CA Orléans, ch. com., économique et financière, 26 octobre 2017, n° 16-03350
ORLÉANS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Coubet (SAS) , Vinceneux (ès qual.)
Défendeur :
Mr Bricolage (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Monge
Conseillers :
Mme Hours, M. Bersch
Avocats :
Mes Da Costa, Pothet, Pesme, Lanciaux
Exposé :
La SAS Coubet a adhéré le 8 avril 2009 à l'enseigne " Mr Bricolage ". Le Tribunal de commerce de Toulouse a ouvert à son égard une procédure de redressement judiciaire le 8 mars 2012 en désignant en qualité de mandataire judiciaire Me Liliane Vinceneux. La procédure a été convertie en liquidation judiciaire par un jugement du 27 septembre 2012 qui a nommé Me Vinceneux liquidateur.
Selon acte du 24 mars 2014, Me Vinceneux ès qualités d'une part, et les consorts X, associés de la société Coubet d'autre part, ont fait assigner la SA Mr Bricolage devant le Tribunal de grande instance de Toulouse en lui réclamant des dommages et intérêts.
Saisi par la société défenderesse, le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Toulouse a, par ordonnance du 21 mai 2015, dit que les juridictions de Toulouse étaient compétentes pour connaître du litige l'opposant aux consorts X, et que le Tribunal de commerce d'Orléans était seul compétent pour connaître de l'action exercée par la société Coubet représentée par son liquidateur.
Devant la juridiction consulaire du Loiret, Me Vinceneux ès qualités a soutenu que la société Mr Bricolage avait manqué à son obligation précontractuelle de renseignement, particulièrement en ne communiquant pas les informations visées à l'article L. 330-3 du Code de commerce, et qu'elle avait aussi manqué à son devoir d'assistance envers son adhérent lorsque celui-ci avait rencontré des difficultés qui auraient pu être surmontées avec son aide.
Par jugement du 15 septembre 2016, le Tribunal de commerce d'Orléans a débouté la société Coubet, représentée par son liquidateur, de tous ses chefs de prétentions en la condamnant aux dépens de l'instance et au paiement d'une indemnité de procédure de 2 000 euros.
Pour statuer ainsi, les premiers juges ont retenu que la société Mr Bricolage démontrait avoir fourni dans le délai requis les informations légales, et qu'elle n'avait pas commis de faute en refusant la demande d'un mode de vente en dépôt avec paiement à quinzaine qui n'était pas celui prévu au contrat.
La société Coubet, représentée par Me Vinceneux ès qualités de liquidateur à sa liquidation judiciaire, a relevé appel.
Les dernières écritures des parties, prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du Code de procédure civile, ont été déposées :
- le 7 décembre 2016 par l'appelante
- le 2 février 2017 par l'intimée.
Me Vinceneux ès qualités relate les conditions dans lesquelles le couple X s'est vu proposer d'exploiter en franchise dans les locaux d'une SCI du Bastan un magasin à Noé, à une trentaine de kilomètres de Toulouse, dans une zone commerciale présentée sous un jour hyperbolique et abritant déjà un Hypermarché Casino qui devait s'agrandir. Il indique que les époux constituèrent ainsi la SAS Coubet, qui signa le 12 mars 2009 un bail commercial avec la SCI, et les 8/30 avril 2009 la charte de l'adhérent avec Mr Bricolage, et que la commission départementale de l'aménagement commercial autorisa le 27 de ce même mois d'avril la création d'un magasin " Mr Bricolage " de 1 900 m². Elle expose que le développement de la zone commerciale ne fut pas celui espéré en raison du retard d'ouverture du Géant Casino qui devait s'étendre ; que le chiffre d'affaires prévu ne fut pas réalisé ; que le commerce fit l'objet d'un important cambriolage ; que le bailleur commercial saisit la justice pour faire constater l'acquisition de la clause résolutoire en raison d'impayés ; et que la liquidation judiciaire fut en définitive prononcée après trois ans d'exploitation. Elle considère que le projet n'était, en réalité, pas viable. Elle soutient que la société Mr Bricolage n'a pas délivré à la société Coubet l'information précontractuelle prévue par les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, en lui reprochant d'avoir aveuglément prêté foi aux présentations optimistes de l'aménageur de la zone, et d'avoir fourni des éléments erronés sur le contexte juridique, administratif et commercial de la zone, notamment en ne l'avertissant pas que l'ouverture de l'hypermarché alimentaire qui devait attirer la clientèle n'était pas consolidée. Elle affirme que le franchiseur a aussi manqué à son obligation légale d'assistance envers le franchisé, en ne négociant pas avec le bailleur qui était aussi le promoteur de la zone commerciale, une diminution ou une suspension du loyer, et en refusant les mesures de reprise du stock mort et de passage au dépôt vente qui auraient pu permettre d'améliorer la trésorerie. Rappelant que le passif s'établit à 1 376 671,93 euros, elle sollicite 1 000 000 d'euros de dommages et intérêts en affirmant qu'il s'agit de la part de son préjudice en lien de causalité avec les manquements commis par l'intimée. Elle réclame en toute hypothèse 5 000 euros à titre d'indemnité de procédure.
La SA Mr Bricolage conteste les manquements et les fautes qui lui sont attribués et sollicite la confirmation du jugement déféré, ainsi que 10 000 euros d'indemnité de procédure. Elle affirme avoir délivré aux associés de la société Coubet une information conforme aux exigences légales, en rappelant l'avoir fournie six mois à l'avance et en se prévalant du récépissé par lequel la future gérante reconnaissait recevoir ainsi tous les éléments visés par l'article L. 330-3 et s'en trouver suffisamment et parfaitement éclairée. Elle ajoute que la liste des documents remis est conforme aux exigences de l'article D. 330-1. Elle rappelle avoir indiqué au destinataire être à même de fournir des renseignements complémentaires qui ne lui furent pas demandés. Elle insiste sur l'avertissement donné au candidat de ne pas se contenter de ces éléments et d'avoir à établir lui-même un projet d'exploitation. En réponse à l'argumentation adverse, elle indique que l'étude annexée à sa plaquette de présentation ne constituait pas une étude de marché mais une " étude de potentiel " limitée et réalisée non par elle-même mais par une officine mandatée par le promoteur. Elle indique que cette information fut examinée à sa juste valeur par les époux X grâce à leur grande expérience et compétence professionnelle, et qu'ils ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes s'ils ne firent pas réaliser une étude préalable de marché qu'elle n'avait pas de son côté à fournir ni à établir, et s'ils s'en tinrent au document du promoteur sans diligenter d'étude d'implantation. Elle rappelle qu'un hypermarché Géant Casino était bien exploité depuis 2007 sur le site par une société Christal qui voulait passer sous enseigne " Hyper U " et entra vers 2010/2011 en conflit ouvert avec son franchiseur Casino, ce qui bloqua son extension et, par la même occasion, le développement du site, et elle affirme n'avoir eu aucune possibilité de prévoir cette situation, ni plus généralement que le succès de la zone ne serait pas tel qu'annoncé par le promoteur, en précisant qu'il fut atteint en 2013 une fois réglé le conflit avec Casino et finalisée la création des accès à l'autoroute voisine, qui avaient pris du retard. Elle récuse aussi toute défaillance dans son devoir d'assistance, en rappelant combien celui-ci est légalement circonscrit, et en assurant avoir substantiellement soutenu la société Coubet, par des relations constantes, des visites fréquentes, des facilités de paiement, des approvisionnements maintenus malgré de gros impayés, l'octroi d'un échéancier de paiement et des démarches auprès du promoteur/bailleur. Elle affirme avoir refusé légitimement d'approvisionner sa franchisée en dépôt vente. Très subsidiairement, elle conteste le montant de la demande de l'appelante.
Il est référé pour le surplus aux conclusions des plaideurs.
L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 18 mai 2017 dont les conseils des parties ont été avisés.
Motifs de l'arrêt :
Sur le grief de manquement par Mr Bricolage à son obligation précontractuelle de renseignement
Attendu que Mme Céline X, qui envisageait de souscrire un contrat de franchise avec la société Mr Bricolage dans le cadre d'une société commerciale qui serait alors constituée à cet effet, a certifié en signant une attestation datée du 15 octobre 2008 (pièce n° 3 de l'intimée):
" Je reconnais avoir reçu l'intégralité des documents nécessaires à ma parfaite information en vue de la signature d'un contrat de franchise sous enseigne Mr Bricolage/Catena et plus spécialement avoir reçu tous les documents visés par l'article L. 330-3 du Code de commerce (anciennement article 1 de la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989) et le décret 91-337 du 4 avril 1991.
Je reconnais notamment que les documents suivants m'ont été remis :
. L'identification et l'historique du réseau
. L'identification des enseignes et marques concédées
. Les coordonnées des domiciliations bancaires de la tête de réseau
. La présentation de l'état général et local du marché du bricolage
. Les bilans de la tête de réseau pour les deux derniers exercices
. La liste des membres du réseau avec adresses, date des contrats, motifs entrées ou sorties
. Un exemplaire du contrat de franchise ou de la charte d'adhérent... " ;
Et attendu que vérification faite, ce document, intitulé " Disclosure ", produit par l'appelante (sa pièce n° 2) contient effectivement et réellement ces éléments, ainsi que d'autres, qui correspondent exactement, au total, à ceux auxquels renvoie l'article L. 330-3 du Code de commerce, tels qu'ils sont énumérés à l'article R. 330-1 de ce même code ;
Qu'à cet égard, déjà, la société Coubet, représentée par son liquidateur, n'est pas fondée à prétendre ne pas avoir reçu de Mr Bricolage l'information requise par lesdits articles L. 330-1 et R. 330-1 du Code de commerce ;
Et attendu que cette information lui a bien été délivrée dans le délai légal ;
Attendu, certes, qu'elle considère avoir été insuffisamment informée sur les perspectives de développement de ce site ;
Mais attendu que les documents transmis avant la signature du contrat faisaient explicitement état de l'inachèvement de la zone commerciale, des aménagements, travaux et implantations restant à y faire, ainsi que du projet d'extension de la grande surface alimentaire déjà présente sur place, ce qui suffisait à éclairer le candidat sur l'état local du marché et de l'achalandage, et pour le reste, il est gratuit, pour la société Coubet, de reprocher au franchiseur de ne pas lui avoir donné des éléments d'information dont il ne disposait pas, les aléas du changement d'enseigne de cette grande surface alimentaire, pour beaucoup dans le retard du décollage commercial du site, n'ayant rien de raisonnablement prévisibles pour lui, dont il n'est pas établi qu'il aurait détenu des informations à cet égard ou pu en obtenir, étant rappelé que son intérêt commercial et financier était évidemment que le magasin implanté en franchise prospère;
Et attendu que la société Coubet déclare certes aussi avoir été induite en erreur par l'étude que la société Mr Bricolage lui avait remise ;
Mais attendu que contrairement à ce qu'elle prétend, l'étude qui était jointe par Mr Bricolage aux documents requis par la loi, d'ailleurs opportunément puisqu'elle présentait le site des " Portes du Volvestre ", ne se présentait pas comme une étude de marché et ne pouvait être comprise comme telle, alors qu'elle émanait du promoteur et qu'elle consistait manifestement en une simple présentation commerciale de la zone, certes en termes flatteurs selon la loi du genre, mais sans dissimuler que celle-ci restait en cours de développement ;
Attendu, en outre, qu'en lui remettant les documents précontractuels prévus aux articles L. 330-1 et R. 330-1 du Code de commerce, la société Mr Bricolage a explicitement " attiré l'attention " (cf page 2 de sa pièce n° 2) du destinataire " sur l'utilité de compléter ces informations par des études de marché et analyses propres à votre projet ", en expliquant que " l'information qui vous est fournie dans le cadre de la communication de ce document ne vous dispense pas, en effet, de faire procéder à une étude plus complète du marché et des études prospectives de votre exploitation, notamment par l'établissement d'un compte d'exploitation professionnel " ;
Attendu que cette mise en garde, nécessaire, était suffisamment claire pour quiconque, et elle n'a pu échapper aux époux X, dont la femme écrivait à Mr Bricolage à la même époque (cf pièce n° 1 de l'intimée) qu'elle avait suivi une école préparatoire HEC et un cursus universitaire, participé à la gestion courante de l'entreprise familiale de terrassement pour finir par la création d'une société de construction marchand de biens en 2007, et le mari qu'il avait successivement dirigé trois centres " Feu Vert " avant de devenir directeur chez Norauto, ce qui constituait, pour l'un comme pour l'autre des candidats à la franchise et futurs fondateurs et associés de la société Coubet, une formation et une expérience amplement suffisantes pour leur permettre de comprendre la portée de cet avertissement, la nature et les limites de l'étude reçue, et la nécessité de faire procéder par eux-mêmes à l'étude de marché et à l'établissement d'un compte professionnel sans lesquels la création d'une telle entreprise serait hasardeuse, ce qu'ils ont pourtant décidé de ne pas faire ;
Attendu que dans cette même lettre, la société Mr Bricolage avait également pris soin d'inviter son interlocuteur à ne pas hésiter à prendre contact avec elle si le document ne répondait pas à toutes ses interrogations ou pour tout renseignement complémentaire, sans que M. ou Mme X n'y aient, là encore, donné suite ;
Qu'il ne peut être tiré argument, à cet égard, de l'emploi par Mr Bricolage, du terme " étude de marché " dans un courrier adressé en date du 12 septembre 2008 aux époux X, où il ne s'agissait, clairement, de rien d'autre que du simple prévisionnel interne établi par le franchiseur tel que résumé sous ce vocable en page 2 de ce document, sur la nature et la portée très limitée de laquelle les intéressés n'ont pu se méprendre, étant observé qu'il ne s'agissait que d'un document liminaire, qui fut suivi des documents précontractuels légaux et de la mise en garde circonstanciée dont il vient d'être parlé ;
Attendu que c'est donc à bon droit que les premiers juges n'ont pas retenu ce premier grief articulé par le liquidateur à la liquidation judiciaire de la société au soutien de sa demande indemnitaire ;
Sur le grief de défaut d'assistance
Attendu que l'appelante reproche aussi à la société Mr Bricolage d'avoir manqué à son obligation légale d'assistance envers le franchisé, en ne négociant pas avec le bailleur, qui était aussi le promoteur de la zone commerciale, une diminution ou une suspension du loyer, et en refusant les mesures de reprise du stock mort et de passage au dépôt vente qui auraient pu permettre d'améliorer la trésorerie, et plus généralement en ne l'ayant pas suffisamment soutenue et aidée ;
Mais attendu que ces griefs ne sont pas davantage avérés ;
Qu'il ressort avec évidence des productions et notamment des échanges de courriers et de courriels entre les parties que le franchiseur a été à l'écoute du franchisé jusqu'à sa déclaration de cessation des paiements (cf ses pièces n° 5 à 9) ; qu'il lui a consenti des facilités de paiement non contractuelles, souvent en insistant sur leur caractère exceptionnel (ses pièces n° 13 à 17) ; qu'il s'est entremis auprès du bailleur commercial pour tenter d'obtenir une baisse du prix du loyer, alors qu'il n'avait pas réellement qualité pour le faire, et qu'il n'y était, en tout cas, pas tenu (sa pièce n° 18) ; et qu'il a prodigué des conseils précis, commerciaux et techniques, à son franchisé, à la lumière de visites périodiques et fréquentes du magasin, pour tenter de le dynamiser afin d'atteindre de meilleurs résultats (ses pièces n° 10 à 12) ;
Attendu que le franchiseur, qui n'y était tenu ni légalement ni contractuellement, n'a commis ni faute, ni manquement, en refusant de modifier leur mode convenu d'approvisionnement pour passer en régime de dépôt vente, étant précisé qu'il a pris soin d'expliquer ses motifs, en indiquant n'y trouver aucun intérêt et ne pouvoir de toute façon procéder ainsi au vu de et de la conformation de ses plateformes et en l'absence de système de gestion informatique et comptable conçu pour ce type de fonctionnement, inusité pour lui (cf pièce n° 27 de l'appelante) ;
Qu'il est, au demeurant, significatif que l'appelante ne soit pas à même de produire la moindre preuve tels courriers, ou témoignages de doléances qu'elle aurait adressées au franchiseur quant à son assistance, ses seules demandes consistant en démarches pour continuer à être livrée de marchandises malgré d'importants impayés ;
Qu'il ressort des productions, et des propres écrits de la société Coubet, qu'elle imputait elle-même ses difficultés d'une part, à un important cambriolage perpétré dans ses locaux, ce qui n'engage assurément pas la responsabilité du franchiseur, et d'autre part au retard pris par l'aménagement de la zone commerciale, ce qui n'engageait pas davantage cette responsabilité;
Attendu que le jugement entrepris sera ainsi purement et simplement confirmé, et l'appelante condamnée à supporter les dépens d'appel, l'équité justifiant de ne pas mettre d'indemnité de procédure à sa charge ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Confirme le jugement entrepris y ajoutant : Déboute les parties de leurs prétentions autres ou contraires Condamne aux dépens d'appel la SAS Coubet, représentée par Me Vinceneux ès qualités de liquidateur à sa liquidation judiciaire, et dit n'y avoir lieu à indemnité de procédure.