateur l'ont assignée en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le moyen unique, pris en sa cinquième branche : - Attendu que la société Jonction 3B et son liquidateur font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes alors, selon le moyen, que pour contester avoir commis une faute en refusant l'augmentation de tarifs sollicitée par la société Jonction 3B, la société Alinéa soutenait que le " prétexte " d'une augmentation du coût des matières premières invoqué pour justifier cette augmentation aurait été fallacieux, dès lors que le cours du coton aurait, au contraire, considérablement baissé entre 2008 et 2012 ; qu'elle ne contestait en revanche nullement l'importance que présentait l'achat du coton dans les coûts de la société Jonction 3B ; que la cour d'appel s'est pourtant fondée exclusivement sur le fait que la société Jonction 3B et son liquidateur " ne vers[aient] aux débats aucun élément sur la composition de ses prix, et, notamment sur la part constituée par l'achat de la matière première en question dans ses coûts ", pour juger que le déséquilibre significatif résultant de l'absence de revalorisation des prix et son caractère manifestement abusif ne seraient pas établis ; qu'en relevant d'office ce moyen, sans inviter préalablement les parties à s'en expliquer, la cour d'appel a méconnu le principe du contradictoire et ainsi violé l'article 16 du Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'en constatant que la société Jonction 3B ne versait aucun élément sur la composition de ses prix et, notamment, sur la part constituée par l'achat de la matière première en question dans ses coûts, la cour d'appel, qui était saisie d'une action en responsabilité fondée sur l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce et qui était tenue, en conséquence, de se prononcer sur le déséquilibre significatif ayant le cas échéant existé entre les parties en raison du refus du distributeur de répercuter sur le tarif applicable entre les parties l'augmentation du coût des approvisionnements en matière première subie par le fournisseur, n'a fait qu'apprécier les éléments de preuve qui lui étaient soumis pour statuer sur le moyen dont elle était saisie ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour rejeter les demandes de la société Jonction 3B, représentée par son liquidateur, l'arrêt retient qu'aucun abus dans la fixation des prix ne peut être imputé à la société Alinéa au titre de l'article L. 442-6 I 4° du Code de commerce, la démonstration n'étant pas apportée que les conditions d'achat de la société Alinéa aient revêtu un caractère manifestement abusif ;

Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Jonction 3B et de son liquidateur qui soutenaient que la société Alinéa avait imposé à la société Jonction 3B, en 2008, de baisser ses tarifs sous la menace d'un déréférencement au profit d'un concurrent, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;

Sur le moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; - Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient encore que si, dans le courriel du 12 mars 2012, la société Alinéa annonçait qu'elle ne pouvait subir de nouvelles augmentations et qu'elle allait donc définitivement stopper les commandes sur la gamme Alaska, ce message, dépourvu de tout formalisme, ne constituait qu'une annonce, une menace d'arrêt de commandes, sans prise d'effet ferme et immédiate, et ne pouvait constituer une notification de rupture brutale, qui doit être dépourvue de toute équivoque ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Alinéa n'avait pas cessé de passer des commandes d'articles de la gamme Alaska ou d'autres gammes postérieurement au courriel du 12 mars 2012, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche : - Vu les articles L. 622-13, L. 631-14 et L. 641-11-1 I du Code de commerce ; - Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient enfin que les organes de la procédure collective de la société Jonction 3B n'ont pas demandé la continuation du contrat, qui a pris fin avec la liquidation judiciaire de cette société ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la continuation d'un contrat en cours, dont la résiliation ne peut résulter de l'ouverture de la liquidation judiciaire, n'est pas subordonnée à une demande en ce sens émanant des organes de la procédure collective, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief : casse et annule, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes fondées sur l'article L. 442-6 I 4° et 5° du Code de commerce de la société Jonction 3B et la société MJ-Lex, en sa qualité de liquidateur de celle-ci, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile, l'arrêt rendu le 20 mai 2015, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.