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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 24 octobre 2017, n° 16-20732

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Château Beychevelle (Sté)

Défendeur :

CGM Vins (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Peyron

Conseillers :

Mme Douillet, M. Thomas

Avocats :

Mes Hollier-Larousse, Olivier, Agostini

TGI Paris, 17 oct. 2013

17 octobre 2013

Exposé du litige

La société civile Château Beychevelle, ci-après, la société Château Beychevelle, exploite le domaine viticole du même nom.

La dénomination Château Beychevelle désigne un grand cru classé (appellation Saint-Julien, 4ème grand cru du médoc - classement 1855).

La société Château Beychevelle est propriétaire de :

- la marque française semi figurative " Château Beychevelle " n° 97 708 266 déposée le 10 décembre 1997, renouvelée le 24 octobre 2007, - la marque communautaire semi figurative " Château Beychevelle " n° 717 728 déposée le 7 janvier 1998 avec revendication de la priorité du dépôt de la marque française n° 97 708 266 du 10 décembre 1997, les revendications d'ancienneté remontant au dépôt d'origine de la marque n° 1 533912 déposée le 13 juin 1949.

Ces deux marques protègent, en classe 33, des " vins d'appellation d'origine contrôlée provenant de l'exploitation exactement dénommée Château Beychevelle " et sont composées des éléments suivants :

- une étiquette octogonale à fond blanc, bordée d'un liseré noir, - dans la partie supérieure de l'étiquette, le dessin d'un bateau navigant sur les flots (qualifié jusque-là par la société Château Beychevelle de " drakkar ", désormais de " gabarre " , qualifié de " galère " par la société intimée CGM Vins), - au-dessous du dessin du bateau, la dénomination Château Beychevelle, écrite dans la police de caractère d'imprimerie dite " castellar ", - en travers du dessin de bateau et de la dénomination Château Beychevelle, l'inscription en rouge " Mis en bouteille au château ".

L'étiquette du vin Château Beychevelle se présente, depuis de nombreuses années, de couleur blanche, de forme octogonale bordée d'un liseré doré, et associe deux des éléments composant les marques précitées, à savoir : la dénomination " Château Beychevelle " et l'élément figuratif constitué par le dessin à l'encre noire du bateau voguant sur les flots, vu de bâbord qui se caractérise, selon la société Château Beychevelle, par les éléments suivants :

- une coque allongée supportant des rames et un mat équipé d'une voile carrée surmontée d'un drapeau flottant au vent vers la gauche ; - une proue sculptée représentant une tête de dragon à tête de griffon ; - la poupe, également sculptée, représentant une queue de dragon recourbée en forme de crosse.

La société CGM Vins, qui est un négociant distributeur de vins de Bordeaux, commercialise un vin d'appellation " Bordeaux supérieur " avec une étiquette de couleur blanche, bordée d'un liseré octogonal doré comportant, dans la partie supérieure, le dessin à l'encre noire d'un bateau voguant sur les flots, vu de bâbord, se caractérisant selon les éléments suivants :

- une coque allongée supportant des rames et un mat équipé d'une voile carrée surmontée d'un drapeau flottant au vent vers la gauche ; - une proue sculptée représentant une tête de dragon ; - la poupe, également sculptée, représentant une queue de dragon recourbée en forme de crosse ; - au-dessous de l'élément figuratif, la dénomination Château Les Eyraux écrite sur deux lignes, les termes Les Eyraux étant de couleur noire.

La société Château Beychevelle se prévalant de la notoriété de l'élément figuratif de ses marques représentant le bateau, pris isolément, et ce, au titre de marque figurative notoire non déposée, protégée par les dispositions de l'article 6 bis de la convention d'Union de Paris, et considérant que la société CGM Vins imitait cet élément figuratif notoire, a fait procéder, le 3 mai 2012, à des opérations de saisie contrefaçon suivant autorisation du président du Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 13 avril 2012.

Selon acte d'huissier du 23 mai 2012 la société Château Beychevelle a fait assigner la société CGM Vins, sur le fondement des articles L. 711-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, du Règlement (CE) n° 40/94 du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire, de l'article 6 bis de la Convention d'Union de Paris et de l'article 1382 (devenu 1240) du Code civil, en contrefaçon et concurrence déloyale devant le tribunal de grande instance de Paris.

Par jugement du 17 octobre 2013, le tribunal a :

- dit la société civile Château Beychevelle mal fondée à solliciter le bénéfice de la protection sur la marque figurative notoire " drakkar voguant sur les flots " en application de l'article 6 bis de la convention de l'Union de Paris ; - débouté la société Château Beychevelle de sa demande en contrefaçon par imitation de la marque française semi figurative Château Beychevelle n° 97 708 266 et de la marque communautaire semi-figurative Château Beychevelle n° 717 728 à l'égard de la société CGM Vins ; - débouté la société Château Beychevelle de sa demande en paiement dommages et intérêts au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ; - débouté la société CGM Vins de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ; - débouté la société CGM Vins de sa demande de publication de la décision sur le site internet de la société Château Beychevelle ; - ordonné la publication par extrait de la décision dans deux journaux ;

- condamné la société Château Beychevelle à payer à la société CGM Vins la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Sur les appels formés par la société Château Beychevelle (à titre principal) et CGM (à titre incident) contre ce jugement, cette cour (chambre 5-2), par arrêt du 27 juin 2014, a :

- rejeté l'ensemble des demandes de la société appelante et rejeté l'appel incident de la société CGM Vins, intimée, et, en conséquence, confirmé le jugement déféré, - complété la publication ordonnée par le tribunal en y ajoutant le fait que le jugement du tribunal avait été confirmé par la cour d'appel, - condamné la société Château Beychevelle aux entiers dépens et au paiement à la société CGM Vins de la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Statuant sur le pourvoi formé par la société Château Beychevelle contre cet arrêt, la Cour de cassation, dans un arrêt du 6 septembre 2016, a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de la société CGM Vins tendant au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive et à la publication judiciaire sur la page du site internet de la société Château Beychevelle.

Par déclaration du 8 septembre 2016, la société Château Beychevelle a saisi cette cour dans une autre composition comme juridiction de renvoi après cassation.

Dans ses dernières conclusions, numérotées 2, transmises par RPVA le 16 mai 2017, la société Château Beychevelle demande à la cour d'infirmer le jugement, et statuant à nouveau :

- de juger qu'en commercialisant un vin d'appellation " Bordeaux supérieur ", dans une étiquette de couleur blanche, bordée d'un liseré octogonal doré comportant, à la partie supérieure, le dessin à l'encre noire d'un drakkar voguant sur les flots, vu de bâbord, qui se caractérise par les éléments suivants :

- une coque allongée supportant des rames et un mât équipé d'une voile carrée,

- une proue sculptée représentant une tête de dragon,

- la poupe, également sculptée représentant une queue de dragon recourbée en forme de crosse,

- au-dessous, l'élément figuratif, la dénomination " Château les Eyraux ", écrite sur deux lignes, les termes " Les Eyraux " étant écrits dans la police de caractère d'imprimerie dite " castellar ",

la société CGM Vins s'est rendue coupable de contrefaçon de la marque figurative notoire " gabarre voguant sur les flots ", de la marque française semi-figurative " Château Beychevelle " n°97708266 et de la marque communautaire semi-figurative " Château Beychevelle " n°717728, dont elle est propriétaire,

- de juger qu'en reproduisant les caractéristiques essentielles de l'étiquette " Château Beychevelle ", notamment en ce qui concerne la structure du décor, les couleurs des mentions de l'étiquette, principalement de couleur noire, à l'exception de la mention " Grand Vin de Bordeaux " écrite en lettre rouge, la société CGM Vins s'est rendue coupable de concurrence déloyale et parasitaire à son préjudice, - de déclarer la société CGM Vins irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, - d'interdire à la société CMG Vins la poursuite de ses agissements, et ce, sous astreinte définitive de 1000 euros par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- de dire que la société CGM Vins devra procéder, devant huissier, à ses frais, au retrait des étiquettes litigieuses des bouteilles " habillées ", à la destruction des étiquettes litigieuses et des cartons d'emballage, et ce sous astreinte définitive de 1 000euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, - de dire que la société CGM Vins devra rappeler des circuits commerciaux la totalité des bouteilles revêtues de l'étiquette litigieuse, des cartons d'emballage, procéder au retrait des étiquettes litigieuses des bouteilles " habillées " et procéder à la destruction des étiquettes et cartons devant huissier, à ses frais, et à en justifier dans le délai d'un mois sur la signification de l'arrêt à intervenir, et ce sous astreinte définitive de 1000 euros par infraction constatée et par jour de retard,

- de condamner la société CGM Vins à lui verser à la somme de 150 000 euros à titre de dommages-intérêts, quitte à parfaire, - de l'autoriser à faire procéder à la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux ou revues de son choix aux frais de la société CGM Vins, le coût global des publications ne pouvant excéder la somme de 20 000 euros H.T., - d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir sur la page d'accueil du site Internet www.cgmvins.com, aux frais de la société CGM Vins, pendant une durée ininterrompue de 6 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, et ce, sous astreinte définitive de 1000 euros par jour de retard, - de condamner la société CGM Vins à lui verser à la somme de 40 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, - de condamner la société CGM Vins aux dépens de première instance et d'appel, lesquels comprendront notamment les frais de la saisie-contrefaçon diligentés par Maître Guinard le 3 mai 2012.

Dans ses dernières conclusions numérotées 2 transmises par RPVA le 4 mai 2017, la société CGM Vins demande à la cour :

- de confirmer le jugement et de débouter la société Château Beychevelle de l'intégralité de ses demandes, - de condamner la société Château Beychevelle au paiement de la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du Code civil (pour procédure abusive) et sur le fondement de l'article L. 442-6-1-4° du Code de commerce (pour rupture de relations commerciales établies), ainsi qu'au maximum de l'amende civile prévue par l'article 32-1 Code de procédure civile, - de " condamner encore " ladite société au maximum de l'amende civile de l'article 32-1 Code de procédure civile, - d'ordonner la publication d'extraits de l'arrêt à intervenir dans le journal Sud-Ouest toutes éditions, dans Le Figaro, Le Monde, Le Nouvel Observateur, Marianne et dans la Revue du Vin de France sans que le coût de chaque insertion puisse dépasser 3 000 euros, - d'ordonner l'affichage de 1'arrêt sur la page d'accueil du site www.beychevelle.com aux frais de la société Château Beychevelle pendant une durée ininterrompue de 1 an à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard et par infraction constatée, - de condamner la société Château Beychevelle à 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 mai 2017.

Motifs de l'arrêt

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées ;

Sur la demande de la société Château Beychevelle en contrefaçon de marque notoire

Considérant que la société Château Beychevelle revendique la protection de l'élément figuratif représentant une " gabarre voguant sur les flots ", pris isolément, au titre de marque notoire au sens de l'article 6 bis de la Convention d'Union de Paris, faisant valoir notamment que le dessin en cause, qui constitue l'emblème de " Château Beychevelle " depuis 1988, possède un caractère distinctif propre, les consommateurs, notamment étrangers, le repérant avant même de pouvoir lire la marque dénominative sur les étiquettes des bouteilles et que la société CGM Vins, qui est depuis plusieurs années allocataire des vins Château Beychevelle en primeur, ne saurait sérieusement contester la notoriété de cet élément figuratif ;

Que la société CGM Vins répond que le texte invoqué par l'appelante, qui constitue une exception aux principes de territorialité et de spécialité des marques, ne saurait être invoqué que dans l'hypothèse où la marque prétendument contrefaite n'a pas été déposée dans la classe litigieuse ou n'a jamais été déposée et que l'on ne peut détacher l'élément figuratif représentant un bateau de l'ensemble complexe constitué par les deux marques dont l'élément essentiel et distinctif est le nom " Château Beychevelle " ;

Considérant que l'alinéa 1 de l'article 6 bis de la convention d'Union de Paris du 20 mars 1883 pour la protection de la propriété industrielle dispose que " Les pays de l'Union s'engagent soit d'office, soit à la requête de l'intéressé, à refuser ou à invalider l'enregistrement et à interdire l'usage d'une marque de fabrique ou de commerce qui constitue la reproduction, l'imitation ou la traduction susceptibles de créer une confusion, d'une marque que l'autorité compétente du pays de l'enregistrement ou de l'usage, estimera y être notoirement connue comme étant déjà la marque d'une personne admise à bénéficier de la présente convention et utilisée pour des produits identiques ou similaires. Il en sera de même lorsque la partie essentielle de la marque constitue la reproduction d'une telle marque notoirement connue ou une imitation susceptible de créer une confusion avec celle-ci " ;

Que, par ailleurs, en application de l'alinéa 2 de l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, non visé dans les demandes, la reproduction ou l'imitation d'une marque notoirement connue au sens de l'article 6 bis de la convention d'Union de Paris du 20 mars 1883 engage la responsabilité civile de son auteur, sur le terrain du parasitisme, si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière ;

Que ces dispositions permettent d'invoquer la marque notoirement connue pour s'opposer à l'enregistrement ou à l'usage d'une marque qui en constituerait, ne fût ce que dans sa partie essentielle, la reproduction ou l'imitation susceptible de créer une confusion pour des produits identiques ou similaires, ou pour rechercher, sur le terrain du parasitisme, la responsabilité civile de l'auteur de la reproduction ou de l'imitation d'une telle marque si ces faits sont de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque notoirement connue ou s'ils constituent une exploitation injustifiée de cette dernière ;

Qu'en l'espèce, la société Château Beychevelle sollicite la protection de la marque notoire dans le cadre d'une demande en contrefaçon ; que l'article 6 bis de la convention d'Union de Paris du 20 mars 1883 ne peut être invoqué à l'appui d'une telle demande ;

Considérant, en outre, que comme le tribunal l'a retenu, l'article 6 bis de la Convention d'Union de Paris du 20 mars 1883 protégeant les marques notoires non déposées ne peut recevoir application que dans le cas où la marque n'a pas été déposée dans la classe litigieuse ou n'a jamais été déposée ;

Que la société Château Beychevelle oppose alors l'élément figuratif, pris à titre isolé, compris dans chacune de ses deux marques complexes n° 97 708 266 et n° 717 728 ;

Que cependant, il n'est pas démontré que l'élément figuratif représentant un bateau - qualifié de gabarre par l'appelante en appel, précédemment de drakkar, et de galère par l'intimée - soit détachable au sein du signe complexe que constituent chacune des deux marques opposées par la société Château Beychevelle et que cet élément figuratif revête en lui-même un caractère distinctif et notoire ;

Qu'en effet, la société Château Beychevelle ne justifie pas d'un usage de l'élément figuratif invoqué seul, que ce soit sur les étiquettes apposées sur ses bouteilles, qui comprennent outre cet élément figuratif représentant un bateau, la dénomination " Château Beychevelle ", ou sur ses documents servant à sa communication ou à la promotion de ses produits ;

Que par ailleurs, les deux extraits de sites internet (ses pièces 5 et 6) qu'elle produit, desquels il ressort que pour les acheteurs chinois le vin Château Beychevelle est désigné sous la dénomination " Lou Zhou ", ce qui signifie " bateau de dragon ", sont insuffisants pour démontrer que l'élément figuratif de ses marques permette à lui seul d'identifier l'origine des produits dès lors que, de son côté, la société CGM Vins démontre que la société Château Beychevelle ne reprend pas cet élément figuratif pour commercialiser un second vin " L'amiral de Beychevelle " ou son autre marque " Les Brulieres de Beychevelle " (les pièces 28 et 29 de CGM Vins) et qu'il existe plusieurs marques, peu important qu'elles soient postérieures aux deux marques opposées par la société Château Beychevelle, reproduisant un bateau de type drakkar ou gabarre pour désigner des produits de la classe 33 comprenant notamment les vins (pièces 6 à 10 de CGM Vins) ; qu'enfin, la société Château Beychevelle a varié au fil de la procédure dans la qualification du bateau constituant l'élément figuratif qu'elle invoque - dénommé drakkar en première instance et gabarre en appel -, ce qui n'est pas de nature à conforter sa thèse de la notoriété de cet élément ;

Qu'en conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a dit la société Château Beychevelle mal fondée à solliciter le bénéfice de la protection sur la marque figurative notoire " drakkar [désormais gabarre] voguant sur les flots " en application de l'article 6 bis de la convention de l'Union de Paris ;

Sur les demandes de la société Château Beychevelle en contrefaçon de la marque française semi-figurative " Château Beychevelle " n°97708266 et de la marque communautaire semi-figurative " Château Beychevelle " n°717728

Considérant que la société Château Beychevelle soutient que la société CGM Vins, commercialise sous la dénomination " Château Les Eyraux ", un vin de qualité " Bordeaux supérieur ", dont l'étiquette de couleur blanche, bordée d'un liseré octogonal doré, reproduit les caractéristiques essentielles de l'élément figuratif de ses marques semi-figuratives " Château Beychevelle " n°97 708 266 et n°717 728 ; qu'elle fait valoir que les produits en présence étant strictement identiques (vins), les signes en présence comportent une structure quasi identique alors que leurs éléments figuratifs et dénominatifs présentent des ressemblances, de sorte qu'il existe un risque de confusion réel pour le consommateur de vin moyen qui n'a pas simultanément les deux signes sous les yeux et que la contrefaçon par imitation de ses marques est caractérisée ;

Que la société CGM Vins oppose, pour l'essentiel, que la société Château Beychevelle ne peut isoler artificiellement au sein de ses deux marques, qui sont des marques complexes, l'élément figuratif constitué par le bateau, que le consommateur de vins désigne et reconnaît les produits en fonction des éléments verbaux des marques, lesquels sont distinctifs et prédominants dans les marques opposées, et qu'en tout état de cause, les bateaux en présence sont différents ;

Considérant que l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose que sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public :

a) la reproduction, l'usage, ou l'apposition d'une marque ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ;

b) l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ;

Que l'article 9, 1° du Règlement CE n° 207/2009 du 26 février 2009 anciennement Règlement CE n° 40/94 sur la marque communautaire dispose : " La marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires : a) d'un signe identique à la marque communautaire pour des produits et services identiques à ceux pour lesquels elle est enregistrée, b) d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude des produits ou des services couverts par la marque communautaire et le signe, il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque (.) " ;

Que l'article L. 717-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur la violation des interdictions prévues aux articles 9, 10, 11 et 13 du Règlement (CE) 40/94 du conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire ;

Considérant qu'il est constant, en l'espèce, que le signe contesté est apposé sur des produits identiques à ceux visés aux dépôts des deux marques de la société Château Beychevelle ;

Considérant, en ce qui concerne la comparaison des signes, que le signe critiqué ne constituant pas la reproduction à l'identique de la marque première qui lui est opposée, il convient de rechercher s'il n'existe pas entre les deux signes un risque de confusion, lequel comprend le risque d'association, qui doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce ; que cette appréciation globale doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique et conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par celles-ci en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants ; qu'en outre, un faible degré de similitude entre les produits ou services désignés peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les signes et inversement ;

Que la marque française semi figurative " Château Beychevelle " n° 97 708 266 est identique à la marque communautaire semi figurative " Château Beychevelle " n° 717 728 ;

Que visuellement, les deux marques " Château Beychevelle " tout comme l'étiquette arguée de contrefaçon sont complexes, composés d'un élément figuratif représentant un bateau de type drakkar, gabarre ou galère et d'éléments verbaux écrits en lettres noires majuscules de caractères de même type ; que les signes en litige ont une structure et une présentation similaires en ce qu'ils présentent leur élément figuratif dans la partie supérieure et leur éléments verbaux dans la partie inférieure et qu'ils sont noirs sur fond blanc ;

Que cependant, cette structure et cette présentation sont peu originales pour commercialiser des bouteilles de vin ; que la forme octogonale du liseré des marques " Château Beychevelle " est plus marquée que celle du liseré de l'étiquette litigieuse qui apparaît de prime abord rectangulaire avec des angles biseautés ; que, par ailleurs, l'élément verbal " Château Beychevelle " est écrit sur une seule ligne alors que " Château les Eyraux " est écrit sur deux lignes ; que les marques " Château Beychevelle " comportent en diagonale, en travers des éléments figuratif et dénominatif, la mention en majuscules et en rouge " Mis en bouteille au château " qui est absente de l'étiquette incriminée ;

Que les éléments verbaux des signes en présence sont différents (Château Beychevelle / Château les Eyraux) même s'ils ont en commun le terme " Château " qui est cependant courant et peu distinctif pour désigner des vins ;

Que les bateaux présents sur les signes en litige sont sensiblement différents en ce que, s'ils représentent une embarcation ancienne, de type drakkar, gabarre ou galère, flottant sur les flots, vus de bâbord, comportant des rames (2 pour les marques antérieures de la société Château Beychevelle / 9 pour l'étiquette de la société CGM Vins), une voile surmontée d'un mât équipé d'un drapeau flottant vers la gauche et une proue sculptée représentant une tête de dragon ou de griffon, cette tête est ailée pour les marques antérieures et non sur l'étiquette CGM Vins, la voile est affalée et ornée d'une grappe de raison pour les marques " Château Beychevelle " (Beychevelle signifiant " baisse voile " en gascon) alors que la voile du bateau est gonflée et blanche sur l'étiquette CGM Vins, les crosses de la poupe des bateaux ont une orientation différente, les cordages sont visibles sur l'étiquette de CGM Vins et non sur les marques antérieures et le bateau de l'étiquette de la société CGM Vins arbore des boucliers à la différence de l'embarcation figurant sur les marques de la société appelante ;

Que phonétiquement, les sonorités d'attaque sont identiques en ce qui concerne le terme Château, qui est commun appliqué aux vins, mais diffèrent dans les termes qualifiants, Beychevelle d'une part, Les Eyraux d'autre part ;

Que conceptuellement, les signes en présence ont un caractère arbitraire par rapport aux produits visés ;

Qu'ainsi, pris dans leur globalité, les signes en présence ne suscitent pas la même impression d'ensemble ;

Considérant que cette analyse n'est pas remise en cause par la prise en compte de leurs éléments distinctifs et dominants ; qu'à ce titre, c'est à juste raison que les premiers juges ont estimé que l'élément distinctif dominant est, non pas l'élément figuratif représentant le bateau, couramment utilisé pour désigner des vins comme il a été dit, mais l'élément dénominatif qui, pour le consommateur moyen des produits en cause, en l'occurrence les boissons alcoolisées, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, constitue l'élément déterminant dans le choix d'un vin, lui permettant d'identifier le produit et de reconnaître son origine ; que les éléments verbaux des marques " Château Beychevelle " et de l'étiquette Château Les Eyraux sont différents aux plans visuel, phonétique et conceptuel ;

Qu'ainsi, nonobstant l'identité des produits et la présence commune d'une embarcation ancienne de type drakkar, gabarre ou galère sur les signes en conflit, le risque de confusion, ou même d'association, entre les marques de la société Château Beychevelle et l'étiquette de la société CGM Vins peut être écarté ;

Qu'en conséquence, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a débouté la société Château Beychevelle de ses demandes en contrefaçon par imitation de ses marques semi-figuratives française " Château Beychevelle " n°97708266 et communautaire " Château Beychevelle " n°717728 ;

Sur les demandes de la société Château Beychevelle en concurrence déloyale et parasitaire

Considérant que la société Château Beychevelle reproche à la société CGM Vins des actes de concurrence déloyale et parasitaire ayant consisté à reprendre les caractéristiques de ses étiquettes à compter du millésime 2009 ; qu'elle fait valoir que jusqu'au millésime 2008, l'étiquette du vin Château les Eyraux comportait diverses mentions, toutes écrites en lettres noires dans diverses polices de caractère, notamment en lettres anglaises, et se caractérisait essentiellement par le dessin au trait d'un château entouré de vignes sur la partie inférieure de l'étiquette ; qu'elle précise que même la mention " Grand vin (suivie du millésime) " écrite en rouge sur ses étiquettes a été reprise et que les changements opérés par la société CGM Vins ne sont manifestement pas fortuits mais de nature à aggraver le risque de confusion, d'autant que le vin de la société intimée est notamment destiné à l'exportation en Asie où les consommateurs ne lisent pas les caractères latins et sont plus sensibles aux similitudes des éléments figuratifs et graphiques de l'étiquette ; qu'elle ajoute que la société CGM Vins s'est ainsi placée dans son sillage dans le but de profiter indûment de ses investissements pour acquérir une importante notoriété ;

Considérant que la concurrence déloyale et le parasitisme sont pareillement fondés sur l'article 1240 du Code civil mais sont caractérisés par application de critères distincts ; que la concurrence déloyale est caractérisée par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d`un savoir-faire, d`un travail intellectuel et d'investissements ; que ces deux notions sont appréciées au regard du principe de la liberté du commerce ; que l'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment, le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété du produit copié ;

Considérant que les mentions de l'étiquette de la société CGM Vins depuis le millésime 2009 sont banales, descriptives du produit concerné (millésime, qualité du vin " Bordeaux supérieur " et " Grand vin de Bordeaux ") ; que la couleur rouge de la mention " Grand vin de Bordeaux " est également banale étant couramment utilisée sur les étiquettes de bouteilles de vin, étant observé que cette mention est placée en haut de l'étiquette litigieuse alors que la mention " Grand vin (suivie du millésime) " est apposée au bas de l'étiquette de la société appelante ; que la calligraphie en lettres droites et noires est tout aussi banale ; que comme il a été dit supra, il existe plusieurs marques désignant des produits de la classe 33 comprenant notamment les vins qui reproduisent un bateau de type drakkar ou gabarre ou galère et que le bateau figurant sur l'étiquette de la société CGM Vins, au-delà du fait qu'il est une embarcation ancienne de type drakkar ou gabarre ou galère à l'instar du bateau des marques de la société Château Beychevelle, présente avec lui des différences ; qu'enfin, il vient d'être dit que ce bateau ne constitue pas l'élément déterminant dans le choix du consommateur concerné et qu'il n'existe pas de risque de confusion entre les produits en cause identifiés par des dénominations différentes ;

Qu'il sera ajouté qu'aucun fait précis de confusion ou d'association n'est justifié de la part de consommateurs et que les vins distribués respectivement par la société Château Beychevelle et la société CGM Vins relèvent de catégories et de prix différents ;

Que par ailleurs, la société Château Beychevelle n'apporte aucun élément propre à justifier les investissements qu'elle invoque ;

Que dans ces conditions, la reprise par la société CGM Vins sur ses étiquettes d'éléments banals sur lesquels la société Château Beychevelle ne saurait revendiquer un quelconque monopole, ne peut être retenue à faute ;

Que le jugement sera par conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société Château Beychevelle de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire ;

Sur les demandes de la société CGM Vins

Sur la demande au titre de la rupture des relations commerciales

Considérant que la société CGM Vins reproche à la société Château Beychevelle la rupture de leurs relations commerciales concomitante à l'assignation ; qu'elle argue que cette demande, qui constitue au demeurant seulement un moyen nouveau, est recevable dès lors qu'un fait nouveau est survenu avec l'aveu judiciaire de l'escroquerie au jugement commise par l'appelante, celle-ci nommant désormais gabarre l'embarcation constituant le signe figuratif de sa marque qu'elle avait jusque-là qualifiée de drakkar ;

Que la société Château Beychevelle conclut à l'irrecevabilité de cette demande nouvelle en appel ;

Considérant qu'aux termes de l'article 564 du Code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité soulevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ; que les articles 565 et 566 du même code précisent que les prétentions ne sont pas nouvelles lorsqu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent et que les parties peuvent aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément ; qu'enfin, les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel en application de l'article 567, mais à condition de se rattacher aux prétentions originaires par un lien suffisant au sens de l'article 70 du même code ;

Que la demande de la société CGM Vins, qui ne constitue pas un simple moyen comme elle l'affirme, est présentée pour la première fois en cause d'appel ; que le fait que la société Château Beychevelle ait varié dans la qualification du bateau représenté sur ses marques ne peut être qualifié d'escroquerie au jugement qui suppose des manœuvres frauduleuses afin de tromper le juge, nullement caractérisées en l'espèce ; qu'il n'est pas démontré, ni même soutenu, que la demande tend aux mêmes fins que celles soumises au premier juge ou qu'elle en constitue l'accessoire, la conséquence ou le complément ou qu'il s'agit d'une demande se rattachant aux prétentions originaires par un lien suffisant ;

Qu'en conséquence, la demande sera déclarée irrecevable en application de l'article 564 du Code de procédure civile ;

Sur la demande au titre de la procédure abusive

Considérant que l'arrêt de la cour d'appel du 27 juin 2014 a été cassé et annulé sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de la société CGM Vins tendant au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive et à la publication judiciaire sur la page du site internet de la société Château Beychevelle ;

Que c'est par conséquent à juste raison que la société Château Beychevelle fait valoir que la présente demande de la société CGM Vins pour procédure abusive se heurte à l'autorité de chose jugée attachée aux dispositions de l'arrêt de la cour d'appel du 27 juin 2014 non atteintes par la cassation partielle et qu'elle est, par conséquent, irrecevable ;

Sur la demande de condamnation de la société Château Beychevelle au titre de l'amende civile

Considérant que la mise en œuvre de l'article 32-1 du Code de procédure civile n'appartient pas aux parties et que la cour estime que ses conditions d'application ne sont, en l'espèce, pas réunies ;

Sur la demande de publication judiciaire

Considérant que la mesure de publication judiciaire aux frais de la société Château Beychevelle ordonnée par le tribunal n'apparaît pas nécessaire dès lors que les premiers juges ont à juste raison rejeté la demande de la société CGM Vins pour procédure abusive ;

Que le jugement sera donc infirmé de ce chef et la demande formée par la société CGM Vins en appel rejetée ;

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Considérant que la société Château Beychevelle qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées ;

Que la somme qui doit être mise à la charge de la société Château Beychevelle au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société CGM Vins peut être équitablement fixée à 10 000 euros, cette somme complétant celle allouée en première instance ;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement déféré si ce n'est en ce qu'il a ordonné la publication d'un extrait du dispositif de sa décision dans deux journaux aux frais de la société Château Beychevelle ; Déboute la société CGM Vins de sa demande de publication judiciaire ; Dit la société CGM Vins irrecevable en ses demandes pour rupture des relations commerciales et pour procédure abusive ; Condamne la société Château Beychevelle aux dépens d'appel et au paiement à la société CGM Vins de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.