CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 2 novembre 2017, n° 16-13857
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Dewulf
Défendeur :
Asian European Footwear (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mme Schaller, du Besset
Avocats :
Mes Hubert, Teytaud, Marcus Mandel
Faits et procédure :
La société Asian European Footwear (ci-après AEF) a pour activité le négoce de tous articles de peaux, cuirs ou imitations, et en particulier de chaussures de la marque " Airness ".
Monsieur Christophe Dewulf est agent commercial.
Selon contrat non daté prenant effet en février 2003, d'une durée indéterminée, Monsieur Dewulf s'est vu confier par la société AEF le " mandat non exclusif " de commercialiser ses produits, dans le secteur pour l'essentiel de la région parisienne.
Le 25 juillet 2008, le territoire d'intervention de Monsieur Dewulf s'est élargi à la Bretagne à la suite du rachat à cette date de la clientèle d'un de ses confrères, Monsieur Jean-François Briand, avec accord préalable de la société AEF.
A compter de février 2009, un échange de correspondances est intervenu entre les parties, aux termes duquel la société AEF a reproché à Monsieur Dewulf ses mauvaises performances en Bretagne dues à son inorganisation, griefs que ce dernier a contestés.
Par courrier du 28 septembre 2010, Monsieur Dewulf a proposé à la société AEF, compte tenu des difficultés rencontrées dans le secteur " Nord-Ouest ", de lui céder le dit secteur ; courrier qui n'aura pas de suite.
Selon lettre recommandée avec avis de réception du 16 avril 2014, la société AEF a notifié à Monsieur Dewulf la résiliation de son contrat d'agent commercial, en raison de la dégradation constante de ses performances malgré ses avertissements, ce, avec application d'un préavis de trois mois et octroi d'une indemnité de rupture égale à six mois de commissions conformément à l'article 8.2 du contrat.
Estimant cette indemnité trop faible, par acte du 21 août 2014, Monsieur Dewulf a assigné en paiement la société AEF devant le Tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 10 février 2016, assorti de l'exécution provisoire, le dit tribunal a:
" dit que la société AEF était fondée à résilier le contrat, avec le préavis de trois mois accordé ";
" dit que l'indemnité compensatrice de préavis " sic " du fait de la résiliation du contrat d'agent de Monsieur Dewulf doit être fixée à six mois de commissions calculées sur les six derniers mois d'activité d'agent soit 19 310 euros ";
" condamné la société AEF à payer à M. Dewulf la somme de 19 310 euros au titre de l'indemnité de rupture, déboutant pour le surplus ";
" débouté les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ";
" ordonné l'exécution provisoire du jugement "
" dit les parties mal fondées en leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent jugement et les en a déboutées ";
" condamné chaque partie, par moitié, aux dépens.
Vu l'appel interjeté par Monsieur Dewulf le 23 juin 2016 à l'encontre de cette décision;
Vu les dernières conclusions signifiées le 22 juillet 2016 par Monsieur Dewulf, par lesquelles il est demandé à la cour de:
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a limité à la somme de 19 310 euros l'indemnisation due à Monsieur Dewulf au titre de la rupture ;
- condamner la Société AEF à payer à Monsieur Dewulf la somme de 162 085 euros à titre d'indemnité de rupture ;
- condamner la Société AEF à payer à Monsieur Dewulf la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions signifiées le 13 septembre 2016 par la société AEF, par lesquelles il est demandé à la cour de:
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 10 février 2016 en ce qu'il a :
dit que la SAS Asian European Footwear était fondée à résilier le contrat d'agent de Monsieur Christophe Dewulf avec le préavis de trois mois accordé ;
dit que l'indemnité compensatrice de préavis du fait de la résiliation du contrat d'agent de Monsieur Christophe Dewulf doit être fixée à six mois de commissions calculées sur les dix derniers mois d'activité d'agent soit 19 310 euros. ;
En conséquence,
- débouter Monsieur Christophe Dewulf de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
En tout état de cause,
- condamner Monsieur Christophe Dewulf à payer à la Société Asian European Footwear la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner Monsieur Christophe Dewulf au paiement des entiers dépens dont distraction au profit de Maître François Teytaud, dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 juin 2017.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Motifs :
L'article L. 134-4 du Code de commerce dispose que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties (alinéa 1) ; que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information (alinéa 2) ; que l'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; et que le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat (alinéa 3).
L'article L. 134-12 du même code, dont les dispositions sont d'ordre public, indique qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; qu'il perd toutefois le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits ; et que ses ayants droit bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent.
Par ailleurs, l'article L. 134-16 prévoit qu'est réputée non écrite toute clause ou convention dérogeant, au détriment de l'agent commercial, aux dispositions de l'article précité.
Il est de principe enfin que les parties peuvent licitement convenir à l'avance d'une indemnité de rupture, dès lors que celle-ci assure la réparation intégrale du préjudice subi par l'agent commercial.
L'article L. 134-13 précise toutefois que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due notamment en cas de cessation du contrat provoquée par la faute grave de l'agent commercial.
Il est admis que la faute grave, privative d'indemnité de rupture, se définit comme celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat et rend impossible le maintien du lien contractuel ; elle se distingue du simple manquement aux obligations contractuelles justifiant la rupture du contrat.
En l'espèce, contrairement à ce que soutient Monsieur Dewulf, la société AEF ne se prévaut nullement à son encontre d'une faute grave privative de son droit à indemnité de rupture, puisqu'elle admet au contraire le droit à indemnité de ce dernier, qu'elle estime toutefois devoir être limité à la somme de 19 310 euros, conformément aux stipulations du contrat en son article 8.2 et à la solution retenue par le tribunal de commerce. Le débat sur l'existence ou non d'une faute lourde de Monsieur Dewulf n'a donc pas lieu d'être.
Concernant le quantum de l'indemnité de rupture, il est rappelé qu'il n'est pas réglementé et qu'il convient de statuer en fonction des circonstances spécifiques de la cause, de façon à assurer la réparation de l'entier préjudice subi par l'agent commercial du fait de la perte de son mandat, préjudice qui consiste en la perte pour l'avenir des revenus tirés de la clientèle commune. De plus, s'il existe, certes, un usage reconnu qui consiste à accorder une indemnité correspondant à deux années de commissions, cet usage ne lie toutefois pas la cour.
Or, en l'espèce, compte tenu de la durée conséquente du mandat d'agent commercial (d'environ 12 ans) et de l'absence de fautes avérées de Monsieur Dewulf dans sa mise en œuvre, il apparaît donc que le montant de l'indemnité prévu au contrat (6 mois de commissions) ne peut recevoir application pour être insuffisant.
En effet, les reproches assez régulièrement formulés par la société AEF à l'encontre de Monsieur Dewulf, concernant le début de démarrage des tournées, l'octroi de remises ou la baisse des performances dans le secteur breton, ce, entre 2009 et le 16 avril 2014, date de notification de la rupture, à les supposer fondés, ne justifient pas de réduire le quantum de l'indemnité en dessous de deux ans, compte tenu de leur étalement dans le temps et de leur caractère collectif (le grief étant parfois reproché à plusieurs agents en même temps) qui réduisent leur portée, ainsi que, concernant le dernier grief, réel et d'ailleurs non contesté, de sa prise en compte indirecte dans le calcul de l'indemnité (puisque l'assiette de celle-ci est constituée des commissions perçues, elles-mêmes calculées sur le chiffre d'affaires rapporté par l'agent).
Par suite, il apparaît que la demande d'indemnité formulée par Monsieur Dewulf à hauteur de 162 085 euros, correspondant à deux années de commissions calculées à bon droit sur la moyenne des années 2011, 2012 et 2013 (2014 n'ayant pas à être prise en compte faute d'être " entière ", le contrat étant supposé avoir pris fin le 16 juillet 2014, terme du préavis), selon les données comptables fournies non utilement critiquées, s'avère fondée ; il y sera donc fait droit, le jugement étant réformé sur ce point.
La société AEF qui succombe supportera les dépens. L'équité commande de faire droit à la demande formée par Monsieur Dewulf en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, confirme le jugement entrepris excepté en ce qu'il a fixé à la somme de 19 310 euros l'indemnité de rupture due par la société Asian European Footwear à Monsieur Dewulf ; Statuant de nouveau sur ce point, fixe cette indemnité à 162 085 euros et, en tant que de besoin, condamne la société Asian European Footwear à la payer à Monsieur Dewulf ; Y ajoutant, condamne la société Asian European Footwear à payer à Monsieur Dewulf la somme de 4 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; rejette toutes autres demandes ; condamne la société Asian European Footwear aux dépens.