CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 27 octobre 2017, n° 15-15425
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Comité d'entreprise de la SAS Transports Rapides Automobiles
Défendeur :
Kalidea (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mme Lis Schaal, M. Thomas
Avocats :
Mes Chellal, Yanat, Fauquet
Faits et procédure
Le 28 avril 2010, le comité d'entreprise de la SAS Transports rapides automobiles TRA (le comité d'entreprise) a souscrit auprès de la société Kalidea, anciennement SLG SA, un contrat " de service CanalCE " d'abonnement à une plate-forme de billetterie sur internet, contrat à effet du 30 avril 2010, d'une durée de 24 mois, tacitement renouvelable.
Le 30 mai 2012, la société Kalidea a facturé au comité d'entreprise la somme de 16 592,11 euros au titre du paiement des services à intervenir pour la période comprise entre le 30 mai 2012 et le 30 mai 2014. Le 9 décembre 2013, elle a mis en demeure le comité d'entreprise de payer ladite somme.
Par acte du 14 juin 2014, elle a assigné le comité d'entreprise devant le Tribunal de commerce de Bobigny qui, par jugement en date du 29 juin 2015, a :
- dit n'y avoir lieu à ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture ;
- condamné le comité d'entreprise de la SAS Transports rapides automobiles TRA à payer à la société SLG SA la somme de 16 592,11 euros, assortie des intérêts au taux contractuel d'une fois et demie le taux légal à compter du 9 décembre 2013 ;
- ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ;
- ordonné l'exécution provisoire de l'entier jugement ;
- condamné le comité d'entreprise de la SAS Transports rapides automobiles TRA à payer à la société SLG SA la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Le comité d'entreprise a interjeté appel de cette décision le 16 juillet 2015.
Prétentions des parties
Le comité d'entreprise de la SAS Transports rapides automobiles TRA, par conclusions signifiées par le RPVA le 9 mai 2017, demande à la cour de :
- dire le comité d'entreprise recevable et bien fondé ;
- annuler le jugement attaqué en toutes ses dispositions ;
A titre principal,
- prononcer la nullité du contrat litigieux pour défaut de capacité et absence de cause ;
A titre subsidiaire,
- dire abusive la clause de tacite reconduction et la réputer non écrite ;
A titre surabondant,
- constater que la société SLG a manqué à ses obligations contractuelles ;
- la condamner à verser au comité d'entreprise la somme équivalente à celle du prix qu'elle réclame ;
- ordonner la compensation des sommes dues entre les parties ;
A titre infiniment subsidiaire,
- dire que la créance réclamée par la société SLG n'est ni certaine, ni fondée en son principe ;
En tout état de cause,
- annuler le jugement attaqué dans toutes ses dispositions ;
- condamner la société SLG à verser au comité d'entreprise la somme de 4.500 euros au titre des frais d'avocats ainsi qu'aux dépens.
Il invoque en premier lieu la nullité du contrat d'abonnement au motif qu'il a été souscrit par Monsieur X, secrétaire du comité d'entreprise, qui n'avait pas été expressément mandaté, que le contrat ne peut donc valablement engager le comité d'entreprise. Il souligne que, la société Kalidea étant un professionnel dont l'activité est dédiée aux comités d'entreprises, elle aurait dû vérifier que le signataire de l'acte avait qualité à agir ; elle ne peut prétendre avoir légitimement cru que Monsieur X agissait dans les limites d'un quelconque mandat.
Le comité d'entreprise soutient en second lieu que la société Kalidea n'apporte pas la preuve de l'exécution de ses prestations. Plus encore, elle sollicite l'exécution forcée du contrat par le comité d'entreprise, alors même que ce dernier était fondé à suspendre l'exécution de ses obligations corrélatives, celles-ci se trouvant dénuées de toute cause. C'est donc à tort que le Tribunal de commerce de Bobigny a retenu l'absence de manquement de la société Kalidea dans l'exécution du contrat. De ce fait, la nullité du contrat pour absence de cause doit être prononcée.
Il invoque en troisième lieu le caractère abusif de la clause de renouvellement tacite, et indique que, le comité d'entreprise étant un non-professionnel, il peut se prévaloir des dispositions du Code de la consommation et de la législation sur les clauses abusives. Le contrat litigieux prévoyant en son article 4 une reconduction indéfinie de ce contrat, la durée du contrat doit s'analyser comme étant excessivement longue. En outre, le fait pour la société Kalidea de se prévaloir de la reconduction du contrat de manière illimitée crée un déséquilibre significatif au détriment du non-professionnel. De surcroît, cette clause est d'autant plus déséquilibrée qu'elle ne prévoit aucune obligation pour le professionnel d'informer le non-professionnel avant la reconduction du contrat. La clause de tacite reconduction est donc abusive et doit être réputée non écrite.
Sur les manquements contractuels de la société Kalidea, le comité d'entreprise fait valoir que la société Kalidea avait une double obligation : permettre l'accès à une plateforme de billetterie sur Internet, envoyer cinq catalogues par an, en 530 exemplaires ; il observe qu'aucun catalogue n'a été livré ; la société Kalidea n'apporte pas la preuve qu'elle a bien exécuté ledit contrat. Le comité d'entreprise sollicite donc le versement de dommages intérêts au titre de la réparation de l'inexécution contractuelle par la société Kalidea.
Elle invoque le caractère incertain et infondé du prix réclamé en ce que, le contrat litigieux prévoyant tout à la fois une prestation principale et des services additionnels, ces services additionnels sont accessoires et ne peuvent être confondus avec la prestation principale.
La clause de tacite reconduction porte sur la prestation principale, pour un montant de 7 407 euros, et non sur les services additionnels. La créance réclamée par la société Kalidea est donc infondée et incertaine. En condamnant le comité d'entreprise au paiement de la somme de 16 592,11 euros, assortie d'intérêts, le Tribunal de commerce de Bobigny a dénaturé le contrat.
La société Kalidea, par conclusions signifiées par le RPVA le 2 décembre 2015, demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris ;
- débouter le comité d'entreprise de la SAS Transports rapides automobiles TRA de l'ensemble de ses prétentions ;
- condamner le comité d'entreprise de la SAS Transports rapides automobiles TRA à payer à la SA Kalidea la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
Elle soutient, sur l'habilitation du représentant du comité d'entreprise, que le contrat litigieux mentionne que le signataire est Monsieur Y, trésorier ; que, si le comité d'entreprise affirme que le contrat a été signé par Monsieur X, il n'apporte pas la preuve que le contrat a réellement été signé par ce dernier. Elle ajoute qu'en tout état de cause, le représentant de la société Kalidea ne pouvait avoir le moindre doute sur l'habilitation du signataire ; en effet, la personne avec laquelle Kalidea a contracté était présente dans les locaux, était en charge de la mission et apparaissait comme le représentant du comité d'entreprise ; or, la Cour de cassation retient la légitimité de l'erreur du tiers en présence d'un mandataire dans les locaux appartenant au prétendu mandant. L'existence d'un mandat apparent est surtout retenue par la jurisprudence dans l'hypothèse où l'acte passé est d'une faible valeur. La croyance du conseiller commercial de la société Kalidea était donc légitime et il n'avait pas à vérifier l'identité ni les pouvoirs de la personne apparaissant comme responsable du comité d'entreprise. De surcroît, le contrat conclu a été honoré sans réserve par le comité d'entreprise. De ce fait, le comité d'entreprise ne saurait prétendre ne pas être engagé par le contrat.
Sur l'exigibilité de la facture litigieuse, la société Kalidea expose que le contrat prévoit, pour la première période du contrat, un paiement en deux fois les 30 juin 2010 et 10 février 2011, et non une facturation mensuelle. Le contrat prévoyant à son article 4 que les factures sont payables à 30 jours, la facture litigieuse en date du 30 mai 2012 était exigible au 30 juin 2012.
Sur l'exécution par la société Kalidea de ses obligations contractuelles, elle soutient que, le comité d'entreprise ayant reçu des identifiants lui permettant d'accéder à la plateforme et les catalogues lui ayant été livrés, et le comité d'entreprise n'ayant jamais présenté de réclamation à la société Kalidea, cette dernière a bien exécuté ses prestations.
Sur l'indivisibilité du contrat, elle précise que le contrat ne distinguant pas la prestation dite " principale " des autres prestations, la clause de tacite reconduction ne procède pas non plus à une différenciation entre les prestations commandées. Le contrat est donc bien indivisible.
Elle invoque enfin l'inapplicabilité en l'espèce du Code de la consommation. Elle rappelle que le professionnel est défini par la jurisprudence comme celui dont l'activité entretient un lien direct avec la finalité de l'opération, peu importe qu'il en tire finalement un bénéfice ou une économie. Le comité d'entreprise est chargé d'assurer, d'organiser et de développer des activités sociales et culturelles au profit des salariés. Pour assurer sa mission, il dispose de moyens financiers émanant de son employeur. Il peut également négocier auprès de partenaires commerciaux. Le comité d'entreprise est donc doté d'attributions économiques, sociales et culturelles. De plus, le contrat litigieux permettant au comité d'entreprise de développer son activité de promotion culturelle, il existe bien un lien direct entre le contrat et l'activité du comité. En outre, il importe peu que l'activité soit lucrative ou non pour que la personne puisse être qualifiée de professionnel. En favorisant l'accès de ses salariés à des activités culturelles, le comité d'entreprise agit en qualité de professionnel. Il ressort de la jurisprudence qu'une personne morale peut bénéficier des dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la consommation dans l'hypothèse où le contrat litigieux n'entre pas dans son domaine de compétence et dans sa spécialité. Or, en l'espèce, le contrat litigieux entre dans le domaine de compétence et dans la spécialité du comité d'entreprise. L'application de l'article L. 136-1 du code de consommation doit dès lors être exclue. En tout état de cause, dès lors que le comité d'entreprise étant susceptible de se voir appliquer les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dans ses relations commerciales avec ses fournisseurs, il ne saurait être valablement soutenu qu'il n'exerce pas une activité lucrative. Le comité d'entreprise est donc un professionnel et il ne peut de ce fait se prévaloir de la loi Chatel.
MOTIFS
Sur la nullité du contrat
Considérant que le comité d'entreprise demande de dire nul du contrat conclu avec la société Kalidea le 28 avril 2010 pour défaut de capacité et absence de cause ;
Mais considérant que l'exception de nullité fait seulement échec à la demande d'exécution d'un acte non encore exécuté ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, ledit contrat ayant été exécuté du 30 avril 2010 au 30 mai 2012 (pièce Kalidea n°10) ; que la demande de nullité du contrat sera en conséquence rejetée ;
Sur le caractère abusif de la clause de renouvellement tacite du contrat
Considérant que le comité d'entreprise se prévaut, au soutien du caractère abusif de la clause de reconduction tacite du contrat, des dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation ;
Considérant qu'il résulte de l'article L. 2323-83 du Code du travail que le comité d'entreprise assure, contrôle ou participe à la gestion de toutes les activités sociales et culturelles établies dans l'entreprise prioritairement au bénéfice des salariés ou de leur famille ; que, lorsqu'il exerce cette mission légale, le comité d'entreprise agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ; que le contrat passé avec la société SLG (Kalidéa), dont l'objet est la souscription d'un abonnement à une plate-forme internet proposant une billetterie d'accès à des manifestations culturelles, s'inscrit dans ce cadre ; qu'agissant en tant que non-professionnel, le comité d'entreprise bénéficie des dispositions du Code de la consommation ;
Considérant que l'article L. 136-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction applicable à la cause, dispose que " le professionnel prestataire de services informe le consommateur par écrit, par lettre nominative ou courrier électronique dédiés, au plus tôt trois mois et au plus tard un mois avant le terme de la période autorisant le rejet de la reconduction, de la possibilité de ne pas reconduire le contrat qu'il a conclu avec une clause de reconduction tacite. Cette information, délivrée dans des termes clairs et compréhensibles, mentionne, dans un encadré apparent, la date limite de résiliation.
Lorsque cette information ne lui a pas été adressée conformément aux dispositions du premier alinéa, le consommateur peut mettre gratuitement un terme au contrat, à tout moment à compter de la date de reconduction. Les avances effectuées après la dernière date de reconduction ou, s'agissant des contrats à durée indéterminée, après la date de transformation du contrat initial à durée déterminée, sont dans ce cas remboursées dans un délai de trente jours à compter de la date de résiliation, déduction faite des sommes correspondant, jusqu'à celle-ci, à l'exécution du contrat. A défaut de remboursement dans les conditions prévues ci-dessus, les sommes dues sont productives d'intérêts au taux légal ";
Que l'article L. 132-1 du même code, dans sa rédaction applicable à la cause, prévoit que " dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. " ;
Considérant qu'est abusive la clause par laquelle l'une des parties impose à l'autre une disposition prévoyant la prorogation ou la reconduction tacite d'un contrat à durée déterminée pour une période excessivement longue ;
Considérant que l'article 2 des conditions générales du contrat du 28 avril 2010 stipule que " le contrat de service est conclu pour une durée minimum et incompressible de 24 mois à compter de la date de signature du contrat. Les parties peuvent y mettre fin après cette période incompressible par lettre recommandée avec AR au moins 60 jours calendaire, avant la date anniversaire figurant sur le contrat. Ce contrat court indéfiniment après la première période incompressible de 24 mois par période incompressible de 24 mois, sauf à être exceptionnellement interrompu " ; que, contrairement aux dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la consommation, cette stipulation n'impose au professionnel aucune obligation d'informer préalablement le non-professionnel, avant la date anniversaire, de la possibilité dont il bénéficie de mettre fin au contrat, information ; qu'au surplus, la société Kalidéa ne soutient pas avoir procédé à une telle information ;
Considérant qu'au regard de l'objet du contrat - un simple abonnement à une plate-forme de billetterie sur internet - et de l'absence de possibilité de résiliation anticipée, la durée du contrat renouvelé est excessivement longue ; que l'article 2 des conditions générales crée, dans ces conditions, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat au détriment du comité d'entreprise ; que cette clause doit en conséquence être réputée non écrite et déclarée inopposable au comité d'entreprise ; que la cour infirmera le jugement entrepris et déboutera la société Kalidéa de ses demandes ;
Considérant que l'équité commande de condamner Kalidéa à payer au comité d'entreprise la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, infirme le jugement entrepris ; statuant à nouveau ; déboute le comité d'entreprise de la SAS Transports rapides automobiles TRA de sa demande de nullité du contrat du 28 avril 2010 ; déclare abusive la clause contenue à l'article 2 des conditions générales du contrat du 28 avril 2010 ; la dit inopposable au comité d'entreprise de la SAS Transports rapides automobiles TRA ; déboute la SA Kalidéa de ses demandes ; condamne, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la SA Kalidéa à payer au comité d'entreprise de la SAS Transports rapides automobiles TRA la somme de 3 000 euros ; condamne le comité d'entreprise de la SAS Transports rapides automobiles TRA aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.