Cass. com., 18 octobre 2017, n° 15-27.136
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Normalu (SAS)
Défendeur :
Newmat (SAS)
LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 mai 2015), que la société Normalu, qui fabrique et commercialise des plafonds tendus sous la marque « Barrisol », a été condamnée pour contrefaçon du brevet n° 98 15151 relatif à une « pièce profilée pour l'accrochage d'un plafond tendu », dont la société Newmat est titulaire, par un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 5 octobre 2004 ; que ce jugement, confirmé sur ce point par un arrêt irrévocable du 5 octobre 2008, a ordonné une mesure de publication de son dispositif « dans trois journaux ou périodiques au choix de la société Newmat et aux frais de la société Normalu, à concurrence de 3 500 euros hors taxes par insertion » ; qu'après que la cour d'appel, qui avait infirmé la mesure d'expertise ordonnée avant dire droit, eut statué, par un arrêt du 11 janvier 2012, devenu définitif, sur les condamnations pécuniaires réparant les préjudices commercial et moral subis par la société Newmat, celle-ci a substitué à la mesure de publication ordonnée une mise en ligne sur son site internet, du 25 avril 2012 au début du mois de juillet 2012, d'un document intitulé « Note d'information juridique Newmat contre Normalu Barrisol - Condamnation pour contrefaçon de brevet portant sur une pièce profilée pour l'accrochage d'un plafond tendu » contenant le dispositif du jugement ; que, soutenant que cette mise en ligne constituait un acte de dénigrement commis à son égard, la société Normalu a assigné la société Newmat en paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que la société Normalu fait grief à l'arrêt de limiter le montant des dommages-intérêts alloués pour concurrence déloyale alors, selon le moyen : 1°) qu'en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise, ces mesures étant ordonnées aux frais du contrefacteur ; que le pouvoir dévolu au juge est exclusif du droit du bénéficiaire de la condamnation de publier le jugement selon d'autres modalités que celles prescrites par le juge, fût-ce à ses frais ; que pour refuser de déclarer fautive la publication par la société Newmat, selon d'autres modalités que celles qui avaient été prévues par le juge, du jugement condamnant la société Normalu pour contrefaçon, la cour d'appel ne pouvait énoncer que, le jugement ayant été rendu publiquement, il était loisible à la société Newmat d'en faire connaître l'existence et le contenu par tout moyen de son choix, sauf à répondre de l'abus qu'elle aurait fait de cette liberté, et que la mesure de publicité prescrite par le tribunal n'avait pas pour effet de limiter à cette seule modalité la publicité qui pouvait être donnée à la décision, sans violer les articles L. 615-7-1 du code de la propriété intellectuelle et 1382 du code civil ; 2°) que nul ne peut se faire justice à lui-même ; que la cour d'appel ne pouvait décider que, après que le juge eut arrêté les mesures appropriées de publicité du jugement de condamnation pour contrefaçon, conformément aux dispositions de l'article L. 615-7-1 du code de la propriété intellectuelle, consistant en trois insertions dans la presse, il était loisible à la société Newmat de donner à cette décision une publicité différente, par la mise en ligne sur son site et l'insertion de liens renvoyant à ce site dans sa « newsletter » et son compte « twitter », consacrant ainsi le droit de la société Newmat à s'octroyer unilatéralement une réparation différente de celle qui lui avait été accordée par le juge avec les autres réparations civiles de la contrefaçon, violant ainsi le principe selon lequel nul ne peut se faire justice à lui-même ; 3°) qu'en admettant qu'il fût loisible à la société Newmat de faire connaître la teneur du jugement de condamnation par d'autres moyens que les mesures appropriées fixées par le juge et que cette société fût seulement tenue de répondre de l'abus qu'elle aurait commis dans l'exercice de ce droit, il appartenait à la cour d'appel de s'expliquer, comme elle y était invitée par la société Normalu, sur le caractère abusif de la publicité opérée par la société Newmat en raison de l'ampleur excessive de cette publicité et de la résonance considérable que cette société avait cherché à donner, en France et à l'étranger, à la décision de condamnation auprès de la clientèle spécialisée, faisant ainsi de la décision de justice un argument dans une lutte commerciale ; que la cour d'appel qui, sans procéder à cette recherche, s'est bornée à relever, pour toute faute commise par la société Newmat dans l'exercice de son droit, que, dans la citation du dispositif du jugement de condamnation, elle avait mentionné la société Normalu comme étant la « société Normalu (Barrisol) », a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu, d'une part, que, les décisions de justice étant publiques, les dispositions de l'article L. 615-7-1 du code de la propriété intellectuelle prévoyant qu'en cas de condamnation pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise et aux frais du contrefacteur, ne sont pas exclusives du droit pour la victime, sauf abus, de procéder, à ses propres frais, à toute autre mesure de publicité de la condamnation prononcée à son bénéfice ; que le moyen, qui postule le contraire, ne peut être accueilli ;
Attendu, d'autre part, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions d'appel que la société Normalu ait prétendu qu'en substituant à la mesure de publicité ordonnée par le tribunal et confirmée par la cour d'appel une mise en ligne temporaire du dispositif du jugement sur son site internet, la société Newmat avait commis une faute en violation du principe suivant lequel nul ne peut se faire justice à soi-même ; que le moyen est nouveau, et mélangé de fait et de droit ;
Et attendu, enfin, qu'ayant, par une appréciation souveraine des éléments de fait qui lui étaient soumis, retenu que le texte mis en ligne était neutre dans sa présentation, ne comportait aucun commentaire, et que, s'agissant des deux exceptions apportées à la reproduction du dispositif du jugement, si la première n'était pas de nature à tromper le lecteur sur la portée exacte de la décision ou sur ses motifs, la seconde augmentait l'impact de la publicité donnée au jugement au-delà des limites résultant des termes mêmes de son dispositif, ce dont elle a déduit que la société Newmat avait commis une faute constitutive de concurrence déloyale au préjudice de la société Normalu, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.